Quand on parlait de Stiles, l'on pensait automatiquement à son débit de parole impressionnant tant il était infini. Lorsqu'il parlait, il fallait sans cesse le rappeler à l'ordre pour qu'il cesse de divaguer et qu'il en vienne au fait, au risque de le laisser continuer ses litanies rassemblées en un long, trop long monologue. Parfois c'était intéressant, d'autres fois, ennuyeux à mourir.

Et pourtant, Stiles était apprécié. Il avait un meilleur ami, des amis tout court et même une meute qui le considérait comme l'un de ses membres à part entière malgré son statut de simple humain ! Personne n'aurait pourtant pu prévoir que le plus grand malheur de Stiles viendrait d'eux. Parce qu'au fond, aucun d'entre eux ne lui voulait de mal, jamais ils n'auraient pensé qu'une simple blague le réduirait définitivement au silence.

Les poings serrés et le regard empli de colère, Stiles repensa à cette nuit, cause de sa situation actuelle. Une partie de la meute avait décidé de faire un pique-nique de nuit dans une plaine à côté de la forêt de Beacon Hills dans le but d'observer la pluie d'étoiles filantes qui devait avoir lieu ce soir-là. Comme à son habitude, Stiles babillait, pas une fois il ne s'arrêtait de parler plus de quelques secondes, ce qui avait de quoi agacer ses amis. Et puis ce soir était réellement spécial car en plus d'accueillir une pluie d'étoiles filantes, c'était la pleine lune. C'était paradoxal et improbable mais c'était un fait. Par chance, tous loups de la meute de Scott étaient mordus depuis assez longtemps pour que ses effets soient rendus minimes. Pourtant, avec un peu de recul, Stiles se demanda si les choses auraient pu être différentes, si la lune n'avait pas été pleine. Ou même, s'il n'était pas venu. Comment aurait-il pu manquer ça ? Il aimait les étoiles, encore plus les filantes. C'était beau, poétique et assez rare pour qu'il se sente obligé de se déplacer.

Qui avait prononcé ce souhait ridicule en premier, déjà ? Ah oui, Jackson. Puis Lydia. Puis Malia. Puis Théo. Puis… Presque l'intégralité des gens présents, qui avaient réitéré, en riant.

Parce que de toute manière, les vœux, ça se réalise jamais vraiment.

Cette fois-là dérogea à la règle.

Stiles était rentré chez lui aux alentours de deux heures du matin, silencieux pour ne pas réveiller son père qui dormait déjà comme un loir. Il avait un peu mal à la gorge mais c'était sans doute parce qu'il avait eu la bonne idée de pique-niquer en t-shirt et chemise, en plein mois d'octobre. La température n'était pas particulièrement mordante mais tout de même assez fraîche pour glisser un petit rhume dans son corps frêle. Disons la chose telle qu'elle était : Stiles s'était pris pour un loup-garou qui ne ressentait pas la morsure du froid. Sur le coup, il s'en était un peu voulu et s'imaginait déjà avec la voix cassée, moqué par Jackson, Lydia… Tout le monde.

Il ne pensait pas se réveiller sans voix le lendemain.

Et pourtant, il mit automatiquement ça sur le compte de son rhume fulgurant. Devant Scott et les autres, il mima une moue dégoûtée en montrant sa gorge et l'on comprit que parler lui faisait simplement trop mal. Néanmoins, ses amis acceptèrent très facilement la situation, voire un peu trop, si bien que les premières inquiétudes à ce sujet ne naquirent qu'au bout du troisième jour.

- Je veux bien que tu sois malade, mais quand même tu pourrais faire un effort, avait soupiré Scott.

Alors, Stiles avait essayé, plusieurs fois. Il avait forcé, forcé, forcé pour qu'un putain de son passe la barrière de ses lèvres, en vain. C'était comme s'il n'était plus capable d'en produire. Peut-être que ses cordes vocales étaient juste… Fatiguée par la maladie. Sauf qu'après trois jours, l'hypothèse du rhume n'était plus vraiment crédible puisque mis à part son aphonie, l'adolescent n'avait aucun symptôme : pas d'écoulement nasal, pas de nez irrité, pas de changement de goût, même pas de toux ni de fièvre. Stiles avait élargi le champ des possibles en allant même jusqu'à soupçonner une grippe. Mais il n'avait rien, strictement rien.

Le quatrième jour, son père le poussa gentiment à aller voir un médecin qui, après de longs examens, tomba des nues les cordes vocales de Stiles étaient bien présentes mais… Profondément inutiles. Elles étaient comme paralysées, laissaient passer l'air mais ne le modulaient pas. Le praticien ne trouvant aucune explication valable pouvant éclairer sur ce phénomène qui lui était étranger, Stiles était reparti chez lui bredouille et le cœur au bord des lèvres. Parler lui manquait. Il ne s'était pas plaint jusque-là mais ne pas pouvoir communiquer normalement commençait à le miner.

Stiles se retrouvait donc de longues heures en tête à tête avec son satané cerveau d'hyperactif. Discuter avec soi-même quand on connaissait déjà son propre point de vue n'était pas l'activité la plus excitante qui soit.

Le cinquième jour, Stiles n'alla pas en cours. Il écrivit un petit mot à son père pour lui faire savoir qu'il se sentait un peu malade.

Beau mensonge ironique.

Le sixième jour, Stiles resta une fois de plus chez lui… La journée. En début de soirée devait avoir lieu une réunion de meute apparemment, Mason et Corey avaient fait part à Scott d'une possible apparition d'étranges créatures surnaturelles aux environs de Beacon Hills. Stiles avait-il envie de se retrouver entouré de monde sans pouvoir parler d'aucune manière ? Absolument pas. Scott lui laissait-il le choix ? Lui avait-il déjà laissé un jour ? Autant, avant, il était possible pour lui d'émettre son désaccord, de le faire connaître. Là, c'était plus qu'impossible. Un pauvre SMS n'était rien à côté d'un éclat de voix.

Mais Stiles s'en foutait, parce qu'il n'avait aucune envie d'y aller. Il aimait le monde, les gens, mais que ferait-il avec eux s'il ne parlait pas ? Comment pourrait-il dire à Scott d'arrêter ce regard de chien battu ? Comment pourrait-il dire à Lydia qu'elle était toujours bien habillée ? Comment pourrait-il dire à Liam de se comporter en loup responsable ?

Il ne le pourrait juste pas. Et c'était sacrément frustrant. Alors, il avait envoyé un message à Scott lui disant qu'il était soudainement tombé malade. Stiles songea amèrement qu'il allait bientôt devoir changer d'excuse, celle-ci ayant une date de péremption assez… Proche. De toute façon, il n'allait pas rester longtemps dans cette situation, si ?

xxx

Onze jours.

Cela faisait onze jours que Stile ne parlait plus. Il était retourné faire des examens plusieurs fois, rien à faire. On ne comprenait pas ce qui lui arrivait, tout paraissait plus ou moins normal. Selon un médecin, ses cordes vocales avaient tout pour fonctionner correctement, il n'avait qu'à faire un effort.

Stiles ne faisait que ça. La plupart du temps, il s'entraînait dans sa chambre, essayait de forcer pour sortir le moindre son. Chaque échec creusait un trou dans son cœur et pourtant, il avait mis du temps à abandonner.

Parce qu'au départ, on le soutenait.

Scott s'était réellement inquiété mais n'avait pas tardé à s'accoutumer à cette situation. Le plus étrange et douloureux pour Stiles avait été de voir qu'il s'y était même adapté parce que c'était comme s'il l'acceptait. Comme si Stiles ne parlerait plus. L'hyperactif, bien évidemment, refusait d'y croire. Il ne pouvait pas ne plus avoir de voix. Il allait la retrouver bientôt, n'est-ce pas ? Stiles était incapable de penser à cette autre possibilité, si sombre, si douloureuse. Il avait besoin de parler. C'était dans sa nature, ça l'aidait à gérer son hyperactivité. Et puis… Il aimait le bruit. Le silence l'angoissait. C'était mal. Dans ces moments-là, son cerveau prenait toute la place, ses pensées défilaient à une vitesse abracadabrante, à tel point que lui-même avait du mal à suivre.

