REBIRTH
PART 5
( par Dark Angel )
La roue du destin était lancée.
Quoiqu'il arrive, leur avenir était scellé.
Après un bon quart d'heure de marche, Subaru sentit son pas se ralentir. Hébété, il regarda autour de lui et s'aperçut qu'il se dirigeait droit vers l'hôpital.
Droit vers Seishirô.
Ou plus précisément dans les bras de Seishirô.
Il sentit ses yeux le brûler, ses lèvres trembler. Qu'allait-il lui dire? Il était sûr que sa faute était inscrite sur son visage. Sa faute? Mais il n'était pas vraiment le petit ami du vétérinaire, non? N'était-il pas normal pour un adolescent de son âge d'avoir succombé au charme d'une femme mûre?
Une douleur vrilla ses tympans et il porta ses paumes moites contre ses tempes. Tout s'embrouillait dans sa tête. Les sentiments, l'affection qu'il portait envers le jeune homme n'étaient-ils que mensonges dans ce cas? Ou alors était-ce envers Nao? Il était sûr d'aimer Seishirô! Et... Nao.
Il ferma les yeux, toutes ses pensées cohérentes semblant s'évanouir dans la nature ainsi que sa raison. Il respira à fond plusieurs fois de suite, tentant de calmer ce tourbillon chaotique. Quelque chose le titillait dans le coin de son esprit. Il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Pourtant cette information -ou plutôt l'absence de cette information- lui semblait capitale.
Flou. Force. Attraction. Il y était presque.
Malheureusement, le visage de Seishirô apparut dans un flash et il perdit le fil tenu sur lequel il travaillait.
Une boule se forma dans sa gorge et il reprit son chemin plus lentement.
Mon Dieu! Mais qu'allait-il lui dire? Et comment allait-il lui dire?
Prendre une attitude décontractée et lancer tout de go: " Salut Sei! Comment ça va? Au fait, tu sais quoi? Je ne suis plus puceau! Je viens de passer la nuit avec ta remplaçante. C'était fabuleux!" Ou plus crûment: " Ben, mes hormones me titillaient alors j'ai couché avec elle. C'était juste sexuel. Tu sais bien que c'est toi que j'aime Seishirô!" Tout compte fait, mieux vaut lui cacher la vérité. Cela serait plus simple. Il s'arrêta complètement, effaré par ses propres propos intérieurs.
Que lui passait-il par la tête? Il n'était absolument pas dans ses habitudes de mentir et de tricher sur ses sentiments et ceux d'autrui de cette manière. De les manipuler aussi honteusement dans l'espoir de couvrir ses méfaits. Le jeune homme tira une mine dégoûtée envers lui-même. Non. Il devait dire la vérité. Et toute la vérité. Mais si cela devait le faire souffrir. Les faire souffrir.
Il releva la tête d'un air décidé. Oui. C'est ce qu'il devait faire quoiqu'il en coûte.
Il fut interrompu dans son monologue intérieur par la présence soudaine d'une aura maléfique tout près de lui. Il se tint sur ses gardes.
Une boule d'énergie pure et sans nulle doute occulte, fila droit sur lui et il l'évita de justesse. Heureusement qu'il avait de bons réflexes!
Alors qu'on l'attaquait de nouveau, cette fois-ci sur le flanc, il vit un immense oiseau se dessiner dans la faible clarté de la rue, venir à toute vitesse dans sa direction. Subaru se mit en position de défense. Mais l'animal majesteux passa au-dessus de lui en un long cri pour s'enfoncer dans les ténèbres d'une ruelle où une faible lueur avait fait son apparition.
L'aura sembla se dissiper. Pourtant l'onmyoji avait reconnu la nature de cette créature surréelle.
" A qui appartient ce Shiki? songea Subaru. Il me semble l'avoir déjà vu..."
Distrait, il ne sentit pas l'ombre bouger dans son dos et le frapper par derrière. Il fut inconscient avant même que sa tête ne touche le sol dur. Elle se posta près du jeune homme et attendit.
*
- Il est vivant?
- Bien sûr! Il est juste un peu abîmé. Mort il ne nous sert à rien.
