Orage intérieur
J'eus grand peine à m'endormir cette nuit-là. Les yeux tourmentés du Maître des Potions ne me laissaient pas de repos. À chaque fois que j'arrivais à clore mes paupières, ils apparaissaient et semblaient vouloir me transmettre un message. Je trouvai un sommeil mouvementé et tardif vers l'aurore.
Je me réveillai en sursaut en entendant les sept coups de l'horloge. Je bondis hors du lit à baldaquin et détaillai mon nouveau logis.
Très différente de la chambre que j'avais occupé lors de mon séjour au Chaudron Baveur, la pièce était meublée avec goût. Dumbledore connaissait mes préférences. Un tapis de couleur sombre était étendu contre les dalles froides du plancher. Les meubles étaient tous fait d'ébène, ce bois que j'affectionne tant. Les murs de pierres grises, coutumes de tout donjon qui se respecte, était en partie cachée par des tapisseries écarlates qui représentaient la création de Poudlard. Mes quartiers n'avaient pas le confort rustique du Chaudron Baveur mais ils me faisaient vaguement penser à ma demeure en Hongrie.
Je me rendis dans la Grande Salle après quelques préparatifs. Je n'oubliai surtout pas de me couvrir de la suie mise à ma disposition dans l'âtre du foyer de ma chambre. Je m'examinai dans un miroir. J'avais presque l'air humaine à part entière. C'était rassurant.
Je repris ma place aux côtés d'Adèle. Étouffant un bâillement, elle délaissa le Professeur Sinistra pour m'adresser tout de suite la parole :
« Ah bonjour Elisabeth! Belle matinée, n'est-ce pas? »
Elle baissa la voix et me dit d'un ton conspirateur :
« Je vous dois une reconnaissance éternelle. Vous ne pouvez pas savoir comment Amanda peut être ennuyeuse quand elle commence à disserter sur sa matière. »
Elle s'enquit plus fort :
« Alors, comment trouvez-vous Poudlard jusqu'à maintenant?
Impressionnant est le mot qui me vient immédiatement à l'esprit. Tout est si grand et si... luxueux. C'est loin de la rigueur des dortoirs de Durmstang, bien que je n'aie jamais vu la chambre d'un professeur comparée à l'une des nôtres.
Est-il vrai que la neige est si abondante qu'elle recouvre les toits des chaumières?
C'est exact. C'est arrivé à plusieurs reprises. »
Nous continuâmes à bavarder durant toute la durée du petit déjeuner. J'évitai de regarder dans la direction du taciturne Maître des Potions mais je le rencontrai inévitablement en sortant de table. Nous nous dirigions tous deux dans l'étage inférieur du château. Je tentai vainement d'emprunter d'autres escaliers et de passer par des chemins détournés mais je dus me rendre à l'évidence que je ne pourrais faire ce petit manège bien longtemps. Je baissai les yeux, lorsque je le croisai. Je l'entendis me murmurer de sa voix soyeuse aux inflexions profondes :
« Vous ne condescendrez donc jamais à m'accorder un regard, Miss Bathory? »
Je redressai la tête et lui lançai un regard noir. Il esquissa ce qui se voulait un sourire de satisfaction cruelle. Les paroles d'Adèle résonnaient dans ma tête. « Lorsqu'il parle, c'est pour se moquer des autres avec ses commentaires sarcastiques qu'il susurre de sa voix doucereuse ». Elle avait eu raison sur ce point. Je continuai de marcher, gardant le front haut, comme pour le défier.
Je consultai mon horaire. Mon premier cours était avec les Poufsouffles de Première Année. Je bénis le Ciel de m'avoir envoyé une classe tranquille qui me permettrait de calmer l'orage qui tempêtait en moi.
La matinée s'écoula paisiblement. Je partageai mon temps entre la présentation du programme de l'année et l'apprentissage de l'Experlliarmus. Je déambulai parmi les élèves jumelés pour corriger ceci ou faire remarquer cela. Les Poufsouffles n'étaient pas les élèves les plus doués mais ils étaient sans nul doute les plus respectueux. Leur persévérance viendrait à bout des difficultés qu'ils rencontreraient, j'en étais certaine.
Mon deuxième cours de la journée était avec des Serdaigles de 4ème année. Ils étaient très prometteurs malgré leur jeune âge. La plupart d'entre eux réussirent le sortilège d'Enervatum sur les araignées que j'avais stupéfixées. J'espérais sans trop y croire que les autres classes seraient aussi agréables que celle de la journée.
Je sortis affronter le crépuscule après un copieux dîner1. Il m'aveugla les premières minutes mais la sensation de chaleur contre ma peau me rassérénait. J'allai m'asseoir là où j'avais eu un bref contact avec Severus Rogue, la veille. Un sentiment de répétition m'envahit lorsque je l'entendis s'approcher, derrière moi. Un autre atout vampirique. J'arrivais à marcher sans faire le moindre bruit. Mes cinq sens étaient très aiguisés. J'avais la capacité de voir beaucoup plus loin que n'importe quel mortel et mon ouïe était si fine que je pouvais entendre à une centaine de mètres à la ronde.
