Stiles serra ses mains sur ses cuisses en deux poings aux phalanges bien blanchies. Il savait que Jackson ne lui voulait pas de mal, du moins pas physiquement. Pour le reste, il lui avait bien montré qu'il était capable de ne pas trahir ses paroles, mais… L'essentiel ne changeait pas. Il n'avait pas vraiment peur de lui, simplement… Il préfèrerait rester seul, plutôt que de devoir continuer de se tenir là, comme une potiche, à ne rien pouvoir dire à cause de son mutisme. Il se savait ennuyeux, gênant, autant lorsqu'il parlait encore qu'actuellement. Sauf que la situation était différente. S'il agaçait par son babillage, il passait à la trappe à cause de son mutisme. Pas étonnant qu'on l'ait oublié et nul doute qu'on l'oublierait à nouveau. Scott lui avait fait du mal, oui, mais qui se rappellerait de ce détail d'ici deux semaines ? On se souviendrait simplement que Scott avait mal agi et on oublierait tous les détails le concernant, lui. C'était aussi simple que ça. Et puis, qu'attendait Jackson en restant là, à ses côtés ? Le retour de Derek et Lydia ? Il aurait pu aller avec eux. Stiles, de son côté, n'avait pas besoin qu'on reste près de lui. Le loup à la barbe de trois jours ne voulait pas qu'il bouge, d'accord, mais avait-il réellement besoin de laisser quelqu'un le surveiller ? Non parce que si c'était le cas, c'était bien triste. Stiles avait fait des conneries, oui, il avait peut-être tardé avant de faire comprendre au loup qu'il avait un petit souci à la cheville, oui, il oubliait parfois de faire attention et de la ménager… Pour autant, il fallait lui faire confiance. Il n'était pas si… Nul. Il pouvait se débrouiller seul et se gérer sans aucun problème.
- Arrête de te torturer l'esprit.
Stiles eut un léger sursaut et tourna la tête vers le kanima, qui le regardait d'un air on ne peut plus sérieux. Perplexe et se demandant si c'était bien à lui que le blond parlait, il se pointa du doigt en lui lançant un regard interrogateur.
- Oui, Stiles, lui répondit Jackson.
Encore une fois, ce n'était pas Stilinski, mais Stiles. Qu'est-ce qu'il lui prenait ?
- Ça te surprend tant que ça que je te parle ? S'étonna l'autre.
Stiles ne put faire autre chose qu'hocher la tête. S'il la secouait de gauche à droite, il savait que son cœur l'aurait trahi. Pour les loups, le mensonge n'était pas uniquement visible par la parole. Le corps comptait beaucoup. Autant être honnête, même s'il ne voyait pas ce que ça lui apporterait. Il ne comptait pas : son avis ne valait sans doute pas grand-chose de plus que sa présence, d'autant plus que lui et Jackson appartenaient désormais à deux mondes différents. L'un était seul, l'autre avait une meute. Qu'il comptait quitter, apparemment. Mais ça, Stiles ne pouvait pas y croire, malgré les arguments que le kanima et la banshee avaient sortis quelques minutes plus tôt.
Jackson soupira.
- Ecoute, je sais qu'on a fait beaucoup d'erreurs te concernant, moi le premier. On n'aurait pas dû t'oublier, ni prendre ton problème de voix à la légère.
Parce que c'était ce qui était arrivé. Les blagues, la satisfaction, tout ça, c'était là parce que l'entièreté de la meute s'était dit que cela ne serait qu'une passade, un sort rapide, quelque chose d'éphémère. Il n'avait jamais été question de quelque chose de définitif. Alors oui, on s'était accoutumé à moins venir parler à l'hyperactif, à faire les choses sans lui, à l'oublier. Et il s'en rendait compte, maintenant. Il avait fallu une réunion, la vision d'un Stiles au visage tuméfié et la découverte de la perfidie de son alpha pour qu'il comprenne l'étendue de ses erreurs. Il en était de même pour les autres. Mais lui, il était là. Après la réunion, il était resté, comme Lydia, et pas pour rien.
Stiles leva les mains devant lui et esquissa un faible sourire forcé tandis qu'un air gêné se peignait sur son visage, l'air de dire « y a pas de mal, t'en fais pas », mais Jackson l'arrêta :
- Non, Stiles. C'est notre faute, c'est tout. Ton problème est sérieux. Et au lieu de t'aider, on t'a laissé.
Stiles haussa les épaules, ce stupide sourire faible et forcé collé aux lèvres. Ce sourire de façade, simplement là pour sauver les apparences. S'il avait pu parler, nul doute qu'il aurait dit « c'est pas grave ». Jackson percevait sa tristesse dans son odeur et il n'appréciait toujours pas la manière dont il la retenait. Le kanima était persuadé que si Stiles ne s'ouvrait pas maintenant, il continuerait de faire semblant, dans une certaine mesure, de se contenir au lieu de tout dire. A force, les non-dits le rongeraient et finiraient par le tuer de l'intérieur, si ce n'était pas déjà le cas. Fort non pas de cette idée mais de cette certitude, Jackson poursuivit :
- A cause de tout ça, tu t'es renfermé sur toi-même. Tu gardes ta douleur pour toi. Ne me fais pas croire que tout ça ne te fait rien, je sens ton odeur et je sais que tu la contrôles. Tu minimises pour en montrer le moins possible. Mais tu sais, t'as le droit d'extérioriser ce que tu ressens.
Stiles détourna le regard. Pourquoi Jackson s'engageait dans ce sujet qu'il voulait absolument éviter ? L'hyperactif avait des progrès grâce à Derek, mais n'était pas arrivé au point où il pouvait parler librement de tout ce qu'il ressentait. Pour lui, c'était inutile. Ça n'intéresserait personne. Puis même s'il ne parlait pas : en montrant simplement ses véritables émotions, il ne pouvait qu'ennuyer son entourage, surtout que le mal-être qui l'étreignait n'était pas rien. Pour l'instant, il était sacrément muselé, si bien qu'il arrivait à ne pas réellement réfléchir aux aveux de Scott, ni à ce que ça lui faisait. Il s'en empêchait. Autrement, il s'effondrerait. Et pour ça, il attendrait de se retrouver seul. Il ne voulait pas que Derek, dont il était persuadé d'avoir détruit la vie, le voie ainsi. Parce qu'il pleurerait. Il exploserait. Nul ne savait ce qu'il pourrait faire d'autre. La fois où Scott l'avait envoyé bouler par message alors qu'il essayait désespérément de lui parler, Stiles s'était retrouvé à défigurer sa chambre et à s'en faire saigner les poings. A ce sujet, il n'avait toujours pas reçu de message de la part de son père, signe que celui-ci n'avait sans doute rien vu, parce qu'il n'avait probablement pas pris la peine d'aller à l'étage. Son fils n'était pas là, alors pourquoi monter ? Nouveau coup au cœur. Noah ne lui réclamait même pas de revenir, quand il y repensait. Cela faisait plusieurs jours qu'il était là, bien plus que ce qu'il lui avait dit dans son message. Noah ne s'inquiétait pas de son absence prolongée ou du moins, il n'en donnait pas l'impression.
Peut-être s'en fichait-il.
Stiles se mentalisa et fit ce qu'il faisait depuis qu'il était muet : il endura et musela. Sans le savoir ni le vouloir, Jackson avait ouvert une blessure qui menaçait insidieusement ce contrôle qu'il avait encore sur lui-même. Incapable de lui répondre pour la raison que l'on savait, il regarda simplement ailleurs et serra les poings. Que pouvait-il faire d'autre ? Si au moins il pouvait montrer au kanima qu'il ne voulait pas s'aventurer sur ce sujet… Il jeta un regard sur la table basse. Si seulement il avait pensé à descendre ses feuilles et son stylo… Encore que, aurait-il eu la force d'écrire ? Dans l'état actuel des choses, il l'ignorait.
