Chapitre 6 : Réflexion

Clarice resta longtemps à fixer l'entrée de la salle à manger bien après qu'il soit parti. Elle devait réfléchir et mettre de l'ordre dans sa tête. Depuis qu'elle s'était réveillée ce matin, elle avait ressenti toutes sortes d'émotion et elle ne savait plus vraiment à laquelle se raccrocher.

Et il y avait le regard du docteur quand il l'avait quitté tout à l'heure. Jamais un homme ne l'avait regardé comme ça. Elle avait vu dans ses yeux l'immense désir de la rendre heureuse, comme si rien au monde n'était plus important pour lui que le bien-être et le bonheur de la jeune femme. C'était une sensation extraordinaire de savoir qu'elle comptait pour quelqu'un, même si ce quelqu'un était un cannibale...

Le docteur Lecter avait toujours été là dans les moments difficiles et jamais il ne l'avait rejeté. Même après les évènements sur la baie de Chesapeake, il lui avait pardonné. Quand elle avait eu besoin de parler, il avait écouté patiemment. Les premiers temps à Baltimore, il s'était montré dur avec elle mais elle avait vite trouvé en lui un interlocuteur patient et compréhensif.

Leur discussion à Memphis resterait à jamais gravée dans sa mémoire. Le docteur ne s'était pas moqué quand elle avait raconté son enfance au ranch, au contraire, il l'avait remercié à la fin de leur entretien. Il s'était toujours intéressé à elle et, maintenant qu'elle y pensait, cette attention lui réchauffait le cœur.

Clarice alla s'asseoir sur les marches qui menaient au jardin. En fait, elle ne se souvenait d'aucune occasion où le docteur avait été désagréable avec elle. Il n'avait jamais levé la main sur elle ni proféré de menaces à son sujet.

Sans en avoir conscience, Clarice avait placé sa main sur son épaule gauche. La cicatrice n'était presque plus visible. Quand elle avait été blessée à Muskraft Farm, il l'avait soigné. Elle se souvenait du visage du docteur penché sur elle. Etait-ce de l'inquiétude qu'elle avait pu voir à ce moment-là ? Peut-être...

Quand elle était avec lui, elle se sentait vivante.

Elle se sentait unique.

Elle se sentait... aimer...

Clarice, en arrivant à cette conclusion, fut un peu déstabilisée. Comment un homme qui avait commis tant de choses horribles soit capable d'aimer ? Puis, en repensant à tout ce qu'il avait fait pour elle, quand il avait risqué sa vie pour elle en revenant aux USA par exemple, toutes les questions et les doutes disparurent.

''C'est incroyable'' pensa-t-elle. ''Hannibal Lecter est amoureux de moi, un agent du FBI. Au moins, ça explique beaucoup de choses.''

Et la première était qu'il allait se rendre à la police pour que Clarice retrouve sa place au FBI. Elle avait à nouveau les larmes aux yeux. Il était prêt à sacrifier sa vie et sa liberté pour elle.

''J'aimerais savoir si vous pourriez me dire, ne le faites pas ? Si vous m'aimez, ne le faites pas ?''

Les mots du docteur s'immisçaient dans les pensées de la jeune femme. Il lui avait déclaré son amour ce soir-là, mais elle l'avait repoussé et pourtant il était encore là aujourd'hui pour la soutenir et l'aider. Il restait une question à laquelle elle devait encore répondre. Est-ce qu'elle aimait le docteur Lecter ?

Elle ne devait pas réfléchir pour trouver la réponse, elle devait écouter son cœur. Ce même cœur qui avait battu si fort quand elle avait vu le docteur nu dans la chambre tout à l'heure ou quand il l'avait embrassé chez Krendler. Elle ne pouvait pas nier qu'elle ressentait quelque chose pour lui, mais est-ce qu'il s'agissait seulement d'attirance physique ou bien plus ? Etait-elle capable de risquer sa vie pour la sienne ?

Quand Clarice avait vu les Sardes enlevaient le docteur sur le parking de l'Union Station, son estomac s'était serré. Elle avait tout fait pour le retrouver, même aux dépens de sa carrière. Elle l'avait fait, officiellement, pour éviter un meurtre mais sa démarche avait un tout autre sens. Au fond de son cœur, elle ne voulait pas le perdre, elle ne voulait pas le voir mourir.

Non, c'était impossible. Elle ne pouvait pas aimer un homme comme lui. Il avait commis des meurtres et il se nourrissait de la chair de ses victimes. C'était un psychopathe, un monstre... Clarice secoua la tête :

''Je ne le verrais jamais de cette façon. Il ne sera jamais un monstre pour moi. Toutes ses actions sont inqualifiables. Il n'existe aucun mot pour les décrire et pourtant...'' Elle tourna la tête vers la maison. ''Il peut être si tendre par moments. J'aimerais tant passer une soirée en sa compagnie...''

La jeune femme se leva et monta au premier étage de la villa. Arrivée sur le pallier, elle perçut le bruit de l'eau de la douche et aussi... Elle s'approcha de la salle de bain. Elle n'avait pas rêvé, le docteur chantait ou plutôt fredonner un air que Clarice ne connaissait pas mais qui semblait très beau. Elle s'appuya contre l'encadrement de la porte et contempla la scène.

Derrière les vitres de la douche, Clarice pouvait distinguer la silhouette du docteur qui continuait à entonner la douce mélodie. Elle s'imagina comment pouvait être la vie avec lui. Elle se voyait dans un grand restaurant, vêtue d'une sublime robe bleu nuit au décolleté avantageux qui laissait apparaître une magnifique parure de diamants. Le docteur était assis en face d'elle dans un costume noir impeccable. La couleur de sa chemise était assortie à la robe de la jeune femme. Le dîner était merveilleux. Elle s'imaginait aussi assise à ses côtés au théâtre ou à l'opéra.

Clarice soupira. ''Je crois que vous avez volé mon cœur, Hannibal.'' Elle se redressa. ''Depuis quand est-il devenu Hannibal ?'' Après un court instant, elle dit tout bas, un léger sourire sur les lèvres : ''Depuis que j'ai compris la nature de mes sentiments.''

Elle entra dans la chambre du docteur et alla s'asseoir sur le bord du lit. Elle caressa doucement les draps. Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas entendu l'eau de la douche s'arrêtait. Hannibal allait bientôt rentrer dans cette pièce. Clarice décida d'abord de l'attendre en bas puis une autre idée lui vint à l'esprit.