Et ça lui donnait mal à la tête.

Stiles prenait de plus en plus de paracétamol. Il avait du mal à s'en passer. Depuis quelques jours, il était retourné au lycée et la petite boîte avait désormais sa place dans une des petites poches de son sac. On s'adressait de moins en moins à lui : ce n'était plus vraiment la peine puisqu'il ne pouvait pas répondre. C'était tout juste s'il était inclus dans certaines discussions.

Ce qui le blessa le plus ne fut pas tant cette distance qui commençait à naître entre eux que la remarque moqueuse de Théo, un midi :

- Un Stiles silencieux, ça repose les oreilles.

- De vraies vacances, renchérit Jackson. Je bénis ce miracle. J'en viendrais presque à souhaiter qu'il dure.

Stiles était à table avec le groupe, dont ces deux-là. Il ne pouvait pas réagir. De vive voix, il aurait pu s'offusquer, s'emporter, leur dire à quel point cette absence lui pesait, à quel point elle lui faisait mal. Silencieux, il ne put faire que semblant de sourire, faire comme si ça le faisait marrer.

Ça le tuait.

Parler, c'était sa marque de fabrique. Il était comme ça, il avait besoin de tout extérioriser pour mieux gérer son hyperactivité et ses émotions ça l'aidait à gérer sa vie, cette chose qui filait entre ses doigts fins. Être le seul véritable humain d'une meute était assez difficile à gérer, il fallait sans cesse s'adapter à ce qui se présentait à lui, son rôle pouvait changer d'une situation à une autre. Certes, il restait à l'arrière mais gardait toutefois de l'importance.

Lui accorderait-on la même, sans sa voix ? Comment parlerait-il de ses idées, ses plans, ses stratégies ? Il pouvait écrire, bien sûr, c'était dans ses cordes. Mais qui prendrait le temps, la peine de regarder ? De lire ? De se pencher sur ses idées ? Stiles voyait peu à peu son utilité disparaître avec sa voix.

Alors, il n'avait rien dit et en plus de faire semblant, avait muselé ses émotions autant que possible. Sa douleur ? Qu'est-ce qu'ils en ont à foutre ? Sa situation semblait leur convenir, alors que feraient-ils s'il osait leur communiquer son ressenti ? Rien. Pourtant, ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Ne pouvait-on pas lui accorder un son, un cri ? Lorsqu'il essaya discrètement de forcer sur sa gorge pour produire un son, Stiles ne fut même pas étonné de ne rien sortir.

Le pire, c'était surtout que Scott n'avait pas réfuté les paroles de Jackson ou de Théo. Non, il avait fait pire il avait hoché la tête en riant, comme les autres. Lydia, Liam, Mason, Malia… Et le reste.

Et ça avait brisé le cœur de Stiles, qui avait continué de sourire, indéfiniment.

xxx

Quinzième jour.

Ce jour-là, Stiles fut traîné de force à une réunion de meute par Lydia après les cours. Déjà deux réunions qu'il avait ratées ou qu'il s'était plutôt épargnées et la banshee était bien décidée à continuer de le faire participer aux activités de la meute. Parce qu'elle n'était pas bête Stiles s'effaçait peu à peu. Il ratait le lycée presque un jour sur trois, sans raison. Une fois, il était malade, la fois d'après, il avait un rendez-vous médical et un peu plus tard, il « oubliait » malencontreusement de se réveiller. Il y avait aussi ces yeux, ce regard un peu moins brillant, un peu moins rieur. Les cernes commençaient à apparaître et en experte du maquillage, Lydia décernait le talent de l'anticernes. Lorsqu'elle s'en était rendu compte, la jeune femme s'était fait la réflexion qu'elle n'aurait jamais imaginé que Stiles puisse vouloir cacher ce genre de choses. Parce qu'il n'avait rien à cacher. C'était Stiles, il parlait toujours et n'hésitait pas à le dire, si quelque chose le dérangeait.

Sauf que Stiles ne parlait plus. Et ça, Lydia en prit réellement conscience lorsqu'elle le vit, assis sur le canapé face au sien. Sa jambe bougeait de manière frénétique et son regard changeait fréquemment de direction, comme s'il était incapable de se fixer sur quoi que ce soit. « Hyperactif » fut le premier mot qui vint à l'esprit de la banshee.

- Arrête de faire ça, tu me stresses, râla Liam, à côté de lui.

Stiles tourna rapidement la tête vers lui avant de hocher la tête, l'air désolé. Il se mordit furieusement la lèvre.

Face à lui, Lydia haussa un sourcil. Quelle était cette lueur dans les yeux de Stiles ? Quelque chose de presque tangible, fort, qui disparut rapidement derrière un voile de vide.

Derek et Peter finirent par débarquer, un peu en retard, mais ce n'était pas grave : c'était ici chez eux, on ne pouvait rien leur reprocher. Scott se leva alors et se plaça au centre de la pièce tandis que Peter prenait le temps de faire cette remarque :

- Mais c'est que le petit humain décide de refaire surface on dirait !

S'il avait pu, Stiles aurait usé de son sarcasme sur lui. À la place, il se contenta de serrer les poings pour s'empêcher de réagir. Et pour cela, il dut utiliser une grande partie de son énergie. D'ordinaire, il s'efforçait d'utiliser ladite énergie pour mettre au point des plans, tout pour sa meute, pour l'aider, pour faire quelque chose de bien. Là, il ne s'en servait que pour se cacher des autres. Dissimuler ses émotions, que les loups devaient sans doute un peu sentir. Si tel était le cas, ils n'en montraient rien ou alors, ils n'en avaient cure. Et ça lui faisait mal. Ça le mettait en colère. Ses phalanges blanchissaient à vue d'œil, sa mâchoire était crispée à l'extrême et pourtant, il se força à esquisser un sourire. Pour faire comme s'il s'en foutait. Qui s'en souciait, de toute façon ?

Derek s'assit nonchalamment sur son bureau et ses yeux à la nuance inexacte captèrent l'irritation de Stiles et tombèrent tout de suite sur ses phalanges blanchies. En tendant son ouïe de loup, il entendait le frottement de la peau de Stiles, sa main qui formait un poing trop rigide et serré, ses doigts qui se serraient toujours plus fort, le crissement silencieux de sa mâchoire. Il était énervé alors pourquoi souriait-il ? Pourquoi ses lèvres s'étiraient-elles de cette manière si forcée ? Pourquoi ne se contentait-il pas de clamer son indignation, comme il le faisait d'habitude ? Car non, Derek n'était pas au courant, pas plus que Peter seuls les loups au lycée le savaient.

- Bah alors le gamin, on ne sait pas quoi répondre ? Continua Peter en le toisant, l'air méprisant.

C'était son truc ça, à Peter : provoquer, donner l'impression aux gens qu'ils ne valaient rien. Stiles aimait le rabaisser à son tour, pour qu'il arrête de se croire au-dessus de tout. Pour cela, son sarcasme était une arme de pointe, une arme taillée pour les combats qu'étaient leurs joutes verbales. Le temps était bien choisi : il aimait. Ce n'était plus d'actualité.

- Stiles… Stiles ne parle plus, finit par lâcher Scott.

Son air gêné ne passa pas inaperçu aux yeux de Stiles qui avait dardé son regard sombre sur son meilleur ami. Alors il avait honte ? Honte de le dire ? C'était tout ce qu'il pouvait déduire du visage crispé de Scott. Faux-cul. S'en suivit d'une rapide explication qui n'en était pas vraiment une, pour justifier son absence de voix. En réalité, Scott n'avait pas plus compris que Stiles pour quelle raison il était devenu complètement muet. Par la suite, il avait très vite enchaîné sur la raison pour laquelle ils étaient tous là la réunion.

Tout du long, Stiles serra les dents. Des hypothèses, il en avait des idées de plan, également. Au début, il leva la main de temps en temps, pour attirer l'attention et essayer d'avoir la chance d'expliquer son point de vue. Il écrivait parfois à l'avance ce qu'il voulait dire dans les notes de son téléphone. Stiles ne savait pas si Scott le faisait exprès ni pourquoi, mais à aucun moment il ne sembla le remarquer. Peut-être avait-il peur qu'il se ridiculise, peut-être voulait-il lui faire éviter la honte de montrer ostensiblement son handicap actuel. Cette ignorance pure et simple le blessa, mais il garda un visage neutre tout en essayant de maîtriser ses émotions.

