Chapitre 2 : Un Nouveau Départ

Dans l'avion, Clarice essayait de se détendre mais l'inconnu lui avait toujours fait un peu peur… Cette fois-ci, il s'agissait d'un véritable départ et non pas de vacances forcées afin d'éviter le stress de sept années passées au FBI. Elle avait, en quelques mois, vendu sa Mustang à laquelle elle tenait plus que tout, sa maison, laissant ainsi à Ardelia Mapp, son ex colocataire, le loisir de s'installer dans un endroit plus spacieux et tout ce qui lui appartenait aux États-unis puis s'était offert une nouvelle demeure, dans les alentours de Paris, en campagne française.
Certains auraient facilement pu l'accuser de fuir et ils n'avaient pas tort, mais elle espérait, avant tout, laisser derrière elle son sombre passé et recommencer une vie nouvelle, sans morts et sans serial killer à ses trousses.
Malheureusement, son esprit semblait refuser cette décision et les souvenirs du Docteur Lecter la hantaient toujours. Elle n'avait plus peur de lui depuis longtemps mais il exerçait sur elle une fascination morbide qu'il lui était impossible de contrôler. Et après ce baiser qu'il avait eu l'audace de déposer sur ses lèvres, elle n'arrivait plus vraiment à comprendre la nature des sentiments qu'elle ressentait pour lui. En se remémorant cette soirée, elle sentit un étrange picotement dans ses yeux, comme quelques larmes qui se refuseraient à rouler sur ses joues laiteuses, mais elle ne s'en soucia pas.
" Mesdames et messieurs, nous allons amorcer notre descente. Veuillez vous asseoir confortablement dans vos sièges et boucler vos ceintures. Nous espérons que vous avez passé un agréable vol… ", Annonça l'une des hôtesse de l'appareil.
Quelques heures plus tard, Clarice sortait de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle, traînant un monceau de bagages derrière elle.
Le taxi qu'elle avait apprêté l'attendait devant l'entrée principale. Le conducteur l'aida à ranger ses valises dans le coffre de la voiture puis la fit galamment monter dans le véhicule.
Durant le trajet, Clarice observait les monuments Parisiens, les grandes rues et les promeneurs avec le plus grand intérêt. Tout cela était nouveau pour elle et elle ne voulait pas en perdre une seule miette. Le taxiteur, comprenant rapidement son enthousiasme et voulant le tourner à son avantage, en profita pour faire un grand tour de la ville, commentant de temps à autre les différents édifices alors que les chiffres sur le compteur de kilomètres ne cessaient de s'agrandir. Ils passèrent alors devant l'arc de Triomphe perdu dans une fine brume, la tour Eiffel, pointant sa forme phallique vers le ciel nuageux et même devant le magnifique bâtiment qu'est l'opéra Garnier. Le taxi, ralenti par la circulation, avait du s'arrêter à un feu qui venait de passé au rouge, mettant son conducteur hors de lui.
C'est à ce moment là, parmi la foule, qu'elle l'aperçut, assis sur un banc, tenant entre ses mains un journal. Sans réfléchir, elle se colla contre la vitre pour mieux voir et s'assurer qu'elle n'avait pas rêvé, qu'il s'agissait bien d'Hannibal Lecter.
Elle l'observa quelque seconde à son insu, mais, comme s'il se sentait dévisagé, il leva les yeux en direction de la voiture. Clarice détourna rapidement le visage. L'avait-il vu ? Lorsque le taxi redémarra, elle jeta un nouveau coup d'œil en direction du banc mais plus personne ne s'y trouvait.
Déçue, elle baissa les yeux et soupira. Pourquoi était-il ici, à Paris, la ville même qu'elle avait choisie pour retraite ? Ne s'agissait-il là que d'une coïncidence troublante, un signe indéniable du destin ou souhaitait-il si ardemment la revoir qu'il l'avait suivie jusque dans la cité française? Et ses deux mains semblaient intactes. Comment était-ce possible ? Sans doute un médecin peu scrupuleux avait-il accepté de réaliser une intervention sur son bras aux États-unis avant que Lecter change une fois de plus de continent et elle se sentait rassurée que ce praticien ait existé.
Clarice tentait de calmer ses pensées qui échappaient totalement à son contrôle mais son cœur battait si vite qu'il lui fallut demander à son chauffeur de s'arrêter sur le bord de la route afin qu'elle reprenne doucement ses esprits et qu'elle puisse finir tranquillement son voyage.