- Je le sais bien. Mais tu as porté un coup assez brutal.
- Je sais ce que je fais.
- Crois-tu qu' IL va venir?
- Le contraire m'étonnerait. Il n'a plus le choix. J'ai assez joué avec sa poupée.
- Ne dis pas çà! C'est... révoltant! Il est si beau, si pur...
- La pureté ne dure jamais. Elle est éphémère...
- Mais....
- ...?
- Sa pureté n'est pas flétrie. Regarde son visage, les courbes de son corps, tant d'innocence encore en lui...
- Elle est souillée. JE lui l'ai souillée!
- Non. Tu as à peine touché son être. Je le sens. Comment un être si pur peut-il exister? Et le fréquenter LUI?
- N'est-il pas son jouet? Ne l'a-t-il pas perverti?
- Son esprit est intact. Son aura est vraiment puissante...
- IL approche.
- Déjà? (moue boudeuse) Je voulais encore l'admirer. Mon si bel ange...
- Oui. Subaru est si mignon... Il l'a toujours été d'ailleurs. Je me souviens...
*
En un éclair, le Sakurazukamori eut la poitrine comprimée et la bouche sèche.
Son Shiki lui avait transmis une information: Subaru était en danger!
Sans plus attendre, il mit ses vêtements civils, son grand imper noir, pour enfin sortir de sa chambre et de l'hôpital en un temps record. Il sauta de toit en toit, son oeil manquant ne semblant pas le gêner dans la justesse de ses bonds et de ses atterrissages, suivant sans faillir les ondes magiques qu'il captait jusqu'à sa destination finale.
La scène qui se joua devant ses yeux l'hérissa au plus au point: Subaru face contre terre, inconscient, tandis qu'une silhouette incontestablement féminine caressait le jeune corps endormi, remontait le long du dos jusqu'au cou qu'elle frôla quelques secondes avant de passer un pouce insolent entre les lèvres entrouvertes et d'en dessiner les contours tout en chuchotant des paroles incompréhensibles.
Un voile blanc passa devant ses yeux et tout ce qu'il sut l'instant d'après, c'est qu'il avait enserré la main profanatrice d'une poigne de fer et qu'il avait repoussé violemment la femme contre le mur, derrière eux. Il souleva délicatement le jeune médium dans ses bras, rassuré de sentir la chaleur de l'adolescent contre lui.
- Subaru, murmura-t-il d'une voix douce.
Les yeux de l'onmyoji papillotèrent, tentant de focaliser son regard sur le beau visage racé qui se penchait au-dessus du sien. Seishirô vit les pupilles vertes se troubler, se brouiller avant d'afficher une culpabilité mortelle, espérant par ce biais expliquer la faute qu'il avait commise et le remords qui l'assaillait à grandes vagues.
- Sei...shi...rô... souffla-t-il avec peine, d'une toute petite voix.
L'oeil droit de l'assassin vira au dorée quand il comprit de quoi voulait lui "parler" son compagnon. Immédiatement, il fusilla du regard la femme brune qui se relevait lentement, un petit sourire moqueur aux lèvres.
La tête de Subaru retomba mollement en arrière, de nouveau évanoui. Il le porta jusqu'au trottoir d'en face où il le cala confortablement avec son imper. Du bout des doigts, il dessina les contours du visage pâle du jeune homme, sans en toucher la peau avant de pousser un léger soupir -de soulagement?- avant de se redresser et de se tourner vers celle qu'il présumait être Nao.
- Le Sakurazukamori... enfin, dit-elle soudain, presque extatique.
- Lui-même. Mais vous ne vivrez pas assez longtemps pour me connaître.
- Je vous connais déjà. Elle vous connaît déjà.
- Je ne vous ai jamais vu, répondit-il en fronçant les sourcils.
- Moi oui. Dans mes rêves. Nous vous avons déjà vu à l'oeuvre Monsieur Sakurazuka...
- Qui êtes-vous?
- Je suis Nao. Et moi je suis Atsuko.
Seishirô tilta en entendant la deuxième voix féminine qui sortait du corps qui lui faisait face.
