Malédiction

Le week-end était morne et ennuyeux. Il n'arrêtait pas de pleuvoir. Ginny tournait en rond dans la Salle Commune comme un lion en cage. Harry avait encore disparu. Hermione était plongée dans un énorme livre d'Arithmancie. Ron prenait un malin plaisir à battre Dean aux échecs. La petite dernière des Weasley se surprit à regretter la présence de Fred et George. La Salle Commune était beaucoup trop calme depuis leur départ.

Elle monta dans son dortoir avec la vague idée de continuer le roman qu'elle avait commencé à lire dans le train, en venant. Elle fit la grimace en trouvant la chambre occupée par Juliet, Susie et Andrea qui papotaient et gloussaient bruyamment. Adieu, tranquillité. Pourquoi n'allaient-elles pas faire ça ailleurs ?

Les trois filles cessèrent brusquement de parler en voyant Ginny entrer dans la pièce. Elles lui jetèrent des regards en coin, puis se remirent à parler tout bas. Ginny les ignora, alla jusqu'à sa malle, et en sortit son manteau. Pluie ou pas pluie, elle allait faire un tour dehors. L'atmosphère du château devenait franchement étouffante. Après réflexion, elle décida de prendre aussi son balai.

En quittant la pièce, elle entendit la conversation des trois commères de service qui reprenait de plus belle.

-…complètement folle…

-…voler sous la pluie…

-…pauvre fille…

-…pas une noise en poche…

Quel dommage qu'elle ne puisse pas glisser une araignée ou deux dans leur lit, songea Ginny en descendant l'escalier du dortoir. Elle se ferait prendre aussitôt si elle faisait une chose pareille. Elle était toujours la principale suspecte quand quelqu'un faisait une mauvaise blague aux trois potiches. Allez donc savoir pourquoi…

Elle traversa la Salle Commune d'un pas rapide. Ron leva les yeux de son jeu d'échec.

-Tu sors ? Remarqua-t-il. Tu ne devrais pas, il pleut et…

-J'avais pas remarqué, fit-elle avec mauvaise humeur sans s'arrêter.

Elle claqua le portrait derrière elle sans écouter les protestations outragées de la grosse dame. Si seulement ils pouvaient tous arrêter de la traiter comme une gamine ou une folle…

Elle respira profondément en arrivant enfin dehors. Le froid et la pluie la firent frissonner, mais au moins ici elle ne se sentait plus aussi oppressée. Elle enfourcha son balai et décolla. L'ivresse du vol la prit, comme chaque fois. Les ridicules soucis de Ginny, élève de cinquième année, restèrent bêtement collés par terre pendant qu'elle s'élevait, folle de joie, au milieu du vent et des nuages.

Elle ne redescendit que trois heures plus tard, trempée jusqu'aux os, épuisée et ravie. Avant d'entrer dans le hall, elle essora sa robe de sorcière et ses cheveux roux. Elle rentra avec satisfaction dans les couloirs chauffés, car elle grelottait de froid.

-Hey ! Salut, dit une voix familière derrière elle.

-Salut Luna, répondit Ginny en se retournant. Ca va ?

-Comme d'habitude, fit cette dernière en haussant les épaules.

-C'est cette nuit, ajouta Ginny en baissant la voix. Tu viens avec nous ?

-Bien sûr, répliqua Luna avec un sourire. A ce soir.

Elle tourna les talons et partit sans un mot de plus.

Ginny retourna dans sa Salle Commune définitivement de meilleure humeur qu'elle en était partie. Peut-être pourrait-elle glisser un mille-pattes dans le sac d'Andrea pendant l'Histoire de la Magie lundi matin, songea-t-elle, rêveuse. Tant pis si elle avait une retenue, ça en valait bien la peine… Elle décida de faire ses devoirs tout de suite, et remonta dans la chambre pour prendre ses affaires et poser son balai.

Hermione travaillait toujours, au beau milieu d'une montagne de livres et de parchemins, l'air très concentré.

-Bonsoir, dit Ginny en s'installant avec ses propres livres. Quel matière tu travailles ?

-Défense contre les forces du mal, répondit Hermione d'une voix lasse.

-Ah… Le devoir de Lein. J'ai rédigé le mien hier soir. Alors, qui as-tu observé ?