- Stiles, insista Jackson. Ecoute-moi.
Ce qu'il allait dire n'était pas simple et aurait des conséquences, mais il était obligé d'en venir là, parce que Stiles continuait de se contenir. Pourtant, le kanima sentait bien ces émotions qui semblaient augmenter en intensité, tout autant que le contrôle de leur propriétaire se fragilisait. Jackson était donc certain que ça allait marcher. Cela ferait mal, mais il fallait parfois donner un coup franc pour obliger l'autre à se libérer. Stiles aurait l'impression qu'on lui arrache violemment un pansement, mais c'était pour le mieux. Jackson prit une inspiration et se lança :
- Scott t'a privé de la parole, alors ne me fais pas croire que ça ne te fait rien. Il t'a volé ce que tu avais de plus précieux. Il t'a rendu muet et à cause de ça, tu as été une cible. La victime parfaite. Tu ne le savais pas, tu l'as entendu pendant la réunion : ça a dû te faire un choc, te faire mal, te… Te décevoir, quelque chose ! Tu ne peux pas continuer de faire semblant que ça va alors qu'au fond, ça te détruit.
Stiles hoqueta. Comment Jackson pouvait-il verbaliser avec tant de véhémence ce que lui-même s'efforçait de contenir ? Comment pouvait-il continuer de le mettre mal à l'aise alors qu'il semblait avoir parfaitement compris que Stiles ne voulait pas parler de tout ça ? Muet, il ne pouvait pas s'opposer à lui et se retrouvait incapable de l'obliger à fermer son clapet. Il subissait, en silence, subissait ces assauts verbaux qui lui mettaient sous le nez tout ce qu'il retenait au mieux. L'hyperactif sentit sa résistance faiblir. Ne craque pas, se dit-il, ne craque pas… Parce que ce n'était pas le moment. Il devait tenir. Patienter encore un peu. Oui, patienter, même si la douleur de l'abandon et de la trahison s'éclatait contre ses barrières invisibles. Si seulement Jackson n'était pas autant dans le vrai… Bien sûr qu'il en souffrait, simplement, il s'efforçait de moins ressentir tout cela, en tout cas moins qu'il ne le devrait. Il laisserait éclater sa douleur plus tard, seul… Encore un peu de patience.
Mais de la patience, il n'en avait pas vraiment. Sa santé mentale avait été mise à rude épreuve. Et, sincèrement, il était fatigué. La haine de Scott, ce qu'il lui avait fait… Rien que ça, c'était beaucoup. Beaucoup trop. En fait, il n'en pouvait plus. Sans vraiment s'en rendre compte, il s'était voûté, ses yeux avaient perdu cet éclat qui devenait de plus en plus rare et sa lèvre inférieure avait commencé à trembler légèrement. Si Jackson continuait d'insister…
- Je sens ton odeur, lui rappela le kanima. Je sais ce que tu ressens. Tu peux être en colère, Stiles ! Tu peux lui en vouloir. Tu peux défoncer ce que tu veux, jeter les coussins partout, envoyer valser tous les objets que tu vois. Tu peux être triste ! Tu peux pleurer, te moucher sans arrêt, tu peux rester reclus dans une pièce en attendant que ça passe… Mais tu peux aussi nous faire part de tout ça. Tu peux t'énerver avec nous, tu peux pleurer avec nous. On t'a peut-être oublié une fois, mais on ne refera pas la même erreur.
La gorge de Jackson s'était serrée vers la fin de sa tirade. Oh oui, c'était une erreur. Une belle erreur. Jamais il n'avait autant regretté quelque chose de sa vie. Enfin, il avait pris la mesure des conséquences de l'ignorance. Et dire qu'autrefois, il se fichait complètement de ses états d'âme ! Oui, avant, Stiles Stilinski ne lui inspirait que mépris et dégoût. Mais la meute et les multiples emmerdes allant avec les avaient rapprochés, comme tous les autres et… Jackson avait été forcé d'admettre que le fils du shérif n'était pas si insupportable que cela… En fait, sa compagnie était même plutôt amusante, par moments…
Mais, comme les autres, il l'avait oublié.
- Je suis désolé, lâcha-t-il sincèrement. Je te demande pardon pour ce qu'on t'a fait. Oui, c'est de notre faute ! Si on avait fait attention à toi, t'aurais pas été… Dans cet état. On t'aurait protégé.
Le regard de Stiles parlait pour lui : empli d'espoir, et en même temps peu convaincu. Sa défiance était tout à fait légitime, en particulier concernant le kanima. Et pourtant… On la voyait, son envie. Oui, son envie d'y croire, cette force qui menaçait de faire sombrer ses maigres défenses. Alors, pour se protéger contre le faux-espoir, il secoua la tête. Non. Non, c'est pas vrai. J'aurais quand même été seul.
- Je sais que tu penses le contraire, mais… Tu es des nôtres. On est tous un peu de la même famille et… Tu as autant d'importance que n'importe lequel d'entre nous. Tu es important, Stiles, insista-t-il alors qu'il voyait un nouveau « non » silencieux se dessiner face à lui. Et l'autre… N'écoute aucune des conneries qu'il a balancées. On est utiles, tous. Pas de la même manière, mais on fait tous des choses qui importent et qui aident les autres à avancer. On s'en fout, que tu sois humain ! Tu es bien plus fort que la plupart d'entre nous, Stiles. Regarde-toi ! T'as pas abandonné. Tu t'es pas laissé crever. T'as tenu et… T'as accepté l'aide de Derek. Peut-être qu'au début t'étais contre, mais au final, tu le laisses être là pour toi. Nous aussi, on est là pour toi, et il faut que tu t'en rendes compte.
Stiles vint couvrir sa bouche avec sa main alors qu'il fermait ses yeux embués de larmes. Jackson, tais-toi. Il refusait de laisser ses paroles continuer de l'atteindre, il ne fallait pas… Il devait… Tout s'embrumait dans sa tête. Ces mots, c'était ce qu'il avait besoin d'entendre depuis si longtemps ! Il ne les avait jamais espérés et les voilà qui s'écrasaient sur sa figure sans aucune violence. Mais ça, la réunion, les aveux de Scott… Oui, ça faisait beaucoup. Peut-être un peu trop. Que croire ? Que penser ? Qu'était-il en droit d'imaginer ? Bien sûr qu'il aimerait les accepter, juste les accepter ! Prendre ces mots, les laisser le pénétrer, agir en lui, panser certaines de ses blessures mentales. Mais il avait attendu, tant attendu... Passé des jours à subir en silence, des nuits à pleurer, cauchemarder. L'angoisse s'était mise à peupler continuellement son âme. Le repos, il n'y avait droit que depuis son sauvetage par Derek qui prenait soin de lui, faisait tout ce qu'il pouvait pour le mettre à l'aise. Lui aussi avait essayé de le mettre à l'aise, de lui faire comprendre qu'il n'avait pas à s'effacer, qu'il pouvait montrer ce qu'il ressentait. Pourquoi n'arrivait-il donc pas à se lâcher ? Pourquoi continuait-il donc de tenter vainement de retenir ses larmes ? Parce que c'était une habitude. Stiles n'avait jamais trop été du genre à se plaindre lorsqu'il avait des soucis, mais il lui arrivait quand même de finir par se confier lorsqu'il était sur le point d'exploser. Son silence… L'avait forcé à tout garder pour lui. Il l'avait conditionné à tel point que taire ses ressentis était devenu… Une obligation. Bien sûr, il ne pouvait pas tout contrôler et se retrouvait parfois à montrer son vrai visage, mais… C'était toujours partiel.
