Chapitre8 : Désespoir

Clarice fit son apparition dans le commissariat enfumé du 1er arrondissement. Dubois rassembla tout le monde autour de son grand bureau aux murs affublés, depuis plusieurs mois à présent, de photos des atroces meurtres du croquemitaine. Certains policiers peu discrets, trouvant Clarice charmante, chuchotaient des réflexions mal placées. Une fois tout le monde installé, le commissaire prit la parole.

Messieurs, tout d'abord, je vous demanderais un peu de silence. Ensuite, permettez moi de vous présenter une jeune femme talentueuse qui, je l'espère, va nous aider dans notre enquête…car on ne peut pas vraiment dire que nous avancions beaucoup!

Tout le monde se tu et les regards se tournèrent vers Clarice qui rougit légèrement.

Bonjour messieurs. Ce que le commissaire Dubois omet d'expliquer, c'est que cela fait un moment déjà qu'il m'a demandé de travailler sur le cas de votre croquemitaine. Aussi, si j'ai peut-être trouvé une piste, nous ne le devons pas à mon talent, comme il essaie de le faire croire, mais plus à sa persévérance, et, il faut bien l'admettre, à une source extérieure bien utile!

Elle marqua une courte pose pour avaler sa salive puis reprit son discours.

Si j'ai demandé à vous rencontrer aujourd'hui, c'est uniquement parce que je pense avoir fait d'importantes découvertes que je voulais vous faire partager à tous. Mais dans un premier temps, je souhaiterais vous donner une brève présentation de moi-même, ainsi, nous nous sentirons plus à l'aise…

Je m'appelle Clarice Starling, j'ai travaillé pendant sept ans au sein du Bureau Fédéral d'Investigation en tant qu'agent spécial et Profiler et j'ai également une formation de médecin légiste. Bien, à présent, veuillez vous rapprocher de la table.

Elle avait la fâcheuse impression de jouer les professeurs et cela ne lui plaisait pas du tout, toutefois, elle devait faire tout son possible pour aider la police française et elle s'y affairait aussi bien qu'elle le pouvait.

Elle sortit alors de sa sacoche un grand dossier cartonné qu'elle déposa, ouvert, sur la table. A l'intérieur étaient entreposées de nombreuses notes manuscrites.

Peut-on savoir ce que c'est, mademoiselle, s'enquit Luis Royo sur un ton impertinent.

Je pense que nous avons jusqu'à présent cherché dans la mauvaise direction, poursuivit simplement Clarice, comme si elle ne l'avait pas entendu. Nous traquions un homme car d'après le profil que j'avais communiqué au commissaire Dubois, le croquemitaine ne pouvait être que de sexe masculin. C'est ce que l'on suppose toujours lorsqu'il s'agit de tueurs en série, la majeure partie d'entre eux étant bien souvent des hommes. Mais à présent, je suis persuadée de m'être trompée…

Voyez vous cela!

Royo, peu convaincu par les explications de la jeune femme, préférai grandement la rabaisser en la critiquant plutôt que de l'écouter, ce qui mettait Clarice hors d'elle, mais elle réussit tout de même à se maîtriser et continua d'une voix très calme.

J'ai pu, grâce à un informateur qui souhaite rester anonyme, trouver ce dossier psychologique.

Elle désigna le classeur posé sur le bureau de Dubois.

Et cela va nous aider en quoi?

Cette fois-ci, Royo devenait carrément insolent et il était plus que temps de le remettre à sa place.

Monsieur…Quel est votre nom?

Royo, Luis Royo!

Monsieur Royo, il me semble que plusieurs meurtres du même style que ceux de votre assassin ont eu lieu à Baltimore dans la fin des années 70, n'est-ce pas?

En effet…

Bien…alors lisez ce dossier, il pourrait grandement vous éclairez.

Luis regarda les papier, à présent dispersés sur la table, d'un air dédaigneux.

Mais il semblerait, à vrai dire, que la lecture ne soit pas votre fort. Il est tellement plus agréable de critiquer les gens au lieu de commencer par s'instruire soi-même…Bien, je vais donc résumer, afin de vous éviter quelques heures de dur labeur mental, le contenu de ce dossier. Il s'agit là de l'analyse psychologique d'Amber Wallace, une jeune femme d'une trentaine d'année à l'époque, qui avait vu sa petit fille, à peine âgée de dix ans, mourir sous ses yeux. Cette enfant avait été éventrée après la représentation d'une pièce de théâtre à son école primaire et on lui avait odieusement percé les yeux. Cela ne vous rappelle rien, messieurs? Amber Wallace a retrouvé sa fille à l'agonie sur la scène de spectacle, bien après la fin du show. Il semble qu'elle ait eu du retard ce soir là…un retard fatal. Les médecins n'ont rien pu faire pour sauver l'enfant et tout ce qu'Amber a gardé d'elle était une petite poupée de porcelaine. Son psy, à l'époque, qualifiait son comportement de violent et instable. Durant ses longues heures d'analyse, elle ne pouvait s'empêcher d'infliger des sévices aux poupées qu'elle tenait dans ses bras.