-Une certaine Joan Parker. Serdaigle. Sérieuse dans son travail, comme la plupart des serdaigles. Mais il est évident qu'elle n'a jamais jeté un sort en dehors d'une salle de classe, expliqua Hermione, un peu irritée. Elle pourrait probablement réciter par cœur tout le bouquin de sorts et enchantements, malheureusement ça n'est pas d'un grand secours, dans un duel. Le premier coup, elle a battu un autre serdaigle dont j'ignore le nom. Elle lui a jeté un sortilège de mnemodedisca.

-Oh, fit Ginny, dubitative. Qu'est-ce que c'est?

Hermione eut un geste impatient de la main.

-Ca a un effet sur la mémoire. Pendant une durée limitée, la victime n'arrive plus à se rappeler de ce dont elle voudrait absolument se souvenir. Forcément, l'autre ne peut plus combattre, puisqu'il oublie les sorts dès qu'il veut les jeter. Magnifiquement compliqué. Typique d'une serdaigle. Elle était très fière d'elle.

-Et le coup d'après ? Demanda Ginny.

-Le coup d'après, elle est tombée face à Ernie Mac Millan. Elle était certaine de l'avoir sans difficulté, je le voyais dans ses yeux. Tout le monde sous-estime les Poufsouffle… Enfin, bref, elle a à peine eu le temps de lever sa baguette pour jeter un autre sort magnifiquement compliqué qu'elle s'est retrouvée désarmée. C'est ainsi que Joan Parker a appris à ses dépens qu'il vaut mieux être simple et rapide. Un bon expelliarmus vaut peut-être moins de points aux BUSES, mais dans un duel il peut te sauver la vie.

-C'est ce que tu vas écrire dans ton rapport ?

-Entre autres, oui. Enfin, je suppose. Je ne suis pas sûre…

-Quoi ? Fit Ginny.

Hermione jeta de discrets coup d'œil pour vérifier que personne n'écoutait, et elle baissa la voix.

-Lein m'inquiète, dit-elle. Est-ce que tu te rends compte de ce qu'elle est en train de faire ?

-Elle analyse nos aptitudes au combat, répondit tranquillement Ginny. C'est son travail.

-Sans doute. Mais dans deux ou trois ans nous ne serons plus ses élèves. Dans deux ou trois ans, un certain nombre d'entre nous fera probablement partie de l'Ordre du Phœnix, ou travaillera au ministère, ou les deux.

-Oui, et alors ?

-Et alors, dit gravement Hermione, je n'aimerais pas que des informations trop précise à mon sujet parviennent dans de mauvaises mains. C'est valable aussi pour toi, Ron, Harry, et même Joan Parker.

-Je vois ce que tu veux dire, dit Ginny, pensive. Tu-Sais-Qui pourrait se servir de ce genre de rapports pour savoir quels sont ses ennemis les plus dangereux, et quels sont ceux qu'il pourrait tenter d'intimider. Ou même de recruter.

-C'est ça.

-Mais je ne pense pas que Lein soit une espionne de  Tu-Sais-Qui. C'est une vieille amie de Dumbledore. Et puis, elle a l'air inoffensive.

-Oh, elle ne l'est pas dit vivement Hermione. Je suis certaine qu'elle ne l'est pas. Et nous avons déjà cru avoir un vieil ami de Dumbledore comme professeur, autrefois.

-Tu veux parler de ce qui s'est passé avec Fol Œil, dit Ginny en fronçant les sourcils. C'est vrai. Mais je ne crois pas que Tu-Sais-Qui retentera le même plan avec Lein. Dumbledore doit se méfier, maintenant. Il doit probablement  poser des questions innocentes à ses professeurs, histoire de vérifier qu'ils sont bien eux-mêmes, de temps en temps.

-Alors il tentera autre chose, répliqua Hermione avec le plus grand sérieux. Voldemort veut Harry, et Harry est à Poudlard. Il ne peut pas entrer à Poudlard par la force, donc il doit utiliser la ruse. Ecoute-moi Ginny, il faut qu'on soit sur nos gardes. Avec Lein. Avec tout le monde. Il va faire quelque chose. Il va forcément faire quelque chose.

Ginny hocha lentement la tête en signe d'affirmation.

-Je passerais le mot à Dean, Neville, Luna et les autres, dit-elle. On ouvrira l'œil. Comme dirait ce cher Maugrey Fol Œil : « Vigilance constante ! ».

-Si seulement cet abruti pouvait arrêter de se balader partout, tout seul dans le château, grommela Hermione pour elle-même.

Ginny regarda un moment Hermione qui déchiquetait consciencieusement un bout de parchemin, plongée dans des pensées qui ne devaient pas être particulièrement joyeuses.