Les paroles de Jackson le poussaient lentement mais sûrement à détruire cette mauvaise habitude. Et si c'était censé être libérateur, Stiles… Craignait la destruction de cette pâle résistance. Parce que c'était tout ce qu'il lui restait. S'il se lâchait maintenant, c'était fini, il serait impossible pour lui de revenir en arrière… Et ne pourrait plus retenir la moindre émotion. Il était à bout, à deux doigts d'exploser. En fait, il l'aurait déjà fait s'il ne s'efforçait pas à ne pas penser à Scott et ses aveux qui le détruisaient bien plus qu'il ne voulait bien le montrer. S'il s'autorisait à se pencher sur l'acte de son ancien meilleur ami et qu'il laissait celui-ci l'atteindre… Il ne savait s'il arriverait à se relever cette fois.
Un contact le fit sursauter. Jackson s'était déplacé, installé à côté de lui et avait pris sa main gauche abimée dans la sienne. Le geste n'était pas ambigu, seul le côté amical et affectueux de la chose transparaissait. Jackson n'était pas doué pour réconforter, mais il essayait. Et Stiles leva vers lui un regard aussi larmoyant qu'implorant, en espérant qu'il comprenne. Ne continue pas. Tais-toi, je t'en supplie… Mais le kanima décida d'en remettre une couche, parce que c'était ce qu'il fallait faire. Il y était presque. Stiles allait craquer, et peut-être comprendre. Oui, comprendre que ne plus se renfermer sur lui était une nécessité. Alors il insista, insista, insista.
Les premières larmes coulèrent et Stiles eut le réflexe d'essayer de toutes les essuyer rapidement, de faire disparaître la moindre de leur trace. Il ne devait pas pleurer devant Jackson, ni même Derek ou Lydia. Il n'avait pas le droit de se lâcher devant eux, il ne pouvait pas…
- Hey…
Les larmes se firent de plus en plus nombreuses. Stiles cacha son visage de ses mains, ce visage dont il avait tant honte. Jackson ne devrait pas être là. Il aurait dû être parti depuis longtemps, pourquoi… Pourquoi était-il resté ? Pourquoi Derek ne les avait pas chassés, Lydia et lui ? Et puis… Pourquoi tu fais ça, Jackson ? C'était la question qui revenait le plus souvent dans son esprit. Ses digues émotionnelles tombaient, il les sentait. Et malheureusement, ça ne le fit pas se sentir mieux, loin de là. Parce que d'un coup, il eut l'impression de s'être mis à nu, que n'importe qui pourrait deviner le moindre de ses problèmes, et dieu sait qu'il en avait. Il essayait de ne pas y penser, d'en dissimuler certains dans son esprit, de… Quelle était sa philosophie de vie, déjà ? Ah oui. Ignorer ses problèmes jusqu'à ce qu'ils disparaissent.
Parce que la vérité, c'est qu'il continuait d'aller mal. Ce que Derek lui avait offert ces derniers jours n'était qu'une simple accalmie. Pour autant, rien n'était réglé et la cause de tous ses malheurs était apparemment irréversible. Alors, à quoi bon espérer ? Une fois qu'il rentrerait chez lui, qu'il retournerait au lycée… Il y avait déjà songé mais oui, cela recommencerait. Que pourrait-il faire ? Que pourrait-il dire ? On lui faisait des promesses, de belles promesses, mais il ne s'agissait que de mots, pas d'actes. Déjà plus d'un mois qu'il était muet et cela ne lui avait apporté que solitude et violence. On était obligé d'agir, parce qu'on avait ses bleus sous le nez. Mais qu'en serait-il lorsqu'il irait mieux ? On se désintéresserait de lui, à nouveau, on le laisserait sombrer, encore.
Et tout ça à cause d'une seule personne.
Scott.
Et s'il avait essayé de ne pas se concentrer dessus pour ne pas craquer, et bien… Cette fois, il n'y arrivait pas. La douleur de l'indifférence l'avait affaibli. La douleur de l'oubli l'avait détruit. La douleur de la trahison l'avait achevé. Tout ça, c'était volontaire. Scott l'avait rendu muet, sciemment. Il savait que ça le détruirait, que la parole était un outil précieux pour lui. Plus que ça : c'était sa marque de fabrique, son seul moyen d'alerte, sa… Sa liberté. C'était ce qui l'avait maintenu sain d'esprit malgré les épreuves, ce qui l'avait longtemps aidé à cacher certains stigmates psychologiques laissés par quelques-uns des évènements surnaturels qu'il avait vécus. Le Nogitsune. Donovan. La chasse sauvage. Ça n'allait pas, rien n'était jamais allé et pourtant… C'était gérable. En parlant, il bernait les gens et s'oubliait lui-même. Il parlait tant qu'il lui arrivait souvent, autrefois, de se perdre lui-même dans ses propres élucubrations. Mais tout ça… N'était plus possible. Scott le savait, il le savait, putain ! Et au lieu de lui parler, d'essayer de le pousser à corriger son comportement, à se brider… Il l'avait détruit. A sa manière, il l'avait mutilé et Stiles savait qu'il ne s'en remettrait jamais réellement.
Et des choses, il avait envie d'en dire. Il aimerait s'énerver contre Scott, Jackson, n'importe qui. Il aimerait pouvoir blâmer quelqu'un, tout le monde. Il aimerait dire qu'il détestait les faux espoirs, ne croyait pas un traître mot de ce que le kanima lui avait dit. Parce que tout ça, c'était mignon, mais c'était du vent. Parce qu'on allait l'oublier, encore. Cette fois, il ne le supporterait pas, n'y arriverait pas. Et pourtant, ces mots l'avaient fait craquer, avaient détruit ces barrières qu'il s'était efforcé de maintenir élevées. Il n'y arriverait pas bordel, il n'y arriverait pas… C'était trop d'espoirs pour si peu de vérités…
Lorsqu'il sentit des bras l'entourer, Stiles ne réussit même pas à résister et s'y logea. Il était faible, pitoyable. Il n'y arrivait déjà plus. Il était dans un état tel que tenter de se restreindre ne marchait pas. Pourtant, il avait essayé, sincèrement essayé. Et maintenant, il s'en voulait. Ça aussi, il aimerait le dire, puis s'excuser. Oui, s'excuser de ne pas avoir suffisamment tenu, de ne pas avoir résisté jusqu'à se retrouver seul. Là, il aurait été légitime pour lui de craquer car ainsi, il n'embêtait personne et ne les obligeait pas à s'occuper de lui. Encore une fois, il se dit qu'il s'agissait d'une corvée dont l'on pouvait aisément se passer. Mais il s'accrocha à la personne qui le tenait, ne put s'empêcher de respirer cette odeur qui diffusa une certaine chaleur en lui, une chaleur familière. Les bras ne desserrèrent pas leur étreinte, bien au contraire et Stiles se sentit protégé. Par égoïsme, il ne tenta même pas de se reprendre, de s'éloigner de ce corps si chaud qu'il aimait déjà d'instinct.
En fait, l'hyperactif était partagé, déchiré entre deux extrêmes : s'isoler pour ne pas déranger et éviter les faux-espoirs mais également rester et profiter de cette aide dont il avait tant besoin.
Elle arrivait tard, mais elle était là. Derek avait déjà posé les bases de cette aide en le sauvant, le soignant, le logeant. Il avait fait beaucoup de choses pour lui, notamment celle de lui permettre de souffler un peu. Il fallait avouer que ne plus aller au lycée lui faisait du bien. Jusque-là, Stiles avait vécu dans la peur. Se lever chaque jour, se préparer aux coups, tout cacher, dissimuler. Rentrer, faire comme si, se coucher. Ses sanglots silencieux redoublèrent en intensité. Et puis apprendre que son silence avait été non seulement volontairement provoqué, mais également irréversible… Tout ça, c'était définitivement trop dur. Il ne tenait pas, ne tenait plus. En lui, aucune rancœur pour l'instant, juste une souffrance incommensurable, une plaie béante qui n'était pas près de se refermer. Le corps contre lui bougea et Stiles se sentit soulevé. Par peur de tomber, il accrocha ses bras autour du cou de celui qui le tenait et y nicha sa tête. Il pleurait, il avait honte et refusait que l'on voie son visage complètement défait et ravagé par cette tristesse incommensurable. Ses jambes entourèrent la taille et des mains se retrouvèrent sous ses fesses. Encore une fois, Stiles ne se crispa pas. Il n'avait même pas besoin de vérifier de qui il s'agissait. Et au lieu de le préserver en l'éloignant de lui, il se cramponna d'autant plus fort à cet homme qui l'emmenait il ne savait où. Il entendit vaguement plusieurs voix, des questions, de la reconnaissance, des remarques, mais ne s'y attarda pas. Il ne put de toute manière rien faire d'autre que de sangloter contre Derek, qui ne le lâchait pas.