Après tout, ce n'était pas si grave.

xxx

Dix-huitième jour.

Bousculé, on l'avait juste bousculé. Ce n'était pas de la faute de ces mecs s'il ne savait pas garder son équilibre. Stiles était frêle, une branche d'arbre, tellement fragile qu'il suffisait d'un rien pour la casser. Pas étonnant qu'il tombe à cause d'une bousculade. Qu'il tombe et que son arcade sourcilière soit en sang. Tout comme sa lèvre inférieure.

C'était rien, il était juste tombé, n'est-ce pas ?

Xxx

Vingtième jour.

Quelle avait été l'excuse de Stiles, cette fois-ci ? Une chute dans les escaliers. C'était ce qu'il avait dit à Lydia par message pour justifier son absence en cours, mais également à la réunion de meute ce jour-là. Il avait d'ailleurs sorti la même chose à son père dans un autre SMS. Le voilà dans la salle de bain face à sa chambre, les yeux couleur miel fixés dans l'image que lui renvoyait le miroir. Dégoûtant. Sa lèvre inférieure fendue et son arcade sourcilière blessée étaient les seules marques présentes sur son visage, les seules pouvant témoigner directement ce qu'il avait vécu. Le reste était caché sous ses vêtements amples qui donnait cette impression de finesse extrême.

C'est rien.

Juste… Quelques bleus par-ci par-là, sur les trois quarts de son corps. Voilà le produit de sa « chute ». Au moins, sa peau avait cessé d'être simplement pâle… Elle était colorée, maintenant. Stiles serra les poings. Il n'avait pas changé, il était toujours aussi faible et son mutisme le transformait en proie facile, en victime idéale.

« Alors, Stilinski, il paraît qu'on a perdu sa langue ? Voyons voir si tu fais semblant ! »

Ils avaient voulu voir s'il était capable de crier malgré son aphonie. La réponse leur avait bien plu, puisqu'ils avaient continué à l'assaillir de coups, dans les toilettes les plus reculées du lycée. C'était drôle, pour eux. Ce n'était pas tous les jours qu'une pipelette dans son genre était réduite au silence. Ça les faisait rire. Alors, ils avaient voulu en profiter, tester le silence de Stiles. Crier ? Il l'avait espéré. À demi-conscient, la bouche grande ouverte dans un hurlement insonore, il avait prié pour réussir à alerter. Rien. Rien n'était sorti de sa gorge. Rien n'avait changé.

Il était muet.

Au moment où on le passait à tabac, Scott embrassait Malia au détour d'un couloir, Lydia mangeait avec Isaac et Liam, Théo s'entretenait avec Mason, Kira et Corey.

Et lui ? Au départ, il venait simplement récupérer quelque chose dans son casier. Juste ça. Parce qu'ils avaient trouvé ça drôle, de martyriser quelqu'un qui ne pouvait alerter personne.

Stiles se jeta un regard noir. Il fallait qu'il se ressaisisse, qu'il arrête d'être une victime. Mais comment ne plus l'être lorsque l'on avait peur du lendemain ?

xxx

« Scott, je ne vais pas très bien. » - 13h35

« À cause de ta voix ? Ne t'inquiète pas, ça reviendra. » 13h57

Non, pas à cause de sa voix. Plutôt à cause de sa jambe et plus particulièrement sa cheville. Ses côtes. Son visage. Ses larmes.

Tout.

« Tu peux venir deux minutes s'il te plaît ? » - 13h58

Ses doigts tremblèrent lorsqu'il appuya sur « envoyer ». Il pria pour que Scott lui réponde rapidement et qu'il vienne l'aider. Il était prêt à lui parler, à lui avouer ça, même s'il en avait terriblement honte. Mais bon, c'était son meilleur ami, il n'allait pas le juger… Il allait l'aider, n'est-ce pas ?

« Pas tout de suite, Malia a un truc à me montrer. Après les cours ? » - 14h08

Stiles ne répondit pas et rentra chez lui en boitant.

xxx

- Bon, on va faire le point. Qu'est-ce qu'on a sur eux ? Demanda Scott.

- Pas grand-chose, on sait juste que cette meute a éradiqué tout un tas de créature surnaturelles apparues récemment, récita Lydia en soupirant de manière théâtrale. En soi, elle a un peu réglé ce qui était en train de devenir notre problème…

- Ou pas, rétorqua Derek. Cette éradication totale, moi, ça ne me dit rien qui vaille.

Les regards se posèrent sur lui, surpris pour la plupart. Il était vrai que l'ancien alpha, d'un naturel taciturne, parlait peu souvent. Chaque intervention de sa part était inédite, peu commune. Sa présence en imposait tant qu'il n'avait généralement pas besoin de parler pour être respecté. Même en tant qu'alpha actuel, Scott se faisait parfois tout petit, comme si son rôle appartenait toujours au loup de naissance.

- Est-ce que quelqu'un pourrait envoyer un message à Stiles ? Il n'est toujours pas là et c'est assez embêtant, j'ai besoin qu'il fasse des recherches sur cette meute, soupira Scott, légèrement voûté, comme si sa responsabilité d'alpha lui pesait. Il faut qu'il vienne.

Après tout, il ne s'était toujours pas fait à l'idée que c'était lui qui devait diriger cette meute à la place de Derek, qui était redevenu un bêta.

Lydia dit qu'elle s'en occupait et, alors que Scott exposait quelques éléments de plus, le coupa en plein milieu d'une phrase :

- Il ne viendra pas mais aimerait que tu lui envoies ce qu'il doit chercher.

- Encore ? Et pourquoi il n'est pas là, cette fois ? S'enquit Peter d'un ton las.

- Il dit qu'il est malade, répondit-elle, les sourcils légèrement froncés.

Lydia n'aimait pas ça, car Stiles était de plus en plus souvent absent, que ce soit en cours, ou bien aux réunions de meute. Et, comment dire… Ce genre d'excuse revenait assez régulièrement, à tel point que ça en devenait sérieusement suspect. Encore, elle s'estimait heureuse au moins, il lui répondait… Mais ça ne la rassurait pas pour autant.

Scott soupira et se pinça l'arête du nez :

- Eh bien qu'il fasse un effort, moi je suis épuisé et pourtant je fais acte de présence. On parle de la sûreté de Beacon Hills, c'est important.

Derek riva son regard sur Lydia, qui paraissait profondément embêtée. Il ne disait rien, mais les premières absences de l'hyperactif aux réunions lui avaient toujours parues étranges, dès le départ. Et encore, il se souvenait de son attitude la dernière fois qu'il avait eu la décence de venir : il s'était tenu droit, distant, l'air froid tout en suintant la colère.

- Toi, tu es un loup, lui rappela Lydia. Tu peux tout encaisser plus facilement, tout autant que tu ne peux pas tomber malade.

- Ah, j'ai compris, il doit faire un caprice parce qu'il est toujours muet, lâcha Jackson d'un air moqueur.

Derek, adossé à la baie vitrée, haussa un sourcil. Après presque un mois, Stiles n'avait toujours pas retrouvé sa voix ? Cette histoire était vraiment étrange, surtout que personne ne savait réellement comment ni pourquoi il l'avait perdue. Pour autant, il ne voyait pas l'hyperactif bouder pour cette raison. Il ne l'imaginait pas bouder tout court, parce qu'il n'était pas comme ça il aimait trop la meute pour l'éviter. Alors pourquoi c'était ce qu'il faisait ?

- J'espère sérieusement que ça va lui passer, soupira Scott, parce que sinon, on ne va jamais avancer.

xxx

Vingt-trois heures.