-Il refuse toujours de vous parler, n'est-ce pas ? Fit-elle au bout d'un moment.

Hermione secoua la tête et poussa un soupir impuissant.

-Ron le cherche partout, dit-elle misérablement. Il a l'air fou de rage. En fait, il est fou d'inquiétude, bien sûr.

-Je le connais, dit Ginny avec une lueur malicieuse dans le regard.

-Il m'accuse de ne rien faire pour aider Harry, dit Hermione d'un ton profondément exaspéré. D'avoir renoncé à lui. Depuis deux mois, il monte des plans bidons pour essayer de le faire penser à autre chose, ou pour l'obliger à nous parler et à vider son sac. Il a même cherché s'il n'y avait pas des sortilèges d'effacement de la mémoire suffisamment puissant pour qu'Harry ne se rappelle de rien. Il ne sait plus quoi faire. Personne ne sait plus quoi faire avec Harry. On a essayé de l'entourer, on a essayé de le laisser seul. On a essayé de lui parler de Sirius, on a essayé de lui parler de quidditch, on a essayé de lui parler de la guerre, on a même essayé de lui parler de filles, on a aussi essayé de ne pas lui parler du tout. Ca ne marche pas, voilà ! Il ne va pas mieux. Qu'est-ce qu'on peut encore faire ?

Ginny resta muette. Dommage qu'il n'existe pas de mode d'emploi pour amis de Harry, parce que tout de même, cela aurait été plus facile. Il n'était vraiment pas évident à comprendre, cet imbécile-là…

-Peut-être qu'on ne peut absolument rien y changer, poursuivit Hermione avec une profonde lassitude. Peut-être qu'il faut simplement du temps. Peut-être qu'il doit être aidé par quelqu'un d'autre que nous. Ou bien peut-être qu'il ne guérira jamais, acheva-t-elle sourdement. Ca arrive, les blessures qui ne guérissent jamais.

-C'est vrai, admit gravement Ginny, mais ça ne veut pas nécessairement dire qu'on doive en mourir.

Hermione détourna les yeux et se replongea dans le livre des sorts et enchantements, sixième année. Ce qui fait qu'elle ne vit pas le voile qui était passé dans les yeux de Ginny alors qu'elle prononçait ces mots, et elle ne sut pas que la jeune fille n'avait pas seulement parlé pour Harry. La lueur de tristesse disparu aussi vite qu'elle était apparue, et Ginny se mit elle aussi au travail.

Mais au bout de cinq minutes, Hermione avait relu cinquante-trois fois la première ligne et était toujours incapable de dire de quoi ce fichu chapitre pouvait bien parler. Elle referma son livre avec un soupir.

-Parfois, dit-elle tout bas, je l'entends qui nous suis, Ron et moi, sous sa cape d'invisibilité. Il marche derrière nous, dans les couloirs. Il m'accompagne à la bibliothèque. Il reste assis près de Ron, quand il joue aux échecs. Je ne le dis jamais à Ron, quand je sais qu'Harry est là. Il essaierait de le coincer pour lui parler, et Harry ne reviendrait plus. Ca me rassure, quand je l'entends. Au moins, dans ces moments-là, je sais où il est. Depuis la rentrée, il ne dort plus au dortoir, tu sais. Neville dit qu'il l'a entendu se relever la nuit. Et depuis le jour où il a arrêté de nous parler, il ne prend même plus la peine de faire semblant de venir se coucher.

-Mais où va-t-il ? Demanda Ginny, surprise.

-Ca, c'est justement ce qui m'inquiète, soupira Hermione. Où va-t-il ?

Elle regarda encore une fois son livre, puis le referma brutalement et rassembla ses rouleaux de parchemin. Elle n'avait décidément pas la tête à travailler. Elle feuilleta tous ses papiers pour vérifier qu'elle n'oubliait rien, et trouva un bout de parchemin qui n'était pas à elle.

-C'est à toi ? Demanda-t-elle à Ginny.

-Oui, dit celle-ci en le récupérant vivement.

-Oh, fit Hermione avec un sourire. Un mot doux ?

-C'est ça, oui, répondit Ginny avec un sourire gêné.

Non, ce n'était pas ça, pensa Hermione, surprise. Ginny était trop pâle et trop mal à l'aise pour que ce soit ça. Elle n'était jamais gênée de bavarder de ses histoires de cœur avec Hermione. Mais après tout ce n'était pas son affaire, puisque Ginny ne voulait pas en parler. Elle ne posa aucune question et remonta ses affaires de classe dans sa chambre.

