Chapitre 11 : Course poursuite
De retour à Paris, Clarice gardait encore à l'esprit les rues magnifiques, les monuments grandioses et l'atmosphère, si singulière, de Venise.
Même si elle n'avait demeuré qu'une seule journée dans cette ville où tout les rêves paraissent permis, il lui semblait y avoir abandonné une partie d'elle-même et, à tout jamais, elle garderait un souvenir inoubliable de ce si bref voyage.
Elle commençait enfin à comprendre. Son destin la reliait irrémédiablement à celui d'Hannibal Lecter et elle savait à présent que rien ne lui servait de fuir car il la hanterait toujours, ne serait-ce que dans ses pensées. Elle n'avait fait, depuis qu'elle le connaissait, que refuser de vivre et d'accepter ce qu'elle était et elle ne voulait plus se voiler la face.
Cette excursion en Italie, au sain même de son moi intérieur, l'avait changée au plus profond d'elle-même et elle se sentait enfin prête à sortir de l'hibernation dans laquelle elle avait enfermé son cœur depuis de trop nombreuses années.
Arrivée au manoir après de longues heures de trajet en train, elle découvrit que le commissaire Dubois avait laissé de nombreux messages sur son répondeur. Sa voix paraissait triste et à l'entente de ses intonations, Clarice su immédiatement que la mort d'Anna lui pesait encore très lourd sur la conscience.
Elle ne pu s'empêcher de réprimer un sanglot en songeant à l'adorable fillette qu'elle avait eu le bonheur de rencontrer le soir de Noël et qu'elle ne verrai jamais plus, mais elle se reprit rapidement et s'empara du combiné.
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Commissaire Dubois à l'appareil !
-C'est Clarice Starling, vous avez essayé de me joindre ?
-Mais où diable étiez vous, cela fait deux jours que je vous laisse des messages…Nous avons une piste, mademoiselle Starling !
Le regard de Clarice s'éclaira. Allaient-ils enfin réussir à arrêter le croquemitaine ?
-Je vous écoute, s'exclama-t-elle avec ferveur.
-Une femme correspondant à la description d' Amber Wallace a été identifiée. Elle travaillerait comme guide pour touristes étrangers à Notre Dame de Paris. Nous n'avons rien voulu lancer sans vous prévenir. Il faut la coincer, mais je veux des aveux…sinon, elle pourrait bien s'en tirer, devant le juge, pour manque de preuves. Nous devons lui tendre un piège.
Dubois parlait très vite et il du marquer une pose pour reprendre son souffle.
-Je vous attends demain matin au commissariat du 1er arrondissement. Mademoiselle Starling, vous avez un accent étranger, il vous sera facile de vous glisser parmi le groupe de touriste. Je vais faire mon possible pour vous procurer un permis de port d'arme. Ainsi vous aurez de quoi vous défendre si jamais cela tournait mal. Et de toutes manières, nous ne serons pas bien loin !
-J'ai l'habitude de ce genre d'opération, commissaire. Elles finissent rarement bien, croyez-moi !
Clarice repensa amèrement à l'arrestation d'Evelda Drumgo où elle avait du choisir entre se faire tuer et descendre cette femme qui portait son bébé dans les bras et où son ami et collègue John Brigham avait perdu la vie.
-Je dois savoir, mademoiselle Starling, acceptez vous de m'aider encore cette fois ou non ?
Clarice réfléchit un long moment et après avoir pesé le pour et le contre, elle répondit.
-Je vous suit !
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Le lendemain matin, Clarice se rendit au commissariat du 1er arrondissement où elle retrouva Christophe Dubois et Luis Royo pour les derniers préparatifs.
Ils se munirent d'émetteur de transmission radio dissimulés sous leur vêtements, afin de ne jamais être totalement séparé lors de l'intervention, et de gilet par balle que l'ancien agent du FBI avait expressément réclamés. La jeune femme, à qui Dubois avait offert un permis de port d'arme pour l'occasion, s'était équipée d'un Colt 45 dont elle avait pourvu la crosse d'une bande d'adhésif anti-dérapant comme elle en avait pris l'habitude en travaillant au Bureau. Elle l'attacha à sa ceinture et le cacha sous son blouson.
-Vous savez vous en servir au moins ?
Royo, toujours aussi désagréable avec elle, lui rappelait étrangement l'infâme et antipathique Paul Krendler.
-J'ai remporté trois fois le championnat de tir de combat tous services à Quantico, cela devrait vous rassurer, monsieur Royo, répondit-elle hautainement.
Fin prête pour cette expédition, Clarice attendait dans le hall enfumé. Dehors, la pluie tombait à flot, le ciel gris annonçait une journée maussade et le tonnerre grognait de temps à autre dans le lointain. Un temps à ne pas mettre un chat dehors, pensa Starling.
Pourtant, elle se sentait relativement bien. Elle devait mener à terme cette opération et s'y emploierait de son mieux. Elle retrouvait en elle le plaisir de l'attente avant la tempête. Depuis qu'elle avait quitté le FBI jamais plus elle n'avait ressenti une telle tension et elle devait bien admettre que cela lui avait trop longtemps manqué.
Elle tata la crosse de l'arme qu'elle portait à la ceinture et que l'on ne pouvait percevoir sous son blouson. Elle allait redevenir Poison Oakley, comme ses collègues sur le champ de tir s'étaient amusés à la surnommer à cause de son talent pour viser le centre des cibles mouvantes. Pour elle, ce pistolet était presque devenu une troisième main.
Malheureusement, elle savait qu'elle n'avait le droit de le porter que durant ces quelques heures et qu'ensuite elle devrait bien sagement le rendre à ses employeurs de fortune.
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Sur le parvis de Notre-dame, les touristes affluaient en grand nombre avec leur petits sacs à dos et leurs appareils photos numériques.
