Chapitre neuf : l'équilibre des forces

Le lendemain matin, vers huit heures, Hermione et Ron frappaient à la porte de Harry avec un énorme petit-déjeuner sur un plateau. Rogue dormait encore, après avoir passé une bonne partie de la nuit à finir la potion. Harry se réveilla. Il s'étira et sentit ses muscles répondre favorablement. Il se sentait "en forme", pour la première fois depuis des jours et des jours. Il bougea ses pieds avec délectation.

-Salut les amis !

Avant que Ron ait pu poser le plateau sur son lit, il repoussa ses couvertures, et s'assit sur le rebord. Il hésita, prit sa respiration. Hermione lui tendit une main qu'il ignora. Harry sentait que le moment était venu : il se mit debout, fit trois pas, s'accrocha à la table, et sourit.

-Harry, tu... tu es guéri, ça y est...Hermione était émue jusqu'aux larmes. Ron n'avait toujours pas posé son plateau.

-Je crois que je suis presque guéri, déclara-t-il. Mais il ne pouvait pas encore rester très longtemps sur ses deux jambes. Il se rassit sur le lit et prit un toast.

-La potion d'abord, tu sais..., fit Ron précipitamment en lui tendant le liquide marron.

-Je suis bien surveillé, décidément.

-Tu n'as plus mal du tout? demanda Ron, sceptique.

-Pour le moment ça va. Alors, ces Trolleygues ? Il paraît que vous avez vécu une drôle d'aventure tous les deux ?

-Tu sais déjà...

-Rogue m'en a dit quelques mots cette nuit...

-Il s'est moqué de nous ?

-Oui. Harry mâchonna son pain et reprit : c'est peut-être grave, ces bestioles dans la forêt.

-Il a dit ça aussi ? interrogea Hermione les sourcils froncés.

-J'ai deviné que quelque chose l'inquiétait. Mais il n'a pas voulu me dire ce qu'il a l'intention de faire. Il prépare un truc.

-Bon... tu marches, c'est déjà une bonne nouvelle ! s'écria Ron en tapant sur l'épaule de son ami.

-Je réessaie. Harry se leva et se dirigea vers la salle de bain. Il chancela une fois, mais réussit à aller aux toilettes et à revenir. Il était assez fier de lui.

-Viens boire un thé à la cuisine alors ! proposa Ron.

-Non, fit une voix grave derrière la porte entrouverte. Rogue entra. Harry était toujours débout.

-Je peux marcher, Monsieur, annonça Harry qui ne pouvait s'empêcher de sourire. Rogue le regarda d'un air ennuyé.

-Ce n'est pas fini. Tu dois rester au lit encore quelques jours.

-Qu'est ce qui n'est pas fini ? dit Hermione

-Le mal. Le poison. À propos j'ai besoin de Rajastane encore.

-On y va tout de suite, ne vous inquiétez pas.

-Non, pas tout de suite. Je sors une demi-heure.

-Vous allez voir Artan encore, Monsieur ? dit Harry. Pour les Trolleygues?

-Ne te mêle pas de ça, Potter. Reste dans ton lit.

Rogue se prépara à sortir. Ron lui lança d'un ton désinvolte :

-Professeur, on fait quoi si vous restez prisonnier des Trolleygues?

Rogue se retourna avec une moue méprisante :

-Je crois que je m'en sortirais, Weasley. Alors préparez vous pour le cours de potion...

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Harry profita de l'absence de Rogue pour visiter la maison et ses environs avec ses amis. Il était de très bonne humeur, il se sentait enfin vivre. Il était heureux de partager ces moments avec Ron et Hermione, et de se sentir toujours intégré dans le trio. Il remarqua pourtant à plusieurs reprises des échanges de regards entre les deux autres dont le sens lui échappait.

Rogue revint rapidement, fit remettre immédiatement le malade dans son lit et envoya ces deux élèves à la cueillette. L'après-midi, ils travaillèrent la fameuse réaction entre le Darkhouse et la Supimente. Ron se brûla la main, Hermione créa une fumée verte étouffante, et finalement Rogue refusa qu'ils essaient plus longtemps. Hermione et Ron proposèrent alors de faire des crêpes.

Après manger, Hermione monta lire au lit. Ron traînait dans la cuisine, il devait prendre le premier tour de garde. Rogue surveillait la potion. Harry dormait. Ron tournait en rond. Pas de livre à lire. Rien à faire. Son regard se posa sur le jeu d'échec coincé entre le sel et le poivre sur une étagère. Qui l'avait rangé là ? Ron adorait les échecs. Il prit son courage à deux mains :

-Vous jouez aux échecs, Monsieur ?