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Même jour, même heure, même endroit, avait-elle dit.

Harry hésita. Il hésita beaucoup. En fait, il n'avait pratiquement pensé qu'à Sophia et à sa Salle Sans Porte pendant tout le week-end et la journée de lundi.

Mais il voulait certaines réponses. Alors il décida d'y aller, juste pour poser ses questions.

Huit heures. Troisième étage. Aile nord.

Le cercle des clés. La fille des Lestrange. La maudite.

Il lui fallait des réponses.

Il vint avec une heure d'avance, pour être sûr d'arriver avant Sophia. Il resta assis près du cercle de symboles qui ouvrait la Salle Sans Porte, dissimulé sous sa cape d'invisibilité. Il gardait les yeux sur la carte du maraudeur. Si Sophia revenait, il serait au moins fixé sur son véritable nom.

A huit heures moins le quart, il la vit approcher sur la carte. Il fut soudain envahi par une sensation de profond malaise. L'étiquette indiquait Sophia.

Sophia tout court. Pas de nom de famille. Jamais la carte du maraudeur n'avait fait ce genre de chose. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer autour de cette fille ? Quel genre de magie pouvait protéger l'identité de quelqu'un contre un objet qui ne se laissait avoir ni par les capes d'invisibilité, ni par les animagi, ni par le polynectar ?

La maudite…

Elle apparut au bout du couloir. Elle marchait toujours avec la même démarche posée, la même attitude impassible.

La maudite.

Il y avait là quelque chose qu'Harry sentait sans arriver à l'expliquer. Quelque chose qui le faisait vaguement frissonner, comme lorsqu'il pensait à ses nuits en haut de la tour de Gryffondor, et à la comptine.

La comptine. Charmante, mortelle et désespérée. Paralysante, figée, mais si innocente. Quelque chose de tendre qui aurait été brisé, et n'évoquait plus qu'un tombeau.

La maudite.

-Tu es là, dit la voix glacée de Sophia.

Il rangea la carte du maraudeur et enleva sa cape.

-Comment le savais-tu ? Demanda-t-il, essayant de ne pas avoir l'air étonné.

-Tu respires trop fort, Harry Potter, répondit Sophia. Les capes d'invisibilité ne protègent que des inattentifs.

Harry se leva, un peu irrité par la leçon.

-J'ai des questions, dit-il sèchement.

-Pas ici, répondit Sophia. Avance.

Il obéit, et observa attentivement la jeune fille alors qu'elle prononçait les mots qui menaient à la Salle Sans Porte. Il ne vit aucune clé. Seulement la fine ligne rouge qui traversait le cercle central l'espace d'une seconde. Le pilier de lumière les enserra à nouveau, puis s'élargit jusqu'aux limites de la Salle Sans Porte. Ce fut seulement là, à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes, que Sophia dit :

-Je t'écoute, Harry Potter.

-Es-tu la fille de Bellatrix Lestrange ? Demanda-t-il froidement.

-Oui.

Un éclair de haine incontrôlée traversa les yeux verts d'Harry l'espace d'une seconde.

-Tu n'étais pas sur l'arbre généalogique des Black, protesta-t-il sourdement.

-Je n'y suis plus, corrigea Sophia. Depuis longtemps.

-Il y avait au moins des traces brûlées pour ceux qui n'y étaient plus, rétorqua vivement Harry. Tu mens.

-Non, dit tranquillement Sophia. J'ai simplement disparu de l'arbre généalogique d'une façon différente. Les marques brûlées correspondent à ceux qui ont été reniés par la famille. Je n'ai pas trahi et n'ai pas été reniée. Mon nom a été effacé par une intervention extérieure.

-Quelle intervention extérieure ? Insista Harry, soupçonneux.

-Tu n'ignore pas qui sont mes parents, ni ce qu'ils ont fait.

-Je ne risque pas, siffla Harry entre ses dents.

-Le procès a fait beaucoup de bruit il y a quinze ans. Le nom de Lestrange est devenu réputé. Réputé d'une façon plutôt désagréable. Le ministère a décidé d'effacer mon nom. Cela protégeait l'enfant que j'étais de la… célébrité de mes parents. Et c'était aussi un châtiment supplémentaire pour eux. Une façon d'arrêter la lignée des Lestrange. Effacer magiquement un nom signifie supprimer totalement l'appartenance à une famille. Ce n'est pas une peine négligeable pour des gens qui accordent une telle importance aux liens du sang.

