Les jeux de l'amour et du hasard (part 1)

(et comme vous remarquerez, même le titre de la VF est pas à moi, alors vous devinez bien que les persos le sont pas non plus…)

Reviewer's corner :

Mellyna : Ok, cette fois j'espère que je me serais pas gourrer de langue… Oh, et je vais te decevoir…Je vais encore « hinter » seulement…(court se cacher le plus loin possible – se rappelle qu'elle a de la lecture en retard – va se cacher encore plus loin…)…

Fanny : WOW ! Tant d'entousiasme pour « 1000 feuilles », ça faisait vraiment plaisir à voir (grand sourire) : merci beaucoup !

Gabrielle : Ravie que ça t'ait plu (mais décolle tes yeux de l'ordi, stp, c'est mauvais pour toi…)…Heu, juste une tite chose : je suis pas Yui, mais normalement, j'ai quand même transmis le message, je crois en tout cas …

Shani-fan-de-Zenon-que-je-hais-toujours (Zenon : Moi ? / SeaGull : Non, elle…): Ça y est, encore une autre…Désolée de te décevoir, mais c'est toujours pas une épopée…

Quant aux lecteurs de « Essence de l'être » : je préfère vous répondre quand je la loaderai elle, même si vous êtes à peu près les mêmes et que je vous aime tous (serre tout le monde sur son cœur) !!!…

Part 1 : « So, stay. »

Bordel. Sa mâchoire lui faisait un mal de chien.

Puis le souvenir perça soudain le brouillard qui voilait son esprit. Il n'arrivait pas à le croire : Hakkai l'avait frappé... C'était bien la première fois qu'il voyait une réaction aussi incontrôlée chez son ami. En fait, il aurait été incapable de dire ce qui était le plus surprenant : Hakkai levant la main sur lui ou la raison qui avait bien pu le pousser à faire ça…Il faudrait qu'il échange quelques mots avec lui, à ce propos.

Il avait dû dire quelque chose, c'est évident. Sha Gojyo. Toujours le premier à être incapable de la fermer…

Kuso

Il avait dû sacrément blesser Hakkai pour qu'il réagisse de cette manière…Si seulement il pouvait se rappeler clairement ! Et une gueule de bois n'était certes pas le meilleur moyen de se souvenir de ce qui s'était passé la nuit dernière, c'est sûr.

D'ailleurs, il était où, Hakkai, là ?

oOoOoOo

Gojyo se redressa, prenant appui sur ses coudes. Il était couché sur son lit. Son front se plissa légèrement. Il ne se souvenait absolument pas comment il était arrivé là. La gueule de bois qui martelait son crâne d'une manière lancinante était bien plus douloureuse que le coup d'Hakkai, en fait.

Il finit par se lever et rejoignit la cuisine en titubant vaguement. Pas de Hakkai. Salle de bain ? Il y trouva une grande quantité d'eau fraîche pour s'éclaircir un peu les idées. Mais toujours pas de Hakkai. Le youkai aux yeux verts avait l'habitude de se lever beaucoup plus tôt que lui. Peut-être qu'il était déjà sorti, c'est tout.

Gojyo se tenait toujours dans la pièce principale, à moitié vêtu. La serviette qu'il avait utilisée pour son visage toujours à la main et gouttant sur le sol, il regardait autour de lui. Y'avait quelque chose de bizarre avec la maison, aujourd'hui. Quelque chose était différent. Semblait…manquant. Il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Et il resta planté là comme un idiot encore quelques instants. Jusqu'à ce que la révélation se fasse jour en lui, aussi glacée qu'une douche froide. Hakkai n'était pas seulement sorti. Hakkai était parti.

La tête du hanyou demeura vide quelques minutes de plus.

Kuso. Kusokusokusokusokusokusokuso…

Puis, avec une attention maniaque (et peut-être l'once d'un léger goût pour un certain masochisme ), en son for intérieur il fit la liste de toutes les petites choses qui n'allaient pas, tout ce qui manquait, dans la petite maison tout entière. Tous ces petits détails, qui encore hier clamaient haut et fort qu'un autre être vivait ici, avec lui.