Rogue leva un sourcil :

-Je sais jouer.

Ron prit alors le plateau de jeu et le posa devant le nez de son professeur.

-Jouons alors.

Sans attendre de réponse, Ron disposa les pièces sur l'échiquier. Il avait attribué les noirs à Rogue. Il joua le premier. Rogue le regarda, les yeux plissés, pendant un long moment, et enfin bougea un pion. Ron sourit devant le défi qui l'attendait.

La partie fut mémorable. Elle dura plusieurs heures. Rogue se révélait un très bon joueur, il réussissait toujours à deviner les intentions de son adversaire. Ron comprit qu'il devait éviter de croiser son regard. Et Rogue commis une erreur, celle que Ron avait faite la dernière fois contre Billy. Ron jubilait intérieurement. Il allait gagner et battre son redoutable professeur de Potions.

-Échec et mat.

Rogue avait les lèvres pincées. Il hocha la tête.

-Une belle partie, Wesley. Je ne referais pas la même erreur.

-On verra M'sieur, on verra...

Depuis ce jour, les deux joueurs s'affrontèrent souvent, ils s'arrangeaient pour faire une partie par jour, tôt le matin ou tard le soir. Ils ne parlaient pas. Ron y trouvait une confiance en lui qui lui permettait de ne plus paniquer pendant les leçons de potion.

L'état de Harry s'améliora encore le lendemain. Il prit son petit-déjeuner dans la cuisine sous l'œil vaguement réprobateur de Rogue. Ce dernier les avertit qu'il serait absent une bonne partie de la matinée, mais refusa d'en dire plus. Au moment de partir, il se tourna vers Hermione :

-Si je ne suis pas revenu ce soir, il faudra prévenir Artan. Tu vois où il habite?

-Euh... Oui, je crois... Mais pourquoi ? bredouilla la jeune fille.

Rogue sortit.

Il fut de retour quelques heures plus tard. Les trois enfants étaient dans la chambre de Harry et entendirent seulement la porte d'entrée grincer.

-C'est vous, Professeur ? cria Hermione. Elle ne reçut pas de réponse. Elle se leva. Rogue n'était pas dans la cuisine. Et puis elle poussa un cri : une tâche de sang s'étalait par terre, devant la porte toujours ouverte.

-Professeur ? s'écria-t-elle d'une voix étranglée. Rogue était assis sur son lit, penché en avant. Sa main droite était glissée sur son abdomen et des gouttelettes de sang tombaient sur le plancher.

Hermione courut près de lui et posa sa main sur son épaule. Elle souffla :

-Professeur, vous ... allongez-vous, je vais regarder la blessure...

Harry, soutenu par Ron , passa la tête dans la chambre.

-C'est rien, grogna Rogue. Un coup de griffe...

-Il doit y avoir ici une potion cicatrisante, Monsieur? réfléchit Hermione. Où est-elle?

-Dans l'armoire de la cuisine, grommela Rogue.

Ron et Harry ouvrirent l'armoire. Harry trouva la bonne potion immédiatement : il reconnut la couleur et la consistance de l'onguent qui avait apaisé sa blessure à la main après ses retenues avec Ombrage. Hermione était restée près de Rogue. Elle essayait de l'aider à enlever sa cape et à découvrir la blessure.

-Ecoutez, fit Rogue d'un ton sec, donnez- moi cette potion et sortez de la chambre. Je n'ai pas besoin de spectateurs.

-Bon. Débrouillez-vous alors, dit Hermione en se levant. Cinq minutes après elle frappait à la porte :

-Professeur ? Ça va mieux ?

-Entrez.

La blessure ne saignait plus. Rogue l'avait recouverte, il ne voulait pas monter son torse aux gamins.

-Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Harry.

-Qu'est-ce que tu fais debout, Potter ? Je te rappelle que tu es malade.

-Vous aussi je crois. Mais moi, je peux marcher.

-Potter, sortez d'ici !

Mais Harry s'avança dans la chambre. Il dominait de haut le professeur blessé et se sentait en forme :

-Bon. Vous les avez tués alors, les Trolleygues.

-Harry... murmura Hermione

-Oui, répondit Rogue.

-Tués ? s'écrièrent Hermione et Ron, mais...