« Les vampires ne devraient-ils pas être brûlés par le contact direct avec le Soleil, Miss Bathory? »
Je ne pris pas la peine de me retourner. Sa voix séduisante au doux accent britannique se fit à nouveau entendre.
« Auriez-vous perdu l'usage de la parole? »
Je rougis. Heureusement qu'il ne pouvait pas voir mon visage écarlate. Je repris un peu de contenance et lui répondis :
« Je croyais que le Professeur Dumbledore vous avait informé que je n'étais qu'à demi-vampire. Dunpeal, si vous préférez. »
J'espérais lui avoir clouer le bec bien que la perspective de réentendre sa voix me plaisait. Mais qu'est-ce qui m'arrivait? Ce n'est pas parce qu'il avait une voix charmeuse que je devais perdre mes moyens.
« Vous rabaisserez-vous à me faire face ou avez-vous tout bonnement oublié les règles de bienséance, Miss Bathory? »
L'amalgame d'émotions que j'avais lu dans ses yeux la veille avait disparu faisant place à une surface noire et opaque. Comment un tel changement avait-il pu s'opérer en si peu de temps?
« Qu'y a-t-il de si intéressant chez moi, Miss Bathory? »
La honte m'envahit. Depuis combien de minutes étais-je là à le regarder avec fascination?
« Non.. euh... je veux dire... rien...
Bien sûr que non, il n'y a rien d'intéressant chez moi, Miss Bathory, coupa-t-il avant que je puisse clarifier ma pensée.
Je suis sûr que vous savez ce que c'est de se faire regarder avec une répugnance non-dissimulée, Miss Bathory? Je croyais que vous seriez assez sensée et intelligente pour le comprendre. Après tout, une Dunpeal doit attirer le même genre de regards. Il semble que je me sois complètement fourvoyé et que vous soyez comme toutes les autres.
Ce n'est pas ce que je voulais insinuer... m'empressais-je de dire.
Non, vous ne voulez pas me dire en pleine face que vous me trouvez laid. Continuez à me dévisager avec dégoût, le message est tout aussi clair.
Vous ne me laissez pas m'expliquer! Vous ne comprenez pas!
J'ai assez d'expérience en matière de traduction des pensées, Miss Bathory. Mais allez-y je vous écoute bien que je doute fortement...
Adèle avait raison! Vous ne prenez la parole que pour vous moquer des autres! Vous savez ce que vous avez? Vous souffrez! Je ne sais pas pourquoi mais je le saurai un jour ou l'autre! Savez-vous ce que j'ai lu en vous? De la colère, de la peine refoulée, de l'amertume et de la douleur! Vos remarques sarcastiques blessantes et votre attitude glaciale, cela rime à quoi? Pouvez-vous me le dire? »
J'étais si furieuse que je ne remarquai pas qu'il était décontenancé.
« Je ne me laisserai pas insulter par une gamine immature, bâtarde de surcroît, telle que vous! »
Je le dévisageai, bouche-bée. Comment pouvait-il être aussi cruel? On lui avait souvent vociféré des insultes mais celle-là lui fit plus mal que toutes les autres. Bâtarde?
« Vous êtes odieux », dis-je dans un souffle avant de m'enfuir à toutes jambes.
Je m'étais effondrée sur mon lit. Pour me consoler, j'essayai de me rappeler le visage de Stanislas, son
(Vous ne condescendrez donc jamais à m'accorder un regard, Miss Bathory?)
sourire éblouissant, sa couronne
(Les vampires ne devraient-ils pas être brûlés par le contact direct avec le soleil, Miss Bathory?)
de cheveux dorés, ses grands yeux
(Auriez-vous perdu l'usage de la parole?)
bleus, son expression quasi-enfantine, le bien-être ressenti
(Vous rabaisserez-vous à me faire face ou avez-vous tout bonnement oublié les règles de bienséance, Miss Bathory?)
lorsqu'il me prenait dans le creux de ses
(Qu'y a-t-il de si intéressant chez moi, Miss Bathory?)
bras, les lettres enflammées qu'il
(Je suis sûr que vous savez ce que c'est de se faire regarder avec une répugnance non-dissimulée, Miss Bathory? Je croyais que vous seriez assez sensée et intelligente pour le comprendre. Après tout, une Dunpeal doit attirer ce même genre de regards. Il semble que je me sois complètement fourvoyé et que vous soyez comme toutes les autres.)
m'avait écrites. Mais tout comme lorsque je tentais de fuir le Maître des Potions dans les cachots de Poudlard, je me rendis vite compte
(Non, vous ne voulez pas me dire en pleine face que vous me trouvez laid. Continuez à me dévisager avec dégoût, le message est tout aussi clair.)
que je n'y arrivais pas. Le doux visage du Polonais
(Je ne me laisserai pas insulter par une gamine immature, bâtarde de surcroît, telle que vous!)
était constamment effacé par celui d'un autre. Celui de Severus Rogue.
(M'aimeriez-vous, Miss Bathory?)
1 Souper, si on emploie les termes québécois