-Et toi, tu n'y accordes aucune importance ? Demanda ironiquement Harry.

-J'accorde de l'importance à ce qui m'est utile au moment où ça m'est utile, répondit Sophia, imperturbable.

Harry eut le sentiment très désagréable d'être visé par cette phrase.

-Qu'est-ce que tu me veux ? Demanda-t-il d'une voix basse.

-Je ne te le dirais pas, Harry Potter.

L'Everest devait être moins inébranlable que cette fille. Sa totale absence d'émotion n'offrait aucune prise, aucune aspérité où s'accrocher. Impossible de savoir comment la prendre. Parfois Harry avait la bizarre impression de s'adresser à une chaise ou une porte en lui parlant.

-Nous ne nous battrons pas ce soir, dit-elle.

-Pourquoi ?

-Parce que tu ne le veux pas. Tu es fatigué, Harry Potter, déclara-t-elle.

C'était dit sans ironie ni compassion. Une simple constatation. Pour une fois, Harry appréciait l'indifférence de Sophia. Cela le reposait d'être face à quelqu'un chez qui il ne provoquait ni haine ni pitié.

-C'est vrai, admit-il avec simplicité.

Et il ne l'aurait avoué à personne d'autre, excepté le vent et la nuit. Il l'avouait parce qu'elle s'en fichait complètement.

-Toi, tu n'es jamais fatiguée ? Lui demanda-t-il.

-Non. Du moins pas de la façon dont tu peux l'être.

En effet, ça semblait difficile à imaginer, une Sophia fatiguée. Inattaquable, intouchable, invulnérable.

-Je t'envie, soupira-t-il.

-Tu ne sais pas de quoi tu parles, répondit-elle calmement. Tu ne connais pas ma vie.

-Peut-être, mais je connais la mienne, répliqua-t-il avec amertume. Ca suffit.

-Tu ne sais pas de quoi tu parles, répéta-t-elle.

Il secoua la tête, incrédule.

-Je vais m'en aller, dit-il.

-Je t'attendrais la semaine prochaine, répondit Sophia.

-Je ne viendrais pas la semaine prochaine.

-Je t'attendrais quand même, répliqua-t-elle avec indifférence.

Il s'éloigna vers le bord de la salle pour partir. L'endroit le mettait de plus en plus mal à l'aise. Il se retourna vers Sophia avant de partir.

-Au revoir, Harry Potter, dit-elle.

-Au revoir, marmonna-t-il, juste avant de se jeter dans l'obscurité.

Alors qu'il tombait, il eut soudain une vision de Sophia, prisonnière d'un pilier de lumière au milieu d'infinies ténèbres, à jamais enchaînée dans un monde hors du monde.

La maudite.

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Manoir Malfoy, été 1991

Sophia jouait avec les reflets du soleil, sur le couteau. En fait, jouer n'était probablement pas le terme approprié, puisqu'il n'y avait pas la moindre trace d'amusement sur son visage. Le monde de Sophia n'était pas fait d'émotion, mais de logique. Cause. Conséquence. Elle expérimentait, analysait, mémorisait. Le soleil, le couteau, le reflet. Cause. Conséquence. Elle y était depuis des heures. Position du soleil. Localisation par rapport à la chambre. Intensité du reflet. Analyse de l'influence des différents facteurs. Conclusion sur les utilisations possibles d'une telle connaissance.

Cela faisait un an que Sophia était entrée à Poudlard. Ses professeurs la décrivaient comme une élève très irrégulière. Ses notes étaient toujours zéro ou vingt. Son travail était toujours parfait, quand elle travaillait. Personne n'avait encore compris pour quelle raison elle décidait de travailler ou non. Elle ne semblait pas avoir de préférence pour une matière en particulier. Parfois, elle choisissait simplement de ne rien faire. Et parfois, elle s'appliquait au sujet, et le traitait avec une précision tout simplement effarante.

Cause. Conséquence. Analyse et conclusion. Une grande intelligence, beaucoup de talent, et une personnalité impossible à cerner. La plupart des professeurs l'évitaient, comme les élèves, et s'abstenaient de faire des remarques sur son comportement. Ils lui jetaient parfois des regards étranges, comme s'ils savaient quelque chose qu'ils préféraient taire, au sujet de la bizarrerie de la fillette. Severus Rogue, en particulier, la gardait sous étroite surveillance. Lorsqu'il la fixait, son regard trahissait parfois la fascination et la méfiance que seules peuvent provoquer les créatures mortellement dangereuses.

