« Tu as vu où tu as le tien? »
« Calmez-vous un peu, je vous en supplie. »
« Je veux un sort de soins! »
« Il y avait quatre-vingt chasseurs... »
« Quoi! cria Yusuke. Maman, qu'est-ce que tu fais là? »
« C'est bien à toi de me demander ça, fils indigne! Qu'est-ce que tu as fait? »
« Pouh! »
On compta les bras, les jambes. Vingt. Vingt de chaque, en tout. Dix personnes. Toutes celles qui étaient dans le salon d'Atsuko précedemment, pour ne pas les nommer. Plus quelques plumes qui volaient un peu partout, Pouh n'ayant pas atterri a une des places les plus confortables.
Koemma, gêné et énervé, proposa aux jeunes filles de les raccompagner chez elles aussitot. Mais elles ne répondirent même pas, clouées sur place par le spectacle qui s'offrait à elles.
Les murs de la salle étaient recouverts de fresques. Mais les fresques bougeaient, racontant des histoires. Et bien qu'aucun son ne se fit entendre et que l'alphabet qui constituait les quelques phrases écrites soient indéchiffrables, tous surent les noms des principaux protagonistes, et que les fresques racontaient la grande lutte contre les Oni qui eut lieu en des temps reculés.
Quand soudain un tengu - oui, ce devait être un tengu - entra dans la pièce.
Il avait des grandes ailes noires dans le dos et flottait au-dessus du sol. Son visage était rouge et ressemblait à celui d'un oiseau. Il avait en effet un long bec à la place du nez. Ce n'était pas très agréable à regarder. Son visage était souriant. Mais un étrange sourire figé, et qui n'avait pas l'air franc.
C'est seulement quand il fut tout près qu'ils se rendirent compte qu'il s'agissait d'un masque.
Le tengu s'inclina cérémonieusement et s'adressa à eux : « Le roi va vous recevoir... Je suis son maître de cérémonie et mon rôle est de vous conduire jusqu'à la salle du trône. Mais... je vois que ces jeunes filles ne devaient pas être là! »
« Comment le savez-vous? » rétorqua Botan piquée au vif.
Le tengu la regarda, l'air un peu étonné, puis il répondit : « C'est évident, mademoiselle. »
« Et comment expliquez-vous ceci? » demanda Koemma d'une voix qui s'efforçait de rester polie.
« Très simplement... Comme vous nous l'avez fait remarquer, et c'est d'ailleurs le but de votre visite, ce me semble, nous travaillons en ce moment sur un projet magique dont un des effets secondaires est d'augmenter la puissance des sorts, de tous les sorts. Il semble que la zone d'action de votre sort de téléportation ait augmenté. Maintenant, suivez-nous tous. Contrairement à ce que vous pensez, elles ne risquent rien de plus que vous ici. »
Koemma se mordit la lèvre et se reprocha de ne pas y avoir pensé. Le tengu les enjoignit de le suivre le long d'un des multiples couloirs qui partaient de cette salle. Ils traversèrent plusieurs salles, suivant le maître de cérémonie. Le palais était un vrai labyrinthe, dans lequel ils se seraient perdus irrémediablement s'ils l'avaient quitté, aussi gardaient-ils le regard fixé sur sa nuque couverte de courts cheveux mauves. Ils virent une salle qui leur sembla remplie d'eau, ressemblant à un récif de corail, mais ils y respirèrent sans peine ; puis une salle tout en fils d'or tissés. Il leur semblait marcher dans un rêve.
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Ils arrivèrent enfin à l'immense salle du trône. Une centaine de tengus y étaient rassemblés. Tous avaient des ailes noires de corbeau et les mêmes masques rouges sur le visage, y compris leur vieux roi aux plumes grises. Le maître de cérémonie vint se placer à sa gauche ; à sa droite se tenait un autre tengu aux cheveux bleu-vert, portant une épée richement ornée.
Cependant, le roi retira son masque pour leur parler. Ses traits étaient ceux d'un homme d'une cinquantaine d'années, emprunts d'une certaine noblesse. Il s'adressa à eux :
« Bienvenue à vous, seigneur Koemma, ainsi qu'à vos amis. Je suis très honoré de vous recevoir dans mon palais, mais je crains qu'il n'y ait eu un léger malentendu lors de nos précédentes négociations. Voyez-vous, nous n'avons rien fait de mal. Mais veuillez exprimer vos doléances, s'il vous plait. »
Après quelques formules de politesse, Koemma expliqua, avec des exemples à l'appui, que différents humains avaient manifesté des nouveaux pouvoirs ; que des créatures étranges, qui ne venaient pas du Makaï, étaient apparues, que toutes les formes de magie avaient augmenté en puissance. Puis il affirma que le roi des tengus était derrière tout ça, selon la rumeur publique. Il conclut, avec une belle rhétorique, en manifestant son désir de connaître les causes réelles de ces phénomènes.