Il regarda autour de lui, ses yeux errant sur les étagères. Des livres. Il aurait dû y avoir des livres ici. Comment Hakkai les avait eus ? Il en ébaucha presque un sourire. Aussitôt que le youkai aux yeux verts avait été capable de se rendre en ville, il avait été rapidement adopté et très populaire. Toujours prêt à rendre service, à donner un coup de main pour n'importe quoi. Des fois, on l'avait payé. Jamais beaucoup d'argent, certes. Hakkai n'aurait accepté aucun salaire, autrement. Alors les gens avaient pris l'habitude de lui donner des choses. Tout simplement. La plupart d'entre elles atterrissant dans la maison du flambeur de la ville (celui-là même que la plupart considéraient avec un mépris évident, quelle ironie !). Et Hakkai appréciait les livres. Cela avait été très vite de notoriété publique parmi les villageois.

Jamais lus. Lui, il les avait jamais lus, ces livres. Hakkai, oui, bien sûr. Mais pas lui. Seulement les titres, une fois. Réfléchit, se dit-il en fronçant légèrement les sourcils…L'un d'entre eux, c'était…L'art de la guerre. Il haussa les épaules, tout seul, dans la pièce. C'est pas comme si l'un d'entre eux avait été une sorte d'homme de guerre comme, voyons, un général ou un marshal, par exemple. Mais Hakkai avait l'habitude de dire qu'il s'intéressait à tout (ou pouvait trouver un intérêt en tout). En fait, les livres ne manquaient pas vraiment à Gojyo. Enfin, ouais…peut-être un peu. À leur façon (qui détonait avec le style de la pièce), ces livres étaient chouettes sur l'étagère. Posés là, ils aidaient ses quelques mangas à rester droits sur la planche de bois. Maintenant, ils avaient tous glissé sur le côté, un peu comme des poissons échoués, même si Hakkai avait fait attention de ne rien déranger dans la maison en partant…Tout était toujours si…ordonné. C'était d'autant plus évident qu'Hakkai avait vécu ici. Mais ce temps-là semblait révolu. Les livres avaient disparu. Bizarrement, il espéra qu'ils ne seraient pas trop lourds pour leur propriétaire. Puis il se souvint qu'Hakkai était un pur youkai et que le poids du papier n'était rien pour lui.

Gojyo déprimait, dans ce living room.

La chambre à coucher, maintenant. Il lui fallait une chemise. Alors il ouvrit la penderie. Bon dieu. Première idée : ce gars sait pas prendre soin de Lui. Et là, Gojyo ne pensait pas à sa propre personne. Hakkai allait geler, là-dehors…Dans les premiers temps, ils avaient partagé des vêtements. Le jour où Hakkai était venu vivre avec lui, tout ce qu'il possédait, il le portait sur son dos. Gojyo lui avait prêté T-shirts, jeans…Après un certain temps et l'achat de quelques articles vestimentaires, certains d'entre eux étaient toujours utilisés par les deux « colocataires ». La notion de propriété n'avait jamais vraiment compté entre eux. Mais apparemment, ça avait de l'importance, maintenant. Hakkai n'avait emporté que les vêtements qui lui appartenaient en propre. Rien de plus. Tous ces vêtements qu'ils avaient partagés étaient toujours là. Hakkai n'avait presque rien pris avec lui. Rien qui puisse me rappeler à son souvenir, interpréta étrangement Gojyo. Le métis attrapa une chemise, l'arrachant violemment du cintre. Elle resta dans sa main, inutile, quand il oublia de la passer.

Ce placard le déprimait aussi.

Il se rendit dans la cuisine. Et le dernier coup l'attendait là. Il n'avait pas vu, lors de son premier coup d'œil… La cafetière toujours chaude, remplie de café noir fraîchement préparé, et, juste à côté sur la table, un verre avec un cachet pour sa gueule de bois, et le petit récipient de baume pour sa mâchoire douloureuse. Comme c'est attentionné, pensa-t-il amèrement. Il attrapa un mug, le remplit de café et se dirigea avec vers la table.