Bientôt, il se retrouva allongé sur un lit qu'il commençait à bien connaître. Et tout de suite, il se recroquevilla sur lui-même. Derek s'installa derrière lui, passa un bras autour de lui, le serra fort. Ses lèvres s'en allèrent caresser doucement son cou avant de s'y poser doucement, déposant de légers baisers pleins de cette chose qu'il n'osait pas nommer. Mais Stiles ne se calma pas comme la fois précédente. Son corps continuait d'être lamentablement secoué par des sanglots bruyants simplement parce qu'il n'arrêtait pas de renifler. Autrement, ils étaient silencieux. Et infinis. Cette fois, l'hyperactif n'arrivait pas à se calmer et Derek se retrouvait sans solution devant cette explosion d'émotions qui lui piquait les narines. Si Stiles lui avait semblé aller mieux juste avant de descendre, force était de constater que ce n'était plus le cas.
Stiles faisait une rechute et l'intervention de Jackson n'y était pas étrangère. En soi, elle n'avait pas été mauvaise. Depuis la cuisine, Derek avait entendu toute la conversation. Lydia ne lui avait rien demandé, n'avait rien cherché. Elle l'avait simplement… Eloigné, de sorte à ce que Jackson puisse mettre son idée à exécution. Honnêtement, au départ, Derek avait eu peur, mais la banshee l'avait rassuré. Le kanima était parfois un peu brut de pomme, mais il ne faisait pas les choses méchamment. Pour le coup, il avait même choisi les bons mots et au fur et à mesure de la conversation, Derek avait compris ce qu'il cherchait à faire. Sentant la montée progressive des émotions de Stiles dans cette odeur qui resterait désormais ancrée dans sa mémoire, le loup avait su que la tactique fort simple de Jackson marchait, qu'elle était même nécessaire. En fait, ses paroles n'étaient pas si différentes de celles qu'il avait lui-même utilisées lorsqu'il parlait régulièrement à Stiles et qu'il essayait de le rassurer. Les idées étaient les mêmes. Toutefois, s'il avait parfois quelques éclairs de lucidité, l'hyperactif acceptait difficilement les semblants de solutions qui lui étaient proposées. En fait, il n'y croyait pas, tout simplement.
Mais une chose était certaine : Jackson avait bien fait de le pousser comme il l'avait fait. Toutes ces choses que Stiles gardait pour lui… Il fallait que ça sorte, un jour ou l'autre. Il était vrai que de son côté, Derek voulait tout, sauf le brusquer, tant il le savait fragile. Mais parfois, il fallait y aller franco. Jackson n'avait énoncé que des vérités auxquelles le Hale n'avait pas toujours pensé tant il avait de choses à se préoccuper. Avec la réaction plus que parlante de Stiles, Derek se rendait compte que jusqu'ici, il n'avait fait qu'effleurer une partie du mal-être de l'adolescent.
Les minutes furent longues et la douceur dont fit preuve le loup se retrouva démultipliée. Il fit tout pour Stiles et cela ne dériva pas comme auparavant. Non, cette fois, pas une once de sensualité ne pointerait le bout de son nez. Derek ne fit que l'étreindre, lui déposer de temps à autres de doux baisers par-ci par-là, lui caresser doucement le ventre et si Stiles finit par arrêter de pleurer, il ne bougea plus. Il était devenu amorphe, apathique et Derek songea qu'il devait être vidé. Bien sûr, pleurer ne dispensait pas de parler, même si dans le cas de l'hyperactif, il devait faire autrement.
- Tu veux écrire ? Demanda-t-il doucement.
Il vit l'adolescent, dos à lui, secouer lentement la tête. Ah. Bon. Derek voulait bien comprendre qu'il lui faille du temps mais en attendant, il ne savait pas quoi faire. Il voulait l'aider, sans doute plus que tout au monde. Lui faire retrouver le sourire, rendre à sa vie la légèreté qu'elle devrait avoir et surtout… Faire en sorte qu'il retrouve confiance en lui, cette confiance qu'il avait totalement perdue. Au moins, il avait craqué et c'était une bonne chose. Maintenant, pour qu'il s'ouvre… Bien évidemment, il faudrait attendre. Derek imaginait bien que Stiles doute de ses intentions, de celles de Lydia, Jackson et… C'était compréhensible. A chaque fois qu'il commençait à remonter la pente, il apprenait quelque chose qui réduisait le peu de progrès qu'il faisait à néant. Sans oublier qu'il avait passé plus d'un mois seul à s'enfoncer toujours plus profondément dans les abysses de ce qui était devenu un enfer. Les doigts caressant doucement la peau de son ventre sous son haut, Derek se mit à réfléchir. A défaut de le faire parler – écrire –, il fallait qu'il trouve quelque chose, qu'il lui change les idées. Clairement, redescendre n'était pas une option pour l'instant. Ce n'était pas la présence de Jackson et Lydia qui le dérangeait. Ils partiraient quand ils le sentiraient et s'ils décidaient de passer la nuit au loft, il ne les en empêcherait pas. Ici, c'était leur foyer tout autant que le sien et même s'il ne faisait plus partie de la meute… Eh bien eux non plus. Ceux qui restaient avec Scott étaient tout autant les bienvenus, seule la présence de l'alpha était fermement proscrite.
Et puis soudain, Derek pensa à quelque chose. C'était tout bête et peut-être inutile mais il n'avait rien à perdre à essayer, bien au contraire. Doucement, il s'écarta de Stiles et se redressa. Aussitôt, il le vit se crisper et fronça les sourcils. Son odeur parlait pour lui : elle traduisait une peur immense en plus de cette immense tristesse que les mots de Jackson avaient provoqué. Oui, une terreur sourde qu'évidemment, son visage fermé faisait tout pour ne pas montrer. Derek, désormais assis au bord du lit, se mordit la lèvre inférieure. Cette mauvaise habitude de dissimuler ses émotions mettrait du temps à partir. Mais elle s'en irait. Derek se le promit.
Avec lenteur, il se leva et vint contourner le lit pour se retrouver face à son protégé. Il déposa un léger baiser sur ses lèvres et se recula. En se mettant ainsi devant lui, il ne se cachait nullement et… Il ne manquait plus à Stiles d'apprécier le spectacle. Il esquissa un léger rictus, amusé d'avance. Toutefois, derrière son assurance de façade se cachait une peur si pure qu'elle paraissait enfantine. Celle que sa distraction ne fonctionne pas, ou, pire, qu'elle ait l'effet inverse de celui recherché.
- Je vais me déshabiller, le prévint-il au cas-où. Alors ne… Ne sois pas surpris.
Les yeux vides de Stiles s'éclairèrent étrangement vite et si la joie ne régnait pas dans son odeur ni dans son regard, la précaution de Derek eut au moins le mérite de le rendre perplexe. C'était toujours mieux qu'amorphe. Non, mieux : de légères rougeurs se mirent à colorer doucement ses joues. Il se redressa légèrement, jusqu'à se retrouver assis. Derek faillit se mordre à nouveau la lèvre inférieure, parce que… Merde, même les joues humides, Stiles était à croquer. Derek refusa de laisser certaines pensées l'habiter pour le moment et cessa de tergiverser. Une seconde plus tard, son marcel était au sol. Et l'odeur de Stiles commença à s'alléger. Il le regarda d'un œil intéressé, lorgnant plus de temps que nécessaire le torse musclé comme il le fallait du loup face à lui. Il semblait le détailler avec lenteur, comme s'il prenait le temps de le redécouvrir, seulement avec les yeux. Mais cela ne dura pas. D'un air timide, Stiles lui fit signe de s'approcher et désireux de lui faire plaisir, Derek lui obéit sans aucune hésitation. Il fronça toutefois les sourcils lorsque l'hyperactif se leva.