Ils savaient tous. Tous. Mais qu'y pouvaient-ils ?

Personne n'y pouvait rien. Personne.

Sophia observait le reflet du soleil sur son couteau, encore et encore. Puis elle décida de passer à un autre sujet d'étude. Elle le posa à plat sur le dos de sa main, et testa l'équilibre de la lame. Elle le prit entre ses deux paumes, puis referma sa main droite sur le manche.

Draco entra dans la salle de jeux du manoir Malfoy, et resta un moment interdit, à regarder sa cousine.

-Mais qu'est-ce que tu fais ? Demanda-t-il sèchement, mi-perplexe mi-méprisant.

Sophia ne lui prêta aucune attention. A cet instant précis, Draco n'était pas un objet digne d'intérêt. Seul le couteau comptait au monde. Elle fit doucement glisser la lame à plat sur sa paume. Puis elle retourna sa main et traça une fine ligne rouge sur la dos de sa main avec la pointe. Elle fit une légère grimace sous la douleur. Dans son esprit, la souffrance et le sang étaient analysés de la même façon que le reflet du soleil. Cause. Conséquence. Elle regarda un moment le liquide vermeil couler le long de sa main et former une petite flaque rouge sur le marbre immaculé.

-Eh ! S'écria Draco. Mais tu es complètement folle !

-Non, Draco, répondit posément Sophia. Je suis maudite. La folie n'est qu'une malédiction parmi d'autres. Et ce n'est même pas la pire.

Elle ferma les yeux. En cet instant, c'était son propre corps qu'elle étudiait. Sa propre douleur. Les moments où elle avait mal, c'étaient aussi les moments où elle avait le plus conscience d'être humaine. Elle analysait, confrontait, et concluait. Je souffre physiquement, donc je suis vivante.

Vi-van-te.

Elle leva à nouveau le couteau et décida d'attaquer la peau sous un angle différent. Pour voir quelle influence ça pourrait bien avoir sur la blessure, le sang, la douleur.

-Arrête ça, maintenant, cria Draco, effrayé.

Sophia regarda encore le sang qui coulait, plus abondamment cette fois. La blessure était plus large. Et ça faisait plus mal. Intéressant. Mais était-ce parce qu'elle avait tenu la lame différemment, ou parce qu'elle avait touché une autre région de sa main ? Mmmm… Il y avait sûrement des deux. Elle fit une troisième entaille, semblable à la première, en s'appliquant bien.

-Non mais arrête ! ARRETE ! Cria-t-il encore.

Il se jeta sur Sophia et tenta de lui arracher le couteau des mains. Mais Sophia n'avait pas fini son étude, elle voulait continuer, et Draco l'ennuyait. Il était au milieu. Sophia se débarrassait toujours des objets encombrants. Ou alors elle les étudiait. Elle baissa le couteau avant que son cousin ait pu le saisir, et le plongea dans le ventre de Draco. Puis elle le retira tout aussi consciencieusement, et essuya doucement la lame sur sa robe.

Intéressant. Comme ça, il y avait beaucoup plus de sang qui coulait de la blessure. Mais il hurlait très fort, ça pouvait être un inconvénient. Paisiblement, elle tourna sa main vers le ciel et se fit encore une entaille, dans la paume, cette fois.

Vivante.

-Imbécile, murmura Lucius Malfoy au chevet de son fils.

-C'est pas ma faute ! Protesta le jeune Draco, blême de peur et de rage. Cette cinglée m'a attaqué ! Elle n'arrêtait pas de se couper avec ce couteau, je voulais juste qu'elle arrête ! Il faut la punir, Père !

-Je vais la punir, oui, dit Lucius d'une voix glacée. Pour le principe. Mais ça ne servira à rien. Peu importe le châtiment que je pourrais inventer. Si elle en a envie, elle recommencera demain. Les réactions d'une créature d'Isa Zannam ne sont pas contrôlables. Jamais. Alors fais donc un peu attention.

Il se leva pour sortir de la pièce.

-Et cesse de te mêler de ses affaires, ajouta-t-il avant de partir. Après tout, elle peut bien se couper tous les doigts de la main si elle en a envie. Ce n'est pas ton problème.

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Poudlard, Mardi, Septembre 1996

Sophia manipulait pensivement un couteau, assise devant la cheminée. Naturellement, les armes étaient strictement interdites dans l'enceinte de l'école, mais il n'était jamais venu à l'idée de ses camarades d'aller rappeler cette règle à Sophia. Encore moins d'aller la dénoncer. Personne dans la maison Serpentard n'était suicidaire.