C'était pas grand-chose, vraiment ! Quelques trucs emportés, c'est tout. Il était parti, alors ? Oui, en effet. Plus il regardait, plus il pouvait trouver de détails qui témoignaient du départ du youkai. On aurait dit qu'Hakkai avait eu l'intention d'effacer la moindre trace de son séjour ici. Comme si le hanyou s'était juste éveillé d'un mauvais rêve pour se rendre compte que la réalité était pire, il comprit encore une chose : Hakkai parti, sa maison n'était plus un foyer. Mais par quel prodige le youkai en était-il venu à tenir une telle place dans sa petite vie médiocre ?

Il aurait dû s'en douter, pourtant. Les gens dont il commençait croire qu'ils pouvaient à tenir à lui l'avaient toujours quitté. C'est de cette façon-là que les choses se passaient dans sa vie. Son frère. Maintenant Hakkai. Il devrait pas être surpris. Mais à quoi il pensait ? Pourquoi le youkai aux yeux verts aurait-il bien pu avoir envie de rester ici ?

Mais y'avait toujours de l'espoir. Même s'il ne voulait pas y penser de peur d'être déçu plus tard. Il regarda à nouveau le café. Se servit encore un mug. Hakkai avait préparé du café pour lui. C'était un truc ridicule. Mais ça montrait qu'il comptait un peu pour lui. Ouais, comme le jour où ton frère a tué ta belle-mère avant de partir, de toute façon : le même genre de geste ridicule, nee ? susurra une part de son esprit qu'il ne voulait pas écouter. Néanmoins, si seulement il pouvait se rappeler ce qui s'était passé la nuit dernière !

Et il se pouvait qu'il revienne, hein ? C'était pas impossible : il avait déjà fait ça deux fois…Disparaître…

Génial, songea-t-il, j'ai vraiment l'air pitoyable…

Mais repenser au passé, c'était laisser s'écouler un peu plus de temps avant de prendre une décision…

Qu'est-ce qu'il allait faire, maintenant ?

oOoOoOo

C'était pas la première fois qu'Hakkai était parti, c'est vrai. La première fois, Gojyo avait pensé qu'il ne reviendrait jamais. La mort est censée être assez définitive après tout. Il n'y avait plus d'espoir, alors ça faisait mal, mais c'était pas comme aujourd'hui. Gonou avait disparu, mort, comme avait dit le moine. Gojyo en avait ressenti une douleur sourde dans la poitrine. Il reprit sa vie en sentant que quelque chose manquait, mais sans réellement vouloir l'admettre.

Et Hakkai l'avait retrouvé. Il était revenu pour rester.

La seconde fois, il était revenu aussi. Même si Gojyo, comme hier manifestement, avait dit quelque chose de stupide :

« Tu m'as jamais raconté pourquoi elle avait choisi de se suicider. »

La question lui avait glissé des lèvres, un soir. Ils étaient juste là, assis dans un silence confortable, partageant une boisson chaude et une tranquille partie de cartes et…il avait parlé. En fait, cela ne l'avait jamais effleuré de demander, auparavant. Et il n'avait même pas pensé avant d'ouvrir la bouche. Il ne réalisa ce qu'il avait dit qu'en voyant la main d'Hakkai, qui tenait un mug de thé, se figer en l'air entre la table et ses lèvres. Il avait clairement l'air choqué.

Elle. Kannan.

« Désolé, j'ai pas réfléchi avant de parler…et… » avait précipitamment ajouté Gojyo en baissant les yeux. Il essayait clairement de faire oublier ce qu'il venait de dire. Et entendit le son du mug reposé sur la table de la cuisine. Quand il répondit, Hakkai semblait toujours calme, serein.

« C'est vrai. Je ne t'ai jamais rien dit à ce propos. »

Bien sûr, c'était déjà quelque chose de savoir que son ami avait tué quantité de gens (Non, Gonou l'avait fait. Parce que c'était dur – et même plutôt troublant - de se représenter Hakkai en train de « tuer » quiconque de sang-froid, maintenant…) : il était furieux que des youkai aient enlevé sa « femme », il était fou de rage contre ces gens qui n'avaient rien fait pour l'aider, et il était désespéré parce qu'il n'avait rien « senti » avant de revenir.