- Ta cheville, grogna-t-il, un tantinet inquiet.
Stiles leva ses yeux rougis au ciel. Les iris de Derek accrochèrent ses joues à moitié séchées, sur lesquelles de nombreux sillons humides étaient encore visibles. Il manqua de sursauter lorsqu'il sentit une main froide se poser sur son torse. Oui, les doigts de Stiles étaient glacés et il frissonna en les sentant passer sur sa peau bien plus chaude. Ils dessinèrent des arabesques, des formes dont seul Stiles avait le secret. Ils commencèrent par le petit espace entre ses pectoraux, remontèrent jusqu'à ses clavicules, redescendirent, effleurèrent ses tétons avec volupté, migrèrent jusqu'aux abdominaux saillants. Stiles releva la tête et son regard plus que perdu désarçonna Derek, à tel point qu'il sut d'instinct ce qu'il aurait voulu lui dire de vive voix. C'est à moi tout ça ? Oui, il l'imaginait bien lui demander cela d'un ton timide et d'une voix tremblotante, à peine un souffle. Cette voix, elle caressait déjà ses sens et pourtant… Il ne l'entendrait plus jamais.
- Oui, c'est à toi, souffla-t-il.
Quelque chose s'alluma dans le regard de Stiles et ses yeux se mirent à nouveau à briller de larmes qui, elles, ne tombèrent pas.
- Ce sera toujours à toi, continua Derek en faisant un pas de plus.
Il avait parlé un peu vite, sans doute, mais que pouvait-il y faire ? Son instinct tambourinait aux portes de son esprit et lui avait soufflé ces mots simples emplis d'une signification unique. Il lui avait suffi de regarder Stiles dans les yeux, et… C'était venu tout seul. Comme hypnotisé par ses yeux de miel ternis par la souffrance et l'incertitude, Derek passa un bras dans le dos de l'adolescent et le colla contre lui sans que ce dernier ne cherche à résister une seule seconde. Il n'en avait pas envie. Peu à peu, ses pensées parasites se turent, doucement, chacune leur tour, le regard et les mots enivrants de Derek prenant toute la place.
A la lueur des derniers rayons du soleil couchant, leurs lèvres se scellèrent en un baiser à la saveur aussi douce que nouvelle.
Honnêtement, ce n'était pas ce qu'avait prévu Derek, mais il n'allait pas s'en plaindre. Embrasser Stiles, c'était… C'était quelque chose dont il doutait pouvoir se passer un jour. Chaque baiser qu'ils s'échangeaient était meilleur que le précédent et ce n'était jamais la même chose. L'intention était toujours un tantinet différente, l'émotion, variable de par ses nombreuses nuances. Stiles, happé par cet homme qui l'avait toujours fait fantasmer, se laissa fondre contre lui et s'appuya sur sa jambe valide. Du reste, Derek le tenait quand même au cas-où, parce qu'il ne pouvait pas s'en empêcher. Le rattraper dans sa chute était une évidence, le remonter de ses abysses l'était aussi. Parce que c'était comme ça et pas autrement. Parce qu'il se rendait peu à peu compte que Stiles était indispensable, et pas qu'à lui. L'oubli l'avait plus qu'abîmé, le silence aussi, mais il manquait. Vivre sans lui n'était pas envisageable, et c'était encore plus vrai pour Derek qui n'avait aucune envie de le laisser partir. Oui, il y avait quelque chose entre eux, quelque chose que ses blessures avait aidé à débloquer et étaient doucement en train de développer. Le loup se serait-il intéressé à Stiles s'il n'avait pas dû aider celui-ci ? Oui, probablement, mais les choses auraient sans doute mis plus de temps à se mettre en place. Il serait passé par du déni, un refus certain, des questionnements, des reculs, puis quelques avancées. Là, il ne se passait rien de tout ça. Ça avançait tout seul, à un rythme naturel et variable à la fois.
Les mains de Derek ne descendirent pas vers ses fesses, ne cherchèrent pas à frôler l'indécence comme elles l'avaient déjà fait quelques fois. Il avait juste envie… De lui faire plaisir autrement qu'avec du sexe, de la sensualité. Il avait son idée à lui et même si se retrouver nu avec lui sous les draps le tentait toujours, il jugeait que ce n'était pas le moment. Dans son état, Stiles n'était pas forcément objectif et pourrait bien accepter des choses dont il n'avait pas forcément envie, justement pour se changer les idées et c'était ce que Derek voulait éviter. Si leur première fois ensemble devait avoir lieu, elle se ferait dans les règles de l'art. Ce ne serait pas bâclé.
Ce serait parfait.
Et Derek attendrait. Oui, il pourrait attendre, longtemps et même si cela ne se produisait pas eh bien, peu importe. Ce n'était pas ça qu'il visait, dont il rêvait. Non, lui, ce qu'il voulait, c'était que Stiles recommence à tous les inonder de son sourire radieux, de ses regards solaires. Les regards de celui qui aimait sincèrement les uns et les autres. La maman de la meute. C'était souvent l'image qu'il lui inspirait, autrefois. Quand il y repensait, Stiles avait toujours été là et malgré certaines de ses idées farfelues, il faisait de son mieux pour que les membres de la meute soient à leur aise, s'intègrent bien, se respectent, se sentent bien. Il les avait toujours conseillés à sa manière, parce qu'il voulait les aider, leur bien-être lui tenait à cœur. Cela avait toujours été le cas. Même quand Scott… Même quand cet idiot avait été mordu dans la forêt, Stiles avait été là. Il n'avait pas reculé devant les portes de ce monde qui s'ouvrait à lui sans qu'il désire en faire réellement partie. Il était là, humain, au milieu d'une meute de loup.
Une meute qui l'avait oublié parce que c'était sa parole qui le faisait briller.
Derek s'écarta doucement de ses lèvres qui l'apaisaient d'une bien étrange manière. Les mains en coupe autour de son visage transmettaient une douce chaleur à ce jeune homme qui avait longtemps manqué d'affection, d'attention, de tout. Derek voulait lui donner tout ça, il voulait lui apporter tout l'or du monde, tout ce qu'il désirait, juste… Juste pour qu'il recommence à vivre. Les yeux couleur miel ne le quittaient pas, et traduisaient quelque chose que Derek avait longtemps évité parce qu'il était synonyme pour lui de malheur.
Mais non, amour ne rimait pas toujours avec malheur.