Clarice, vêtue pour l'occasion et affublée de tout l'équipement du parfait vacancier ne dépareillait nullement et réussissait assez facilement à se fondre dans la foule.
La cathédrale était immense. Ses deux tours pointées vers le ciel semblaient grimper jusque dans les nuages et de nombreuses gargouilles en gardait l'entrée, repoussant ainsi les envoyés du Diable. Tout le bâtiment comportait de fines sculptures et Clarice, qui ne connaissait rien à l'architecture ancienne, les Etats-Unis, sa patrie d'origine, étant un jeune pays à l'échelle mondial, fut fascinée par ce véritable travail d'expert.
Elle se plaça dans la file d'attente pour les visites guidées. Les sources de l'inspecteur Dubois l'avait assurée qu'Amber Wallace travaillerait ce matin-là et qu'il était impossible de ne pas tomber sur elle. Clarice avait pu se procurer une photo de la suspecte en fouillant les archives. Celle-ci datait, bien entendu, de presque vingt-cinq ans et Amber Wallace avait sans doute changé depuis, mais cela semblait tout de même le meilleur éléments qu'elle possédait pour reconnaître son adversaire.
Enfin, les organisateurs firent entrer un groupe de touriste dans lequel Starling se faufila et une femme âgée d'environ cinquante-cinq ans les accueillit. Dès que Clarice la vit elle reconnu le visage allongé de celle qu'elle recherchait. Ses cheveux avaient légèrement blanchis et ses traits s'étaient ridés, mais aucun doute possible, il s'agissait bien de la même personne.
Cette femme paraissait guillerette, polie et bien élevée. Il était difficile d'imaginer qu'elle puisse être l'auteur de ces meurtres atroces et pendant un instant, Clarice se demanda s'ils n'avaient pas une nouvelle fois fait fausse route. Mais Hannibal Lecter était persuadé de sa culpabilité et elle souhaitait, encore une fois, se fier à son instinct qui, jusqu'à présent, n'avait jamais faillit.
La cathédrale était aussi impressionnante à l'intérieur qu'à l'extérieur. Les vitraux donnaient une atmosphère tamisée aux murs de pierres froides et aux illustrations du chemin de croix. De la musique d'orgue s'élevait dans les hauteurs de l'autel et emplissait les lieux de spiritualité.
De nombreux croyant s'agenouillaient devant la statue de Jésus sur sa croie ou celle de la vierge Marie, portant l'enfant béni dans ses bras, et certains d'entre eux, assis sur les bancs au centre du bâtiment, attendaient l'heure de la prochaine messe. Une odeur d'encens vint se frotter aux narines de Clarice qui observait avec enthousiasme ce lieu hors du commun sans écouter les commentaires que faisait Amber Wallace sur telle ou telle reproduction de la bible.
Clarice regardait autour d'elle et ne tarda pas à apercevoir le commissaire Dubois et Luis Royo qui l'observaient passivement dans un coin de l'église. Plus loin, d'autres policiers en civil attendaient son signal. Rassurée, elle sortit un petit appareil photo dont elle coupa le flash et fit mine de prendre quelques clichés.
Alors que le groupe commençait à se disperser, Clarice s'avança vers Amber Wallace. Dans son oreillette elle entendait Dubois lui donner des instructions.
-Faites attention, Starling, elle est peut-être armée…
Amber se retourna et fit face à Clarice. Les yeux noisette de son visage allongé observaient la jeune femme qui s'approchait d'elle.
-Vous avez une question, madame ?
Clarice rassembla son courage et, tout près de Wallace, elle sortit son arme et la colla discrètement dans le ventre de son adversaire. Amber Wallace ne broncha pas mais regarda Clarice avec un regard noir.
-Que voulez vous ?
-Vous êtes encerclée, madame Wallace. Des policiers vous attendent à toutes les portes et plusieurs sont dans l'enceinte même de l'église. Vous ne pouvez pas fuir.
-Pourquoi fuirais-je ?
-Parce que vous avez tué toute ces filles, madame Wallace. Pas la peine de nier, nous avons des preuves.
Clarice savait qu'Amber Wallace serait plus rusée que cela et n'avouerait certainement pas sous la menace de quelques simples preuves hypothétiques, mais elle ajouta
-Nous savons que vous assisté à la mort de votre unique enfant, il y à peu près vingt-cinq ans…vous ne croyez pas que tout ces meurtres ont assez duré ?
Le visage d'Amber devint livide.
-Elle n'avait pas le droit de me laisser seule comme elle l'a fait…j'ai essayer de la retrouver mais ces fillettes n'étaient jamais elle. Jamais. Vous comprenez ? N'est-ce pas ?
Puis, trop rapidement pour que Clarice ait le temps de réaliser ce qui se passait, Amber Wallace sortit une arme de sous sa capeline.
Tout se passa très vite ensuite. Dubois, voyant que l'accusée allait tirer sur Clarice accourut et s'interposa entre les deux femmes juste à temps pour prendre la balle destinée à Starling. Royo ordonna à ses collègues de descendre Amber Wallace et tout les touristes présents dans la cathédrale se couchèrent par terre terrifiés par les échanges de coups de feu.
Clarice, elle, restait debout, sans bouger, le regard rivé sur le corps inerte de Dubois.
Une fois Amber Wallace hors d'état de nuire, Royo s'approcha d'eux. Il s'agenouilla près de Dubois et prit son pouls. Le commissaire était aussi mort que le croquemitaine.
Des larmes s'écoulaient sur les joues de Clarice, toujours en état de choc, incapable de dire un mot ou de faire un geste. A sa ceinture, le petit magnétophone qui avait permis d'enregistrer les étranges aveux d'Amber Wallace tournait toujours.