C'est ce qu'Hakkai lui avait dit, un jour. Et que ce qu'il avait fait était impardonnable. Gojyo n'avait rien répondu alors. Peut-être que l'ancien instituteur avait raison. Mais ce jour-là, l'enfant tabou avait pensé qu'impardonnable et compréhensible n'étaient pas aussi opposés que ça, quelques fois. Il savait aussi qu'Hakkai avait échoué à la sauver finalement, en dépit de tout. Ensuite, le youkai aux yeux verts avait été très évasif quand il lui avait raconté qu'il l'avait atteinte, mais que Kannan avait refusé de le suivre ou même de vivre plus longtemps. Gojyo avait toujours pensé qu'il y avait quelque chose d'étrange dans cette réaction, et que peut-être quelque chose d'important lui échappait. Il le savait, et pourtant il avait parlé. Baaaaka.

Mais ensuite, Hakkai lui raconta.

Quand il se remit à parler, c'était comme s'il était en train de raconter l'histoire de quelqu'un d'autre. Son visage restait indéchiffrable. Il ne regardait pas son colocataire, ni même les yeux ou les cheveux rouges de celui-ci comme il avait coutume de le faire parfois quand…il se souvenait. Il était parti. De retour à son ancien « moi ». De retour devant la cellule. Et la scène lui était familière. Il pouvait la voir presque toutes les nuits, comment oublierait-il ?

« Elle était là. J'ai appelé son nom et elle a dit le mien. J'allais la ramener chez nous. J'aurais trouvé un moyen de la sortir d'ici. Mais elle savait qu'elle ne voulait pas venir. Elle avait déjà pris mon arme. Je ne l'ai pas senti. Et puis elle m'a expliqué pourquoi elle ne pouvait pas me suivre. Elle portait l'enfant de… »

La voix d'Hakkai se brisa. Il essaya de finir sa phrase encore une fois. Ses lèvres formèrent les mots, mais ils ne passèrent pas sa gorge. Cette fois il trouva Gojyo du regard. Cherchant la certitude que son ami ne lui demanderait pas d'achever cette phrase.

Bien sûr qu'il ne le ferait pas. Gojyo pouvait seulement hocher la tête et le regarder avec sympathie. Le mug était de nouveau dans la main d'Hakkai. Le silence était retombé sur la petite maison. Ils pouvaient faire comme si rien ne s'était passé. Et il aurait bien fallu que Gojyo l'apprenne un jour ou l'autre.

Le regard toujours perdu dans le vide, Hakkai avait entendu les premières gouttes de pluie tomber sur le toit. Mais ce soir, quelqu'un d'autre pensait aux mêmes mots qu'il ne cessait d'entendre, en ces nuits pluvieuses. C'était réconfortant. Seulement un peu, mais réconfortant tout de même, de ne plus être le seul à savoir pour les dernières minutes de Kannan...

Gojyo n'avait rien laissé paraître pendant ces quelques instants. Ses yeux s'étaient écarquillés, mais Hakkai était si absorbé dans ses pensées… Il n'aurait pas remarqué.

Enceinte. L'enfant d'un youkai. Un enfant qui était un monstre, une abomination qu'elle ne pouvait pas laisser vivre. Un enfant comme lui. Kami-sama. Ç'en était assez pour faire que Gojyo se sente lui-même coupable de ce qui s'était passé. Parce que sa propre existence prouvait possible que de telles choses puissent arriver. Que les enfants tabous au sang mêlé étaient une réalité. Des êtres tellement souillés que la naissance d'une telle « créature » était insupportable pour cette femme enfermée dans une cellule. Des gens comme lui, dont la réputation avait tué l'amante de son ami. Ça le rendait réellement…malade.

Et tout à coup, il n'y avait plus de différence entre lui et l'enfant, dans son esprit.

Elle était prête à se tuer pour me tuer.

Pas toi, essaya-t-il de rationaliser. Pas toi.