Je croyais que les psy avaient une sorte de code de l'honneur, que leur dossiers étaient confidentiels..., fit remarquer Royo.

Oui, ils le sont…la plupart du temps, se contenta de répondre Clarice à qui le policier devenait de plus en plus antipathique.

Dubois, qui n'avait pas ouvert la bouche depuis le début du discours de la jeune femme, prit enfin la parole.

Alors vous pensez qu'il s'agit d'une femme, et plus précisément de cette femme? Votre informateur, nous pouvons avoir confiance en lui? Je veux dire, nous sommes sur que ce dossier n'est pas un faux?

Je peux vous l'affirmer, le rassura Clarice.

Royo s'était emparé de la première page contenue dans le classeur et la parcourait du regard quand, soudain, ses yeux tombèrent sur un mot qui le fit s'étouffer…

C'est un blague, j'espère…

Quoi donc, Monsieur Royo, s'enquit Clarice qui pressentait ce que ce fouineur avait si bien remarqué.

Vous avez vu qui a signé ces papier, qui est ce psy dont nous parlons depuis toute à l'heure…

Tout les policiers se penchèrent au dessus de l'épaule de Royo qui brandissait toujours la feuille, à demi fou. Une vague de murmures emplit la pièce.

Non de dieu, mademoiselle Starling, continua-t-il, il s'agit d'Hannibal Lecter. Si c'est une farce, elle n'est pas drôle…nous avons beau être parfois à la traîne, nous autres français, nous savons très bien ce que ce Hannibal Lecter a commit…Comment pourrait-il s'agir d'une source fiable puisqu'elle a été rédigée par un assassin. Non, honnêtement, s'il s'agit là d'une plaisanterie, elle est tout sauf drôle!

Ca n'a rien d'une blague. Bien que le Docteur Lecter ait la réputation d'un terrible criminel, il a également été un psychologue de renom très reconnu par ses collègues à l'époque où il ne dégustait pas encore le foie de ses victimes. Croyez moi!

Et qu'est ce que vous en savez d'abord hein!

Royo, devenu plus rouge qu'un écrevisse, gesticulait dans tout les sens, donnant de grands coups dans l'air en effrayant ses collègues. Dubois cru alors bon d'intervenir.

Calme toi donc, Luis. Elle en sait sans doute plus que nous deux réunit sur le cas Hannibal Lecter. Elle a été l'une des seules personnes à l'avoir approché au centre de détention psychiatrique de Baltimore et à en être ressortie vivante, et elle a beaucoup étudié son cas depuis son évasion…

Clarice fut impressionnée par le nombres de renseignements que le commissaire savait à son sujet, aucune partie de son existence au FBI ne semblait lui être inconnue. Jamais encore elle n'avait rencontré quelqu'un d'aussi méticuleux sur des recherches. Elle se prit à le comparer à Jack Crawford. Il avait ce même perfectionnisme et cette même attitude presque paternaliste à son égard et elle appréciait de plus en plus travailler à ses côtés.

Au même instant, le téléphone de Dubois retentit et un jeune policier répondit. Une fois le combiné raccroché, il s'approcha du commissaire, le visage livide.

Il a frappé une nouvelle fois. A l'opéra Garnier.

Alors que Dubois commençait déjà à s'habiller, le policier le retint

Commissaire…c'est Anna…

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L'opéra Garnier était un vieux bâtiment français dont la splendide architecture lui valait de nombreux visiteurs. Mais cette après-midi là, les seuls personnes occupant les lieux faisaient toutes parti de la police criminel. Clarice qui avait été coincée dans un embouteillage arriva très en retard sur les lieux. Son bouleversement pouvait se lire sans problème dans le regard qu'elle portait sur toute cette sinistre mascarade.

Dans l'immense escalier du bâtiment, elle croisa le commissaire Dubois, la mine totalement déconfite, les yeux encore rouges d'avoir trop pleurés.

Que pouvait-elle dire pour l'aider à surmonter son chagrin, elle qui se sentait si abattue par ce drame? Aucun mot ne lui venait à l'esprit qui soit assez fort pour exprimer la haine qu'elle éprouvait à l'encontre d'Amber Wallace. Elle se contenta de sourire tristement à l'homme en face d'elle avant de lui parler, sur un ton de compassion.

Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour vous?

