Chapitre 11: mort dans les tenèbres

Il était plus de minuit quand Hermione et Ron s'endormirent ce soir là. Le dîner s'était prolongé, ils avaient joué aux cartes en buvant des bièraubeurre et en riant, comme pour fêter quelque chose. Peut-être la guérison de Harry, peut-être juste le sentiment d'être bien ensemble, peut-être juste pour rien. Hermione leur avait appris un jeu Moldu, le Tarot. Un jeu de stratégie, ce qui avait sûrement intéressé le professeur, même s'il n'en avait rien montré. Rogue n'avait pas joué avec eux, il préparait la potion à côté. Ron s'était enhardi à lui demander des conseils pour son jeu.

Allongés dans le noir, ils avaient encore chuchoté longuement. Ils ne s'éveillèrent qu'au matin.

Harry s'était endormi heureux. Avant de fermer les yeux, il avait souhaité que la nuit passe très vite et qu'il se réveille complètement guéri.

Mais quelques heures plus tard, des éclairs déchiraient les ténèbres et venaient percuter des corps qui souffraient. Il combattait. Et il riait, parce qu'il savait qu'il serait vainqueur. Il était le plus fort. Il voulait tuer. Celui-ci, il allait le tuer. Maintenant.

Il crie. "Non !!!!"

Harry hurlait.

Rogue s'était lui aussi endormi bizarrement satisfait. Il ne se préoccupait pas, habituellement, de savoir s'il était « heureux » ou non. Il trouvait ces notions sans intérêt. Mais il ne pouvait pas nier qu'il avait passé une soirée plaisante. Il avait même oublié ses inquiétudes et irritations.

Il n'avait jamais eu d'amis, et ne se croyait pas aussi naïf pour croire que des mots comme l'amitié, ou la générosité, portaient une vérité quelconque. Pourtant, ce qu'il avait perçu entre ses trois élèves lui laissait un sentiment de satisfaction. Les trois gamins avaient passé la soirée à rire ensemble et à essayer de le faire participer à leur jubilation collective. Lui était bien sûr resté froid et distant, mais plusieurs fois il avait dû réprimer des envies de rire. Il ne pouvait pas dire que cela lui arrivait souvent.

Et puis ce cri perçant et glacé. Il s'était endormi, et le garçon criait.

Rogue poussa un juron. Harry était tombé et se tenait la tête. Rogue le souleva et le recoucha. Harry balbutiait :

- Il est mort... Il est mort...

- Calme-toi.

Le professeur lança un sort d'apaisement.

- J'étais dans sa tête, encore.

Rogue encaissa. Le garçon avait eu une vision. Ce qu'il avait redouté, dans les premiers jours, avant de se convaincre que Voldemort avait abandonné ses plans, qu'il se contentait du poison.

- Explique-toi.

- C'était un combat, je ne distinguais que des ombres. Des ennemis. J'en ai tué un.

La voix du garçon, neutre et atone se mit subitement à trembler : « Il appartenait à l'Ordre du Phénix. Je n'ai pas vu son visage. »

- Le Seigneur des Ténèbres l'a tué, dit Rogue gravement.

- Oui. J'étais dans sa tête, répéta Harry avec angoisse.

- Tu penses que.. cela pourrait être Dumbledore ?

- Non. Je ne sais pas pourquoi, je suis sûr que ce n'était pas lui. Voldemort aurait éclaté de joie, si...

Harry regarda soudain son professeur dans les yeux et dit d'une voix pressante : « Mais, il faut les aider, non ? Ils perdaient le combat.. qu'est ce qu'on peut faire... Monsieur... ? ».

Rogue soupira.

- Ecoute. On ne peut pas savoir si cette scène est réelle. Tu as pu être manipulé.

- Mais.. pourquoi ?

- C'est évident, pour te déstabiliser, pour nous démoraliser... pour que tu dises innocemment « il faut les aider, non ? ». Tu pourrais réfléchir avant de te lancer dans n'importe quoi, Potter.

Rogue était légèrement en colère et préférait quitter cette chambre avant que des paroles trop dures ne lui échappent.

Harry aussi sentait la colère l'envahir. Le poison semblait dopé par sa vision, et il sentait que ses jambes ne le portait plus. Il avait cru guérir, et il se retrouvait aussi mal que les premiers jours, avec en plus la peur que ces visions ne le reprennent, et ce mort... ce mort qui pourrait être Sirius, Remus Lupin... un des parents Weasley... Et Rogue qui lui reprochait de vouloir les aider. Et qui l'abandonnait maintenant, alors qu'il avait cru pouvoir lui faire confiance.

