Tête la première

Corruption, 2ème partie.

Deux jours. Logan laissait délibérément Kurt mener la marche, l'autorisant à faire tous les détours qu'il voulait, même si les menait à un rocher à escalader. Ils commençaient à être plus à l'aise avec l'idée de parler en marchant, ayant grandi habitués au silence. Kurt était étonnement ouvert à propos de son passé. Il en parlait avec beaucoup plus d'aisance qu'aucun des étudiants de l'école. C'était en partie dû à son âge : il était adulte, plus à l'aise avec son image et ses capacités. Et puis son passé semblait dépourvu de la souffrance et de l'abandon qu'avaient vécu beaucoup des autres. A l'instant, il aidait Ororo à monter une pente si raide que c'était presque de l'escalade. D'une manière ou d'une autre, la conversation était arrivée sur sa couleur de peau.

" Tu sais, je ne suis pas le seul avec cette couleur " dit-il en la tirant à l'étage supérieur. " J'ai vu des photos de gens normaux comme ça. "

Logan arqua un sourcil en les rejoignant. " Tu es sérieux ? Tu as vu d'autres gens avec une peau aussi bleue, à part Mystique ? "

" Eh bien... C'est difficile à expliquer. Quand j'avais cinq ans, mes parents m'ont emmené voir un médecin qui m'a montré des photos d'autres gens bleus. " lui dit Kurt. " La plupart étaient bleu pâle, mais un était aussi sombre que moi. A part ça, ils étaient normaux. C'est génétique. Je suppose que c'est une mutation, mais pas celles qu'on connaît. "

" Je crois que j'en ai entendu parler. " dit Ororo. " Quelque chose à propos d'un déséquilibre sanguin ? "

Ils atteignirent le haut de la pente et reprirent leur marche. Alors qu'ils avançaient, Kurt prit une grande respiration et regarda le ciel, son ton se transformant en celui d'un professeur donnant un cours. Son accent diminua notablement, comme s'il répétait un texte appris.

" Méthémoglobinémie, causée par une absence d'enzyme diaphorèse dans les globules rouges. Traitée par méthylène bleu. "

" Tu as l'air d'un expert sur le sujet. " commenta Logan. " Bien le diable si je me souviens de ça. "

" Si tu l'avais assez entendu, ça se graverait dans ta mémoire. " Son accent était revenu. " L'homme m'a fait une injection de méthylène, qui devait agir en quelques minutes. "

" Je suppose que ça n'a pas marché ? "

Kurt secoua la tête. " Il a même essayé une seconde injection, juste pour être sûr. Toujours rien. Bien sûr, ça a eu 'l'autre' effet. "

Ororo pouffa de rire et tourna la tête. Kurt la vit et sourit.

" Ah, je vois que cela t'est familier. "

" Pas pour moi. " dit Logan. " Qu'est-ce que ça fait ? "

" Ça rend l'urine bleue. "

Logan et Ororo furent incapables de rester calmes.

" Et tu avais seulement cinq ans. " dit Ororo. " Tu as dû avoir si peur. " Elle pouffa à nouveau et se détourna. " Je suis désolée, je sais que je ne devrais pas rire. "

" Oh, mais tu ne comprends pas les petits garçons ! C'était un véritable honneur ! " Il leva le doigt avec emphase. Puis il enfouit les mains dans ses poches avec un soupir théâtral. " J'étais tellement déçu quand ça a disparu le lendemain. "

" Donc je suppose que tu n'a pas de métho-machin ? " demanda Logan.

Kurt haussa les épaules. " Non, mais ça valait le coup. "

Ororo attrapa une grosse poignée de neige et la lança vers Kurt, le prenant par surprise en plein visage. " Vilain garçon ! "

Kurt évita facilement le lancer suivant et se tourna vers Logan pour un soutien. " Logan, un coup de main ? "

Logan croisa les bras et regarda Ororo lui courir après entre les arbres. " Désolé, mec, c'est ton affaire. C'est toi qui as commencé avec ton histoire. "

Alors que Logan les observait, le vent tourna. Maintenant ils étaient sous le vent et une autre odeur attira son attention. Les poils de sa nuque se redressèrent alors qu'il se tournait lentement. Il avait senti la mort trop souvent pour se tromper. Il jura entre ses dents et s'enfonça dans les bois. Les deux autres l'appelèrent, leur jeu oublié.