Je ne sais même pas comment je vais devoir annoncer ça à ma femme…

Dubois paraissait perdu, extenué, comme le sont parfois les gens qui ne dorment jamais. Mais ce n'était pas le sommeil qui lui faisait défaut.

Je suis désolée, commissaire, mais je dois aller la voir. Si je veux réussir à dresser un profil concret de notre tueuse, je dois le faire.

Dubois leva les yeux vers elle, son regard était vide.

Alors allez-y. Pardonnez moi mais je ne peux pas vous accompagner, c'est au dessus de mes forces.

Je comprends.

Clarice laissa un jeune policier s'occuper de Dubois et prit l'escalier qui la mènerait sur la scène. Il lui fallait à présent entrer dans ce théâtre des horreurs et y découvrir la mise en scène cauchemardesque qu'Amber Wallace leur avait laissée. Elle ferma les yeux, respira profondément, prit son courage à deux mains et ouvrit la porte qui permettait au public d'accéder à la salle de spectacle.

Illuminée par un immense lustre de cristal et par les fresques plafonnière de Marc Chagall, cette salle aux nombreuses dorures et aux sièges bordeaux semblait être le plus bel endroit que la jeune femme ait eu l'occasion de découvrir. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de garder les yeux rivés sur la scène où étaient allongées une fillette de neuf ans, baignant dans son propre sang. Clarice, en transe, avançait vers l'estrade. Les rideaux avaient été levés et un décor de jardin printanier cachait le fond de la pièce.

Elle grimpa sur la scène, s'approcha du corps de l'enfant et s'agenouilla à côté d'elle. Elle voulait réussir à comprendre pourquoi le croquemitaine commettait de tels actes, mais plus elle observait Anna et plus elle se questionnait sur les motivations de la tueuse.

Elle se sentait incapable de lever ses yeux du cadavre, elle avait l'impression étrange que celui-ci tentait de lui parler, de lui raconter les événements qui avait entraîné sa mort et qu'elle ne pouvait le comprendre. Irréversiblement attirée vers la morte, elle tendit sa deux mains et prit soigneusement celles d'Anna, ligotées à l'aide d'une vieille corde, dans les siennes. Les paumes de l'enfant étaient froide et ses membres immobiles, elle que Clarice avait connue si heureuse de vivre, jamais plus ne rirait, ni ne bougerait.

Elle resta un long moment ainsi, les yeux mouillés de larmes, l'esprit en veille, avant de réaliser qu'une autre personne se trouvait dans la pièce, sur l'estrade, assise dans un angle sombre, à l'observer. Pourtant, elle ne réussissait pas à détourner son regard de la fillette pour voir qui était donc ce mystérieux visiteur.

L'homme se leva et s'approcha de la jeune femme d'un pas lent.

Vous devriez peut-être sortir d'ici.

A l'entente de la voix du Docteur Lecter, Clarice se sentit immédiatement apaisée.

Pourquoi fait-elle cela, Docteur, lui demanda-t-elle en lui lançant un regard suppliant.

Hannibal s'agenouilla près d'elle.

Je ne pense pas qu'elle veuille simplement reproduire ce qu'on a fait à sa fille afin de punir quelqu'un, cela n'aurait pas de sens. Non. C'est un schéma plus complexe qu'elle suit ici. En tuant ces enfants, elle pense sans doute retrouver un instant la petite fille qu'elle a perdu car c'est ainsi que son esprit a conservé son souvenir. Mais quand elle réalise qu'il ne s'agit pas d'elle, elle fuit et cherche une nouvelle fille de remplacement. C'est comme un rituel pour elle. Vous avez toutes les cartes en main pour l'arrêter, Clarice. C'est à vous de jouer, maintenant.

Vous saviez…

Quoi donc?

Lorsque vous la psychanalysiez à Baltimore, vous saviez que c'était elle qui commettait ces crimes! Et vous n'avez rien dit…vous n'avez rien fait pour empêcher cela…

Non, en effet. Après avoir assisté aux atrocités de la guerre, on a tendance à beaucoup plus relativiser, ex agent spécial Starling. Mais je pense que vous connaissez bien cette situation! Si un jour le FBI m'arrête, il faudra rajouter cela dans la liste des inculpations. Je suis certains que vous vous seriez fait une joie de vous en charger vous-même, si vous aviez encore fait parti du FBI…mais ce n'est plus le cas, Clarice. A ce propos, il vous faudra bien un jour trouver une explication à cette démission!

Il avait fini son discours en se relevant et se dirigeait déjà vers la sortie.

Cet immeuble est truffé de policier. Pourquoi prendre de si grands risques, Docteur?

A bientôt, Clarice, fut la seule réponse qu'il lui offrit.

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Luis Royo appela Clarice deux jours après la mort de la petite Anna. Il refusa de lui donner une quelconque explication au téléphone et lui demanda de le rejoindre immédiatement.