Parce que c'était de cela qu'il s'agissait, non ? Stiles ne se rendait même pas compte de la manière dont il regardait le loup. Il ne savait lui-même pas vraiment ce qu'il ressentait et les évènements récents ne l'aidaient pas à faire le point sur sa vie, ses ressentis, ses forces, ses faiblesses, ses sentiments. Tout ce dont il se rendait compte, c'est qu'il adorait quand Derek l'embrassait et qu'ainsi… Il oubliait tout l'espace d'un instant et se retrouvait dans des bras dont il n'avait jamais osé rêver. Comment un être qu'il avait toujours vu bougon pouvait-t-il déborder à ce point de douceur et de bienveillance ? Comment pouvait-il le regarder ainsi, comme s'il était précieux ? Stiles n'était pas précieux. Il était humain, banal, remplaçable. Un jouet dont on s'était servi et qui fonctionnait encore. Et pourtant, même si Derek continuait de le regarder aussi intensément, Stiles recommençait à songer à cette vision biaisée qu'il avait non seulement de lui-même, mais aussi des autres. Ainsi, il se persuada qu'il devait profiter des moments comme celui-ci, parce qu'ils disparaîtraient bientôt. Parce que Derek finirait par l'oublier, oublier son existence. Là, il l'avait sous son toit. Mais quand il retournerait chez lui ? Prendrait-il de ses nouvelles ? Il se mordit la lèvre inférieure. Et si Derek se disait que tout ça n'était qu'une erreur et qu'il l'abandonnait ? Stiles se força à ne pas trop réfléchir à cela, ce n'était pas bon pour son mental, ni son moral vacillant. Scott en avait déjà bien assez fait, oui, il l'avait bien assez ébranlé pour la journée. Puis de toute façon, il était inutile à tous les niveaux. Qui voudrait d'un boulet tel que lui ? Et Derek ? Bien sûr qu'il ne comptait pas vraiment s'embarrasser d'un fardeau dans son genre, c'était se tirer une balle dans le pied. Et pourtant, Stiles vit une image passer dans sa tête. Celle d'un couple se tenant par la main, d'un Derek qui le regardait en riant, des étoiles dans les yeux. Sauf que… Personne ne pouvait le regarder de cette manière. Enfin, il n'était pas… Il ne faisait pas partie de ces gens que l'on désirait avoir dans sa vie. Même son père l'avait oublié, putain ! Sa chambre était sens dessus dessous et il ne lui avait pas envoyé le moindre message pour l'engueuler. Si sa propre famille se délestait de son existence, qui voudrait le garder ?
Et voilà que Derek le lâchait, s'écartait doucement de lui. A nouveau, il se mordit la lèvre inférieure alors que les émotions montaient en lui à une vitesse stupéfiante. Sauf que cette fois, il ne pleurerait pas. Il avait épuisé son lot de larmes pour la journée et s'était ridiculisé tout seul un nombre incalculable de fois. S'il pouvait s'en éviter une supplémentaire… C'était toujours ça de pris. Ils avaient tendance à s'embrasser, oui, mais toute bonne chose avait une fin et Derek se rendrait inévitablement compte, tôt ou tard, qu'il était temps de clore ce chapitre.
Sauf que… Pourquoi Derek défaisait-il sa ceinture ? Il la vit tomber à terre, comme au ralenti. Le pantalon la rejoignit rapidement et Stiles rougit violemment. Même en étant conscient de ce qu'il était, autrement dit pas grand-chose, et même en ayant rêvé de ce genre de moments, il ne s'imaginait pas que ça arriverait si vite. Oh oui, ils avaient failli déraper, plusieurs fois. Les baisers et les caresses de Derek avaient ce quelque chose de magique qui poussait à en vouloir toujours plus. Parce que c'était doux et que dans ces moments-là… En plus de s'oublier, Stiles se sentait aimé. Pas forcément comme il le mériterait – il en avait trop fait pour espérer un jour trouver chaussure à son pied – mais… Oui, il rêvait. Dans les bras de Derek, il ne pouvait s'empêcher de songer à un avenir meilleur, un futur un peu plus reluisant que sa vie actuelle. Le loup ne le voyait sans doute pas de cette façon, mais Stiles… S'était déjà imaginé avec lui, plusieurs fois. Evidemment, constater l'attention que lui portait Derek et songer qu'il n'était pas contre le fait d'aller plus loin avec lui était génial. Mais Stiles savait qu'ensuite… Eh bien, il n'y aurait pas grand-chose. C'était facile, parce qu'il l'avait sous la main. Lorsque Braeden reviendrait, ou même lorsque Derek recommencerait à moins s'occuper de lui et à sortir, les choses changeraient immanquablement. Lui, ne s'allongerait plus à l'intérieur de ses draps. Une femme voluptueuse le remplacerait pour des ébats d'une nuit, ou de toute une vie. Stiles s'imagina le loup s'amuser quelques semaines, prendre un peu d'air frais, avant de songer définitivement à se poser. Derek crevait d'amour, il en avait beaucoup à donner. La personne qui conquerrait son cœur serait véritablement chanceuse.
Alors non, songea-t-il douloureusement en regardant ce corps qui lui faisait envie, ça n'était pas à lui et ne le serait jamais. Une chose était certaine, Derek était un grand romantique et faisait preuve d'une naïveté qui le rendait d'autant plus adorable. Pourtant, la rougeur coquine ne quitta pas ses joues. Tant qu'à voir son bonheur s'envoler, autant en profiter pleinement avant la fin. En fait, les moments qu'il passait avec Derek, en plus de le guérir peu à peu, lui servaient de carburant. Il lui faudrait du courage, pour affronter de nouveau sa vie. Et qui sait, peut-être qu'il résisterait, au lycée. Peut-être qu'il essaierait de rendre les coups. Pas sûr qu'il y arrive, mais s'il essayait… Enfin, tout était possible. Son courage éphémère ne durerait sans doute pas longtemps. Toutefois, ce serait un début, quelques jours d'un potentiel morceau de répits. Alors il ne se priva pas de la vue qui s'offrait à lui, posa sa main sur ce torse qu'il commençait à bien connaître. Déshabillé, Derek était encore plus attirant qu'habillé. Stiles savait la chance qu'il avait. Le loup n'accordait pas ce genre de privilèges à n'importe qui. Et si c'était la dernière fois, soit.
Derek posa sa main sur celle de Stiles, proche de son cœur et lui lança un regard qui le perturba un tantinet. Pourquoi était-il aussi… Intense ? Et doux ? Oui, le loup transpirait la douceur par tous les pores de sa peau et ses yeux… Regardait-on ainsi quelqu'un que l'on ne comptait pas garder dans sa vie ? Derek serra doucement les doigts de l'adolescent mais se recula légèrement.
- Je n'ai pas fini, dit-il, un fin sourire étirant à nouveau ses lèvres.
Stiles était trop sérieux pour être amusé de ce semblant d'espièglerie que Derek lui laissait voir. Mais la curiosité dominait, juste au-dessus de l'espoir d'une première et dernière fois. Ses yeux allèrent se fixer sur les mains de Derek qui attrapèrent l'élastique du boxer qui moulait aussi bien le derrière que le devant. Le morceau de tissu glissa au sol et une lueur de luxure passa dans les yeux de l'hyperactif alors qu'il souriait doucement. Il l'avait déjà vu, cet engin mais cette fois, il n'allait pas juste se frotter contre lui, semblait-il… Après, à voir ce que Derek voudrait faire exactement avec lui. Stiles accepterait tout. Pas par désespoir ni pour essayer de le garder un peu plus longtemps… Juste parce que les occasions d'être aussi proche de Derek ne seraient pas nombreuses. Disons qu'il n'arrêtait pas de penser à son futur et son retour à la vie réelle qui se rapprochait doucement. La meute se disloquait. Lui, il guérissait. Tout ce cirque aurait sa fin. Alors oui, il en profiterait et si Derek ne voulait pas aller jusqu'au bout, eh bien… Tant pis ? S'il désirait juste que Stiles lui montre ce qu'il était capable de faire avec sa bouche, soit. S'il voulait simplement le prendre, comme ça, pas de problème. L'hyperactif ne pensait pas de la bonne manière et ne remarquait pas la manière dont il se traitait lui-même, mais il s'en fichait un peu. C'était bien ça, le problème : il se fichait totalement de la façon dont il se voyait. Un vide-couilles, un ancien ami oublié, le décor. Pas grand-chose. Il s'offrait, dans tous les cas, et ça suffisait. Mais alors qu'il allait commencer à ouvrir sa veste, Derek prit ses mains dans les siennes, l'arrêta dans son mouvement. Stiles le regarda, perplexe.
- Plus tard, souffla simplement le loup.