" Tu vas pouvoir appeler la police, Tornade. " leur cria-t-il en courant. " J'ai senti un corps. "

Il trouva le corps balancé au pied d'un arbre. Balancé, pas tombé. Le pauvre gars n'avait pas rampé jusque là, lié ses bras et ses jambes, et n'était pas mort gelé par accident. Mâle, 25-30 ans, stature moyenne. Chemise de flanelle et pantalon épais, soit un gars du coin, soit un vacancier. Le froid avait fait prendre à sa peau un e teinte presque noire, mais ses traits disaient qu'il était du Moyen-Orient. N'importe où entre l'Égypte et l'Inde. Ses pieds et ses mains étaient encore attachés avec du ruban adhésif, même si le froid l'avait rendu si fragile qu'on aurait pu le briser en appuyant le doigt dessus. Logan se pencha avec précaution au dessus du corps et l'observa sans le toucher. Des lacérations sur la gorge, la chemise pleine de sang. Compte tenu des températures, il avait dû mourir deux jours avant.

Ce qui correspondait au jour où ils avaient vu l'hélicoptère, pensa Logan.

Ororo et Kurt s'étaient arrêtés quelques mètres en arrière, lui laissant de la place. Ororo avait sorti le téléphone satellite et était déjà en train de parler avec les autorités, leur donnant leurs cordonnées GPS et décrivant l'endroit. Ils étaient dans une réserve naturelle, ce qui signifiait que les fédéraux allaient être impliqués. Cela, à son tour, signifiait que Kurt devait être ailleurs quand ils arriveraient, juste par sécurité. Logan regarda Kurt. L'homme à la silhouette légère avait appuyé son sac contre un arbre et détourné le visage, les yeux fermés dans une expression quelque part entre une grimace et un froncement de sourcil. Etait-ce le corps qui le troublait à ce point, ou un autre souvenir ? Logan regarda la queue de Kurt, qui trahissait ordinairement ses émotions. Cette fois encore, les côtés de la pointe s'étaient repliés, puis la queue entière commença à s'agiter, comme s'il avait des crampes.

Pour Kurt, cette vision n'était pas aussi désorientante que la première. Il réussit à s'accrocher à l'idée que c'était le passé, qu'il était dehors, dans la forêt, pas dans une pièce aveugle souterraine. Mais les images elles-mêmes étaient bien pire que déroutantes.

Il fixait un homme qu'il venait de tuer, le couteau sanglant était encore dans sa main. L'homme mort portait un costume sombre. Un pistolet gisait sur le sol près de sa main inerte, tendue vers lui. Il faisait si froid dans la pièce que des filets de vapeur montaient du sang chaud qui coulait par terre. En lui, Kurt paniquait. Il voulait jeter le couteau au loin, courir, n'importe quoi, même se téléporter à l'aveugle. Au lieu de ça, il était vissé au sol, le couteau poisseux de sang fermement serré dans sa main.

" Bon sang, c'est pas bon. " fit la voix de Stryker derrière lui. " On dirait une statue. J'ai vu des poteaux de clôture manifester plus d'émotion. "

Pour l'horreur sans nom de Kurt, le son de la voix de Stryker fit sursauter son corps comme un soldat. Ou un chien entraîné.

" Nous devions en faire un tueur. " répondit une autre voix, non familière. " Cette petite merde n'aurait même pas levé le couteau il y a une semaine. Bordel, il s'est presque fait dessus la première fois qu'on a braqué un flingue sur lui. "

" Oui, oui, mais c'est pour vous montrer. " dit Stryker. Kurt pouvait presque l'entendre secouer la tête en parlant. " Je le veux fier. Je le veux brutal. Je veux qu'il ait l'air prêt à tout. L'amener au moins au niveau de réponse de Yuriko. "

" Yuriko est ici depuis des mois, et Monstre de Foire ici présent est déjà totalement déconnecté. Vous voulez un programme de réponses par faux stimuli ? Vous savez aussi bien que moi que cela prend du temps. "

" Très bien, alors. Faisons notre démon. "

Kurt secoua rapidement la tête. Il sortit du flash-back plus rapidement que la première fois, mais il regardait encore un corps avec la gorge tranchée. Par réflexe, il regarda ses mains. Pas de couteau, merci Seigneur.

Ororo ferma le téléphone avec un snap audible. " Ils arrivent. Je n'aime pas ça. C'est presque comme s'ils attendaient mon appel. Kurt, tu ferais mieux de t'éloigner. "

Kurt regarda le corps. " Dans combien de temps est-ce qu'ils seront là ? " demanda-t-il doucement.