- Atsuko?
- Vous souvenez-vous de moi mon cher assassin? J'attendais ce moment depuis si longtemps...
Le Sakurazukamori sentit un corps menu et froid contre lui, dont la vie s'en allait peu à peu au rythme du sang rouge qui coulait le long de la blessure mortelle, une chevelure au doux parfum de pomme verte qui lui chatouillait la joue, alors que seuls les bruissements des branches du cerisier troublaient le silence presque religieux du moment.
Il n'était qu'un adolescent à l'époque.
Elle, une enfant.
Il était son meurtrier.
Elle était sa première proie. Son baptême du feu. Le premier sang inconnu.
Il n'avait rien ressenti. Un objet que l'on brise et que l'on jette. Le premier d'une longue liste.
- Atsuko, répéta-t-il, sachant enfin à qui il avait à faire.
- Oui, c'est moi. Je suis bien là, de nouveau en face de vous après toutes ces années.
- A quoi bon répéter cette scène, mon enfant? questionna-t-il d'une voix presque paternelle. Vous savez parfaitement que l'issue sera la même que la première fois. D'ailleurs, que voulez-vous de moi? Vous venger? Cela ne sert à rien. Vous ne me vaincrez pas. Vous savez qui je suis. Et pourquoi vous en prendre à Subaru?
Nao/Atsuko avança d'un pas, le regard brillant.
- Je voulais prendre quelque chose d'important à vos yeux. Votre proie. Car vous ne supportez pas que quelqu'un d'autre touche à votre proie n'est-ce pas?
- Vous l'avez ensorcelé! S'il avait eu le libre arbitre, il ne se serait jamais vautré dans un lit avec vous. Même si vous étiez la dernière femme sur terre.
- Qu'importe. Vous n'êtes pas le premier. Vous ne le serez jamais!
Le Sakurazukamori éclata d'un rire grinçant.
- Que vous dites! Je l'ai déjà goûté. Son sang, son essence. Quoique vous auriez fait, rien n'aurait entaché sa pureté. Je l'ai préservée pour le jour de notre promesse. Mais cela ne vous regarde pas. Après tout, vous n'êtes qu'une enfant!
- Je suis une femme! Mon corps d'origine était en effet celui d'un enfant, mais mon esprit a grandi et mûri dans cette enveloppe, comme si c'était le mien. Cela aurait pu être le mien... termina-t-elle d'une voix un peu triste.
- Comme c'est pathétique!
- Je ne vous permets pas! cria-t-elle, le regard un peu fou.
Elle leva le bras d'un mouvement sec et l'attaque magique qui en résulta propulsa Seishirô plusieurs mètres plus loin dans la rue. Il se remit sur pied très vite, un sourire joyeux plaqué sur le visage.
- Vous n'êtes que des gamines...
Tout en disant cela, il sortit cinq cartes noirs qu'il plaça devant lui. Suspendues dans les airs, elles formèrent un pentacle à l'envers. Maintenant, le jeune homme était protégé contre tout assaut occulte. On ne pouvait pas passer ses barrières défensives aussi facilement que ça. Seul un chef de clan tel que Subaru pourrait y arriver. Et encore, il en doutait.
La jeune femme se rapprocha en faisant des petits bonds, son corps irradiant des sentiments tels que la haine, la vengeance, la colère mais aussi le dépit ainsi que quelque chose d'autre dont il eut du mal à définir l'origine. Toutes ces émotions qu'elle possédait étaient doublement décuplées par l'habitation de ces deux esprits dans un même corps. Mais elles étaient aussi son point faible.
- Vous n'êtes qu'un monstre! lança-t-elle en tentant de renouveler le geste qu'elle avait réalisé précédemment. Cela n'eut aucun impact sur le mur du médium.
- Je ne comprends pas pourquoi vous avez laissé cet être répugnant vous posséder...
- Elle était mon sang! Elle était ma famille! Elle était tout ce qu'il me restait et vous me l'aviez enlevé! Pour cela, vous deviez payer!
- Je vois. Vous avez utilisez le sort de la résurrection des morts mais n'ayant pas une enveloppe corporelle à disposition, vous lui avez proposé le vôtre...
