Chapitre 12 : la petite fille et la Mangemort
Harry ouvrit les yeux avec les premières lueurs de l'aube. Il constata tout de suite qu'il ne servirait à rien d'essayer de se lever. Il n'avait pas bien dormi, l'image du corps qui s'écroulait dans le noir l'avait obsédé. Fallait-il qu'il raconte tout à ses amis ? Cela allait les inquiéter pour rien, puisqu'il n'y avait rien à faire. Et puis, il essayait de se persuader que Voldemort avait fait exprès de lui envoyer cette vision, pour l'affaiblir. « Pourvu que ce soit cela ! ».
Il n'eut pas le temps de repenser à sa discussion avec Rogue, Hermione l'appelait.
- Tu viens manger Harry ?
- Non.
Ron entra dans la chambre et comprit tout de suite la situation. « Mince alors ! C'est encore ce foutu poison, c'est ça ? ». Hermione commençait à changer de visage. Harry les regarda un moment. Il n'avait pas envie de décevoir ses amis.
« Faites pas cette tête là, je ne peux plus marcher, c'est tout. Mais ça va revenir. » Il tenta un sourire, sans succès. Ron s'assit sur le lit, l'air lugubre.
« C'était pendant la nuit, hein ? ». Harry hocha la tête.
- Rogue est venu ?, demanda Hermione qui marchait nerveusement à travers la pièce.
Harry resta un moment silencieux, puis il craqua. Il avait besoin de partager ses craintes.
« J'ai eu une vision cette nuit. J'étais dans la tête de Voldemort, pendant un combat contre des membres de l'Ordre du Phénix. J'ai... enfin Voldemort en a tué un. J'ai vu le corps s'écrouler, et j'ai ressenti sa joie...
- Alors, ça recommence, bredouilla Ron.
- Et après, Harry ? demanda doucement Hermione qui s'était résolue à se poser sur la chaise.
- Après ? J'ai crié, je suis tombé par terre. Rogue m'a relevé. Mais ce mort... pourquoi je ne peux pas voir son visage ?
- Mince alors, répéta Ron. J'aimerais trop savoir ce qui se passe là bas...
- Ron... on a choisi de rester aux côtés de Harry jusqu'à ce qu'il guérisse, tu te souviens ?
- Moi aussi, j'ai envie de savoir. J'ai envie d'être avec eux, de me battre ! s'écria Harry d'une voix sourde.
Hermione reprit :
« Mais on ne peut pas, toutes les communications sont coupées pour notre sécurité. Cela ne sert à rien d'imaginer le pire. Tu as eu une vision, Harry. Mais je crois qu'il vaut mieux que tu ... l'oublie, jusqu'à ce qu'on retourne là-bas..
Harry la regarda et une bouffée d'angoisse l'envahit.
- Et si on ne sortait jamais de cette forêt ? Et si je ne guérissais jamais ?
Un lourd silence s'installa. Personne n'avait envie de faire une blague pour détendre l'atmosphère. Ce fut Harry qui continua :
- Mais tu as raison Hermione. Je n'aurais même pas dû vous parler de cette vision.
Ron fit « non » de la tête et s'exclama : « Quoi ! Mais Harry, on est avec toi ! Tu n'as pas à nous ménager comme ça... on ne peux rien faire pour l'Ordre, pour le moment, mais on peut essayer de partager nos... frustrations ? Hein, Hermione ?
Hermione sourit ; « c'est bien dit, Ron. »
Rogue frappa à la porte, un verre de potion à la main. « On va ré-augmenter les doses. Il y a du travail», dit-il seulement en direction de Ron et Hermione.
Quand tous les trois furent sortis de sa chambre, Harry réalisa qu'il avait effectivement partagé ses « frustrations » avec ses amis, mais qu'il n'avait même pas pensé à leur parler de ce qui s'était passé avec Rogue, cette nuit. S'était-il vraiment passé quelque chose, d'ailleurs ? Il avait réussi à dire ce qu'il avait sur le cœur à propos de l'épisode de la Pensine, mais Rogue était resté très impénétrable. Il lui avait semblé, alors qu'il s'endormait, que celui-ci avait parlé de Lily ; il n'en était plus très sûr. Peut-être avait-il surtout voulu que Rogue lui parle de sa mère. Est-ce qu'il pourrait le lui demander ? Pour l'instant, il n'en était pas à un tel degré de confiance. Harry sentait bien que Rogue prenait soin de lui, et ne se contentait pas seulement de le maintenir en vie. Mais en même temps, il gardait ses distances, comme s'il avait peur de quelque chose.