Les yeux de Stiles clignèrent à plusieurs reprises alors que ses doigts tapaient sur le clavier de son vieil ordinateur depuis deux bonnes heures. Il avait mal et n'était clairement pas en forme, mais se devait bien de compenser son absence à la réunion qui s'était terminée en début de soirée. Il continua d'ignorer les tiraillements incessants de son corps et tenta de rester concentré, chose difficile malgré le fait qu'il avait bien pris son traitement. Il se raidit lorsqu'il entendit des bruits de pas, dans l'escalier. À une vitesse étonnante malgré son manque de mobilité évident, il ferma brutalement son ordinateur, éteignit les lumières et se jeta dans son lit, tirant le plus possible la couverture.

Lorsque Noah Stilinski ouvrit la porte de la chambre de son fils, il ne vit qu'une masse informe dans le lit deux places. Seule une touffe de cheveux bruns dépassait de la couette. Le shérif sourit en voyant que son fils dormait déjà. Il devenait enfin raisonnable.

Dommage qu'il ne puisse pas souvent le voir ces temps-ci à cause de son boulot. Les affaires criminelles se multipliaient et il se retrouvait à faire pas mal d'heures supplémentaires. Il n'allait pas mentir, ça l'arrangeait son salaire n'était pas très élevé et il n'avait toujours pas fini de payer la facture pour le séjour de son fils à Eichen House, quelques mois plus tôt. Il n'y a pas à dire, les frais d'hôpitaux en Amérique coûtaient un bras. Un poumon. Un rein.

Lorsque le shérif referma la porte derrière lui, Stiles relâcha son souffle, qu'il n'avait pas conscience d'avoir retenu. Il baissa la couverture en-dessous de son menton, inspira, expira, en tremblant légèrement. C'était moins une. Un peu plus et son père aurait vu les stigmates sur son visage, dont sa pommette largement bleuie.

Ce n'était pas la peine qu'il le déçoive, une fois de plus.

Le lendemain, il resterait ici et s'arrangerait pour que son père ne soit pas au courant.

Il trouverait bien une excuse, encore.

xxx

Stiles ne revint au lycée que trois jours et plusieurs tutos beauté plus tard. Durant le week-end, il était sorti pendant le service de son père et s'était résolu à acheter quelque chose qui pouvait l'aider à moins craindre qu'on le voie : du fond de teint. Le bleu de sa pommette avait partiellement disparu, mais il ne pouvait pas rester plus longtemps comme cela, à se cacher de son père, à l'éviter le plus possible, juste pour qu'il ne voie pas son état. Son père travaillait tellement qu'ils ne mangeaient même plus ensemble, ce qui l'arrangeait fortement. Bien sûr, il était arrivé dans ce magasin de cosmétique, peu à l'aise. La capuche de son sweat relevé sur sa tête avec une large écharpe relevée jusqu'à son nez comme s'il s'agissait d'un masque, Stiles avait clairement l'air suspect et la vendeuse avait eu un mouvement de recul en le voyant. Il avait relevé son téléphone portable sur une note expliquant qu'il était malade et n'avait plus de voix et qu'il cherchait quelque chose pour sa peau, un fond de teint, peut-être. La jeune femme avait hoché la tête, soulagée de constater que ce type étrange n'était pas un psychopathe, ou du moins perdait cette image. Elle en avait testé plusieurs sur le dos de sa main droite, lui avait même proposé d'essayer avec son visage. D'un mouvement rapide de la tête, Stiles avait décliné et était passé en caisse, payant le fond de teint et quelques petits produits supplémentaires adéquats.

Il s'était beaucoup entraîné à l'aide de vidéos et de conseils sur internet, avait plus ou moins appris à se servir de ce qu'il avait acheté. Le résultat était loin d'être parfait, mais ça suffirait pour une journée au lycée. Pour un garçon qui avait dû se former sur le tas, ce n'était pas si mal. Au moins, le teint correspondait à sa peau… C'était déjà ça. Ses stigmates étaient camouflés et c'était tout ce qui comptait.

Pour le reste, il suffisait qu'il garde sa chemise par-dessus son t-shirt et que personne ne soulève celui-ci. De toute façon, qui ferait ça ?

En descendant de sa Jeep garée à quelques dizaines de mètres du lycée, Stiles adopta un masque de neutralité qu'il avait appris à travailler. Après un bon mois sans voix à faire semblant d'aller bien, il était plutôt pas mal.

Ce jour-là, il avait un examen à presque chaque cours et autant dire qu'il n'avait eu ni le temps, ni la foi de réviser. Par chance, quelques souvenirs de ses leçons trottaient dans sa petite tête, encore fallait-il que ce soit suffisant. Il avait rattrapé les cours manqués grâce à Lydia qui lui avait envoyés, mais n'avait pour autant pas retenu grand-chose.

Son esprit était sans cesse ailleurs.

Il fallait dire aussi que l'hyperactif était loin d'être serein. Poser les pieds dans ce lycée lui rappelait les quelques passages à tabac des jours passés. À chaque détour de couloir, il se raidissait, prêt à se sentir tiré en arrière, à l'écart. Il tendait l'oreille, prêt à entendre les remarques, les signes annonciateurs d'une potentielle agression. Il était toujours sur le qui-vive, sursautait s'il percevait un bruit ou un mouvement étrange près de lui. Si l'on ajoutait à cela qu'il évitait ses amis comme la peste pour qu'ils sentent le moins possible sa peur, alors l'on comprenait mieux la récurrence de ses absences. Depuis ce jour où il avait voulu mettre Scott au courant de ses soucis mais que celui-ci avait priorisé Malia, Stiles avait pris cette stupide décision de tout garder pour lui. Il avait senti cet éloignement, cette perte d'intérêt pour sa personne. Tout ça, depuis la perte de sa voix. Les comportements de ses amis étaient globalement les mêmes : on lui parlait moins et se contentait de cette situation.

Tout le monde était plus heureux sans les litanies incessantes de Stiles.

Stiles fit attention à rentrer dans la salle après Lydia, Scott et Malia, qui étaient dans sa classe. Il voulait éviter regards et questions, qui ne viendraient pourtant sans doute pas. Il s'installa dans un coin de la salle, son masque de neutralité bien en place. Avant de sortir ses affaires de son sac, il alluma son téléphone, ouvrit l'application de l'appareil photo et le mit en mode selfie. Après quelques secondes d'observation, l'adolescent l'éteignit. Le fond de teint avait l'air de tenir et personne ne l'avait regardé plus bizarrement que d'ordinaire. Pourtant, il sentait un regard insistant sur lui, mais il se força à ne pas tourner la tête. Il devait rester concentré et neutre. En d'autres termes, essayer d'amenuiser sa peur qui devait déjà avoir été sentie par ses amis loups-garous.

Elle fut remplacée par l'angoisse lorsqu'on lui distribua le sujet de l'examen.

xxx

La journée se passa tranquillement malgré plusieurs examens catastrophiques et Stiles soupira de soulagement en sortant du lycée sans encombre. Ce jour-là, ses assaillants avaient, semble-t-il, décidé de le laisser tranquille et autant dire qu'il n'allait pas s'en plaindre, bien au contraire. Une petite voix intérieure l'empêcha d'espérer que sa paix dure c'était sans doute une exception. Mieux valait ne pas se faire d'illusions pour éviter la déception. Pour autant, la peur ne le quittait pas, s'accrochait à lui comme une sangsue. Sans doute ne s'amenuiserait-elle que lorsqu'il aurait posé ses petites fesses sur le siège usé de sa bonne vieille Jeep, enfermé à clé dans celle-ci. Loin d'eux, loin de ceux qui lui voulaient du mal.

Qui s'amusaient avec lui.