- J'ai accepté car si j'avais refusé cela... j'aurais errée dans les limbes pour l'éternité sans aucun espoir d'avoir mon âme reposer en paix. Tout est arrivé par votre faute!!
Seishirô secoua la tête, lentement.
- Non, répliqua-t-il posément. Tout est arrivé par votre faute, par votre sentiment égoïste de vengeance par-delà la tombe. Il vous suffisait d'embrasser la clémence divine... Maintenant vous mettez en danger votre soeur aînée ainsi que vous-même. De nouveau.
Il les fixa du regard, perçant de son oeil unique les deux femmes, voyant à travers elles.
- Sachez que je n'aurais aucune pitié. Vous mourrez toutes les deux. Ensemble.
Nao/Atsuko prit un bout de verre sur le sol, s'entailla la peau tendre de son poignet avant de tracer un mot en sanscrit sur le dos de sa main. Elle tendit le bras et ses doigts éffleurèrent le barrière de son adversaire.
- Je ne pense pas. En vous tuant, nous nous approprierons vos pouvoirs et votre réputation. Nous serons le nouveau Sakurazukamori.
Le jeune homme ne fit aucun geste pour empêcher la progression de l'ensorceleuse. Les premières phalanges passèrent la protection magique. Il ne sembla pas s'en inquiéter et un rictus victorieux commença à poindre sur ses lèvres rouges.
- C'était donc cela que vous complotiez depuis le début. En y associant votre... vengeance, vous pensiez faire de deux pierres d'un coup. Habile, je l'admets. Mais cela ne suffira pas, je le crains.
Au moment même où la main entière passait au-travers de la barrière, elle se désintégra.
Les deux femmes hurlèrent ensemble, tenant le moignon ensanglantée contre leur poitrine en reculant de quelques pas.
- Vous...! cracha Atsuko, pleine de fiel.
- Si vous étiez mieux préparée sur ce genre de choses, vous sauriez que ce pentacle n'est pas seulement utilisé pour la défense, déclara-t-il tranquillement. A chaque fois que vous essaierez de la traverser, vous disparaîtrez...
Il s'avança, souriant. Mais cela n'atteignit pas son regard. Il n'était plus qu'à quelques centimètres.
- Vous n'êtes que des amateurs.
Le visage de Nao/Atsuko se figea de surprise.
- Vous ne valez même pas l'honneur que je me batte contre vous, chuchota-t-il près de leur oreille.
Du sang coula et tomba à grands flots sur le sol betonneux.
- Vous ne méritez pas de vivre.
Sa main transperçait de part en part le corps de la femme. Il la retira lentement, emportant avec elle le coeur encore chaud qui palpitait. Il posa l'autre derrière la lourde chevelure brune.
- Vous ne l'avez jamais eu.
Sur ces mots, il broya les os crâniens de Nao, faisant éclater cervelle et cervelet en un geste.
Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent comprenant enfin qu'elle était morte de façon encore plus atroce qu'il y a dix ans. Le Sakurazukamori la lâcha et elle tomba lourdement à terre, dans une mare de sang et de matière grisâtre.
L'assassin se baissa et s'essuya les mains sur les vêtements du cadavre. Puis, il attendit.
Lorsque les deux âmes défuntes se profilèrent, des mots de pouvoir s'enroulèrent autour de ses lèvres sensuelles tandis que ses mains dessinèrent un schéma compliqué à leur encontre. Les deux fantômes, muets de terreur, comprirent que leur calvaire n'était pas terminé.
- Ca, c'est pour avoir osé touché à mon Subaru...
Des rubans d'énergie les encerclèrent et enserrèrent dans leur douce froideur les corps immatériels et tremblants de plus en plus violemment. Un gouffre noir s'ouvrit sous leurs pieds et Nao et Atsuko furent aspirés vers le fond en un hurlement silencieux. Le néant s'occuperait d'elles pour l'éternité.
Tout était fini.
Sans jeter un seul regard en arrière, Seishirô s'en alla retrouver le doux corps chaud de sa proie préférée.
A SUIVRE…