Chapitre 12 : Le goût de la vengeance

Après cette douloureuse intervention, Royo, voyant que Clarice avait du mal à tenir le choc, lui proposa de la raccompagner chez elle.
Elle fut presque étonnée de le voir se conduire correctement, lui qu'elle trouvait habituellement si désagréable à son égard. Mais comme elle se sentait vraiment très mal, elle préféra ne rien dire et se laisser soutenir par l'ancien collègue du regretté commissaire Dubois.
Arrivé devant le manoir, Royo descendit de sa voiture et vint ouvrir la porte du côté passager. Clarice sortit difficilement et le policier du l'aider à tenir debout. Quelqu'un d'extérieur aurait sans doute pensé que la jeune femme avait bu un coup de trop, mais l'alcool n'avait malheureusement rien à voir avec l'état de Starling. Chaque épisode de sa vie s'effilochait sous ses yeux. Dès qu'elle se prenait d'affection pour quelqu'un, cette personne lui était enlevée par le destin. Ce schéma se répétait sans cesse, d'abord Brigham, ensuite Crawford, puis la petite Anna et maintenant Dubois. Elle ne savait plus comment supporter de vivre avec toutes les horreurs qu'elle avait vu en si peu d'année.
Royo installa confortablement Clarice sur le canapé du salon et partit faire du thé dans la cuisine. Pendant ce temps la jeune femme continuait de ressasser ses pensées. A cet instant-là, ce n'est sûrement pas Luis Royo qu'elle aurait aimé voir s'occuper d'elle et celui dont elle avait besoin était sans doute bien loin.
Clarice ferma les yeux et appela dans son esprit l'image du Docteur Lecter qui s'afficha derrière ses paupières closes. A la vue de son regard de glace, elle se sentit immédiatement mieux et se releva doucement du canapé. Elle descendit l'escalier et retrouva Royo qui s'affairait dans la cuisine, une casserole d'eau bouillante à la main.
-Vous devriez vous reposer, mademoiselle Starling !
-Ca va aller. Vous n'auriez pas vu mon sac, par hasard ?
-Je vous l'ai posé sur la table de la salle à manger.
Clarice remercia Luis Royo et alla dans l'autre pièce. Elle fouilla le fond de son petit sac à dos et en sortit un téléphone portable. Elle utilisa la fonction mémoire qui gardait affiché les derniers numéros composés et sélectionna celui d'Hannibal Lecter. Elle avait une irrépressible envie d'entendre sa voix la réconforter.
Malheureusement, la seule chose que le téléphone lui offrit fut les très reconnaissables tonalités d'occupation. Ou le Docteur Lecter était en communication, ou son portable ne marchait plus.
Clarice se promit de réessayer plus tard et retourna dans la cuisine apporter son aide à Royo qui paraissait en difficulté avec le thé.

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C'est un grand manoir. Il doit avoir besoin de beaucoup d'entretien ! Avez vous des domestiques , demanda poliment Royo devant une grande tasse de thé fumant.
-Pas de domestiques. Il y a juste les gardiens, un couple. Mais je les vois assez rarement. Ils logent au troisième et sont très réservés ! Mais vous ne les verrez pas aujourd'hui. C'est l'anniversaire du frère de l'un d'eux. Ils dorment chez lui cette nuit !
-Intéressant, très intéressant ! Et pas de petit ami ?
-Personne, non.
Soudainement, Clarice trouva son interlocuteur très indiscret. En quoi tout ces détails le regardaient-ils ?
Elle avait une impression de malaise et ignorait d'où cela pouvait venir. L'homme en face d'elle ne lui inspirait pas confiance. Elle n'avait jamais apprécié Royo depuis la première fois où elle l'avait rencontré mais cette sensation qu'elle devait s'en méfier venait tout juste de faire surface et elle ne comprenait pas sur quoi ses sens se basaient. Elle aurait voulu le remercier et le faire partir le plus rapidement possible, mais il était délicat de le mettre à la porte alors qu'il venait tout juste d'arriver.
-Au fait, je dois vous rendre ceci je crois.
Clarice tendait le Colt 45 que Dubois lui avait procuré pour l'arrestation d'Amber Wallace.
-Je ne pense pas en avoir à nouveau besoin !
Puis, voyant les deux tasses de thé vides.
-Je vois que vous avez fini ! Je vais les remmener à la cuisine. Ca évitera le désordre et…
Mais Royo ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase. A peine s'était-elle levée qu'il se jeta sur elle. Les tasses tombèrent par terre dans un éclat de porcelaine et Clarice bascula à la renverse. Ses mains s'affalèrent sur les morceaux de tasses cassées qui écorchèrent douloureusement sa peau, sa tête se cogna sur le parquet et du sang coula sur son joli visage à l'expression horrifié.
Royo, assis sur elle, tentait de l'empêcher de se débattre. Lui tenant les poignets avec sa main droite, il essayait tant bien que mal de déboutonner son treillis de la gauche. Clarice hurlait et gesticulait de toutes ses forces. Elle savait ce que ce pervers avait en tête et n'avait pas l'intention de se laisser faire, mais elle devait se rendre à l'évidence, cet homme était bien plus forte qu'elle et toute bataille était peine perdue. Elle se mit à pleurer de désespoir quand elle réalisa qu'elle devait s'avouer vaincue.
Royo qui avait réussi à arracher les boutons du pantalon de la jeune femme, le baissa fébrilement, mais alors qu'il tentait de se déshabiller d'une main, l'autre tenant toujours les poignets de Clarice, un coup violent sur sa nuque le fit tressaillir et il tomba, inconscient, sur sa victime qui se sentit écrasée sous son poids. Quelqu'un la dégagea du corps de Royo qui respirait toujours et lui tendit une main bienveillante pour l'aider à se relever.
Clarice, désarçonnée, les cheveux en bataille, les vêtements à moitié arrachés, les yeux rougis, et les traits encore déformés par la peur, regarda le visage de son sauveur.
Hannibal Lecter attendait sagement qu'elle reprenne ses esprit.
Finalement, Clarice prit la main qui lui était offerte et se releva, essayant pudiquement de se rhabiller du mieux qu'elle pouvait.