" A peu près quinze minutes. "

Kurt hocha la tête et se força à prendre quelques respirations profondes. Sa queue était vraiment en train de se coincer. Il la balança comme un fouet pour relâcher les muscles. Il s'accroupit près du corps, les genoux juste au dessus de la neige, et sortit son chapelet de la poche de sa chemise.

" Alors j'ai assez de temps pour ça. " murmura-t-il.

(SAUT DE PARAGRAPHE)

Dix minutes plus tard, le trio entendit un hélicoptère approcher. Kurt ne se donna même pas la peine de se déguiser derrière ses vêtements. Il se téléporta dans les arbres épais, cachés par les aiguilles et la neige. Logan pesta intérieurement contre le nuage de soufre laissé derrière, même s'il se dissipa vite. C'était vraiment merdique qu'ils ne puissent rien faire contre ça. Enfin, l'odeur disparut en quelques secondes, et même si c'était resté, l'hélicoptère s'en serait chargé.

Quatre personne sortirent de l'engin, avec des appareils photos et tout le matériel pour récupérer les preuves. Trois étaient des locaux, shérif et/ou adjoints. Le quatrième criait " fédéral " à chaque pas. Logan cala son cigare éteint à l'autre coin de sa bouche et Ororo croisa les bras. Ils pouvaient bien être obligés de coopérer avec les fédéraux, ça ne leur faisait aucunement plaisir. L'expression des quatre hommes rendit Ororo, Kurt et Logan encore plus nerveux. Chaque froncement de sourcil ou moue disait " Seigneur, pas encore un. "

Le shérif alla vers Logan et Ororo alors que le reste du groupe commençait à prendre des photos et à mesurer. C'était un archétype de montagnard, râblé, barbe et moustache abondantes, les cheveux bien peignés, une épaisse veste en peau de mouton avec son badge.

" Je m'appelle Wilson. " dit-il, serrant leurs mains. " Je suis vraiment désolé qu'un truc comme ça ait gâché votre voyage. "

" Bonjour, Shérif Wilson. " dit Logan. " Vous voulez dire que ça s'est déjà produit ? "

Wilson acquiesça d'un air morose. " C'est le troisième cette semaine. Surprenant que vous ne sachiez rien. La radio en parle depuis la Virginia Occidentale. Quand elle marche. "

" 'Quand elle marche' ? " demanda Ororo.

" Oui, on a des troubles atmosphériques. Les téléphones portables et les ondes courtes sont interrompues. Un problème d'émetteurs, je dirais. Ou peut-être les gremlins. Nous emmerde pour cette enquête. C'est de la chance qu'on ait eu votre appel. "

" On vient de la ville. " dit Logan. " Et j'essaie d'éviter les infos. Trop déprimant. "

Wilson les regarda d'un air bizarre. " Ça explique que vous ayez le courage de camper ici. Tous les corps ont été trouvés dans un rayon de dix kilomètres de la limite nord du parc. "

Ororo serra un peu plus les bras. Pas étonnant qu'il y ait si peu de monde.

" Un tueur en série ? " demanda-t-elle doucement.

L'agent fédéral les rejoignit.

" Je ne pense pas. " dit-il. " Pas dans le sens classique, en tout cas. Riley Barnes, FBI. " Il leur serra la main. " Le tueurs en série tendent à garder le même genre de victimes. Jusqu'ici, nous avons trouvé un asiatique, un afro-américain, et maintenant le Moyen-Orient. "

Ororo se frotta le front. " Des crimes racistes. "

L'agent Riley hocha la tête. " Ça part vraiment dans ce sens. Les auteurs sont assez sûrs d'eux pour laisser en place les papiers de leurs victimes. " Il regarda Logan et Ororo avec le même air que Wilson. " Vous devriez faire attention. Il y a plusieurs anciens membres du Klan qui vivent par ici. Je ne pense pas qu'ils accueilleront très chaleureusement un couple mixte, quelle que soit votre relation. "

" Un truc que les cartes ne disent pas. " grogna Logan en allumant son cigare.

Riley sortit un bloc et un stylo, professionnel. " Quand avez-vous dit que vous êtes arrivés dans le parc ? "

Kurt pouvait entendre tout ce qu'ils se disaient là-dessous. L'interrogatoire dura une bonne demi-heure. L'agent du FBI était poli, mais pas aussi chaleureux que le Shérif Wilson. Bien sûr, la présence de Kurt ne fut pas mentionnée, et Logan et Ororo donnèrent de faux noms et adresses. Mais à part ça, ils furent parfaitement honnêtes. Les autorités gardèrent secrète l'identité de la victime, mais ils agissaient comme s'ils la connaissaient. Peut-être qu'il avait été signalé disparu. Deux fois, les officiers regardèrent vers Kurt. Un d'eux sembla même regarder directement vers lui. Kurt resta là où il était, immobile, et le regard du policier s'éloigna. Même au cirque, ses amis ne pouvaient pas le voir dans l'ombre. Pourquoi est-ce que ça serait différent ?