Stiles fronça légèrement les sourcils. Mais, s'il ne voulait rien faire de sexuel avec lui actuellement, pourquoi s'était-il déshabillé ? Et surtout, pourquoi se déshabiller devant lui, si ce n'était pas pour l'exciter à l'avance ? Qu'est-ce que tu veux, bon sang ? Mais il ne s'énerva pas, resta bloqué dans cet état de perplexité qui déformait légèrement l'harmonie de son visage. Et il attendit. La patience de Stiles était sélective. S'il pouvait parfois être capable d'attendre des heures pour quelques choses, il lui arrivait le plus souvent de tourner en rond et de s'occuper à faire n'importe quoi juste parce que simplement patienter n'était pas des plus simples, en particulier pour un hyperactif de sa trempe – hyperactif que l'on avait forcé au mutisme, soit dit en passant. Cette fois-là, il réussit plus ou moins à se contenir ou en tout cas, à essayer de ne pas faire ressentir à Derek la manière dont il trépignait intérieurement. Son esprit, incapable de rester sans rien penser, le fit s'attarder sur les dernières paroles du loup : « plus tard ». Plus tard quoi ? Le sexe ? Les étreintes passionnées ? Les baisers langoureux ? Oh oui, vite, il en avait diablement besoin. Cela lui manquait, oui, mais lui permettait également de se défouler et de retrouver un semblant de calme durant lequel ses émotions les plus dures à gérer étaient reléguées au second plan le temps de la délivrance.
Derek se recula encore un peu, puis décida qu'il devait se mettre encore un peu plus loin de Stiles qui ne savait décidément plus quoi penser. Devait-il se rapprocher ou, au contraire, lui laisser cet espace qu'il désirait ? L'hyperactif ne comprenait toujours pas l'enchaînement des évènements : les baisers échangés, les étreintes, la déclaration naïve, les vêtements au sol, tous les vêtements au sol et là… Cette distance. Il vit Derek fermer les yeux, l'air concentré. Stiles choisit de se rassoir au bord du lit pour ne pas fatiguer sur sa cheville inutilement. Il croisa ses bras sur sa poitrine alors qu'un doute commençait doucement à s'immiscer en lui. L'adolescent gardait en lui l'espoir que Derek ne jouait pas avec lui et qu'il avait un vrai but. Parce que l'embrasser, le chauffer indirectement, pour ensuite s'éloigner… Stiles faisait des efforts pour ne pas mal prendre la chose. Il ne voulait pas voir son image de Derek s'effondrer dans son esprit. Même si leur histoire potentielle était morte dans l'œuf, au moins… Au moins, le loup resterait à ses yeux un loup adorable qui restait droit dans ses baskets. Non, il ne voulait pas se dire que Derek pouvait jouer avec les gens selon son humeur. En fait, cela ne lui ressemblait pas. Mais qui était-il pour avoir la vanité de dire qu'il le connaissait ? Après tout, quand il y repensait, il ne connaissait pas grand-chose de lui, mis à part ce que celui-ci daignait lui montrer. Naïvement, Stiles se disait qu'il ne pouvait pas être autrement qu'il se le figurait, ce serait un peu trop dur à accepter, surtout venant de la part du premier à lui avoir réellement tendu la main.
Stiles cligna des yeux et la surprise se peignit sur ses traits fins et abîmés. Les étincelles face à lui se reflétèrent dans ses yeux ambrés, des yeux qui trahirent progressivement un émerveillement certain. Il se détendit un peu et ne put faire autrement qu'exprimer ses émotions au travers de son expression faciale. Il avait déjà aperçu le phénomène par le passé, mais jamais il ne l'avait vu de cette manière-là. En détail. Dès le début. Là, c'était… Il n'avait pas les mots. C'était aussi perturbant que splendide, troublant que magnifique. Le surnaturel avait beau être dangereux, il avait sa part de merveilleux, c'était indéniable.
Alors que Derek s'approchait de lui, Stiles se détendit d'autant plus. Il n'avait pas peur, non. S'il y avait bien quelque chose que Stiles avait sur Derek, c'était que celui-ci n'était pas méchant. Il ne lui ferait jamais de mal. C'était certainement la seule véritable certitude par rapport à laquelle l'on ne pourrait faire douter l'hyperactif au sujet du loup. Loup qui venait de poser son museau noir sur ses deux genoux rapprochés et le regardait avec ses adorables prunelles cyan. Comme un enfant, Stiles le regarda avec une intensité folle. Dans son regard dansait un mélange de curiosité, d'admiration, de perplexité, d'émerveillement. Ce qu'il avait sous les yeux relevait du prodige tant il était rare de voir un loup-garou sous sa forme animale complète. Dans la meute, Derek était le seul à en être capable. Même Peter, également loup de naissance, ne savait pas comment faire pour accéder à ce stade d'évolution. Seul son neveu avait réussi à percer ce secret, sans le comprendre. Depuis cet épisode dans le désert, où il avait cru mourir pour finalement se transformer, plus personne n'avait vu l'ancien alpha à l'éternelle barbe de trois jours devenir loup. Et Stiles, l'hyperactif oublié, avait le privilège d'assister à ce phénomène pour la deuxième fois. Pour quelle raison ? Il n'en avait aucune idée, mais… Mais cela suffisait à mettre les ombres de son cœur de côté pour l'instant. Ses pensées convergeaient toutes vers une seule et unique personne : Derek.
D'un air hésitant tout de même, parce qu'il n'avait jamais fait ça, Stiles approcha doucement sa main de la tête du loup. Ce n'était pas qu'il craignait sa réaction, mais… Peut-être un peu. L'hyperactif ne connaissait pas la raison pour laquelle il s'était transformé. Par conséquent, il ne savait pas s'il avait le droit de le toucher ou non. Après, si Derek avait posé son museau trop mignon sur ses genoux… C'était qu'il ne comptait pas s'isoler, en toute logique. Et puisqu'il ne pouvait pas lui poser la question directement… Eh bien, il se retrouvait un peu dans le flou et ne pouvait qu'essayer de lui faire comprendre en douceur ses demandes et hésitations. Voyant qu'il ne se braquait pas à l'approche de sa main, Stiles finit par poser celle-ci à plat sur le crâne du loup. Il resta là un temps sans bouger et puis, lorsqu'il jugea que la voix paraissait libre, il entama de timides caresses sur cette petite tête sombre qui le faisait fondre. Les poils du loup étaient doux, très doux et particulièrement agréables à toucher. L'animal ne se crispa pas le moins du monde et Stiles finit par le rejoindre sur le sol pour être plus à l'aise. La tête dériva sur sa cuisse et le loup ferma les yeux d'aise.
Si Derek avait été un métamorphe de la famille des félins, nul doute qu'il aurait ronronné. Mais son bien-être était visible. Il se pressait contre Stiles qui ne cessait de passer ses doigts dans sa fourrure noir d'encre. Il aimait ça, son contact, sa présence. Ce qu'il manquait à ce tableau pour qu'il soit parfait ? Des mots. Des mots par milliers, des diatribes interminables, des monologues à n'en plus finir. Mais Stiles ne pourrait plus jamais briser le silence de sa voix disparue. Le cœur du loup se serra et il ouvrit doucement les yeux. Le sourire doux de l'hyperactif fit reculer cette tristesse familière qui se rappelait à lui chaque fois qu'il songeait à son mutisme involontaire. Il était… Lumineux. C'était un sourire sincère et sans artifices qui montrait la joie de Stiles. Loin d'être explosive, il s'agissait d'une jovialité contenue qui contamina aussitôt le loup noir.
Les minutes passèrent. Dans une autre vie, le rire de Stiles aurait retenti dans toute la chambre. Il rit, oui, mais sans que les éclats cristallins de sa voix n'atteignent les oreilles du loup qui fit de son mieux pour ne pas laisser la tristesse l'envahir. En fait, voir les lèvres de Stiles esquisser tout un tas de sourires suffisait à son bonheur. C'était ça qu'il voulait : le faire sourire, rire, l'amuser, lui changer les idées. Derek se roula par terre, se mit sur le dos et Stiles vint vainement essayer de lui faire des chatouilles. Le loup savait résister.
