Chapitre 4 : Vision De Cauchemar

Les premiers jours de Clarice à Paris furent un véritable bonheur.
Loin des obligations du FBI et de ses anciennes fonctions, elle réussissait enfin à se détendre et à vider son esprit de toute cette tension.
Ayant fait beaucoup d'économies lorsqu'elle vivait aux USA, elle pouvait se permettre facilement de ne pas chercher immédiatement un nouveau travail et en profitait pour découvrir le patrimoine artistique et architectural très riche de la capitale française.
Elle n'avait jamais été une fervente admiratrice des musées qu'elle trouvait souvent bien trop ennuyeux, ternes et vides, mais les "Nymphéas" de Monet aux Tuileries et les jardins de Giverny l'avaient conquise et elle commençait sincèrement à apprécier l'art.
Bien qu'elle n'ait eu que des soupçons, il lui semblait être fréquemment suivie et, en son fort intérieur, elle espérait de tout cœur qu'il s'agisse du Docteur Lecter.
Elle ne l'avait pas ré aperçut depuis son arrivée à Paris mais elle avait parfois l'impression de sentir sa présence et elle devait bien admettre que cette sensation était fort réconfortante.
Ce soir-là, elle rentra au manoir particulièrement tard. Elle ramenait avec elle de nombreux paquets remplis de vêtements, d'objets décoratifs et de nourriture. Une fois ses achats rangés, elle se servit un verre de vin et monta l'escalier qui menait au premier étage.
Elle entra dans la chambre non utilisée qu'elle avait transformée en bureau, l'autre servait de débarra.
N'importe quelle personne pénétrant dans cette pièce aurait immédiatement déclaré Clarice folle à lier.
Tapissant les murs, de très nombreuses coupures de journaux relatant les différents épisodes de la vie d'Hannibal Lecter, des centaines de photos de lui et de ses nombreux crimes et quelques uns de ses somptueux dessins avaient été accrochés.
Sur une étagère, se trouvaient entreposés plusieurs objets ayant appartenu au cannibale, dont la lettre qu'il avait écrite à Clarice, côtoyant les vidéos surveillance où il apparaissait ainsi que les enregistrements de leurs conversations à la prison de Baltimore, durant son incarcération.
Pendant quelques instants, Clarice songea à la réaction de Crawford s'il avait vu cet endroit. C'était assez amusant de l'imaginer, profondément choqué par une telle collection, courrant après elle en rage, lui demandant comment elle pouvait être à ce point obsédée par un serial killer et avoir ainsi volé presque toutes les pièces à conviction du dossier.
C'était là toute l'histoire de son existence et elle réalisa soudain que sa vie aurait bien moins de sens si le Docteur Lecter n'en faisait plus partie.
Elle s'approcha de l'ordinateur dont le ronflement signalait son état de veille et bougea la souris pour accéder au menu. Un petit icône en bas à droite de l'écran indiquait qu'elle avait reçu du courrier.
Aucune adresse email n'apparaissait et seul un grand H signait le message.
Bien que le nom de l'expéditeur n'ait été mentionné nulle part, Clarice savait très bien qui en était l'auteur et il lui sembla que son cœur s'arrêtait de battre. Elle lu de nombreuses fois le mail dont chaque mots résonnait dans sa tête.
"Veuillez m'excuser de ne pas vous avoir contactée plus tôt, Clarice, mais le temps m'a manqué et j'ose espérer que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.
J'ai été fortement désappointé de vous voir dans les rues de Paris l'autre jour, assise à l'arrière de ce taxi.
Je dois admettre que c'est toujours, pour moi, un grand plaisir de vous savoir tout près, Clarice.
Vous me surprendriez toutefois en m'apprenant que vous êtes à nouveau à mes trousses puisque j'ai appris votre étonnant départ du FBI, je m'étonne d'ailleurs d'une telle décision de votre part, très chère Clarice. Qu'en aurait dit votre père adoré ?
Dois-je donc penser, ex agent spécial Starling, que vous ayez abandonné les rangs de la justice et du droit chemin.
Si c'est bien le cas, je m'en réjouis d'avance et espère vous revoir très bientôt.
Amicalement,
H "

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Clarice se leva de bonne heure. La veille, voyant le temps pluvieux annoncé par la météo du lendemain, elle avait opté pour une longue journée de visite au Louvres, l'un des plus passionnant musée parisien.
