« Bien, il est temps de réfléchir à un moyen d'empêcher ces sales bêtes de lire dans nos pensées. » dit Koemma. Il résumait très bien le sentiment général. Shizeru demanda :

« Mais pourquoi nous ont-ils laissés discuter entre nous avant de commencer? »

« Ils doivent être sûrs d'eux - c'est bien ça qui me fait peur. Ils essaient de nous montrer ostensiblement qu'ils ont mis toutes les chances de notre côté. »

Ils discutèrent quelques instants sur la meilleure manière de dissimuler ses sentiments, mais ils n'avaient aucune idée de l'amplaur du pouvoir des tengus. Seuls ne participaient pas à la conversation Hieï et Atsuko. Cette dernière avait découvert dans un des placards de la chambre une bouteille d'alcool de riz et Yusuke avait renoncé à essayer de l'empêcher de boire.

Peu de temps après, le maître de cérémonie entra, accompagné toujours par les deux jeunes hommes. Et il leur demanda de venir, un par un, pour passer l'épreuve. Ce qui échouaient seraient enfermés dans le palais - les autres pourraient regagner leur monde. Koemma partit en premier, puis Kuwabara, puis Yukina, puis Kurama, puis Hieï, puis Botan. Enfin ce fut le tour de Shizeru, dont le coeur se mit à battre très fort. Bien entendu, on ne leur avait rien dit sur le sort de ceux qui étaient partis avant eux.

Elle fut conduite dans une petite pièce et invitée à s'asseoir. Cette pièce était comme le reste du château une merveille de beauté, contrastant rudement avec l'impression d'enfermement qu'elle éprouvait à ce moment-là. Les deux tengus enlevèrent leurs masques - une preuve de politesse, d'après ce qu'elle en avait compris. En tout cas, celà ne lui serait pas d'une grande utilité. Oui, elle avait elle aussi une partie de ce don de lire les sentiments sur les visages, non pas par magie, mais par empathie et observation. Cependant, là c'était elle qui allait être testée, et même comprendre tout ce qu'ils pensaient ne lui servirait à rien.

Le maître de cérémonie ressemblait à un homme d'une quarantaine d'années, au front haut, aux yeux intelligents, et avec un léger sourire sur le visage. L'homme à l'épée... était encore très jeune, d'une grande beauté, et il avait de magnifiques yeux noirs. Shizeru s'étrangla en se rendant compte qu'il savait sans doute exactement ce qu'elle était en train de penser de lui à cet instant, et lui en voulut très fort. Elle essaya de garder une contenance, et de se composer un visage absolument neutre.

"Ne pas penser... à quoi que ce soit..." Le maître de cérémonie lui dit « Vous pouvez essayer de ne penser à rien, vous savez, ce n'est pas ce qui changera l'issue de la séance. Cela risquera par contre de la rendre beaucoup moins intéressante... »

« Elle ne semble pas très dangereuse... Puis-je m'en aller? » Le maître de cérémonie asquiesça et le jeune homme pâle quitta la pièce.

« Vous pensez qu'il était donc juste là pour vous empêcher de nous attaquer. Et qu'il est bien dommage que vous n'ayez jamais appris le combat. »

« Vous pensez que nous n'avons pas besoin de nous inquiéter, que la proximité d'une aussi grande épée suffirait à vous dissuader de toute tentative d'évasion. »

« Vous vous demandez comment un humain a pu rejoindre nos rangs. Il n'est pas le seul, vous savez? » rajouta-t-il, changeant de voix un instant.

« Vous pensez que la voix doctorale que je prends au cours de cette séance vous exaspère. »

« Et plus encore ce que je dis. »

« Vous essayez de vous rappeler les méthodes auxquelles vous avez pensé pendant que les autres étaient ici. Vous savez déjà qu'aussi impassible que vous essayiez de rester, celà ne marche pas. »

« Vous pensez qu'en essayant de prendre une expression tout à fait opposée à ce que vous pensez, celà marcherait peut-être. Ou en faisant les grimaces les plus affreuses que vous puissiez imaginer, peut-être. »

Shizeru était en effet en train de rouler des yeux abominables et de se tordre la bouche dans tous les sens, tout en cherchant désespérément quelque chose à quoi penser qui ne soit pas trop évident.

