Chapitre 5 : En fin de compte.

Quand Jarod réveilla Melle Parker le lendemain, elle eut du mal à émerger, bien qu'il fût déjà midi passé. Elle voulut se tourner et enfouir sa tête sous un oreiller et, se faisant, elle manqua de renverser un plateau-petit-déjeuner que Jarod lui avait apporté. Cela fit rire ce dernier. Puis il reprit ses efforts pour la faire lever. Comprenant qu'il n'abandonnerait pas de si tôt, Melle Parker se résigna à se redresser. Son look « saut du lit » amusa Jarod et il ne se priva pas de la taquiner là-dessus. Melle Parker utilisa son sens de la répartie pour se défendre. Ils donnaient l'impression d'être frère et sœur. Quand, après qu'elle eut fini son petit-déjeuner, Jarod ramena le plateau dans la cuisine, lui lançant une dernière pique, Melle Parker pensa avec mélancolie que, d'ici demain, ils seraient redevenus chasseur et proie.

Il fallut encore quatre heures au soleil pour se décider à rejoindre l'occident. Quatre heures pénibles pour Melle Parker. Même en prenant bien son temps dans la salle de bain, elle eut encore trois heures à occuper. La télévision se révéla un excellent passe-temps. Les stupidités qui défilaient sur le petit-écran avaient l'avantage de fixer l'attention du téléspectateur sans l'obliger à réfléchir.

17h43. Melle Parker éteignit l'écran de la télévision. Dehors, la lumière du jour baissait progressivement. Elle se leva. Il serait bientôt temps pour elle de partir. Jarod était déjà sur place. Il était parti une heure plus tôt afin de s'assurer que tout se déroulerait convenablement. Melle Parker attrapa la crosse du pistolet que Jarod lui avait laissé et casa l'arme dans sa ceinture. Elle saisit ensuite une veste et l'enfila. Serrant le survêtement, elle sortit, empoignant au passage une valise noire posée à côté de la porte. L'escalier, et le hall où il menait, portaient un avant-goût de la fraîcheur de l'air extérieur. Sans doute pour cette raison, Melle Parker ne rencontra personne avant d'être dehors. Elle attendit sur le trottoir qu'un taxi passe. Ce ne fut pas long. Elle fit signe à la voiture et indiqua au conducteur l'endroit où elle souhaitait se rendre. Pendant le trajet, l'homme au volant essaya d'engager la conversation mais la froideur des réponses de Melle Parker le dissuada vite. Elle devait rester concentrée. Concentrée sur son objectif.

18h02. Le soleil disparaissait derrière l'horizon quand Melle Parker descendit du taxi. Elle paya le conducteur et celui-ci s'éloigna dans un vrombissement de moteur. Elle se tourna vers l'entrepôt. Les derniers rayons du soleil couchant étalaient l'ombre de la bâtisse jusqu'à ses pieds. Vérifiant que son pistolet était convenablement installés sans sa ceinture, elle s'avança vers la grande porte coulissante, la main serrée autour de la poignée de la valise. Celle-ci était légèrement entrouverte, juste assez pour qu'elle puisse se glisser à l'intérieur. Des néons accrochés au plafond, dont la plupart ne fonctionnaient plus, éclairaient chichement le bâtiment et les quelques armoires vides qui restaient. Dans un coin, un vieil appareil qui avait dû servir à déplacer et à ranger les caisses de fournitures, gisait, le capot éventré. Il devait sans doute manquer plusieurs pièces.

Melle Parker avança de quelques pas. Le bruit de ses talons hauts résonna dans l'immense pièce vide.

« Vous êtes juste à l'heure », lança une voix. Le son rebondit à son tour sur les murs.

« Montrez-vous », ordonna Melle Parker fermement.

Quelques pas résonnèrent encore. McIntyre apparut, quelques mètres devant Melle Parker. Comme la première fois qu'elle l'avait vu, il était entièrement vêtu de noir, mais ne portait pas de cagoule. Une paire de lunettes noires la remplaçait.

« Vous avez ce que je vous ai demandé ? » demanda-t-il d'une voix neutre.

Melle Parker se contenta de désigner la valise qu'elle avait posée à côté d'elle.

« Poussez-la vers moi », dit-il.