Quand Rogue jeta un œil dans la chambre un petit quart d'heure après, Harry ne dormait toujours pas. Il avait les yeux dans le vide.

- ça ne va pas mieux, tu as mal ? dit Rogue d'une voix sèche. Harry lui lança un regard noir. « Evidemment, cela ne serait pas arrivé si tu avais voulu apprendre l'Occlumencie »

- Et si vous ne m'aviez pas viré de votre bureau !, répliqua la garçon en colère. Rogue tenta de faire marche arrière :

- Calme toi. On parlera de tout cela quand tu iras mieux. Guéri d'abord.

- Non ! Quand je vais mieux vous ne supportez pas que je parle. Et puis pourquoi vous tenez tant à ce que je guérisse ? Vous aimiez bien me faire souffrir, à ce que je me souviens !

Harry soutint le regard de Rogue, qui essayait de paraître impassible mais avait les lèvres très serrées. Il sortit un fois encore de la pièce en fermant la porte.

Harry essaya de se calmer. Il ne voulait pas se rendormir; il ne voulait pas d'une autre vision, d'une autre mort. Et puis, il devait parler franchement avec Rogue. Mais ne pas laisser la colère le submerger. Il se concentra sur tous les moments où son professeur l'avait soutenu, quand le poison l'attaquait. Comment il lui parlait alors, doucement.

Rogue s'était trompé cependant. Sa vision correspondait à la réalité vue par les yeux de Voldemort. Ce n'était pas une manipulation, il en était certain. Il savait aussi que cela ne servait à rien de connaître des bribes de ce qui se passait dehors, alors qu'ils étaient impuissants au milieu de cette forêt. Il appela Rogue. Celui-ci prit tout son temps pour arriver.

- Tu m'as appelé, Potter ?

- Vous croyez que je vais encore avoir des visions ?

- C'est possible.

- Professeur... j'aimerais m'entraîner à l'Occlumencie.

Rogue le regarda, étonné et dubitatif :

- Tu n'as pas manifesté un grand intérêt pour ce domaine, pourtant.

- Je... je n'aurais pas dû regarder dans la Pensive. Je suis désolé. Remus avait dit qu'il vous parlerait, que je ne devais pas abandonner les cours...

Rogue ne savait pas trop quoi dire.

- Qu'est ce que Lupin a à voir dans tout cela ? Il était au courant de.. ce que tu as fait ?

- Sirius aussi.

- Et tout Poudlard , je suppose...

- Non !

La poitrine de Harry se contracta et il devint tout rouge, comme s'il allait s'étouffer. Il ne fallait pas qu'il perde connaissance, mais ses oreilles bourdonnaient, et...

« Reste-là, garçon ». Il sentit la main de son professeur lui secouer l'épaule. Il réussit à aspirer un peu d'air, rouvrit les yeux et voulut continuer :

« Non, je n'en ai pas parlé à tout la monde... même pas à Ron et Hermione. J'ai ... juste contacté Sirius pour lui demander si... c'était vrai.

Harry reprit plus faiblement : « Si c'était vrai, pour mon père... ».

- Et alors ? dit Rogue brusquement, c'était vrai, j'imagine...

- Oui.

Il y eut un long silence pendant lequel Harry revivait son entretien avec son parrain, à travers le feu du bureau d'Ombrage. Sirius s'était un peu moqué de son indignation sur le comportement de James. Il avait justifié cela par son jeune âge.

« Tu es encore trop faible pour des séances d'Occlumencie. On verra plus tard. Mais dès maintenant, dès que tu pressens une vision, tu dois te forcer à faire le vide, à résister. Compris ? ».

Harry hocha la tête.

Rogue resta assis jusqu'à ce que le garçon s'endorme. Avait-il vraiment « fait souffrir » son élève à l'école ? Il avait été dur, certes, il avait même prit plaisir à le rabaisser dans son arrogance. Mais cela n'était rien comparé à ce que son père lui avait fait subir . Son père. Oui, le garçon ressemblait à James, mais James riait toujours, il était toujours propre, bien coiffé, sûr de sa force. Joyeux, invincible. Inatteignable.

Harry était là, tourmenté, grave. Il avait pris au sérieux ce qu'il avait vu dans la Pensive. Il n'avait pas menti quand il avait affirmé qu'il n'en avait pas parlé.

« Tu ressembles à Lily Evans, Harry Potter. »

Rogue se leva et s'étendit sur son lit. Mais il ne parvint pas à dormir. D'ailleurs il ne fallait mieux pas.