-Ils vous avaient vu. Nous ne pouvions prendre le risque qu'ils le répètent.

-Ils... sont en lien avec... Ron chercha un soutien dans le regard d'Harry. Avec Voldemort ?

Rogue se crispa :

-Weasley, dit-il d'une voix menaçante, tu n'es qu'un gamin de 15 ans, ne te crois pas plus fort que cela, ne te mets pas à sa hauteur!

Harry voulu dire quelque chose, mais Ron le devança :

-Désolé; M'sieur.

-Allez chercher la Rajastane maintenant, dépêchez-vous.

-Mais, professeur, tenta Hermione, vous allez pouvoir vous occuper de la potion ? Avec votre blessure ?

-Je n'ai pas besoin d'infirmière, jeune fille, dit Rogue d'un ton sarcastique.

-D'accord, répondit Hermione, vaguement vexée. Tu viens, Ron ?

Harry les regarda partir avec envie. Il se sentait capable d'aller cueillir la fameuse plante, et d'affronter aussi toutes les créatures de la forêt. Il regarda son professeur qui essayait de se lever.

-Bon, je vais m'occuper de vous, M'sieur, dit-il, désabusé.

-Je t'ai dit d'aller te coucher, garçon, grogna Rogue.

Il lui semblait difficile, soudain, de se faire respecter.

-Je me sens mieux, dit Harry sur un ton de défi qui ne plaisait pas du tout à son professeur. Je peux regarder comment vous faites pour la potion ?

-Assis -toi, tais toi, c'est tout ce que je demande, Potter.

-D'accord.

Harry resta silencieux pendant que Rogue râpait des racines de Gengivre tout en surveillant une deuxième potion qui se mélangeait doucement. Harry aurait pu l'aider, mais il était à peu près sûr de recevoir un grognement négatif s'il ouvrait la bouche. Au bout d'un moment, il lâcha :

-Monsieur... Comment vous avez fait pour les tuer, ces Trolleygues?

-Ne me déconcentre pas. ... Rogue prononça "Tournas Fouettas", puis leva les yeux sur le garçon.

-Eh bien j'ai retrouvé leur grotte et je les ai fait disparaître.

-Avec votre baguette magique? Avec un Sort Impardonnable ?

-Evidemment. Vous connaissez d'autres sorts pour tuer, Potter? dit Rogue en montrant ses canines jaunes. Il regardait Harry bizarrement.

-Ca vous arrive souvent de tuer des gens, Monsieur? Comment vous pouviez être sûr que c'était des espions de Voldemort? lâcha Harry d'une traite.

Rogue avait l'air de plus en plus sombre et méchant. Harry sut qu'il était allé trop loin et se recroquevilla sur sa chaise.

-Potter, grinça-t-il, il suffit que vous alliez mieux pour retrouver cette insolence que je hais. Alors maintenant, vous allez dans votre chambre, vous fermez la porte, et vous ne dites plus rien. Suis-je bien clair, Potter ?

-Je ne comprends pas bien, Monsieur, dit Harry en soutenant son regard. Mais je crois qu'on ne pourra jamais se comprendre, alors je m'en vais.

Il se dirigea doucement vers sa chambre. Il avait encore du mal à tenir debout correctement. Et il ajouta, en contenant sa colère contre Rogue :

-Je voudrais pas trop vous énerver, parce que vous êtes blessé et tout ça.

Il claqua la porte derrière lui et s'étendit sur son lit. Rogue restait imperméable à toute tentative de discussion. Sa seule présence le mettait en colère. Il ne l'aimait pas, c'était clair. Et pourtant il s'occupait de lui. La colère vrombissait dans ses veines, au rythme de son cœur.

Resté seul, Rogue pointa sa baguette vers sa blessure et souffla une formule apaisante. Ce sale Trolleygue l'avait surpris par derrière et avait essayé de le tuer en lui plantant ses griffes dans la poitrine et la gorge. Rogue s'était retourné juste à temps et avait jeté le sort pour le tuer. Avant cela, il avait dû torturer un autre de ces monstres pour qu'il lui dise où se cachait le dernier. Et qu'il lui avoue aussi que pour le moment, le Seigneur des Ténèbres ne savait rien. Rogue avait risqué gros, mais il aimait cela. Cela lui changeait de cette mission pénible de garde-malade. Mais Potter allait mieux et leurs relations redevenaient normales. Cela le rassurait.