Ayant peur de l'affluence de l'après-midi, elle décidait de s'y rendre le plus tôt possible afin de profiter du calme d'une matinée de semaine pour découvrir les chefs d'œuvre que dissimulait l'immense pyramide.
A la sortie du manoir, il ne lui fallut que quelques secondes pour se retrouver trempée jusqu'aux os. Elle s'abrita rapidement dans sa voiture louée et mis le contact. La météo ne s'était pas trompée. L'air glacial couplé avec l'humidité gelait ses membres engourdis. Elle démarra et monta le chauffage à fond, se jurant de penser, à sa prochaine sortie, de se munir d'un solide parapluie, chose très utile lorsqu'on vit en France au beau milieu de l'automne.
Les jours défilaient depuis la réception du message du Docteur Lecter et elle n'avait, à nouveau, plus aucune nouvelle. Malgré tout, elle ne pouvait s'empêcher de relire son mail au moins une fois par jour, c'était comme une accoutumance, comme s'il lui manquait quelque chose tant qu'elle ne le faisait pas.
Arrivée en ville, elle s'aperçut rapidement que cela n'allait pas être facile de se rendre jusqu'au musée. Les gens qui partaient au travail créaient des embouteillages colossales et elle mis une heure de plus que ce qu'elle aurait du pour accéder au parking le plus proche. Décidément, rien n'allait tel qu'elle l'aurait souhaité.
Heureusement, comme elle l'avait prévu en décidant de venir pour l'ouverture, quasiment personne n'attendait à l'entrée du Louvres et elle réussit rapidement à obtenir un ticket lui permettant de visiter l'intégralité du bâtiment.
Mais elle se dirigea directement vers la salle où se trouvaient trois fresques de Botticelli, un auteur Italien de la Renaissance dont la plupart des tableaux étaient exposés à Florence, et qu'elle affectionnait tout particulièrement depuis quelques mois.
Elle traversa de nombreuses pièces, plongées dans la pénombre, habituant ses yeux à cette faible luminosité que la saison imposait, monta un grand escalier de dalle blanche et parvint à l'aile Denon, au premier étage, contenant, entre autre, les quelques peintures italiennes exposées.
La plupart des gardes du musée n'avaient pas encore rejoint leur poste et elle les voyait surgir petit à petit et s'asseoir sur les chaises leur étant attribuées.
Enfin, elle arriva devant la salle Percier et Fontaine et en franchit le seuil. La première chose qu'elle remarqua alors en faisant ses premiers pas dans cet intérieur sombre fut l'odeur. Un parfum âcre et écoeurant qu'elle connaissait malheureusement trop bien imprégnait la pièce ornée de colonnes noires marbrées. Un parfum qui lui rappelait la plaie par balle ouverte, à la poitrine, d'un dénommé Jame Gumb, un parfum qu'elle avait déjà senti lors de l'autopsie de la pauvre Kimberly Emberg, son corps flasque sur la table de dissection, elle-même lui relevant les empreintes.
Sur le sol, une petite fille était allongée, les mains et pieds liés. De ses yeux crevés se déversait son fluide vital et son ventre, sauvagement lacéré maculait de sang la robe bleue qu'elle revêtait. A côté d'elle, une poupée de porcelaine semblait rire de la malchanceuse aventure de l'enfant. Au dessus, le tableau de Botticelli " Vénus et les Grâces offrant des présents à une jeune fille " représentant Vénus, déesse de l'amour, entourée de trois compagnes et d'un angelot, déposant un cadeau dans le linge que lui tend une jeune fiancée, contrastait avec l'horreur et la violence de la mort.
Au même instant, un vigil arriva et découvrit, lui aussi cette vision de cauchemar.
-Veuillez me suivre au poste, ordonna-t-il à Clarice qui lui obéit docilement, choquée par l'image de cette pauvre fillette.

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Personne n'aurait pu exprimer l'état d'esprit dans lequel se trouvait Clarice lorsqu'elle entra dans l'enceinte du commissariat de Police. L'image du corps inerte et défiguré de la petite fille s'évertuait à rester continuellement présente dans son esprit et torturait son inconscient. Elle avait tant vu le sang couler ces dernières années qu'une telle scène n'aurait jamais du l'émouvoir à ce point, mais elle se sentait totalement démunie face à la violence qui avait animé ce crime abjecte.