Enfin, Logan et Ororo prirent leurs sacs. Ils serrèrent les mains du Shérif Wilson et de l'agent Barnes, et furent remerciés de leur aide. Ses amis partirent, droit vers Kurt, et continuèrent dans les bois. Kurt prit ses affaires et se téléporta quelques dizaines de mètres devant eux, puis attendit derrière un arbre alors qu'ils s'approchaient.

" On s'en va, ou on trouve les dégénérés responsables de ça ? " demanda-t-il alors qu'ils le rejoignaient.

" J'ai leurs odeurs. " grogna Logan. " Elles étaient partout autour de ce pauvre gars. Je suis tout à fait pour les trouver. "

" Moi aussi. " ajouta Ororo, la voix aussi coupante que le vent d'hiver.

Kurt se tourna vers le nord, s'écartant des deux autres.

" Kurt ? Où vas-tu ? " demanda Ororo.

Kurt s'arrêta et se tourna vers eux. " La limite la plus proche du parc est par là, et ils ont dit que c'est par là que tous les corps ont été trouvés. Je pense que ça serait un bon endroit pour commencer. J'ai tort ? "

Logan prit une longue inspiration de son cigare avant de répondre. " Non. Ça a autant de sens de commencer là que n'importe où ailleurs. "

(SAUT DE PARAGRAPHE)

Le lendemain soir, Ororo prit quelques minutes pour appeler le manoir alors que Logan et Kurt montaient le camp. Elle s'écarta un peu, et s'installa derrière un des omniprésents arbre pour la tranquillité. Elle n'utilisa pas le téléphone satellite. Trop facile à repérer. Plutôt une de leurs radios.

Le professeur répondit, cette fois. " Allô ? "

" Bonsoir, professeur, c'est moi. " dit-elle. " C'est juste pour savoir comment ça va. "

" Tornade ! C'est bon de t'entendre. " Il était chaleureux, mais un peu inquiet. " Tu es au courant des nouvelles ? "

" A propos des corps qui tombent comme des mouches ? " demanda-t-elle en réponse. " Nous en avons trouvé un nous-mêmes hier. Logan a trouvé plusieurs bonnes odeurs sur le corps, et nous espérons trouver une piste demain. "

" Alors tu sais que vous devez être prudents. Cérébro n'a pas trouvé d'autre mutants dans les parages, mais ce n'est pas vraiment rassurant. Je n'ai pas envie que vous soyez abattus par un tireur d'élite. "

" Professeur, je n'aime pas changer de sujet, mais comment va Scott ? A-t-il eu des flash-back à propos de la semaine dernière ? "

Xavier hésita, mais seulement un instant. " Il en a eu un. Et Kurt ? "

" Logan dit cinq, mais je n'en ai vu que quatre. Il semble également plus distant, mais cela peut être du aux meurtres. "

Elle regarda au coin de l'arbre en parlant. Kurt était dans un des arbres, accrochant en hauteur le plus gros de leur nourriture, contre d'éventuels visiteurs nocturnes. Logan montait leurs tentes, qui s'ouvraient si rapidement qu'il les qualifiait de champignons.

" Je vois. " répondit Xavier. " A combien de stress est-ce que ça semble le soumettre ? "

" Difficile à dire. Les souvenirs ont l'air de devenir plus intenses, mais il utilise la prière comme méditation. "

" Est-ce que cela pourrait être quelque... programme caché des manipulations de Stryker ? Il a été retenu à Alkali Lake un long moment. "

" Non, je ne pense pas. Je crois qu'il est surtout secoué par les meurtres. C'est mon cas. "

Logan posa au sol leur petit réchaud à gaz et l'alluma. Ils allaient préparer à manger. Il regarda vers Ororo et siffla entre ses dents.

" Ça doit être Logan. " commenta Xavier.