Les autrs, qui ne l'avaient jamais vu aussi poli, l'observaietn avec des yeux ronds.
« Mais bien sûr vous saurez! s'exclama le roi des tengus. Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier pour nous avoir ouvert le monde des humains. Il était devenu beaucoup trop ennuyeux pour nous et nous ne pouvions pas y survivre longtemps. Mais d'abord, permettez-moi de vous expliquer notre théorie sur les origines des démons et des dieux. Il y a bien longtemps, quand les hommes ne connaissaient pas la science et ne savaient qu'imaginer pour expliquer les phénomènes naturels, la puissance de l'imagination était beaucoup plus forte que maintenant. Et leurs peurs et leurs espoirs ont créé les dieux et les démons. Et de nombreuses créatures d'une puissance dont nous n'avons même plus idée aujourd,hui, qui se sont détruites les unes des autres. C'étaient les temps héroïques... » À ce moment, la voix du vieux roi se fit plus douce et son regard se perdit dans le vague, se qui fit se demander à Shizeru si le tengu avait connu ces époques dont il parlait. « Grâce à votre action, grâce à la présence des nôtres sur terre, l'imagination des humains renaît. Ils ne sont plus engoncés dans leur rationalité et leur vie de tous les jours. Mais celà ne suffit pas encore. Nos magiciens sont en train de travailler à un rituel pour lui redonner la force qu'elle avait à l'époque. Les effets sont encore faibles, mais bientôt naîtront de nouveaux dieux et de nouvelles chimères! »
Le roi s'était levé, et son ton s'était fait épique. Il se rassit et dit encore, la malice ayant remplacé l'enthousiasme dans ses yeux : « Je pense que vous saurez maintenant faire le lien entre tous les événements dont vous me parliez. »
Koemma était horrifié : « Mais ces créatures qui apparaîtront... Elles seront pour la plupart impossibles à maîtriser! »
« C'est juste. J'ai de l'estime pour vous, seigneur Koemma, et je me permets d'espérer qu'aucune d'entre elles ne prendra votre place, comme vous semblez le craindre. Mais le monde a besoin de nouveauté! Les anciens maîtres sont là depuis trop longtemps »
« Mais je venais juste d'instaurer la paix entre le monde des esprits et celui des humains! Ce que vous nous préparez est une nouvelle ère de guerre! Je ne peux l'accepter! des humains mourront par centaines! »
« Pour nous, ce n'était qu'une nouvelle étape. Vous avez instauré la paix sans doute, mais vous essayer de conserver l'ordre - cet ordre qui a failli nous tuer pendant toutes ces années en niant notre existence. Nous voulons la liberté... Sans doute, ces créatures seront puissantes, mais les humains, avec leurs nouveaux pouvoirs, seront sans doute suffisamment puissants pour lutter contre elles aussi. Vous aimez les humains, seigneur Koemma, je le sais - vous les aimez comme un protecteur, presque comme un père. L'amour que nous ressentons pour eux comporte plus d'admiration. Aujourd'hui, presque n'importe quel démon peut tuer n'importe quel humain. Mais c'est injuste! Ils nous ont créés! Nous leur rendront leur puissance, nous en feront des alliés avec lesquels ils faut compter, non pas des infirmes qu'il faut aider en toutes circonstances! Et ceux-là qui atteindront notre puissance seront ceux qui ont le plus d'imagination pour prendre conscience de ce qui s'offre à eux! »
Le roi, fit encore une pause, observant fixement les quelques visages abasourdis en face de lui. Ils n'en menaient pas large... Yusuke, Kuwabara et Atsuko ne semblaient pas avoir tout compris, les autres se demandaient ce que deviendrait le monde si ce projet aboutissait. En plus, l'ambiance de cette grande salle, où tout le monde sauf eux était masqué, était largement suffisamment inquiétante pour les déconcentrer. Et la voix du roi des tengus, et son expression, étaient les plus nobles qu'ils avaient entendues. Jamais ils n'auraient osé l'interrompre. Même Atsuko ne chantait plus depuis qu'ils étaient entrés dans la salle, et Pouh ne bougeait pas d'une plume.