La pièce baignait dans une douce lueur rougeâtre, parsemée d'un filet de fumée qui s'élevait jusqu'au plafond orné de fioritures. De part et d'autres, d'immenses baies vitrées laissaient passé les quelques rayons d'un soleil timide acceptant de sortir de sa cachette de nuages pour chasser le mauvais temps et faire briller l'austère sol de pierre froide. Une odeur de café chaud se répandait dans le hall et attirait les policiers, à peine réveillés, vers la petite machine à expresso disposée dans un coin de la salle.
Dubois venait tout juste de recevoir l'appel du Louvres lui expliquant la terrible découverte quand il s'avança pour accueillir le vigile du musée accompagné de Clarice et les faire entrer dans son bureau.
Son collègue, Luis Royo, était quant à lui immédiatement parti sur les lieux mais Dubois avait préféré rester pour prendre en personne la déposition de l'unique témoin de la scène.

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Veuillez indiquer vos noms et prénoms, avait-il demandé froidement à la jeune femme, tout en mettant en marche un magnétophone afin d'enregistrer la conversation.
-Je m'appelle Clarice Starling.
-Que faisiez-vous dans la salle du Louvres Percier et Fontaine à 9 heures 30 du matin ?
Clarice regarda Dubois d'un air étonné.
-Je visitais !
Mais voyant l'air peu convaincu du commissaire, elle rajouta :
-je souhaitais admirer les peintures du célèbre Botticelli. Il y en a deux, il me semble, exposées dans cette pièce. Monsieur, dois-je considérer que je suis accusée de quelque chose ? Car dans ce cas, je pense avoir droit à un avocat.
-Je ne vous accuse de rien, Mademoiselle Starling, mais vous êtes la première personne à avoir découvert le corps et je me dois donc de prendre votre déposition. C'est la coutume.
Répondit simplement Dubois, puis sans laisser le temps à Clarice de reprendre la parole, il continua :
-Votre nom a des consonances anglo-saxonnes, et votre accent me porte à croire que vous n'êtes pas d'ici. Je me trompe ?
-Non, j'ai emménagé il y a peu de temps dans une propriété sur la commune de Vernon, mais j'ai la nationalité américaine.
-Sur les lieux, avez-vous remarqué quoique ce soit de suspect ?
Clarice fouillait dans sa mémoire, essayant, du mieux qu'elle le pouvait, d'évincer la vision du visage mutilé de la fillette qui revenait à son esprit aussi distinctement qu'elle l'avait aperçu dans le musée.
-Non, monsieur, rien du tout, finit-elle par répondre. A présent, si vous n'y voyez pas d'objection, j'aimerais rentrer chez moi afin de me reposer…Cette matinée a été plus qu'éprouvante et j'ai besoin de retrouver mon calme. Si jamais un souvenir me revenait, je vous contacterais immédiatement, et si vous avez d'autres questions, voici mon numéro de portable, vous pouvez m'y contacter jour et nuit.
Elle tendit à Dubois une petite carte de visite sur laquelle se trouvaient ses coordonnées. Enfin, elle se leva, salua le commissaire par une poignée de mains ferme et pris congé aussi rapidement qu'elle le pu.
Elle passa la fin de la journée cloîtrée chez elle, allongée sur le divan de la véranda, dans un subtil parfum de Camélias et de Colchiques, essayant d'ôter de sa tête l'image obsédante de cette petite fille gisant sur un lit de sang, ce qui deviendrait de plus en plus difficile, les jours suivants, baignés dans l'ambiance macabre de la préparation de la traditionnelle fête d'Halloween. Cette pièce aux délectables odeurs était devenue l'endroit qu'elle préférait pour se détendre et vider son esprit, mais cette après midi-là, elle ne lui fut pas d'un grand soulagement.
Elle sombra bientôt en un profond sommeil. Dans les ténèbres de ses rêves, elle apercevait tour à tour le Docteur Lecter, son ancienne maison à Arlington, États-unis, la ferme de son oncle où les agneaux continueraient à tout jamais leurs pleurs puis le corps immobile d'une fillette de 10 ans, allongée au milieu des tableaux de peintres italiens.
Heureusement, une visite bienveillante allait bientôt lui changer totalement les idées.