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Arrivée devant sa nouvelle propriété, située en bord de Seine à proximité de la ville de Vernon, non loin des jardins de Monet de Giverny qui lui avaient inspiré son célèbre tableau Les Nymphéas, Clarice récupéra ses bagages et donna un pour boire conséquent au taxiteur qui la remercia généreusement avant de s'en aller.
La maison, qu'elle n'avait vue jusqu'à présent qu'en photo, était encore plus surprenante dans la réalité. Il s'agissait de l'un de ces vieux manoirs aux belles façades avec son grand jardin où les haies sont toujours bien taillées.
Clarice eut un large sourire de satisfaction. Cet endroit était proche de la perfection.
Elle passa le portail et avança jusqu'à l'entrée, tirant péniblement ses valises derrière elle. Là, une femme habillée tout de noir l'attendait sur le perron.
-Miss Starling, je suppose ?
Elle avait parlé sur un ton monocorde, dans un anglais haché à l'accent discutable. Son visage émacié laissait paraître de trop nombreuses rides pour son jeune age et ses joues creuses et pâles le rendaient froid et fermé.
-Oui, c'est bien moi, Clarice Starling.
Tout en répondant, Clarice tentait de se donner une assurance qu'elle n'avait manifestement pas.
-Suivez-moi !
La femme lui fit visiter l'ensemble de la propriété. La maison n'était pas immense bien qu'assez vaste pour facilement accueillir un couple et leurs nombreux enfants : un grand hall soutenu par de belles colonnes à dominante rose composait la majeure partie du rez-de-chaussée, laissant tout de même place à de chaleureuses cuisines, à une spacieuse et confortable salle à manger dotée d'une grande cheminée de marbre blanc où un feu crépitait déjà et à une somptueuse bibliothèque s'étendant sur toute la hauteur du manoir et offrant une collection si importante que jamais Clarice n'avait eu l'occasion d'admirer autant de livres à la fois. Le second étage comprenait, quant à lui, trois chambres, un petit salon très coquet et une vaste véranda aménagée de nombreuses plantes aux parfums enivrants, d'un confortable divan et d'un magnifique piano à queue. Enfin, un minuscule escalier au bout du couloir menait vers le troisième étage, sous les toits, composé de plusieurs mansardes abritant autrefois les domestiques et aujourd'hui lieu de résidence de la femme en noir et de son mari.
Toute la demeure était équipée de mobilier ancien, principalement fait de bois sculpté que Clarice avait commandé et fait livré avant d'arriver en France.
L'escalier reliant le rez-de-chaussée au premier étage était lui-même une merveille. Au milieu de la montée, il se séparait en deux parties, l'une continuant sur la droite, et l'autre sur la gauche, rappelant des décors de contes de fées. L'albâtre rose dans lequel il avait été construit brillait tellement qu'on aurait pu croire qu'on l'avait lustré des heures durant.
Dehors, le jardin enchanta Clarice. Il se composait de haies, d'arbustes et de rosiers au milieu desquels s'écoulait un petit ruisseau, se déversant dans un immense bassin japonais où d'énormes carpes koï nageaient tranquillement.
Une voiture arriva à l'entrée du manoir. Clarice s'excusa auprès de la femme en noir et vint à la rencontre du visiteur qui sortit aussitôt du véhicule.
-Vous avez bien loué une voiture ? demanda l'homme, et sans attendre de réponse, il ajouta, j'ai quelques papiers à vous faire remplir.
Une fois les derniers détails réglés, la femme en noir et le loueur de voiture partis, Clarice, abandonnant ses valises dans le hall d'entrée, s'affala sur le canapé du salon. Vivre dans un endroit pareil était pour elle un changement crucial, elle, l'ancienne provinciale, habitait à présent un manoir digne de ce nom, près de l'une des plus riche ville qui puisse exister. Sa nouvelle vie venait donc de commencer. Épuisée par le voyage et le lourd décalage horaire, elle plongea rapidement dans un profond et calme sommeil, hanté par le visage familier du Docteur Lecter.
Lorsqu'elle se réveilla, la nuit était déjà tombée depuis longtemps. Elle se leva et se dirigea vers la fenêtre. Dehors, le froid et la pluie faisaient rage. L'été, très doux, laissait place à un automne humide et lugubre. Les jours séparant Halloween rapetissaient et Clarice se demanda si cette fête existait aussi en France comme on l'organisait dans son pays natal.
Elle se prit à penser au Docteur Lecter tout en contemplant toujours l'extérieur. Où se trouvait-il à ce moment même? N'avait-elle pas rêvé en croyant le voir en ville ? Une partie d'elle-même espérait de tout cœur ne pas avoir imaginé l'apercevoir, mais l'autre partie, terrifiée par ce désir, s'en voulait de songer encore à lui.

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Dans son hôtel parisien, Hannibal, lui aussi, pensait à Clarice Starling. Il l'avait aperçu le jour même, assise dans un taxi, ses cheveux blonds aux reflets roux remontés en un exquis chignon, et n'en avait pas cru ses yeux. Il était à présent persuadé de ne pas s'être trompé et souhaitait tout faire pour croiser à nouveau le chemin de la jeune femme.
La forme légèrement arrondie de son visage et ses yeux expressifs revenaient à son esprit si distinctement qu'il prit une plume et griffonna sur un papier l'image qu'il avait en tête. Il se laissait envahir par ses émotions, le souvenir de la voix douce de Clarice et le délicat parfum qu'elle portait lors de leur dernière rencontre, " fleur du ciel ".
L'idée de la savoir, par le plus grand des hasards, dans la même ville que lui, l'amusait énormément. Il semblait de plus en plus évident que le destin lui-même les menait à se revoir, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Il avait toujours trouvé Clarice charmante et délicieusement attrayante.
Ne pouvant se résoudre à se coucher, il se leva de son bureau où il avait fini son dessin étonnement ressemblant, enfila un peignoir et décrocha le téléphone, mais au dernier moment, il se ravisa.
-Pas encore…
Il chiffra finalement le numéro du service d'étage.
-Pourriez vous m'apporter une bouteille de votre meilleur Bordeaux, demanda-t-il dans un français parfait.
-Voulez vous également que l'on vous monte l'un des nos délicieux repas ? S'enquit la voix féminine à l'autre bout du combiné.
-Ce ne sera pas nécessaire !
Dans la pièce, un magnétophone jouait sans cesse les variations Goldberg de Bach sur un clavecin et les notes de musiques envahissaient l'esprit du Docteur.
Quelques instants plus tard, on frappa à la porte. Hannibal Lecter se dirigea vers elle et s'exclama, un petit sourire aux lèvres :
-Le repas est servi !