Chapitre 5 : Discussion
Après s'être habillé, Hannibal descendit à son tour. Clarice n'était pas dans la maison. Il la trouva sur la terrasse. Elle regardait le jardin où quelques gouttes de rosée subsistaient encore sur les pétales des roses.
Ces longs cheveux flottaient dans le souffle léger du vent et les premiers rayons du soleil éclairaient son visage. Hannibal resta un moment à la contempler. Clarice était unique. Elle était non seulement très belle mais c'était aussi une femme de caractères avec une volonté de fer. Il appréciait particulièrement son intelligence et sa franchise... et sa capacité à toujours le surprendre. Il lui était difficile de prévoir les réactions de la jeune femme et il adorait ça.
Un sourire se dessina sur les lèvres du docteur. Comment ne pouvait-il pas aimer une femme comme elle ? Au départ, il avait eu du mal à comprendre ses sentiments. La dernière fois qu'il avait éprouvé cette sensation, il n'était qu'un enfant. Il avait tout fait pour rendre sa sœur Mischa heureuse, pour lui offrir les plus belles choses. Et voilà que des dizaines d'années plus tard, il ressentait les mêmes sentiments. C'était le plus beau cadeau que la vie pouvait lui faire : aimer à nouveau.
Il enregistra l'image de Clarice dans son palais de la mémoire puis s'approcha d'elle. Il s'arrêta à ses côtés et ils restèrent de longues minutes à regarder droit devant eux. Il était difficile de savoir à quoi chacun pouvait penser. Clarice fut la première à rompre le silence.
''Pourquoi est-ce que vous ne m'avez rien dit ? Vous auriez dû me prévenir.''
Hannibal pouvait desceller une pointe de colère dans la voix de la jeune femme. Il tourna la tête vers elle mais Clarice ne le regardait pas.
''Si je me souviens bien, je ne voulais pas me lever jusqu'à ce que vous usiez de la manière forte... Je crois que rien n'aurait pu vous convaincre à ce moment-là.''
''Et bien vous auriez dû être plus convaincant'', répondit-elle d'un ton sec.
''Vous auriez pu supposer que je ne portais pas de vêtement pour dormir.''
''Comment ? Ce n'est pas le genre de chose qui figure son votre dossier au FBI, docteur.''
''Touché.'' Hannibal trouvait qu'elle était encore plus belle quand elle était énervée. Il dit avec amusement : ''Au moins, nous sommes quitte.''
Elle se tourna enfin vers lui : ''Quitte ??''
''Oui Clarice. Être quitte, ne pas avoir d'avance, être au même niveau qu'une autre personne.''
Elle leva les yeux au ciel : ''Pitié docteur, je sais très bien ce que 'quitte' signifie. Que vouliez-vous dire par 'nous sommes quitte' ?''
''C'est très simple, vous m'avez vu nu tout à l'heure comme j'ai pu vous voir nu chez Krendler.''
Quelque chose venait de se briser chez Clarice. Elle détourna son regard de celui du docteur et murmura :
''Est-ce que nous sommes obligés de parler de ça maintenant ?''
''Si votre 'ça' fait référence à cette soirée sur la baie de Chesapeake, il y a un an, alors oui je crois qu'il serait préférable que nous en discutions.''
Hannibal plaça sa main sous le menton de la jeune femme et la força à le regarder. ''Clarice, je sais que ce qu'il s'est produit ce soir-là n'a pas été facile pour vous mais le fait d'en parler vous fera du bien.''
Elle ne trouva que patience et sympathie dans les yeux du docteur. Elle acquiesça et Hannibal la conduisit jusqu'à l'un des fauteuils en osier. Il en prit un autre et s'assit en face d'elle. Il croisa les jambes comme il l'avait fait chez Christie's et il dit doucement :
''J'aimerais que vous me décriviez ce que vous avez ressenti au cours de cette soirée ? Je sais que c'est difficile mais essayez de vous détendre.''