Lorsqu'il fut à l'intérieur, Stiles ne prit pas le temps d'apprécier le confort sommaire de l'habitacle et démarra en trombe. Puisque son masque de neutralité était toujours actif, seules ses mains tremblantes trahissaient sa terreur. Stiles n'était pas quelqu'un que l'on terrifiait facilement entre ce qu'il voyait au niveau surnaturel et ce qui lui arrivait directement à lui, dans la vie réelle, la différence était flagrante. Il s'était bien fait tabasser une fois par Gérard mais c'était rapide, juste deux-trois coups, parce qu'il avait fait le malin en voulant aider ses amis. Ce n'était pas la même chose. C'était juste… Pour stopper son enquête, dans le but de le faire taire. Là, on s'amusait avec lui. On profitait de son handicap pour tester ses limites sans qu'il ne puisse prévenir qui que ce soit. On voulait voir si le faire marcher avec une cheville foulée le ferait gémir, si tenter de lui fêler une côte pouvait le faire crier, si le frapper jusqu'à l'évanouissement allait le faire hurler. Parce qu'on ne comprenait pas qu'un hyperactif aussi bavard que l'était Stiles se taise du jour au lendemain. Parce qu'il était agaçant au possible et qu'on avait juste envie de lui arracher la langue. Maintenant que c'était chose faite, pourquoi ne pas en profiter pour s'amuser un peu ? Stiles crispa les mains sur le volant et son masque se brisa : les larmes coulèrent d'elles-mêmes, abîmant son fond de teint qui commençait tout juste à partir.

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Ses mains amenèrent l'eau jusqu'à son visage et les dernières traces du fond de teint finirent dans la tuyauterie du lavabo ainsi que sur quelques rondelles de coton. Le bleu-violet avait repris sa place sur la peau auparavant diaphane, désormais d'une pâleur maladive. Le regard miel de Stiles se détourna aussitôt de son reflet dans le miroir. Dieu qu'il était laid. Il n'avait jamais eu des traits très gracieux mais les bleus ne l'aidaient pas à s'embellir, loin de là. Pourtant, Stiles s'était toujours supporté, mais là, il commençait à avoir du mal à ne pas ressentir de dégoût en se voyant. Pas étonnant qu'on ne se soit jamais intéressé à lui et que Lydia, envers qui il avait longtemps eu un béguin, l'ait toujours ignoré. Désormais, ils étaient amis et Stiles comprenait encore mieux pourquoi. Le pauvre garçon n'avait décidément rien pour lui : il parlait trop et n'était pas beau. Encore, heureusement que ses sentiments pour la jeune femme avaient disparu depuis longtemps. Autrement, sa douleur n'en serait que plus forte. C'était déjà un petit poids en moins.

Stiles sortit de la salle de bain et si l'on regardait bien, l'on pouvait discerner le léger décalage dans ses pas. Il boitait, pas beaucoup, mais c'était là. L'hyperactif n'avait pas besoin de faire attention à sa démarche ou à son visage, son père ne rentrerait qu'aux alentours de deux heures du matin par conséquent, il était tranquille et n'avait pas besoin de se cacher. Maigre consolation. Il s'allongea délicatement sur son lit pour ne pas réveiller ses différentes douleurs. Depuis la perte de sa voix, sa tête le lançait très régulièrement et bien sûr, ses blessures ne lui laissaient que peu de répit. La prise d'antidouleur était devenue sa plus grande habitude.

Pour passer le temps et parce qu'il ne savait jamais quoi faire, Stiles se mit à surfer sur internet avec son téléphone portable, sans grande conviction. Son hyperactivité le démangeait et de nombreuses émotions intérieures bouillonnaient sous la surface, ne demandant qu'à s'exprimer. Sauf que Stiles s'y refusait. Le plus souvent, il essayait d'encaisser, de passer outre. Certes, il avait craqué dans sa voiture, en laissant le champ libre à ses larmes, mais cela ne devait pas se reproduire. Stiles ne devait pas prendre ce chemin qui le ferait irrémédiablement sombrer. Ou peut-être était-ce déjà le cas ? Il ne le savait même plus.

Une notification le stoppa dans ses pensées. Un message, provenant de… Lydia ? Que lui voulait-elle, à plus de vingt heures passées ?

« Je peux passer chez toi ? » - 20h45.

« Non. » - 20h47.

Ce n'était pas la réponse la plus gentille que Stiles avait formulée, mais il n'avait pas envie de se casser la tête, pas plus qu'il ne le faisait déjà. Il ne voulait voir personne. Déjà, il avait été difficile de supporter la présence de ses amis dans la même classe que lui lors de leurs différents examens, ce jour-là. Il avait pué l'angoisse et la peur, nul doute que Malia et Scott avaient dû les sentir. Pour autant, ils n'avaient tenté aucune approche, ne lui avaient, à cette heure, envoyé aucun message. Alors oui, Stiles avait honte. Honte de faire partie d'une meute aussi hétéroclite que la leur en étant un simple humain honte d'être aussi faible et ne pas pouvoir se défendre. Honte d'être aussi silencieux. Mais bon, ça leur allait, non ? Et voilà que la colère, liée à la douleur, émergeait à la surface. Stiles serra les dents pour s'empêcher d'essayer. Il se retint à tel point que sa mâchoire se crispa comme jamais. Il voulait crier et était frustré à l'avance car il savait que c'était impossible. Que sa bouche s'ouvrirait en grand pour laisser passer le néant. Céder à cracher un hurlement silencieux ne ferait que le frustrer encore plus, faisant grandir la boule douloureuse dans tout son être.

Alors, Stiles ravala sa souffrance et encaissa, encore.

Son portable vibra, encore. Stiles soupira d'agacement avant d'écarquiller les yeux. Qu'est-ce que Derek pourrait bien lui vouloir ?

« Sors de chez toi. » - 20h51.

« Non. Je vais dormir, bonne nuit. » -20h52.

Encore une réponse froide, mais Stiles s'en foutait un peu. Derek Hale qui lui envoyait un message ? C'était inédit. Qui lui demandait de sortir de chez lui sans lui dire pourquoi ? Encore plus. Stiles n'allait pas sortir dans le froid de la nuit pour ses beaux yeux. Très, très beaux yeux. Alors, il avait pris ce prétexte du dodo pour ne pas répondre un simple non. Pourquoi faire cet effort de ne pas juste répondre non, comme il l'avait fait avec Lydia ? Aucune idée. Peut-être simplement que Stiles avait assez donné avec la violence. Le point fort de Derek, c'était sa capacité à plaquer n'importe qui – et plus particulièrement Stiles – contre un mur mais également de proférer des menaces d'arrachage de gorge avec ses dents. L'hyperactif n'avait pas envie de s'amuser à pousser le loup à bout comme il en avait l'habitude. Il ne voulait voir personne, désirait s'isoler de la meute. De toute façon, Derek ne se trouvait pas en bas de chez lui, n'est-ce pas ? En parlant de ce lycan mal léché, voilà qu'il lui envoyait un nouveau message.

« Tu connais l'adage, ce que Lydia veut, Lydia l'obtient. » - 20h55.

« Et alors ? » - 20h56.

« Et alors on est en bas. » - 20h56.

La première question que se posa Stiles fut : « mais qu'est-ce que Derek fait avec Lydia ?! », tandis que « qu'est-ce qu'ils foutraient en bas de chez moi ? » fut la seconde. Son esprit avait un ordre de priorités certain, quoiqu'un tantinet particulier. Mais bon, c'était Stiles, le mot « paradoxe » lui allait plus qu'à n'importe qui. Et pourtant… Pourtant il n'y croyait pas. Il était certain que Lydia et Derek lui faisaient une blague, même si ce n'était pas vraiment le genre du deuxième, plutôt celui de la première. Comment aurait-elle, dans ce cas, réussi à embarquer l'ancien alpha avec elle ? Stiles secoua la tête. Tout était faux, c'était une blague. Il se répéta cette phrase en boucle, comme un mantra pour se persuader que c'était réel. Il se glissa alors dans ses draps, sans pour autant éteindre la lumière de sa lampe de chevet. Depuis quelques temps, il ressentait ce besoin étrange de garder la lumière allumée le plus de temps possible. Était-ce parce qu'il avait parfois peur de s'endormir et de retrouver les visages de ses agresseurs dans ses rêves ? Peut-être. Peut-être un peu, oui. Si ça continuait comme ça, il allait falloir qu'il s'achète une veilleuse. Pendant un instant, il songea à demander à Isaac mais effaça tout de suite cette idée de son esprit. Oui, le loup dormait avec une petite lumière pour se rassurer mais il ne vivait pas la même chose que lui. Isaac était traumatisé par tout ce que lui avait fait son père. Stiles, lui… Il avait juste reçu quelques coups, rien de comparable à l'enfer qu'avait vécu Isaac. En plus de son éloignement de la meute à cause de son handicap, Stiles ne se sentait absolument pas légitime et ne se voyait pas lui demander conseil alors que ce qu'il vivait… Les gens s'amusaient, juste. Il n'avait… C'était pas grave. Alors, Stiles ferma les yeux.