« Vous pensez que votre voisin a des sourcils abominables. »

« Vous pensez que les cinq continents sont l'Asie, l'Amérique, l'Europe, l'Océanie et l'Afrique. »

« Vous pensez que 6 multipliés par 7 font 42. »

« Vous vous demandez comment je peux lire quelque chose d'aussi compliqué sur un visage. »

« Vous pensez que ça doit être de la vraie télépathie et que cette mise en scène est une vaste farce. »

« Vous pensez que dans le dernier livre que vous avez lu, le héros a une boucle de cheveux de l'héroïne qu'il garde précieusement. »

« Vous pensez au mot "hétéroclite". Vous vous concentrez sur ce mot. »

« Vous pensez que je peux vraiment deviner tout ce que vous êtes en train de penser. »

« Vous essayez de ne pas pleurer, parce que vous détestez pleurer devant quelqu'un. D'ailleurs, cela fait plus de cinq ans que cela ne vous est pas arrivé. »

« Vous me haïssez. »

« Vous pensez que tout est fini. »

Shizeru s'effrondra dans son siège, se mordant les lèvres pour ne pas avoir lm'air désespéré, tandis que le jeune tengu aux cheveux verts se préparait à la ramener chez elle. Le maître de cérémonie dit encore : « Vous demandez que quelqu'un vous vienne en aide - quelqu'un ou quelque chose - n'importe qui »

C'est alors qu'une boule de feu sortit de la main de Shizeru et fondit vers le jeune tengu. Ce dernier l'esquiva mais eut tout de même le bout des cheveux roussis. Les deux regardèrent Shizeru d'un air abasourdi.

« Nous vous ignorions ces pouvoirs, jeune fille... »

« Apparemment, vous vous les ignoriez aussi... Mais il faut bien que les humains à qui nos sorts ont apporté des pouvoirs les découvrent un jour ou l'autre... Faire quelque chose sans y avoir pensé, c'est bien le genre de comportement que seuls les humains semblent capables de suivre... Mais étant donné que nous n'avons même pas pu esquiver votre attaque, nous ne pouvons pas vraiment dire que nous soyions capables de comprendre vos pensées. »

« Vous êtes libre. Nous allons vous conduire dans un endroit où les autres viendront vous rejoindre, s'ils réussissent cette épreuve aussi brillament que vous. »

Shizeru se sentait d'un seul coup merveilleusement remontée. Comme dans un rêve, elle suivit le jeune tengu aux cheveux verts ver l'endroit où il la menait. En sortant de la pièce, elle se retourna, et prononça, en imitant la voix froide avec laquelle le maître de cérémonie avait parlé pendant toute la séance : « Vous êtes horriblement vexé. »

Elle était sûre de l'avoir vu grimacer à sa réplique.

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Shizeru marchait dans le couloir, en se demandant si elle retrouverait les autres là où on la conduisait. Elle craignait que non. "Bien sûr, c'est vrai qu'ils sont très forts." se dit-elle, puis elle regretta d'avoir pensé ça devant le tengu qui l'emmenait. "Je ne veux pas qu'il me voie!" et elle essaya de rester derrière lui, de tourner le visage dans l'autre sens, mais il ne semblait pas vouloir la quitter des yeux. Elle serra les poings. C'est alors que le tengu lui tendit un masque, le sien, qu'il n'avait pas encore remis. Elle l'accepta avec un grand plaisir.

"Enfin, je peux le regarder tranquille!" Elle nota chez lui un respect bien plus grand que quand la séance "d'interrogatoire" avait commencé. "Voilà ce que c'est, quand on vit parmi des gens qui lisent sur les visages et que de toute façon on porte un masque quand on veut, on n'apprend même pas à dissimuler ses émotions un minimum comme nous. Maintenant, les rôles sont inversés, c'est moi qui peux savoir ce qu'il pense - presque." corrigea-t-elle.

"C'est vrai qu'il est joli... encore mieux que Kurama..." pensa-t-elle. Elle avait pensé mourir de honte quand ces pensées l'avaient effleurée devant eux tout à l'heure, elle se rattrapait maintenant, avec une grande satisfaction. "Il faudrait que je m'achète ce genre de masque pour la vie de tout les jours" pensa-t-elle en plaisantant. "En tout cas c'est stupidement généreux de sa part de me l'avoir donné."