Clarice était troublée. Elle avait passé ces quatre derniers mois à rechercher sans relâche le docteur Lecter et maintenant qu'elle l'avait trouvé, elle discutait avec lui sur sa terrasse sans même tenter de l'arrêter. Le sujet de leur discussion était de surcroît le seul qu'elle voulait éviter. Après avoir respiré à fond, elle commença :
''J'étais sous l'effet de la morphine, mais je crois que ce sont vos paroles qui m'ont le plus marquées, docteur. Bien sûr, je n'oublierais jamais la vision de Krendler en train de déguster son propre cerveau pourtant, quand je pense à ce soir-là, ce n'est pas la première chose qui me vient à l'esprit.''
Comme elle ne continuait pas, Hannibal décida de l'aider en posant une question :
''Que voyez-vous, Clarice ? De quoi s'agît-il ?''
Elle se pencha en avant, les avant-bras posaient sur ses genoux.
''Je vous vois à côté de la table dans la salle à manger. Vous parlez du FBI, de médaille et de miroir. Je me souviens parfaitement de chaque mot. Des mots qui m'ont fait beaucoup réfléchir ensuite, qui m'ont ouvert les yeux...''
Le docteur attendit patiemment qu'elle continue : ''J'ai pris conscience que l'institution pour laquelle je travaillais n'était pas aussi honorable que je le pensais. Là où je cherchais justice et honnêteté, je n'ai trouvé que machination et corruption. Les mois qui ont suivi notre dernière rencontre, le département de la justice m'a délibérément mise hors jeu en me donnant d'abord des tâches administratives puis en me remettant sur votre dossier. Toutes ces manipulations me dégoûtent.''
Hannibal écoutait attentivement et ce qu'il entendait lui plaisait énormément. ''Clarice, regardez-moi.'' Quand il tenait le regard de la jeune femme, il dit : ''Vous êtes le vilain petit canard du FBI. Vous représentez tout ce qu'ils ne seront jamais. Votre courage, votre intelligence ou votre incorruptibilité, toutes ces qualités qui font ce que vous êtes... toutes ces qualités les embarrassent parce qu'elle risquent de mettre en péril toutes leurs petites affaires. Ils ont essayé de vous changer, de vous faire rentrer dans les rangs mais ils n'y sont pas parvenus et c'est très bien ainsi.''
Clarice était perdue dans le regard du docteur. Tout ce qu'il venait de dire n'était que pure vérité et la jeune femme sentit un énorme poids disparaître avec les mots qu'il venait de prononcer. Pourquoi continuer à travailler dans un endroit où personne ne s'intéresse à elle ? Où la qualité de son travail n'est pas reconnue ? Pourquoi travailler pour des gens qui représentent tout l'opposé de ce qu'elle cherche ?
Cependant, il était difficile de tirer un trait sur toute une vie consacrée à gagner sa place au sein du FBI. Elle avait éprouvé une grande fierté lorsque le directeur lui avait remis sa plaque d'agent spécial. Si elle abandonnait maintenant il faudrait tout recommencer.
''Je ne sais pas si je suis prête à quitter le FBI. J'ai toujours fait ce métier. Je n'ai pas le courage de commencer autre chose'' dit-elle au bout d'un moment.
Hannibal se mit dans la même position que la jeune femme, les mains croisées : ''Clarice, personne ne vous demande de quitter votre emploi. C'est une décision difficile à prendre et ce n'est pas en quelques minutes que vous pourrez faire votre choix.'' Il sourit légèrement. ''Il y a seulement des vérités qui doivent être dites...''
Cette conversation faisait énormément de bien à Clarice. Tout semblait si simple avec le docteur. Il prenait la vie comme elle venait et il en profitait au maximum. C'était apaisant de voir les choses de cette façon.
Clarice sourit à son tour : ''Merci.''
''Je vous en prie, tout le plaisir est pour moi, agent Starling'', répondit Hannibal en inclinant légèrement la tête.
Des hommes du SWAT auraient pu entrer à ce moment-là sans que Clarice ou Hannibal ne s'en aperçoivent. Le regard plongeait dans celui de l'autre, rien ne semblait exister autour d'eux. La jeune femme fut la première à baisser les yeux pour examiner les mains du docteur. Il était difficile de ne pas remarquer la cicatrice qui entourait le pouce gauche.