Et entendit les escaliers grincer, des pas se rapprocher. Non. Cela devait sans doute être son père, qui était rentré plus tôt que prévu. Alors pourquoi les pas semblaient-ils… Nombreux ? La pensée fugace que ce que Derek avait dit ne soit pas une blague traversa l'esprit de Stiles, avant de s'imposer d'elle-même lorsque la porte s'ouvrit en grand. L'hyperactif eut tout juste le temps de se tourner dos à la porte et de rabattre les couvertures sur sa tête.

- Stiles, sors de là, lui enjoignit la voix ferme de Derek.

Puisqu'il ne pouvait pas dire non de vive voix, Stiles sortit juste sa main de la couette et secoua son index de gauche à droite, avant que ladite main ne retourne se cacher sous les couvertures. Il écrivit rapidement « JE DORS » à Lydia qui reçut instantanément le message. Parce que la peur commençait déjà à s'emparer de Stiles. Il fallait qu'ils s'en aillent, ils ne devaient pas voir son visage. Surtout pas. Ça ne les regardait pas et puis merde c'était rien de grave. Juste… Quelques égratignures. Rien du tout. Mais quand même, s'ils pouvaient éviter de voir ça, autant dire que ça arrangerait bien Stiles. Il eut envie de leur hurler « mais putain mais de base qu'est-ce que vous foutez chez moi ?! » mais, comme toujours, c'était impossible. Il agrippa alors les bords de la couette et les serra entre ses doigts, espérant que Lydia et Derek s'en aillent, qu'ils revoient leur stupide idée d'être venus comme une putain d'idiotie à ne pas réitérer. Quelques temps plus tôt, Stiles aurait beaucoup apprécié cette sollicitude, cet intérêt qu'on pouvait lui porter, mais plus maintenant. Stiles avait changé et il avait désormais honte de ce qui lui arrivait, même si ce n'était pas grand-chose. Il était le seul véritable humain de la meute, n'était-ce pas assez comme signe de faiblesse ? Fallait-il qu'il en rajoute encore une couche ou ça suffisait ?

- Stiles, on ne partira pas tout de suite, pas tant qu'on ne saura pas ce qu'il t'arrive.

La voix de Lydia était douce, beaucoup moins ferme que celle de Derek.

« Tout. Va. Bien. Laissez-moi dormir. » Voilà ce que venait de lui renvoyer Stiles. De là où il était, sous les couvertures, il entendit un soupir.

- Lydia, il sortira pas de son plein gré.

- J'aurai espéré, soupira-t-elle de manière théâtrale.

Les pas se rapprochèrent de son lit et Stiles se mit à trembler en resserrant ses doigts autour du bord de la couette qu'il tenait. Il ferma fort les yeux et espéra, espéra qu'ils le laisseraient tranquille. Il n'avait pas mis son fond de teint, son visage était nu, ses blessures se voyaient. Et il n'était pas prêt à montrer ça à qui que ce soit, même si ce n'était pas grave. Finalement, peut-être que dans un sens, ça l'était. Stiles n'en savait rien, il ne savait plus rien. Pitié… Sans qu'il s'y attende, la couette fut arrachée de ses doigts et envoyée à l'autre bout de la pièce, mettant le jeune homme complètement à nu et dans la pire position de faiblesse qui soit allongé, recroquevillé sur lui-même, comme une merde. Stiles n'avait rien pu faire et, s'étant un peu tourné regarda, sidéré, le lycan et la banshee qui lui faisaient face. Assurément, c'était Derek qui lui avait arraché son seul moyen de se protéger, il n'y avait que lui pour avoir une telle force. Il vit le visage de Lydia se décomposer sous ses yeux et l'air froid de Derek, eh bien… Ne plus être si froid que ça.

- Oh mon dieu, souffla Lydia, choquée au possible.

Le visage tuméfié de Stiles ne passa pas inaperçu, au contraire, si bien que le jeune homme, une fois sa sidération passée, se retourna soudainement pour se mettre le plus rapidement possible dos aux deux êtres surnaturels qui s'étaient incrustés chez lui. Ce mouvement brusque raviva les douleurs de certaines de ses blessures mais il garda le silence. De toute manière, ce n'était pas comme s'il pouvait gémir ou autre… Il se contenta de grimacer, dos à eux.

- Merde, Stiles ! S'écria Lydia en se précipitant vers le lit.

Laissez-moi. Ne me regardez pas.

Alors que la jeune femme tirait sur son épaule pour l'obliger à se retourner, Stiles cacha son visage à l'aide de ses mains.

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- Laisse-toi faire, fit Lydia de ce ton ferme qui lui allait si bien, qui faisait que l'adage « ce que Lydia veut, Lydia l'obtient » était plus vrai que jamais.

Stiles roula des yeux, l'air exaspéré. De toute manière, est-ce que j'ai le choix ? Il voulut soupirer mais se retint au dernier moment. La jeune femme pressa doucement une poche de glace sur sa pommette bleuie tandis que, de son autre main elle désinfectait certaines des blessures de son visage.

- Une chance que rien ne se soit infecté. Tu aurais dû faire ça dès le début, grommela-t-elle.

Stiles souffla du nez, ayant presque envie de rire. Une Lydia qui grommelait, c'était rare et iconique. Dans ces moments-là, elle semblait bouder comme une enfant, tant elle gonflait ses joues tel un hamster. Bon, il se peut qu'elle ne boude pas et qu'elle soit plutôt furieuse, mais ce n'était qu'un détail. Un tout petit détail… Qui n'était rien par rapport au silence intersidéral de Derek, qui était encore là. Pas que le loup-garou parlait beaucoup en général, mais au moins, il grognait. Là, il ne faisait littéralement aucun bruit pas un seul grognement n'avait fait vibrer sa gorge, pas un seul mot, pas un seul bruit de grattement sur quelque surface que ce soit. Son silence était effrayant.

Stiles aurait tout donné pour l'entendre grogner, juste une fois. Pour savoir que tout allait bien, que Derek n'allait pas le trucider. Il se mordit la lèvre intérieure et sursauta légèrement car le boulet qu'il était avait mordu l'endroit où il avait une blessure.

- Ne bouge pas, lui répéta Lydia en fronçant les sourcils.

Stiles leva les doigts au ciel en fronçant puis en haussant les sourcils, l'air de dire « ça va, j'ai pas fait exprès… »

Sauf que ne pas bouger lui faisait mal aux fesses. Il s'était mal installé sur le tabouret de sa chambre qui avait été transporté dans la salle de bain pour l'occasion. Ordre de Lydia, avec la pression silencieuse de Derek. Encore une fois, Stiles lui jeta un regard encore une fois, Derek le regardait et il était impossible de déchiffrer son regard incertain, mélange de gris, de vert et de bleu. Impossible de se décider sur leur couleur. Par contre, Stiles se décida très vite à baisser les yeux. Soutenir son regard, c'était trop dur pour lui. Empli de honte, l'hyperactif ferma les yeux, comme si ses paupières le séparaient de la réalité, le protégeaient de ce qu'il se passait. Du fait que Lydia était en train de le soigner, sous les yeux de Derek. Du fait qu'ils avaient vu son visage, qu'ils avaient deviné. Parce qu'ils ne pouvaient pas savoir, ils pouvaient juste imaginer, déduire certains éléments évidents.

- Où est-ce que tu ranges tes pansements ? Demanda la jeune femme.

Stiles rouvrit les yeux et la regarda un instant, avant de lui indiquer l'emplacement d'un geste. Quelques secondes plus tard, un pansement recouvrait une coupure au front et une autre au nez. Pour sa lèvre, il valait mieux laisser ça à l'air, tandis que son arcade sourcilière n'en avait pas besoin.

- Et voilà, fit Lydia d'une voix chantonnante, comme si elle venait de faire un gâteau réussi.

Cette fois, c'était Stiles qui se pressait la poche de glace contre sa pommette bleuie. Lydia lui avait bien fait comprendre qu'il devait s'occuper de lui.