Curieusement, personne d'autre ne semblait avoir envie de s'asseoir près du feu, ce soir-là. Il y avait toujours autour de la jeune fille une zone vide qui se créait naturellement, un no man's land où personne ne s'avisait de s'aventurer. Draco, penché sur son devoir de métamorphoses non loin de là, lui jetait de temps à autres des regards inquiets. Il n'aimait définitivement pas quand sa cousine se mettait  à faire joujou avec des objets coupants.

Il observa avec un soupir d'ennui un première année qui se dirigeait vers les fauteuils près de la cheminée, sans doute ravi de les voir disponibles. On voyait bien qu'on était à peine pendant la deuxième semaine de Septembre. Certains n'avaient pas encore bien intégré toutes les règles en vigueur dans leur Maison.

Draco se leva vivement et attrapa au vol le jeune inconscient.

-Tu ne vas pas t'asseoir là, déclara-t-il de son ton le plus froid.

-Pourquoi ? Demanda le première année dans une vaine tentative pour ne pas se laisser marcher sur les pieds.

-Parce que si ma cousine te tue, je serais obligé de ramasser les morceaux, et en plus il faudra que j'écrive un rapport à mon directeur de Maison, répliqua Draco d'un ton ennuyé.

Le première année blêmit. Il était là depuis suffisamment longtemps pour savoir que le préfet de Serpentard avait un sens de l'humour très particulier. Il s'empressa de retourner dans son dortoir dès que Draco le lâcha.

-Bonsoir, Draco, dit la voix neutre de Sophia.

Cette fois ce fut le tour de Malfoy de pâlir. A cause de ce petit idiot, il s'était trop approché, et il était entré dans le champ de l'attention de Sophia. Il détestait particulièrement qu'elle fasse attention à lui quand elle avait un couteau dans les mains.

-Bonsoir, Sophia, répondit-il en tâchant de garder l'attitude la plus indifférente possible.

Sophia plongea la lame du couteau dans les flammes, et son cousin déglutit avec difficulté.

-Parfois, dit-elle, il faut travailler une arme avant qu'elle puisse servir correctement. Cela peut prendre du temps, mais rien ne vaut une arme correctement adaptée. C'est la clé de toutes les guerres.

Elle se tut et retomba dans la contemplation de son couteau, à présent rougit par les flammes. Draco recula lentement et jugea plus prudent de quitter la pièce pour le reste de la soirée. Il ramassa ses livres et monta dans sa chambre.

Tout de même, que pouvait-elle bien vouloir dire par là ?

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Harry grelottait de froid en haut de la tour de Gryffondor. Il regardait les étoiles sans les voir. Foutues étoiles qui se mêlaient de sa vie alors qu'il n'avait rien demandé à personne.

Il aurait bien voulu pleurer, seulement il n'y arrivait pas. Il se sentait malade, profondément malade. Et cette maladie finirait par le tuer, il en avait l'intime conviction.

Oui, il le savait. Ca le détruisait, à l'intérieur. Comme une flamme qui s'étouffe, petit à petit, et qui s'éteint. Qui s'éteint lentement, en chantonnant, sans faire de bruit, sans désordre.

En chantonnant une comptine…

Et s'il sautait cette nuit ? Pensa-t-il, à moitié conscient. Mais non, ça ne serait pas bien pour ces chères étoiles, ce n'était pas ainsi que ça devait se passer.

Il faillit éclater de rire. Ce serait un bon tour à leur jouer, tout de même. Oui, une sacrée blague à faire aux étoiles…

Et puis son rire mourut étouffé par la comptine, dans sa tête, il ne pensa plus ni aux étoiles ni à la mort, il ne pensa plus du tout. Comme chaque nuit.

Comme chaque nuit, la porte s'ouvrit derrière lui, et il ne l'entendit pas. Comme chaque nuit, la jeune fille avança d'un pas, et resta longtemps là à le regarder se noyer dans ses propres ténèbres. Merlin seul savait qui elle était, et ce qu'elle faisait là.

Quelque temps après, la porte fut poussée à nouveau, et la petite forme d'un elfe de maison fit son apparition sur la plate-forme. L'inconnue ne sursauta pas. Probablement l'attendait-elle.

-Harry Potter va de plus en plus mal, n'est-ce pas ? Murmura la petite voix aiguë de l'elfe.

-Oui, répondit la jeune fille.