Et pourtant, il ressentit de la peur, après ça. Parce qu'Hakkai était destiné à découvrir tôt ou tard ce qu'il était. Mais il ne pouvait pas le lui dire…Comment trouverait-il la force de soutenir le regard du youkai aux yeux verts après ça ?

Peux pas lui dire. Peux pas. Peux pas. Peux pas. Peux pas. Mais je ne peux pas me taire non plus, n'est-ce pas ?

Et le silence s'éternisa.

S'il dit quelque chose, je parle.

S'il ne dit rien, je la ferme.

Un pari. Tellement typique de la façon dont le joueur de poker prenait ce type de décision…

Hakkai parla.

« Mon thé a refroidi. Je vais faire bouillir de l'eau. Tu veux encore un café ? » Il était déjà en train de se lever pour atteindre le comptoir de la cuisine, repoussant sa chaise.

« Je suis un enfant tabou. » répondit Gojyo. Il n'avait jamais aimé attendre le coup de grâce. La dernière fois qu'il avait fait ça, sa « mère » était morte et son frère était parti. Il s'était toujours juré de garder les yeux grands ouverts face aux coups du destin, après ça.

Son ami savait tout de lui. Sur son passé. Tout sauf le plus important. Il savait pour son père qui les avait abandonnés, sa belle-mère qui le haïssait et qui avait même essayé de le tuer. Comment son frère s'était opposé à cette sentence de mort.

Quand son ami lui avait raconté pour Kannan, il s'était rendu compte qu'Hakkai ne savait pas l'essentiel. Le youkai nouveau-né ignorait qu'il partageait cette demeure avec la même sorte d'abomination que sa sœur avait trouvé si horrible qu'elle avait préféré se tuer que laisser cet enfant…vivre. Il l'avait dit au moine pendant leur trajet dans la forêt en poursuivant Cho Gonou, mais Hakkai n'avait jamais su…

« C'est ce que veulent dire les yeux et les cheveux rouges… »

« Quoi ? » demanda Hakkai d'un ton incertain. Le sens de la phrase venait juste de lui apparaître. Cette fois, la tasse vola en éclats sur le sol. Il se figea, en fixant les fragments éparpillés à ses pieds. Et ensuite…

L'esprit de Gojyo connut une coupure. Il ne comprit que quelques minutes plus tard qu'Hakkai avait quitté la maison pour se précipiter sous la pluie. Il se leva. Se rassit. Ne savait pas quoi faire de son corps, laissé seul avec le silence et ses pensées. Il devrait se sentir mieux maintenant que tout était dit, nee ? Mais il ne se sentait pas mieux.

J'ai joué…

« J'ai perdu… » pensa-t-il à voix haute, en regardant par la fenêtre. Il sortit un paquet de cigarettes de sa poche, ses doigts inertes tremblant légèrement. Alluma une clope. Expira lentement la fumée en regardant le nuage grisé dissimulant à la vue la vitre et le paysage au-dehors. La rumeur de la pluie résonnait sans fin dans ses oreilles, engourdissante d'une certaine façon, l'empêchant pour un moment de ressentir quoique ce soit. Pétrifiant la sensation de perte…Il resta un certain temps figé dans cet état. Il préférait plutôt regarder danser doucement pour lui les tentacules et serpents de fumée. C'était mieux que le temps du dehors. Quand sa cigarette se fut transformée en un cylindre de cendre sur le point de tomber, il n'y avait même pas porté les lèvres une seconde fois.

Et soudain, il eut un frisson. Il ne pouvait pas supporter ça plus longtemps…Cette incertitude. Il fallait juste qu'il sache. Il n'y avait plus de place pour l'orgueil, maintenant. Et il commençait vraiment à se faire du souci. Même s'il devait supplier, il fallait qu'Hakkai revienne. Même si ce n'était pas pour toujours. Au moins pour échapper à cette foutue pluie dehors. Mais même en essayant de se convaincre qu'il était prêt à laisser partir le youkai aux yeux verts plus tard (si c'était ce qu'il voulait), il réalisa autre chose. Il n'était pas du tout prêt à le laisser sortir de sa vie.