Ainsi, ils retournèrent dans la chambre de Stiles, qui ne savait clairement pas où se mettre. Lydia faisait comme si elle était chez elle tandis que Derek suivait le mouvement, toujours aussi silencieux. Autant Stiles pouvait potentiellement tenter de comprendre pourquoi la banshee était venue, autant en ce qui le concernait, l'hyperactif ne comprenait pas. Quitte à ne rien faire et à ne pas parler ni même grogner, autant rester à son loft chéri, loin des problèmes. Oui, Stiles se considérait comme un problème. Lorsqu'il avait dû passer de la salle de bain à la chambre, tout comme il avait fait l'inverse un peu plus tôt dans la soirée, le fils du shérif fluidifia sa démarche. Lydia avait pris soin de son visage mais Stiles avait refusé de lui laisser entendre qu'il avait d'autres blessures. Peut-être la rouquine s'en doutait-elle. Néanmoins, elle avait eu la décence de ne rien lui demander de plus. Pour autant, Stiles voulait cacher le fait que sa cheville était elle aussi touchée s'il avait été seul, nul doute qu'il n'aurait pas soigné sa démarche. Et pourtant…

Pourtant Derek perçut cette irrégularité dans le pas de l'adolescent. Légère, mais présente. Il boitait ou plutôt, cachait cela du mieux qu'il le pouvait. Discrètement, il serra les poings, presque à se faire saigner la paume des mains tant ses griffes menaçaient de sortir. Il se retint de justesse et garda son sang-froid. Il ne vit Stiles se relâcher que lorsqu'il se fut assis sur son lit, faisant lamentablement face à cet étrange duo qu'il formait, avec Lydia. Cette dernière croisa les bras sur sa poitrine et donna l'impression d'être un paon tant elle bombait le torse et se grandissait, voulant paraître plus imposante qu'elle ne l'était. Dans un autre contexte, peut-être Derek aurait-il soufflé du nez, son maximum en terme de rire.

- Tu te doutes qu'on ne va pas repartir sans explication valable, lui dit-elle de son habituel air méprisant, pour se donner une contenance.

Pour la troisième fois de la soirée, Stiles leva les yeux au ciel et saisit son téléphone portable. Le regard de Derek perdit un peu plus de sa froideur : il avait oublié que l'hyperactif avait perdu l'usage de sa voix. Et pourtant, comment l'oublier ? Stiles n'était plus le moulin à parole qui agaçait tout le monde auparavant il était désormais plus silencieux que n'importe qui. Autant dire que ça détonnait.

Après avoir pris le temps de taper quelque chose, Stiles tourna l'écran vers Lydia et Derek.

« Ça sert à quoi que vous soyez au courant ? C'est pas comme si ça va changer quelque chose. »

La franchise dans les mots de Stiles toucha la banshee et le loup en plein cœur. Ils n'en croyaient tout simplement pas leurs yeux. L'hyperactif avait changé. Autrefois, jamais il n'hésitait à se plaindre, il avait toujours besoin de parler lorsque ça n'allait pas. Là, il semblait fermé comme une huître. Stiles tapa autre chose sur les notes de son téléphone, avant de leur montrer à nouveau.

« Faites pas genre ça vous intéresse. J'ai pas besoin de ça. »

- Stiles… Commença Lydia, bouleversée.

L'hyperactif secoua la tête et tapa autre chose, de manière plus… Empressée. Son odeur suintait la colère, mélangée à la tristesse et peut-être, à la rancœur.

« Non, c'est non. Parce qu'il se passera quoi si je vous le dis ? Vous allez vous moquer, ou alors juste me reprocher d'être un putain d'humain trop faible. Alors oui je le suis, mais quand même, j'ai pas besoin qu'on me le rappelle sans arrêt. Et toi, Lydia, dis rien : t'es pas juste humaine, t'es une banshee. Donc je te le dis à l'avance, viens pas me raconter des salades. Ça me fait déjà assez chier comme ça que vous ayez vu ça. »

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Stiles eut du mal à se lever ce matin-là. Sa tête était remplie d'idées peu joyeuses et son corps le tiraillait. Il soupira en éteignant son alarme. Après le départ de Derek et Lydia – qu'il avait bien forcé –, l'hyperactif avait eu bien du mal à s'endormir, encore plus de mal à ne pas prendre son téléphone et harceler Lydia pour qu'elle revienne, qu'elle l'écoute, qu'il lui parle de tous ses malheurs… À l'écrit. L'envie de recontacter Derek l'avait aussi pris. Aussi folle soit-elle, elle était là. Le fait qu'ils avaient vu avait remué des choses en lui. Partagé entre l'envie de tout oublier et celle de tout dire, Stiles s'était torturé jusqu'à trouver le sommeil aux alentours de trois heures du matin.

C'est à sept heures et quarante-cinq minutes que Stiles sortit de chez lui, tous les hématomes de son visage dissimulés par une couche suffisante de fond de teint. Il n'avait pas envie d'aller en cours, vraiment, mais avait-il le choix ? Son père lui avait envoyé un message la veille et commençait à s'intéresser à ses absences. Pour éviter qu'il n'attire trop son attention, l'hyperactif devait faire profil bas. Là encore, une question se posait : Lydia avait-elle parlé à quelqu'un de ce qu'elle et Derek avaient vu ? Bien sûr, le loup ne parlerait pas : ce n'était pas son genre. Stiles avait cependant quelques doutes concernant la banshee. De gros doutes. Et il ne fallait pas qu'elle essaye, parce que Stiles risquerait de céder.

Parce qu'il était putain de faible et qu'il le savait.

Alors, toute la journée, Stiles évita avec succès la jeune femme. Ceux qu'il ne put éviter, en revanche, l'attirèrent dans un coin et s'en donnèrent à cœur joie.

Vraiment, Stiles était la victime idéale.

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Stiles laissa son téléphone tomber sur son lit avec une lassitude non dissimulée. Lydia lui avait envoyé plusieurs messages, toute la journée. Pour ne pas céder, il s'était abstenu de lui répondre.

C'était débile de vouloir lui parler alors qu'il l'avait envoyée bouler au premier abord. Puis ses problèmes… Ça allait, ce n'était pas si grave. Il pouvait tenir. Sans doute trouverait-il une solution plus tard même si pour lui, la seule viable était de retrouver sa voix. Pourquoi embêter ses amis alors qu'il suffisait juste qu'il parle à nouveau ? Parce qu'un Stiles ayant le don de parole, c'était dangereux. Son débit était une arme de destruction massive. Il fallait juste… Qu'il trouve une solution pour retrouver sa putain de voix. Dans sa vie, tout s'était plus ou moins effondré parce qu'il l'avait perdu. Logiquement, tout devrait s'arranger en reparlant.

L'espoir fait vivre, comme on dit.

Néanmoins, on pouvait dire que sa journée n'avait pas été si mauvaise que ça : son principal problème avait simplement été Lydia. Nombreux furent les stratagèmes qu'il avait utilisés pour l'éviter. Fuir la rousse avait été sa seule inquiétude. Les autres l'avaient laissé tranquille, une fois de plus, autant dire que Stiles n'allait pas s'en plaindre. Avoir mal n'était pas quelque chose qu'il appréciait vraiment, étonnamment.

Son père travaillant tard ce soir-là, Stiles prit son temps pour se doucher et eut même le luxe de se balader dans sa maison sans maquillage. Le fond de teint, c'était bien mais ça le démangeait un peu lorsqu'il le portait trop longuement. Et puis il commençait déjà à avoir un petit bouton sur le front. Si on avait dit à Stiles que le maquillage, ça faisait ça, c'était à se demander à quoi ressemblait la peau de Lydia sous tout ce qu'elle mettait.

Sans grand appétit, il mangea des restes du repas de la veille, nettoya la cuisine et remonta dans sa chambre. Et puis, il s'assit sur son lit, simplement. Il était à peine vingt-heures, que faire ? Pour une fois dans sa vie, Stiles n'en avait aucune idée. Enfin, il se souvint qu'il avait des recherches à faire pour la meute et même si ça ne l'enchantait pas le moins du monde, il allait s'en occuper. Parce que c'était ce qu'on attendait de lui et il n'avait rien de plus intéressant à faire. Son côté génie de la recherche était la seule chose qui le rendait plus ou moins utile au sein de la meute. Ses plans aidaient beaucoup, aussi. Mais c'était tout. Pour le reste, on s'en remettait aux loups.