Clarice, fatiguée et déprimée, avait accepté sans grand enthousiasme et s'était rendue à l'adresse communiquée.

Il s'agissait d'un hôtel parisien assez chic. Le propriétaire, dans tout ses états, hurlait en postillonnant à la figure de Royo qui s'empressa de lui fausser compagnie en apercevant l'ancien agent du FBI.

Heureux de vous voir, Starling…On a un nouveau soucis je crois!

Royo fit signe à Clarice de le suivre tout en continuant de parler.

Je n'ai pas voulu appeler Dubois, il a assez de problème comme ça en ce moment. En plus, je crois que ça vous intéressera!

Ils prirent l'ascenseur et montèrent jusqu'aux troisième étage dans un silence oppressant. La porte coulissante s'ouvrit sur un long couloir où trônaient de nombreuses portes fermées. Ils avancèrent quasiment jusqu'au fond et s'arrêtèrent devant la chambre 313 où deux autres policiers ainsi qu'un garçon d'étage sous le choc les attendaient.

Clarice écouta le garçon qui expliquait sa découverte à l'un des policiers.

Cet homme avait l'air très sophistiqué…Il est parti hier. Il refusait qu'on lui fasse sa chambre. Il s'était plaint de se faire piquer des trucs. Je croyais que mon collègue avait pris quelques jours à cause de cette histoire. Il avait menacé le patron de prendre des vacances sans préavis pour ça…faut dire, on vous traite souvent de voleur dans ce métier. Jamais je n'aurai pensé…

Royo fit entrer Clarice dans la chambre. Un endroit coquet et très spacieux aux dominantes rouge et or qui rappelèrent sinistrement à Clarice la salle de l'opéra Garnier.

Sur le lit, un corps avait été allongé, sa tête blême tournée sur le côté et son bras gauche relevé sur son épaule droite. Assurément, l'homme n'était pas mort là. Pas de trace de sang sur les draps ou sur l'oreiller alors que le cadavre avait été lacéré. Il s'agissait sans aucun doute d'une mise en scène. Sur la table de nuit, à côté du lit, un dessin avait été laissé en évidence.

Quand Clarice l'aperçu, elle comprit aussitôt qui était l'auteur de ce crime. Le dessin représentait un femme, certainement elle, dans une somptueuse robe de bal comme on en portait il y a de cela plusieurs siècle.

Je veux votre avis, Starling. Ne croyez pas que vous pourrez mettre votre nez dans cette affaire comme vous l'avez fait pour le Croquemitaine. Je ne suis pas aussi crédule que Dubois. Mais ce cinglé semble vous connaître…

Il désigna le dessin en disant ces derniers mots.

...et je ne crois pas que vous ayez fréquenté beaucoup de dingues de par le passé. Tout ce que je veux savoir, c'est: est-ce que c'est lui?

Clarice regarda le cadavre et la plaie béante de son ventre.

De quoi est-il mort?

D'hémorragie, à première vue. Le légiste est passé tout à l'heure. Bien entendu, il va faire une autopsie, mais il a tout de suite remarqué qu'on lui avait prélevé le foie…C'est ça qui m'a mis sur la piste…et puis ce dessin, bien sur!

Clarice enfila une paire de gant blanc que lui avait fourni Royo avant d'entrer dans la chambre et s'empara de l'esquisse. Après l'avoir longuement observé, elle la reposa sur le meuble.

Elle s'aperçu alors qu'un livret était tombé par terre juste à côté de la table de nuit. Elle s'accroupit pour le ramasser et l'ouvrit. Il s'agissait de l'un de ces petits livres souvenirs que l'on peut acheter dans les musées et dans lesquels on trouve de nombreuses représentations de peintures célèbres. Celui-ci était entièrement consacré à la Renaissance… Clarice feuilleta négligemment les pages mais s'arrêta soudain sur l'une d'elle. Au dessus de la reproduction de "Pallas et le Centaure" de Botticelli, un message manuscrit avait été rédigé: «Bientôt».

Elle reconnut sans problème l'écriture devenue depuis longtemps bien trop familière. Elle leva la tête vers Luis Royo qui la regardait toujours et fit un signe d'approbation.

C'est lui, oui. C'est Lecter. Et, je crois qu'il a mis en scène tout ça…regardez!

En se relevant, elle tendit la peinture à Royo. Le centaure se trouvait exactement dans la même position que le corps du garçon d'étage.

Royo aurait aimé extorquer d'autres renseignements à Clarice mais celle-ci, au bord de la nausée, sortit de la pièce le plus rapidement possible et se réfugia dans l'ascenseur où elle pouvait enfin se retrouver seule. Là, sans vraiment chercher à comprendre pourquoi, elle éclata en sanglot.