Les deux jours suivants, Harry resta au lit, à boire de la potion et à se concentrer pour éviter une nouvelle vision, ou une nouvelle attaque de poison. Mais la plupart du temps, il sombrait dans cette état comateux entrecoupé de douleurs qu'il avait connu les premiers jours de son séjour dans la forêt. Ron et Hermione ne cachaient pas leur inquiétude et se relayait auprès de lui. Rogue essayait de les rassurer en leur disant que cette attaque serait sans doute une des dernières, et qu'il aurait fallu s'y attendre. On ne guérissait pas si facilement d'une dose mortelle de Killison, fût-on le grand Harry Potter, le Survivant.
Deux jours après la vision, les symptômes de l'empoisonnement s'atténuèrent, aussi rapidement qu'ils étaient apparus. Harry sortit de sa léthargie, s'étira, mit ses lunettes, réussit à agripper le rebord de la fenêtre et à se hisser debout sur son matelas. Il resta un moment à contempler les arbres qui s'agitaient violemment. Il faisait très sombre dehors, la nuit tombait et il semblait qu'un orage approchait.
Les trois autres mangeaient, à côté ; Harry entendait le bruit des assiettes, et il s'aperçut qu'il était affamé. Il posa précautionneusement ses pieds sur le parquet et serra les dents. Il pourrait faire quelques pas. Il se réjouit d'avance de la tête que feraient Ron et Hermione en le voyant debout. Il entra dans la cuisine.
Ron, qui portait une fourchette de purée à sa bouche, interrompit son geste et cligna des yeux plusieurs fois. Puis il laissa violemment retomber son bras et la purée vint s'étaler sur la table.
- Euh... Salut !, dit Harry.
Il était en pyjama, les pieds nus, et ses cheveux étaient encore plus ébouriffés que d'habitude. Hermione se leva, Ron la suivit.
- Il reste quelque chose à manger ?
Rogue posa nonchalamment sur la table une assiette supplémentaire. Ron escorta son ami jusqu'à la chaise. Harry se sentait un peu mal à l'aise, jusqu'à ce que Ron lui donne une grande tape dans le dos :
- Eh ben, voilà le retour du Survivant ! Bienvenu, mon ami !
Hermione le serra dans ses bras. « Tu vas rester avec nous, maintenant ! » murmura-t-elle. Harry voulait dire quelque chose de gentil. Il remarqua les traits tirés de ses amis.
- Euh... Racontez-moi, ces deux jours vous avez fait quoi ?... Vous avez progressé en potion ?
A ce moment là, Rogue lui servit une énorme louche de pommes de terre écrasées, et ajouta par dessous un morceau de viande grillée.
« Allez, mange, gamin. », dit-il d'une voix bourrue. Harry regarda son professeur. Il remarqua une lueur joyeuse dans ses yeux.
« Merci, monsieur », murmura-t-il en empoignant sa fourchette.
Quelque chose avait changé durant ces deux jours, entre Rogue et les deux autres. Harry eut du mal à percevoir quoi, exactement. Leurs relations étaient détendues.
Après le repas, Ron raviva le feu et Hermione mit de l'eau à bouillir. L'orage s'était transformé en tempête. Le vent faisait vibrer les vitres de la cabane, et les éclairs semblaient tomber dans le jardin, illuminant la forêt. Harry frissonna et se rapprocha du feu. Le vent s'infiltrait dans la cheminée et faisait crépiter le bois.
Ron fixait les flammes.. Hermione demanda si tout le monde voulait une tisane, et elle distribua des tasses. Et puis Ron se décida à poser la question, les yeux toujours accrochés au feu :
« Professeur. Vous avez déjà tué des gens ? ... Quand vous étiez Mangemort ?