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Merci Docteur Lecter !
Après s'être essuyés les yeux et le sang sur son visage avec la manche de son gilet déchiré, elle jeta un regard haineux sur le policier Royo toujours inconscient. A présent, elle en était sure, la plupart des hommes lui donnaient la nausée !
-Bien, maintenant, le plus intéressant. Réfléchissons, entonna Lecter alors que Royo commençait à se réveiller. Qu'allons nous bien pouvoir faire de lui ?
Mais Clarice, sans réfléchir, récupéra le Colt 45, posé sur la table basse et le pointa sur le policier qui s'était difficilement relevé en se frottant la tête.
-Ne bougez pas !
-Mademoiselle Starling, s'écria Luis Royo, je ne voulais pas. J'ai fait une erreur, vous n'allez quand même pas me descendre pour ça ! Et puis d'abord, c'est qui ce type ?
Hannibal s'approcha de lui.
-Vous n'avez pas fait vos devoirs, inspecteur Royo. Allons, un policier de votre trempe ne sait pas qui je suis ? Dites le lui, Clarice ! Dites lui mon nom !
-C'est Hannibal Lecter !
A l'entente des paroles de la jeune femme, le visage de Royo pâlit, son sang se glaça. Il commençait à regretter de ne plus être inconscient.
-Vous n'allez pas me descendre, hein Starling ? Vous devriez plutôt le flinguer, lui ! C'est lui le méchant ici !
Mais Clarice gardait son arme pointée sur Royo. Hannibal prit alors une nouvelle fois la parole.
-Ne faites pas ça, Clarice. Vous le regretteriez ! Il n'en vaut pas la peine, vous ne croyez pas ? Laissez moi lui régler son compte à ma manière ! Vous n'êtes pas faite pour ça !
Le Docteur Lecter, tentant de la résonner, s'avançait petit à petit vers Clarice dont le doigt sur la gâchette hésitait à appuyer.
-Donnez moi l'arme, Clarice !
Il lui tendait à nouveau la main et attendait qu'elle y dépose le Colt. Clarice regarda la paume d'Hannibal. Pendant un long moment, elle lutta intérieurement avec elle-même.
Finalement, elle baissa lentement sa garde mais au moment où elle allait enfin lâcher l'arme elle remis Royo en joue et tira d'un coup sec. La balle traversa le salon et alla se loger dans le front du policier qu'elle transperça. Luis Royo s'affala de toute sa hauteur et son visage vint s'écraser contre le parquet.
Clarice, incrédule, laissa tomber l'arme par terre. Hannibal l'observait avec un regard mêlé de fierté et de compassion.
-Il faut se débarrasser du corps, Clarice !
Mais Clarice ne bougeait pas. Elle venait de commettre un meurtre et elle n'arrivait pas à se faire à cette idée.
-Je vais m'en charger, proposa Hannibal en voyant que Clarice ne semblait plus en état de prendre des décision.
Il souleva le corps et l'emmena hors du manoir.

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Pendant deux semaines, Clarice n'eut plus aucunes nouvelles du Docteur Lecter. Elle récupérait doucement des cruels événements qui l'avaient poussé au meurtre. Ce soir-là, elle s'était trouvée dans un état second et son désir de vengeance avait été plus fort que sa notion de justice. Mais à présent, avec le recul, elle regrettait amèrement son geste qui la poursuivrait tout au long de sa vie !
Une après midi, elle reçut un coup de téléphone du commissariat du 1er arrondissement lui annonçant la mort de Royo. Le policier qu'elle avait au bout du fil lui expliqua que son collègue avait été assassiné par Hannibal Lecter sans doute avec le Colt 45 qu'elle avait rendu quelques heures auparavant. Il épilogua un long moment sur le fait que Lecter soit à Paris et que, par conséquence, elle se trouvait sûrement en danger. L'arme n'avait pas été retrouvée.
Cet après midi-là, déprimée, elle alla s'allonger sur son grand lit vide et s'endormit presque immédiatement.