Ils jouèrent un moment, comme des enfants, oubliant plus ou moins le poids des non-dits, de la trahison de Scott, le poids des larmes, de la résignation.
Et lorsque Derek finit par reprendre forme humaine, le soleil éclairait bien faiblement la chambre, la plongeant dans une pénombre agréable, intimiste. Il s'allongea à moitié sur son humain, déjà au sol, et déposa un doux baiser sur ses lèvres au goût inimitable.
Son odeur avait retrouvé une fragrance légère.
Stiles se mit soudainement à rougir alors que Derek mettait fin à leur échange buccal. Il regarda l'hyperactif, perplexe. Ledit hyperactif, en guise de réponse à sa question silencieuse, posa simplement la main sur sa fesse nue, qu'il malaxa avec plaisir. Derek retint un gloussement. Effectivement, peut-être qu'il avait oublié ce détail. Après, il fallait avouer qu'il n'avait pas particulièrement envie de se rhabiller… La nudité avait certains avantages, dont le confort et l'impression de liberté qu'elle donnait. Derek se redressa légèrement, s'appuyant sur ses coudes. Il jeta un regard mutin à Stiles en esquissant un rictus.
Ils n'étaient pas à égalité.
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Emmitouflé dans le plaid gris doux que Derek avait étendu sur le canapé, Stiles soupira d'aise. Rares étaient les fois où il s'était trouvé aussi détendu et… Tranquille. La merveilleuse pipe que lui avait taillée Derek devait y être pour quelque chose et s'ils n'avaient pas passé le pas de l'acte en lui-même, c'était amplement suffisant. Il n'y avait pas à dire, l'on ne naissait pas tous égaux. En plus d'être sublime, le loup semblait avoir tous les talents et c'était frustrant. La question que continuait toutefois de se poser Stiles, c'était… Pourquoi Derek lui faisait-il plaisir, à lui ? Objectivement, il savait qu'il gardait certaines œillères et ce, pour tenter d'être un minimum objectif. En fait, la manière dont le traitait Derek commençait sérieusement à faire tomber à l'eau ses hypothèses un peu nulles, dont celle qu'il lui servait potentiellement de vide-couilles. En l'occurrence, c'étaient les siennes qui se retrouvaient le plus souvent vidées et Derek… Oui, il jouissait aussi, d'une certaine manière, mais jamais il ne l'avait encore pris.
Même après cette fois où il s'était retrouvé nu au-dessus de lui, après s'être retransformé en humain, deux jours plus tôt, il avait fait en sorte de ne jamais aller plus loin que des gâteries ou des échanges passionnés. C'était à se demander ce qui clochait chez lui : objectivement, il avait sous la main un humain parfaitement consentant qui, vraiment, n'hésiterait pas le moins du monde à se donner à lui s'il le lui demandait. Ce n'était pas que Stiles commençait à s'impatienter, mais… Un peu. L'hyperactif restait convaincu que le loup finirait par le laisser tomber au bout d'un moment, dès qu'il irait mieux et qu'il aurait regagné la maison Stilinski, alors il tenait à en profiter un maximum. De plus, Derek et lui s'étreignaient presque sans arrêt, s'embrasser souvent à en perdre haleine, alors… Pourquoi chipoter et ne pas passer au plat de résistance ? Il avait goûté à Derek et il avait besoin de plus, beaucoup plus. On pouvait bien lui accorder ça avant de le laisser partir, non ? Puis sans déconner, il n'était pas aveugle : il voyait bien que Derek bandait comme un âne à chacune de leurs étreintes passionnées. Alors s'il l'excitait tant que ça, qu'est-ce qui le retenait, bon sang ? Il était open, plus qu'open, même !
Parallèlement à cela, une partie de Stiles était consciente que penser au sexe n'était qu'une manière de se protéger, d'éviter de penser à ce qui le torturait réellement. L'absence, l'oubli, l'ignorance. Tout cela le guettait et il le savait. Se concentrer sur de potentiels ébats avec cet apollon qu'était Derek, c'était bien plus facile et agréable. Néanmoins, multiplier les questions intérieures à ce sujet le crispait un peu. Et puis, quand il repensait aux étreintes amoureuses – non, passionnées Stiles, passionnées –, ses muscles se détendaient et ses pensées parasites se délitaient un peu.
Oh, il lui arrivait de temps à autres de songer à Scott et à ce qu'il avait fait. A vrai dire, il ne savait toujours pas comment il s'était débrouillé pour lui enlever sa voix à vie mais pour l'instant, il ne voulait pas savoir. Si son credo habituel était d'ignorer les problèmes jusqu'à ce qu'ils disparaissent, l'idée que le mystère laissait parfois la place à l'espoir lui permettait de rester dans un semi-déni agréable. Parce que dans le fond, Stiles ne savait pas s'il serait capable de supporter son mutisme à vie. Alors, il n'y pensait tout simplement pas. C'était mieux pour sa santé mentale et son moral instable. Parfois, il suffisait de deux pauvres minutes de vide pour qu'il se replonge dans des réflexions qui rendaient son odeur nauséabonde. Dans ces moments-là, Derek semblait surgir de nulle part et venait accaparer toute son attention. C'était fou comme sa simple présence parvenait à lui faire du bien. Il lui arrivait d'ailleurs doucement de recommencer à sourire. Peut-être que le souvenir du loup noir s'amusant avec lui restait ancré en lui et refusait de le quitter. Derrière son air peu avenant et souvent bougon, Derek cachait un côté taquin qu'il avait la chance de côtoyer de plus en plus souvent ces temps-ci. Et puis son regard… Oui, il était doux. Si on faisait attention aux détails, l'on pouvait percevoir une douceur plutôt étonnante quand on connaissait le personnage. Aux yeux de Stiles, Derek était un concentré de qualité dissimulé derrière des apparences faites pour le protéger. Des déconvenues, il en avait vécu. Et Stiles était heureux de le voir se détendre en sa présence et laisser voir celui qu'il était réellement. Une petite part de lui, un peu égoïste sans doute, était satisfaite de se dire qu'il était sans doute le premier à avoir le droit de voir au travers du masque de l'ancien alpha taciturne qui, il fallait l'avouer, faisait bien des efforts de ce côté-là.
Stiles sursauta légèrement en sentant le froid le gagner. Il tourna la tête et vit Derek qui soulevait légèrement le plaid dans le but de retrouver cette place qu'il avait quittée quelques minutes plus tôt. Lorsqu'il croisa le regard surpris de l'hyperactif, Derek esquissa un très léger rictus, à peine visible. Bien vite, il remit le plaid correctement et pressa son corps chaud contre celui, un peu plus froid, de Stiles, qui se pelotonna automatiquement contre lui. Cette chaleur surnaturelle qu'il dégageait était toujours aussi agréable.
Et puis la nudité permettait de mieux la ressentir.
Pour être honnête, Stiles avait toujours honte de ses blessures. Toutefois, il faisait des efforts pour essayer de les oublier et à vrai dire à l'heure actuelle, c'était un peu le cadet de ses soucis. Il utilisait toute son énergie mentale pour ne pas penser à un certain indésirable alors ses bleus… Bon. Puis Derek les avait vus et ce, de nombreuses fois. Cette manière dont il le regardait à chaque fois, cette façon dont il semblait toujours dévorer son corps des yeux… Disons que oui, l'ancien alpha lui permettait de les accepter plus facilement, dans un sens. Contre lui, Stiles oubliait tout ce qui aurait pu le miner. Il ne retenait que sa douceur, sa prévenance, cette chaleur et les baisers sur sa peau constellée de grains de beauté. Il esquissa un léger sourire mutin alors qu'il sentait une certaine partie de l'anatomie du loup se réveiller doucement contre la sienne.
Une chose était sûre, Derek commençait sérieusement à contaminer Stiles : être complètement nu, sous un plaid plus que doux et contre l'homme qui l'avait toujours émoustillé, c'était le pied.