Rogue rapprocha sa chaise de la cheminée. Un éclair violent fut suivi d'un silence lourd.
- Oui.
Quelques gouttes de pluie, timides, claquaient sur la fenêtre.
- Mais , comment.. enfin, pourquoi ? demanda Hermione .
Rogue ricana doucement ;
- C'est parce que j'ai tué un homme que Dumbledore m'a fait confiance.
Harry tourna rapidement la tête vers lui.
« J'ai tué un Mangemort, il s'appelait Nichols, jeune, à l'époque, de mon âge. Il s'amusait à torturer une enfant Moldue. Au début je trouvais ça drôle, mais après je l'ai tué. Et Dumbledore est arrivé.
Le visage de Rogue se referma subitement. Il replongeait dans ses souvenirs. Il revivait ce moment de basculement, quand, face à face avec son ancien directeur, il avait hésité une demi seconde sur le sort à lui jeter, pour finalement abaisser sa baguette.
La voix de Hermione le tira de ses songes :
- L'enfant, elle est morte ?
- Non. Elle a été soignée. Ses parents avaient été tués juste avant.
- Et.., dit Harry les sourcils froncés, c'est là que vous avez décidé de rejoindre Dumbledore ?
Rogue reprit son rictus de dégoût: "Sur le moment, je ne pensais absolument pas choisir un camp ou un autre. Je ne pouvais plus suivre le Seigneur des Ténèbres, ses méthodes me dégoûtaient. Mais je n'aimais pas particulièrement Dumbledore et sa clique de sauveurs de l'humanité. ... Petit à petit, très habilement, Dumbledore m'a soutiré des renseignements sur les plans du Seigneur Noir. Je suis devenu son espion. Et je suis resté un Mangemort."
Ron eut une mimique dubitative :
- Vous avez réussi à garder la confiance de Voldemort, sans plus jamais tuer ou torturer des gens ?
- Quoi, tu ne me crois pas, Ron ? Le Seigneur a toujours cru que c'était moi qui avait tué les parents de cette petite. Et que j'aurais fait de même avec elle si Dumbledore n'était pas intervenu en tuant Nichols. Et puis, peut de temps après – quelques mois, tout au plus- je suis rentré en hibernation, comme tous les Mangemorts. Dans l'attente redoutée de retour du Seigneur Noir.
Ron reprit :
- ça veut dire que quand ... Voldemort à été détruit par.. enfin.. en essayant de tuer Harry, vous étiez déjà un espion ?
Rogue hocha la tête. « J'ai essayé d'être un Mangemort convaincu pendant presque une année.»
Harry jeta un œil par la fenêtre, des trombes d'eau balayaient la forêt et s'abattaient sur la cabane. Ron remit du bois dans le feu.
- Ce que je ne comprends pas, commença Harry, c'est pourquoi , quand Voldemort a retrouvé son pouvoir, il a continué à vous faire confiance. J'étais là, dans ce cimetière, quand il est revenu. Tous les Mangemorts étaient là, et vous n'aviez pas répondu à son appel. N'est-ce pas ?
Il regarda son professeur dans les yeux.
- C'est vrai. Il a fallu un ... effort de persuasion, assez risqué, pour retourner à son service. Ce n'a pas été facile. Quand je suis réapparu devant lui, il avait la ferme intention de me tuer.
Rogue quitta les yeux de Harry et conclut d'un ton définitif : « Et je n'en dirais pas plus là dessus».
- Mais, Monsieur.. dit Hermione, maintenant, il sait que vous n'êtes plus à Poudlard ?
- Bien sûr. Cette fois je suis définitivement grillé. Il m'appelle, je ne viens pas. Et il ne sait pas où je suis, ce qui doit énormément l'irriter...
- Il sait .. que vous êtes avec moi, n'est-ce pas ? dit Harry d'une petite voix.
- Oui. Mais il faut pas qu'il trouve où nous nous cachons...
A ce moment là , une rafale de vent s'abattit sur la maisonnette. Et malgré la magie millénaire qui protégeaient la forêt magique, les quatres réfugiés se sentirent bien vulnérables.