Gojyo attrapa son blouson sur une chaise et se dirigea vers la porte pour l'ouvrir. Et stoppa net sur sa lancée avant même le moindre pas dehors.

« J'ai jamais réellement pensé à l'enfant. » dit une voix bien connue de lui.

Hakkai se tenait juste en face de lui. Sa main avait été sur le point de saisir la poignée quand Gojyo avait ouvert. Rien d'autre ne comptait maintenant. Son ami était de retour. Mouillé. Plutôt complètement trempé, en fait…Et certainement glacé. Gojyo l'attira en hâte à l'intérieur, se mit frénétiquement à la recherche d'une serviette. Et les mots ne cessaient de s'écouler de sa bouche sans grande signification, manifestant son inquiétude, évoquant besoins (dont la fameuse serviette et autres moyens de se réchauffer), mauvais temps, n'importe quoi hormis ce dont il avait bien pu parler plus tôt. Il n'était pas encore prêt à entendre quelle sorte de résolution Hakkai avait pu prendre alors qu'il se trouvait dehors.

Le youkai demeurait silencieux, sentant bien que de toute façon le hanyou n'était pas prêt à écouter. Alors il préférait le laisser faire comme il voulait. Le laisser être aux petits soins pour lui sans plus de réaction qu'une poupée. Gojyo s'abîmait dans son empressement féroce. Il réussit à ôter à Hakkai sa chemise humide. Bandeau et monocle étaient déjà hors de son chemin. Serviette (enfin) trouvée, il s'occupait à sécher lui-même les cheveux de son ami. L'homme aux yeux verts restait assis sur le lit, les yeux fermés. La main à plat sur sa cicatrice. Il en était toujours étrangement gêné lorsqu'il était torse nu, même devant Gojyo qui l'avait pourtant vu dans un état bien plus atroce (ce qui est un doux euphémisme). Et surtout, il attendait le bon moment pour parler.

oOoOoOo

Un moment plus tôt, quand Gojyo lui avait tout dit, Hakkai n'avait plus été capable de penser clairement en restant dans la même pièce que l'homme. C'est pourquoi il était parti. Et avait couru, au cas où Gojyo aurait eu l'idée de le suivre. Il l'avait déjà fait un jour, après tout. Pour une fois, les pensées qui se bousculaient dans sa tête étaient assez bruyantes pour l'empêcher d'entendre cette foutue pluie. Quand il s'arrêta de courir, il choisit un abri tout relatif sous un grand arbre sans doute centenaire. S'assit. Attendit d'arriver à mettre en ordre ses propres sentiments.

Son ami était un enfant tabou. Comme celui dans le ventre de Kannan.

C'était vrai qu'il n'avait jamais vraiment pensé à l'enfant de Kannan, après ce jour-là. Cette vie en particulier ne comptait pas, alors. Comme le bon millier d'autres vies youkai, et les douzaines de villageois avant. Seule sa sœur comptait. C'était la première fois qu'il prenait l'enfant en considération, en fait. Voir Kannan se tuer sous ses yeux lui en disait assez sur le dégoût qu'elle avait ressenti pour sa grossesse. Aucun doute. Et même s'il l'avait empêchée de mourir. L'avait sauvée. Ramenée chez eux. S'ils avaient gardé l'enfant…Qu'est-ce qu'il se serait passé ? Comment l'aurait-il élevé (lui ou elle…parce qu'il s'en rendait compte maintenant, cela aurait pu être une fille aussi, et ça le laissait songeur…parce que désormais, cet enfant avait toujours les traits de Gojyo dans son esprit…) ? Est-ce qu'il en serait venu à le haïr, comme Gojyo avait été haï ? Est-ce que l'existence de cet enfant (même s'il était celui de Kannan) aurait pu le mener au bord à la folie ? Au point d'être capable de le tuer ? Et la pensée le glaçait. Quand Gojyo lui avait parlé de sa famille, cela avait été comme s'il avait été capable de voir la scène. Si facile d'imaginer le chibi Gojyo. Si facile de craindre pour lui. De souffrir avec lui. Et maintenant, réaliser que lui-même aurait pu être capable de devenir bourreau…Cette pensée faisait mal.