Elle sourit légèrement. " Mon tour de réhydrater le dîner ce soir. "

" Garde Kurt à l'œil, Tornade. Si un de ces flash-back arrive à un mauvais moment, il pourrait se blesser là où vous êtes. "

Elles jeta un coup d'œil dans les branches ; Kurt semblait adorer grimper aux arbres. " Je comprends, professeur. Je vous rappellerai plus tard. "

Elle ferma la radio et revint vers les garçons. La nourriture attendait près du petit réchaud, et Logan venait de mettre à fondre un petit tas de neige. Ororo chercha Kurt du regard et ne le vit pas ; il était encore dans l'arbre. Ils avaient une demi-heure avant que le soleil se couche, et Kurt était presque impossible à voir dans la pénombre. Il ne regardait pas vers eux. Au lieu de ça, il regardait la colline, le chemin qu'ils prendraient demain. Un chemin qui descendait leur colline, en escaladait une autre, et finirait par les faire sortir du parc. Il n'était pas assis sur la branche comme un homme " normal ", laissant pendre ses jambes d'un côté. Il était accroupi dessus, en équilibre parfait, ses orteils accrochés autour de la branche comme des griffes, les mains reposant mollement sur ses genoux. Ororo avait mal partout rien qu'en le regardant. Elle n'aurait pas pu supporter ça plus d'une minute, mais il semblait parfaitement à l'aise.

" On mange dans quinze minutes. " lança-t-elle.

Kurt ne répondit pas. Il savait que ça devait paraître assez impoli, mais pour une fois, il n'avait pas envie de parler. Quelque chose le dérangeait au-delà de la traque d'un boucher, ou un groupe de bouchers. Au-delà des visions qui avaient fini par sortir de son inconscient. Il se sentait nerveux, vif, sur le point d'attaquer. Sa queue se balança violemment d'un côté à l'autre.

Logan sentit le brusque changement d'odeur de Kurt. Soudain, il irradiait la rage, et l'adrénaline d'un réflexe à peine contenu de combat ou de fuite (T/N : en anglais : fight or flight), bien pire que les précédents flashbacks. Alors que Logan bondissait et appelait Kurt, l'acrobate bleu bondit brusquement de sa branche comme un chat sauvage et dévala la colline, galopant à quatre pattes.

Logan courut derrière lui. Ororo bondit sur ses pieds et le suivit.

Tu ne peux pas voler ici, se dit-elle. Trop de fédéraux. Tu ne peux pas voler ici. Reste au sol. Logan peut le rattraper. Reste juste au sol.

Logan avait presque rattrapé Kurt. Il était juste à la limite de saisir sa queue, qui se balançait dans tous les sens. Mais Kurt bondit sur un arbre abattu puis encore plus loin. Logan jura à voix haute et hurla à Kurt de s'arrêter. La seule chose en sa faveur était que Kurt semblait avoir oublié qu'il pouvait se téléporter.

Quand Ororo eut franchi la colline, Kurt était déjà en haut de la suivante, bondissant de rocher en arbre, et de nouveau en rocher, avec toujours ce visage concentré de félin en chasse. Bon sang, tant pis pour le FBI ; elle devait attraper Kurt avant que le soleil se couche tout à fait. Elle s'éleva dans l'air alors qu'un vent violent sifflait autour d'elle.

Le changement de pression et un courant d'air soudain derrière lui annonça à Logan que Tornade s'était envolée. Un mouvement risqué, compte tenu de la présence des fédéraux, mais cela semblait nécessaire. Kurt était trop rapide pour qu'elle puisse le rattraper autrement. Qu'est-ce qui avait pu le faire disjoncter comme ça ? Est-ce que c'était tout ce blanc autour de lui ? Ça ressemblait trop à la Maison Blanche, peut-être ? Ou peut-être le corps de la veille ? Quand Logan atteignit la crête de falaise, il bondit pour attraper Kurt avant qu'il tombe du bord.

Juste sa chance : Kurt choisit ce moment pour se téléporter. Alors que Tornade passait au dessus d'eux, Logan reçut un nuage de souffre en plein visage, mais pas de Kurt. Puis il regarda en bas de la falaise.

Le temps s'arrêta. Plusieurs centaines de mètres plus bas se tenait un groupe d'hommes, en cercle. Plusieurs étaient armés, un avait une canne. Logan ne pouvait pas voir ce qu'ils entouraient. Derrière eux, il y avait un homme très grand, pas armé, et même pas habillé pour le froid. Il se tenait là, gracieux, un homme nordique dans la fleur de l'âge, portant une simple robe blanche, ses longues tresses blondes ondulant doucement dans le vent. Beaucoup de poils sur le visage, coupés court et soyeux. Un visage si doux, presque féminin malgré la barbe, que Logan en eut le souffle coupé.