Alors, il reprit les documents qu'il avait commencé à feuilleter quelques temps avant et ouvrit plusieurs pages puis onglets internet. Il fallait qu'il en profite, tant que son état moral était plus ou moins stable.

Deux heures passèrent de cette manière et Stiles s'accorda une pause. Il en avait besoin, ses yeux le piquaient. Ils étaient rouges et c'était dans ce genre de moments que Stiles se disait qu'il se prendrait bien des lunettes aux verres anti-lumière bleue. Il paraissait que c'était efficace et aidait les yeux à se fatiguer moins vite. Si tel était le cas, tant mieux. Sans aucune douceur, Stiles ferma son ordinateur et sortit son téléphone portable avant d'en baisser la luminosité. Il informa Scott par message de ses avancées – pas très nombreuses mais tout de même – en lui faisant un bref récapitulatif de ce qu'il avait trouvé. Son meilleur ami lui répondit instantanément avec une joie non-dissimulée, lui disant que ses recherches, bien que loin d'être terminées, aideraient beaucoup la meute.

C'est là que Stiles tilta enfin.

La meute.

Le fossé était là, bien réel. Ce n'était pas juste une impression. Stiles savait bien qu'il n'était pas comme eux : il était l'humain de base, sans rien qui le rendait spécial. C'était lui, et eux. Ils étaient toujours ensemble et lui restait à la maison… Mais ça, c'était un choix de sa part. Ce qui n'était pas de son fait, c'était la solitude qu'il ressentait depuis la perte de sa voix. C'était là que le fossé s'était creusé.

Putain, ses amis lui manquaient.

Scott.

Stiles retint un soupir douloureux. Ce qui le rendait le plus triste, c'est que son meilleur ami ne semblait même pas s'inquiéter de son sort alors même qu'ils continuaient d'échanger par rapport aux recherches de l'hyperactif. Comme si son absence était… Normale. Et… Non, ça ne devait pas se passer comme ça. C'est seulement à ce moment que Stiles se rendit compte qu'il ne voulait pas que ça continue. Il voulait parler, rire avec la meute, en faire partie tout autant que chacun de ses autres membres, se taper des soirées jeux-vidéos avec son meilleur ami comme au bon vieux temps et même… Venir au lycée sans crainte. Ok, Scott l'avait remballé la dernière fois, lorsqu'il avait essayé de lui parler de ses problèmes, parce qu'il était avec Malia. Là, il lui répondait rapidement. Stiles eut donc un espoir, faible, ténu, mais présent. Sans même se rendre compte du léger tremblement de ses doigts, l'hyperactif tapa un message court, concis, efficace :

« Scotty… Je pourrais te parler, s'il te plaît ? » - 22h08.

En quelques secondes, Stiles envoyait bouler tous ses principes. D'abord, il envoyait bouler Lydia alors qu'il crevait d'envie de tout lui dire et voilà maintenant qu'il se retrouvait à prier pour que Scott l'écoute ? Stiles se fit la réflexion qu'il était profondément pitoyable à cet instant, mais c'était comme ça. Scott avait toujours été son meilleur ami, même dans les moments difficiles. Il y avait simplement cette fois-là où Théo, autrefois peu sympathique, lui avait embrouillé l'esprit à tel point que Scott l'avait cru lui, plutôt que Stiles. Cette fois-là aussi, l'hyperactif s'était retrouvé seul, démuni avec sa mémoire comme seul témoignage de ce qu'il avait vécu. Scott s'était longtemps excusé pour ça : pour sa méprise, pour l'avoir laissé tomber, pour l'avoir négligé. Et Stiles espérait qu'il allait libérer un peu de son temps pour lui, parce qu'il en avait besoin, vraiment. Il réfléchit et se dit qu'il n'y avait aucune raison pour que son meilleur ami ne parle pas un peu avec lui. Il lui répondait vite, signe qu'il était disponible et semblait ouvert à la discussion. Tenter n'était pas une mauvaise chose, si ?

« Désolé Stiles, Malia vient d'arriver et ça fait longtemps qu'elle n'est pas venue à la maison. On se parle plus tard, d'accord ? » - 22h10.

Le cœur de Stiles ne rata pas un, mais plusieurs battements. Sa gorge se serra, son ventre se noua. Non, Scott ne pouvait décemment pas lui faire ça. Non, c'est pas possible. Il ne pouvait pas y croire et pourtant… Dans un geste désespéré, il écrivit un nouveau message, tout tremblant. La colère affluait doucement dans son organisme mais c'était encore assez lent pour l'empêcher de s'emporter.

« Scott, c'est important. » - 22h11.

Il fallait que Scott l'écoute. Stiles en avait vraiment besoin. Il ne pouvait pas continuer à vivre de cette façon, il n'y arriverait pas. L'hyperactif commença réellement à prendre conscience qu'il s'était trompé.

Il n'allait pas bien. Pas du tout. Et ce qui lui arrivait… Non, définitivement, il ne pouvait pas continuer comme ça ou bien il finirait par se perdre. Il avait besoin d'aide, réellement et il avait besoin que Scott soit là pour lui. De toute manière, c'était son meilleur ami, il ne pouvait pas le laisser tomber, pas une deuxième fois.

« Tu as trouvé de nouveaux éléments, c'est ça ? Ok, dis-les-moi. Si on peut en avancer et en terminer avec cette histoire, autant en profiter. » 22h11.

D'abord figé par la stupeur, le visage de Stiles se déforma avec une lenteur menaçante. Soudain et sans préambule, il balança violemment son téléphone d'un geste vif contre le mur de sa chambre et il fut presque déçu de ne pas le voir finir en morceau sur le sol. Le mélange d'émotions qu'il ressentait était tel qu'il aurait aimé voir le verre de l'écran se briser en mille éclats coupants, les boutons tomber, arrachés, le téléphone se déformer. Mais bien sûr, on ne cassait pas un cellulaire – protégé de surcroît – comme ça, et surtout pas avec sa force. Tout ce qu'il récolta fut un écran quelque peu fissuré, mais rien de plus. Stiles ouvrit la bouche en grand dans un cri silencieux tandis qu'il fermait les yeux avec force. Il était aussi furieux que triste et rêvait presque de s'entendre hurler. Sa souffrance morale était telle qu'il avait des envies de meurtre et même pas envers Scott. Il fallait qu'il évacue ses émotions et dieu seul savait à quel point il avait envie de taper dans quelque chose. De se faire mal. Faire taire cette douleur mentale qui le tiraillait de part en part.

Stiles était tellement mal qu'il ne pensa même pas à Lydia, elle qui voulait tant savoir ce qui se passait. La seule qui était venue le voir, avec Derek. L'hyperactif était un idiot et il le savait. Tout ce qu'il faisait en ce moment était profondément stupide. Il agissait toujours en étant perturbé, troublé, parce qu'il n'allait jamais bien. La preuve en était qu'il venait de se lever et s'approchait dangereusement de son bureau. Sans crier gare, il envoya valser toutes les affaires qui se trouvaient dessus sans se soucier le moins du monde du bruit que cela causa, avant de durement faire tomber son poing sur le bois avec toute sa force. L'on entendit la matière inerte craquer et Stiles recommença, le visage rouge, le corps entier tremblant de fureur et de souffrance. Très vite, une fissure assez importante barra le bureau blanc et l'on vit les traces des coups du jeune homme, le tout agrémenté de quelques tâches pourpres. Mais Stiles s'en foutait de ça. Il se fichait éperdument du désordre qu'il causait, de son sang qui coulait, de cette destruction autant physique que mentale. Si seulement il pouvait hurler. Entendre sa propre voix aurait suffi à l'empêcher de continuer. Malheureusement pour lui, il restait irrémédiablement silencieux. Ce soir-là, il explosait et laissait libre court à ses émotions encore bien trop vives pour son bien.