« La différence entre nous deux, seigneur Koemma, est que vous n'avez pas confiance en ce qu'ils pourront créer. Et moi, je pense que nous pouvons leur accorder un essai, au moins... Un nouveau monde avec de nouvelles forces. Nous ne craignons pas la mort, nous nous effacerons s'il le faut, mais nous ne pourrons supporter plus de siècles d'ennui, de stagnation et d'impuissance que nous n'en avons déjà vécu. De plus, nous vous considérons comme l'instigateur de cette nouvelle route! Vous êtes celui qui a le premier brisé l'ordre établi! Nous aurions tellement aimé que vous puissiez suivre notre action. Malheureusement, je vois que c'est impossible... »
Koemma se redressa fièrement « Vous avez vu juste! Jamais je ne laisserai tuer tant d'humains pour des raisons aussi contingentes que les votres! Je me vois forcé de vous demander de cesse votre rituel, sinon... »
« Sinon quoi? Sinon ce sera la guerre, c'est bien ça. Vous disiez que c'était justement ce que vous tentiez d'éviter. Vous le pensiez, même, à ce moment, mais votre pensée peut être parfois assez incohérente... Nous ne faisons rien d'illégal ; nous ne lançons aucun sort qui fasse du mal aux humains que vous protégez. Je veux bien que vous soyez contre nous, mais nous ne faisons rien contre vos règles, et nous sommes dans notre bon droit. Désolé seulement de ne pas povoir vous compter parmi nos amis." Son sourire était légèrement sarcastique et exprimait le mépris. "Nous ne voulons pas la guerre, nous non plus, aussi permettez-nous de vous garder ici jusqu'à ce que notre sortilège soit achevé... Je sais bien que dès que vous serez rentré dans votre royaume vous lèverez une armée contre nous, et nous ne désirons pas ce genre de problème » Son sourire était maintenant large... Les craintes de Koemma se réalisaient, il répondit cependant calmement :
« Nous n'avons pas l'intention de vous trahir... »
Le regard du roi des tengus se durçit.
« Vous mentez! Vous me mentez encore! Vous pourriez au moins avoir le courage de vos opinions, Seigneur Koemma. »
Koemma n'en menait pas large, il ajouta cependant « Pourquoi n'avez-vous donc pas confiance en ma parole? »
Le roi des tengus ricana.
« On ne vous a jamais dit, Seigneur Koemma, que les tengus pouvaient lire dans les pensées? »
Koemma tressaillit. le roi reprit « Ce n'est pas tout à fait vrai, toutefois. la vérité est que nous pouvons lire sur les visages. Voilà pourquoi nous portons généralement des masques, sauf dans les déclarations solennelles comme celle-ci. Dans certaines situations, cela pourrait devenir... quelque peu embarrassant. »
« Je vais vous proposer un marché, Seigneur Koemma ; un des notres essaiera de lire vos pensées. S'il y parvient, vous resterez prisonniers ici jusqu'à ce que notre rituel soit terminé, en punition de votre mensonge. Vous serez bien sûr libre d'aller combattre les nouvelles créatures une fois que tout sera fini. Si vous réussissez à lui dissimuler vos pensées, je vous libèrerai. »
Koemma ne pouvait accepter d'être emprisonné par un démon, qui avait commencé les hostilités qui plus est. Il lança une barrière de protection autour de lui et des jeunes filles, tandis que Yusuke, Kuwabara, Kurama et Hiei couraient jusqu'à trône royal, tellement rapides qu'ils esquivaient les gardes comme si de rien n'était, et se préparaient à prendre le roi en otage.
Il n'y avait déjà plus que le maître de cérémonie et le guerrier aux cheveux verts entre eux et le roi. Mais quand ils voulurent le menacer de leurs épées, ils se rendirent compte qu'ils étaient complètement paralysés.
Un jeune homme pâle - un humain, qui ne portait d'ailleurs pas de masque - sortit de derrière le trône, en disant d'une voix neutre :
« Ceci est mon territoire. Vous ne pouvez pas attaquer à l'intérieur. »
« Eh merde, pensa Yusuke - et il savait maintenant que presque tout le monde dans l'assistance savait ce qu'il pensait - ça recommence! Ces gens m'ont toujours fait chier avec leurs territoires. » Il semblait bien, en effet, que toute attaque soit vouée à l'echec. Le roi des tengus s'adressa encore une fois à Koemma :
« Vous avez des humains dans notre camp. Nous aussi. Ce n'est pas ainsi que nous déciderons laquelle de nos deux causes est juste. Je vous le demande encore une fois, vous livrerez-vous à la petite épreuve dont nous vous avons parlé? »
C'est la seule solution, pensa Koemma. Je n'étais pas prévenu, mais je pense que je peux rendre mon visage suffisamment impassible pour qu'il ne puisse plus lire dessus. J'ai peur pour les autres, cependant, j'espère qu'il ne leur fera pas de mal. « J'accepte » annonça-t-il, en lançant aux autres un regard qu'il espérait convaincant.
Ils furent emmenés, accompagnés par le maître de cérémonies, le guerrier aux cheveux verts, le jeune humain et quelques autres, vers un luxueux salon où ils pourraient se préparer à l'épreuve.