Avec hésitation, elle prit la main du docteur et resta de longues secondes à examiner la cicatrice. Puis elle sentit une larme coulait sur sa joue et une autre et encore une autre suivit le même chemin.
Un frisson avait parcouru le corps d'Hannibal quand Clarice lui avait pris la main. Il pouvait voir un grand nombre d'émotions défilait sur le visage de la jeune femme et, maintenant, elle pleurait. Il aurait tant voulu la serrer dans ses bras, il ne voulait pas qu'elle souffre par sa faute. Il dit doucement :
''Clarice, allons ne pleurez pas. Ce n'est pas nécessaire.''
''Je suis désolée, docteur. Tout ça est de ma faute.'' Elle avait du mal à parler, ses phrases étaient coupées par de petits hoquets. ''Si je n'avais pas...''
Hannibal l'interrompit : ''Vous n'avez fait que votre devoir. En tant qu'agent du FBI, vous avez tenté d'arrêter un des criminels les plus recherchés. Vous n'avez rien à vous reprocher.''
''Vous veniez de me sauver la vie, docteur Lecter... et tout ce que j'ai fait... c'est de vous obliger à...'' Avec ces derniers mots, les larmes coulèrent de plus belle.
Le docteur tira un mouchoir de sa poche : ''Tenez Clarice. Essuyez vos larmes. C'est terminé... Il faut que vous sachiez que ma main fonctionne parfaitement.'' Il serra la main de la jeune femme pour appuyer ses dires. ''Je ne ressens plus aucune douleur et je joue du piano aussi bien qu'avant. Même Beethoven n'aurait pas réussi une telle prouesse après s'être coupé un doigt...''
Clarice sourit à cette comparaison et Hannibal lui dit aussitôt : ''Le sourire vous va à ravir ma chère'', ce qui arrêta définitivement le flot des larmes.
Après s'être essuyé les yeux, elle dit : ''Quand je pensais à cette soirée, je n'avais jamais le courage de revoir l'instant où le couteau s'abattait sur votre main. Comme si je voulais l'effacer de ma mémoire et l'oublier à jamais. Il a fallu que je vois cette cicatrice pour que ce mauvais moment me revienne à l'esprit.''
Le docteur demanda : ''N'avez-vous gardé aucun bon souvenir ? Ne s'est-il rien passé ce soir-là qui vous ait plu ?''
Clarice sentit ses joues se colorer de rouge. Elle était à nouveau très gênée. Si elle ne lui disait pas la vérité, il le saurait tout de suite.
''Et bien... Il y a quelque chose en effet...'' balbutia-t-elle. ''J'ai apprécié... lorsque vous... lorsque vous...''
''Lorsque je vous ai embrassé'' dit Hannibal.
Elle le regarda dans les yeux, un peu étonnée. ''Oui, c'est bien ça.''
Il paraissait très heureux de cette réponse. ''Ne soyez pas gênée Clarice, j'ai trouvé moi aussi ce baiser très agréable.''
Le docteur dégagea sa main que Clarice tenait toujours dans la sienne et écarta une mèche de cheveux du visage de la jeune femme. Les doigts d'Hannibal effleurèrent sa joue et elle ferma un instant les yeux. Quand elle les rouvrit, il se tenait debout devant elle.
''Je vais monter prendre une douche, Clarice, rassembler quelques affaires et je serais prêt à vous accompagner.''
Elle se leva, les sourcils froncés : ''Pour m'accompagner, docteur ?''
''Oui, c'est bien pour cela que vous êtes venue, n'est-ce pas ? Pour me ramener aux USA.''
Elle resta sans voix. Il avait atteint la porte-fenêtre quand elle l'appela : ''Docteur Lecter ?''
Il se retourna : ''Clarice ?''
''Pourquoi faites-vous ça ? Nous savons tous les deux ce qui vous attend là-bas.''
Jamais il n'avait regardé la jeune femme de cette façon et elle en fut troublée. Avant de pénétrer dans la maison, il lui dit simplement : ''Vous connaissez la réponse à cette question, Clarice.''