Sa voix était si basse qu'elle était à peine audible, même pour l'elfe qui avait pourtant de très bonnes oreilles.

-Dobby voudrait pouvoir faire quelque chose, chuchota-t-il, désolé.

-Tu ne peux pas l'aider, cette fois, dit doucement la fille inconnue.

-Il faudrait au moins la prévenir, plaida Dobby.

-Je l'avertirais qu'il va mal… Dit-elle lentement. Mais il vaut mieux ne dire à personne où il passe ses nuits. S'il ne peut même plus se réfugier ici, j'ai peur…

Elle laissa sa phrase en suspens. Au bout d'un moment, elle ajouta :

-Ne le quitte pas, Dobby. Rends-toi invisible et suis-le partout où il va. Il ne faut pas le laisser seul en ce moment. Demande la permission au Directeur s'il le faut. Il te la donnera.

-Dobby ne quittera pas Harry Potter d'une semelle, affirma l'elfe.

La jeune fille hocha la tête.

-Je dois y aller, murmura-t-elle. On m'attend.

-Dobby veillera sur Harry Potter, dit l'elfe d'un ton rassurant.

Comme chaque nuit, la jeune fille s'éclipsa sans être vue, et disparut parmi les ombres des couloirs de Poudlard.

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Fin du chapitre 4

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Salut ! J'ai désormais passé la barre des quinze reviews ! * contente *

Voilà, j'ai décidé pour conclure de répondre à ceux qui posaient des questions dans leurs reviews. Enfin, des fois ce sont des pseudos-réponses. Ou des demi-réponses. Ou des quarts de réponses… Il y a des choses que je ne peux pas dire, n'est-ce pas ?

J'en profite pour remercier tous ceux qui m'encouragent à écrire cette fic :

Titou Moony, Myra Kyra Meyri, Enora de wesdaigle, Angel 293, Pandoria, lolo, Patty, Annita, lucius 666 et Raspoutine. Ca me fait vraiment très plaisir de savoir que des gens aiment ce que j'écris.

Et maintenant voici les réponses :

Raspoutine

Love Story ? Eh bien, je ne suis pas une grande fan des belles histoires romantiques, comme je l'ai dit dans ma bio. Les scènes d'amour me mettent affreusement mal à l'aise, je ne sais jamais comment les écrire sans que ça ait l'air complètement cliché.

Ceci dit, comment empêcher une quinzaine de personnages tous âgés d'environ seize ans de tomber amoureux dans tous les coins ? Laisse tomber… Alors je ne peux rien dire question love story, à part que je risque de perdre inopinément le contrôle de mes personnages à un moment ou un autre pour cause d'hormones et de crise d'adolescence.

Annita

Ah, la comptine… On le saura. Pas tout de suite, mais on le saura.

Pandoria

Il se pourrait que nous ayons eu des idées proches. Les raisons du caractère très particulier de Sophia vont se préciser petit à petit. Quand aux détraqueurs, ils auront leur importance dans cette histoire, mais par rapport à un autre personnage.

Dumbledore ? Ma foi pour le moment, il est préoccupé par d'autres choses. Des autres choses du genre Mangemorts, Ministère de la Magie et Ordre du Phoenix. Pour le moment, je n'ai pas trop parlé de ce qui se passait en dehors de Poudlard, mais ça viendra. En plus, la dernière discussion entre Dumbledore et Harry dans le tome 5 n'en fait pas la personne la mieux placée pour l'aider à mon avis. Même s'il le surveille de loin, comme il a l'habitude de le faire.

Et ce cher Severus… Moi aussi je l'aime bien. Il n'a qu'une place assez secondaire dans cette histoire, mais on le reverra. Il m'embête un peu, parfois, je ne sais jamais trop où il va surgir ni ce qu'il va dire…

Angel293

Héhé, Sophia… Pour qui elle est ( et ce qu'elle est), il y a quelques éléments de réponses dans ce chapitre (comment ça, « si peu » ? Il faut bien garder un minimum de suspense, non ?). Quand à ce qu'elle veut vraiment, on ne le saura pas avant loooooongtemps… * sourire sadique de l'auteur * .

Voilà à peu près tout ce à quoi je pouvais répondre ! Salut et au prochain chapitre !

PS : pfffffffff, y a des jours où je comprends rien à ff.net. Hier il refusait tout net les mots en italique, et aujourd'hui il a décidé qu'on ne pouvait pas sauter plus d'une ligne à la fois. Allez donc savoir pourquoi… * soupir *