Et comment aurait-il pu savoir pour l'ascendance de Gojyo ? Mais maintenant…Un enfant tabou, considéra encore Hakkai en son for intérieur. Ça expliquait beaucoup de choses. Les blancs dans l'histoire de Gojyo qu'il avait déjà remarqués, mais qu'il avait préféré ne pas évoquer. Certains aspects du comportement de son ami. La tristesse qui affleurait parfois quand il baissait sa garde et pensait qu'Hakkai ne pouvait pas voir. La façon dont il voulait se persuader qu'il n'accordait pas d'importance à grand-chose (et surtout pas l'amour)…La peur de souffrir sous le masque d'un charmeur de flambeur. À un certain moment, le youkai s'arrêta simplement de penser, et demeura juste sous son arbre pendant que la pluie le glaçait lentement à l'extérieur comme il se sentait déjà à l'intérieur. Après un temps, il se releva et se mit en marche vers la maison.

Bien sûr, Gojyo ne saurait jamais ce qui avait occupé l'esprit d'Hakkai ce soir. Pourquoi il était encore une fois revenu. Ce n'était pas en guise d'excuse pour l'enfant non-né qu'il ne connaîtrait jamais. Ce n'était pas parce que Gojyo méritait mieux des gens en général que ce qu'il avait déjà reçu (même si c'était vrai). Ce n'était pas parce que la couleur de ses yeux, de ses cheveux, était un ancrage puissant dont il avait tragiquement besoin pour rester sain d'esprit. Il savait tout maintenant. Il comprenait les choses mieux qu'avant. Ça avait été dur, mais il réalisait qu'en fait ça n'avait aucune importance. La seule réponse, c'est que « chez Gojyo », c'était l'endroit où il voulait être. C'est tout. Et Hakkai attendait pour pouvoir lui dire ça.

oOoOoOo

Mais Gojyo pensait qu'il n'avait aucune envie d'entendre ce que l'autre avait à lui dire, qu'il ne voulait pas savoir. Alors il essayait de ne pas lui laisser l'opportunité de parler. Il continuait avec sa conversation décousue (« Tu as eu raison de revenir : c'est en train de devenir une vraie tempête dehors ! »…). Après s'être assuré que son colocataire était indemne, il s'était retiré de son côté de la chambre, avait enlevé sa chemise et s'était allongé sur son lit sans même se glisser dans les draps. Il se fait tard, dit-il, j'éteins la lampe. Dors maintenant.

Le clair de lune perdu dans les nuages d'orage, même au travers de fenêtres sans rideau, ne procurait pas assez de lumière à Hakkai pour qu'il puisse distinguer la silhouette sur l'autre lit. Mais de sa position assise à l'autre bout de la pièce, sur sa propre couche, avec des mois d'habitude, il pouvait plutôt bien deviner la forme dégingandée de Gojyo, sur le dos, les bras repliés sous la nuque. Il était sûr qu'il devait fixer le plafond. L'ancien humain détestait l'idée d'obliger Gojyo à l'écouter contre son gré, mais il était bien plus obstiné qu'il ne le laissait paraître. Alors il le rejoignit. Une ombre souple et silencieuse dans le noir. Une silhouette qui se découpait un instant sur la lumière pâle se déversant de la fenêtre. Il s'assit. Le hanyou sentit le poids sur le matelas mais refusa de le regarder ou même agréer sa présence. Ça n'allait pas être facile.

Ne me regarde pas maintenant que tu sais ce que je suis. Je ne veux pas voir dans tes yeux ce que je vois dans tous les leurs. Ne me fait pas de mal.

Les yeux de Gojyo s'agrandirent quand Hakkai changea de position. Il bougea très doucement, comme si le hanyou était un animal effrayé à qui il ne voulait pas faire peur. Une main à plat sur les draps d'un côté de son visage, l'autre de l'autre côté. L'ancien humain au-dessus de lui se pencha en avant. À la fin, Hakkai se trouvait à moitié étendu sur lui, les yeux d'émeraude seulement à quelques centimètres de ceux de grenat. Le piégeant sous son propre corps pour le forcer à l'entendre.