Elle reprit son sérieux et se demanda ce qu'ils allaient pouvoir faire contre les tengus. Elle se repassa dans la tête leur plan. Donner des plus grands pouvoirs aux humains, et faire naître des démons et des dieux encore plus puissants que ceux qui existent actuellement... Ça ressemble à un mauvais film de science-fiction. D'un autre côté, elle n'était pas sûre de ne pas aimer les mauvais films de science-fiction. Ainsi elle pouvait lancer des boules de feu... Elle avait toujours eu quelques pouvoirs, mais jamais ce genre-là, c'était réservé à son frère et aux autres.

Ils marchèrent encore longtemps dans ce palais labyrinthique avant d'atteindre leur but : la pièce où elle attendrait les autres. Ses craintes se confirmaient : il n'y avait personne d'autre qu'elle. Elle repassa dans sa tête les gens qui restaient après elle. Hum... peu de chance. Ele allait donc se retrouver toute seule. Et ensuite?

Le jeune tengu la laissa, et elle se demanda encore ce qu'elle allait faire. Trouver sur terre des gens qui avaient des pouvoirs, développer les siens, et ensuite? Lutter contre les créatures les plus maléfiques parmi celles qui allaient être créées? Elle se rendit compte que non seulement elle raisonnait comme son frère, mais en plus elle raisonnait dans le sens du roi des tengus - c'était ce qu'il voulait. C'est contre lui qu'il fallait agir. Mais ses pouvoirs étaient clairement insuffisants pour lui permettre d'attaquer. Non, c'est ce qu'il fallait faire. Trouver des alliés chez elle. Aller voir Hinageshi ou quelqu'un d'autre. Elle connaissait quelques démons maintenant. Et des humains qui avaient eu des pouvoirs magiques. Puis revenir pour délivrer les autres. Et laisser Koemma finir comme il fallait.

Shizeru essaya de relancer du feu, consciemment cette fois-ci.

Ce n'était pas facile.

Il apparut qu'elle pouvait parfaitement produire une flamme de la taille de celle d'une allumette. Pour ce qui était des grosses boules de feu, c'était autre chose. Elle continua à s'entraîner. Celà faisait passer le temps, c'était toujours mieux que de s'inquiéter sur ce qui allait arriver aux autres.

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Soudain, la porte s'ouvrit, et le maître de cérémonies, le tengu aux cheveux verts et le jeune homme pâle - Shizeru continuait à les appeler comme ça dans sa tête, elle ne connaissait toujours pas leurs noms - entrèrent dans la pièce. Ils étaient accompagnés par... Atsuko!

« Mais le hérisson, lui... » braillait-elle d'une voix enrouée. Shizeru la regarda avec étonnement. Puis elle remit le masque qu'on lui avait laissé, en se maudissant de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le maître de cérémonie lui dit d'une voix sèche :

« Vous êtes les deux seules à avoir réussi l'épreuve » "Il pense que c'est beaucoup trop. Je le sens rien qu'au ton de sa voix. Il devrait savoir que son masque ne le protège pas de tout. Je suis plus forte que lui maintenant" « Nous allons vous téléporter jusque chez vous » "Ah non! Pas nous téléporter! Nous ne pourrons pas savoir comment revenir après! Il faut que je revienne, pour les autres!"

"Je ne sais même pas où nous sommes... Mais même si c'est dans le Makaï, je trouverai toujours quelqu'un qui me dira où nous sommes, et je pourrai revenir" « Ne vous fatiguez pas! Pourquoi ne nous indiquez-vous pas simplement le chemin? » demanda-t-elle.

Le maître de cérémonies étouffa un rire - un rire volontaire. « Vous auriez des difficultés à le suivre. »

"Je le hais. Je le hais, pensa Shizeru. L'autre, l'humain, m'empêche de les attaquer, même si j'arrivais à lancer une boule de feu. Mais ils ne peuvent pas nous attaquer non plus. Et tous les couloirs qu'il y a dans ce palais... C'est jouable." Shizeru bondit vers eux, et saisit Atsuko par le bras. Elle réussit à tourner le couloir avant que les trois autres ne se soient encore rendu compte de ce qui était arrivé, et comme il lui semblait s'en souvenir, les tours et détours étaient innombrables dans ce palais. Elle tourna à droite - puis à gauche - puis prit un escalier. Atsuko la suivait sans trop comprendre, apparemment. Déjà, le nombre d'embranchements avait été tellement grand qu'ils ne pourraient les rattraper que s'ils les entendaient - ou s'ils avaient beaucoup de chance. Elle s'immobilisa. Aucun bruit. Leur ouïe ne lui avait pas semblé plus développée que la normale. "J'ai encore une chance"