Melle Parker s'exécuta. La valise glissa sur deux ou trois mètres avant de s'immobiliser. McIntyre se dirigea vers celle-ci. Il s'agenouilla devant elle, ramena de devant vers lui et l'ouvrit. Il resta quelques secondes à fixer l'intérieur de la mallette, puis releva lentement la tête vers Melle Parker.

« Très malin », dit-il avec un demi-sourire en sortant une liasse de morceaux de journaux. « Vous espériez peut-être que je ne vérifierais pas ? Que vous auriez le temps de disparaître dans la nature ? »

Melle Parker ne bougea pas d'un pouce, ne laissa pas trahir le moindre sentiment. Elle allait tout de suite savoir si elle avait eu raison de faire confiance à Jarod.

McIntyre referma la valise et tira son pistolet de sa ceinture. Il le pointa sur Melle Parker.

« Vous avez joué et vous avez perdu », dit-il.

Soudain, comme sorti de nulle part, Jarod bondit sur le tueur, le déséquilibrant. Tous deux roulèrent sur le sol. McIntyre se rétablit une fraction de seconde avant Jarod.

« Je me doutais que vous me joueriez un tour dans ce genre », dit-il en rééquilibrant son pistolet dans sa main. « Rassurez-vous, je ne vais pas vous tuer. Mr Lyle est prêt à payer une fortune pour vous avoir vivant. »

Il avait à peine fini sa phrase que Jarod lui faucha les jambes. McIntyre, prit par surprise, lâcha son pistolet en tombant. Il rattrapa Jarod, le plaqua sur le sol et serra son cou avec force. Jarod essaya de se libérer, mais la prise de l'homme était solide, comme l'acier. Le caméléon commençait à manquer sérieusement d'oxygène, sa vue se brouillait, la panique montait...

Soudain, McIntyre le lâcha et s'écroula. Jarod resta immobile quelques secondes pour respirer à fond. Puis il fit basculer le tueur à gages sur le côté. Jarod se redressa et prit le pouls de l'homme. Il était mort. Le caméléon tourna la tête vers Melle Parker, débout à quelques pas, son pistolet fumant encore entre les mains.

« Merci », dit-il.

« Pas de quoi », répondit-elle. « Qu'est-ce qu'on va faire de lui ? »

« Je vais m'en débarrasser », répondit Jarod.

Il y eut une pause, puis il reprit, une pointe d'incertitude dans la voix :

« Tu ne m'embarques pas ? »

Melle Parker prit elle-aussi son temps avant de répondre, tout en rangeant le pistolet dans sa ceinture :

« Tu m'as aidée. A moi de faire une bonne action. Mais je ne serais pas si clémente la prochaine fois. »

Sur ce, elle s'en alla vers la sortie. Elle laissait Jarod à sa liberté, du moins jusqu'à leur prochain face à face. Il ne lui restait plus qu'à retourner au Centre et à mettre les choses qu point avec son cher frère. Puis elle reprendrait sa vie où elle l'avait arrêtée. Au final, cette histoire n'avait rien changé. Où presque. Elle atteignait la porte de l'entrepôt quand elle entendit un « Tu te ramollis, Parker » qui lui arracha un petit sourire exaspéré.

« Avez-vous passé un bon réveillon, Melle Parker ? », lui demanda Sydney quelques jours plus tard, quand ils se croisèrent dans les couloirs du Centre.

« Plutôt calme », lui répondit-elle. « Vous avez des nouvelles de Jarod ? »

« Non, mais je pense- »

Il fut interrompu par une exclamation venant de derrière. Melle Parker et Sydney se tournèrent pour voir Mr Lyle s'avancer vers eux.

« Parker ! Tu as passé un bon Noël ? », dit ce dernier avec enthousiasme.

Melle Parker lui adressa un sourire crispé en allant à sa rencontre. Arrivée à sa hauteur, elle attrapa prestement la cravate de son frère et approcha son visage de celui de Lyle pour lui murmurer d'une voix doucereuse :

« La prochaine fois que tu m'envoies un tueur, assure-toi qu'il remplira sa mission, où je prendrais un grand plaisir à t'éliminer à petit feu. »

Elle le lâcha et tourna les talons.

« Venez, Sydney », dit-elle d'une voix intraitable en s'éloignant.

Ce dernier ne se fit pas prier et suivit Melle Parker en se retenant à grand peine de rire.

Fin.