Pas du tout le genre d'Hakkai. Hakkai ne touchait jamais personne. Ça avait surpris Gojyo, quand il avait appris à le connaître pendant les derniers mois. Il était très apprécié des gens autour de lui, et c'était un étonnement sans fin pour Gojyo, cette façon qu'avait Hakkai d'attirer les gens sans le vouloir. Prenez le namaguza bouzu (un parfait exemple). Le saru était comme qui dirait gentil et marrant, et ce gaki un peu bizarre aimait bien leur rendre visite. Le moine n'avait pas d'autre choix que le suivre. Et Hakkai l'avait fait parler. Quelques mots les premières fois. De vraies conversations quelques temps plus tard. Et Blondie se plaignait de moins en moins à chaque fois qu'il atterrissait ici.

Mais Hakkai maintenait ses distances. Jamais de poignée de main. Jamais un contact. Parfois une inclinaison polie du buste, rien de plus. La plupart des gens ne réalisait pas. À cause des sourires. À cause de mots dits d'une voix douce. Hakkai avait l'art et la manière avec les mots. Mais l'ancien instituteur avait senti qu'ils ne seraient pas suffisants, ce soir.

« Gojyo. N'ose même jamais penser qu'une telle chose puisse jamais faire que je te méprise. »

Et maintenant, le message était clair.

« Alors, reste. » répondit simplement le hanyou. Le soulagement était trop grand pour ajouter quoi que ce soit et rendait sa voix rauque. Pour une fois, ce n'était pas à cause de la cigarette.

« Hai. » vint le calme murmure.

Et Hakkai resta. Dans la petite maison.

Et même cette nuit-là, dans le même lit que son colocataire. Le hanyou l'avait attiré dans une étreinte maladroite au-dessus de lui et le youkai aux yeux verts n'avait pas protestéÇa ne dérangeait pas Gojyo, le contact rêche de la peau contre son propre ventre, au niveau de la cicatrice. Cela rendait la présence d'Hakkai encore plus « réelle » pour lui. Il aimait avoir une de ses mains sur sa nuque, les doigts enfouis dans le doux chocolat de ses cheveux où s'attardait toujours l'odeur de la pluie. Il aimait son autre main sur le dos d'Hakkai, la chaleur de sa peau. Il aimait le souffle d'Hakkai contre son cou. Il aimait…

Dommage que le flambeur soit déjà endormi…Étrange comme les émotions fortes pouvaient l'épuiser plus que n'importe quoi d'autre (sexe inclus). Cette fois, il aurait trouvé de l'amour (celui qu'il prétendait ne pas chercher) dans les yeux verts. Ho, sans doute pas un amour vraiment conscient de lui-même, mais de l'amour quand même…Un serment. Quelque chose de fort, de chaleureux et de puissant, en fait. D'une certaine façon, Gojyo ne devait jamais réaliser que c'était cette nuit-là que tout avait changé pour Hakkai. Que leurs rôles respectifs avaient été renversés. Depuis la première nuit, bizarrement c'est Gojyo qui avait toujours été celui destiné à protéger le youkai aux yeux verts. Mais cette nuit-là, Hakkai commença réellement à être celui à prendre systématiquement soin de Gojyo, à s'inquiéter…Et c'était nouveau pour lui, de s'intéresser à autre chose que ses propres souffrances, tristesses et chagrins ; autre chose que ce monde sombre et replié sur lui-même dans lequel il avait vécu ces derniers mois, même sous un nouveau nom.

Cette nuit-là, il devint réellement Cho Hakkai.

oOoOoOo

Mais Gojyo revint à son présent. À sa mâchoire douloureuse et sa gueule de bois. Au fait qu'Hakkai était toujours porté disparu. Ses jambes cédèrent sous lui. Il se retrouva assis sur le lit. Il avait besoin d'un peu de temps pour décider de ce qu'il allait faire…