L'homme leva les yeux vers Logan, pétrifié par les beaux yeux bleus, et trouva soudain Diablo juste devant lui.

Avec un nuage de fumée bleue et un terrible, terrifiant hurlement, Diablo frappa l'étranger de toutes ses forces. Explosion de neige. Cris de surprise et de rage des autres hommes. Mélange d'obscénités et de " diable ". Armes levées. Le temps se remit en marche. Les lèvres de Logan se relevèrent dans une grimace et il sortit ses griffes. Maintenant, il captait les odeurs. Maintenant il savaient où étaient les autres. Il descendit en courant.

Tornade n'en croyait pas ses yeux. Ce n'était pas le même Kurt doux, effacé, qu'elle avait connu les mois précédents. C'était un démon violent, jusqu'au bout de ses crocs acérés. Elle comprit soudain comment le président McKenna avait dû se sentir. L'attaque brutale, la férocité pure de Diablo la laissèrent sans voix. Elle était si choquée qu'elle ne vit pratiquement pas un des hommes en bas pointer son arme sur elle. Cependant, elle entendit le mot " négresse " assez clairement. Elle se concentra sur ce qui se passait en bas et bondit sur sa droite, et sentit une balla la frôler.

L'homme en bas lança des malédictions alors qu'il tirait balle après balle. " Bordel... saloperie... négresse... mutos... "

Les autres hommes tirèrent dans la poitrine de Logan. Quelques trous dans ses vêtements. Rien pour sérieusement le ralentir.

L'homme grand se releva, livide, tenant Diablo par sa veste. Avec une implosion d'air, Diablo se téléporta hors de sa veste et atterrit sur son dos. L'homme se tourna et le frappa avec une vitesse aveuglante, le touchant en plein visage et l'envoyant au sol. Alors qu'il le touchait, Logan put voir un flash de crocs blancs.

Jésus ! pensa-t-il. Kurt l'a mordu !

Le grand cria de douleur. Tornade pensa qu'elle était perturbée par le hurlement animal de Kurt. Le son qui sortait des lèvres du grand défiait toute description. Il faisait écho dans tous les arbres, secouant les falaises et les pierres. C'était un son de peur, de douleur et de malice. Le visage de l'homme se tordit avec tant de rage que le beau visage se transforma en un hideux masque de répugnance. En un mouvement fluide, il attrapa la chemise de Diablo et le frappa contre le sol. Trop tard, Tornade réalisa qu'ils étaient devant une rivière gelée. La glace se brisa et l'eau ruissela. La dernière chose qu'elle vit fut la pointe de la queue de Kurt, remuant sauvagement, puis disparaissant sous la glace blanche, brisée. L'homme était à genoux, tenant Kurt sous l'eau, ses bras plongés dans le courant glacé jusqu'aux coudes, une grimace sadique sur les lèvres.

Logan avait atteint un des tireurs. Avec un mouvement de ses griffes, il détruisit le fusil. Avec un autre, il ouvrit la poitrine de sa cible. De terreur, les autres en oublièrent de tirer. Ils tenaient leurs armes contre eux, comme pour se protéger des griffes de Logan.

" Seigneur, sauve-nous ! " cria l'un d'eux.

Le grand homme pencha la tête vers la rivière, momentanément surpris, puis regarda en arrière. Logan coupa un autre fusil en deux. Un pulsation bleue, électrique, irradia du grand homme, si rapidement que c'était presque invisible. Puis Logan se retrouva seul, au milieu d'empreintes mêlées dans la neige, de bouts de métal, et de plusieurs litres de sang. Ça, et une autre chose. Les hommes avaient entouré une autre victime du ruban adhésif. Celui-là était encore en vie.

Logan ne s'en occupa pas. Il n'avait d'eux que pour la glace brisée, à demi fondue, sur la rivière. Diablo n'était pas réapparu.

" KURT ! " hurla Logan en plongeant tête la première dans l'eau.

L'eau était si froide que cela le heurta comme de la pierre. Les premières secondes, il n'aurait pas pu fermer les yeux même s'il l'avait voulu. N'importe qui d'autre aurait perdu le plus gros, si pas tout, de son air, en entrant dans l'eau. Le courant l'entraîna en aval plus lentement qu'il l'aurait pensé, mais assez vite pour l'écarter de la sécurité de l'ouverture. Il ignora la douleur et le choc en nageant avec le courant, espérant apercevoir son ami. Cela supposait qu'il n'avait pas disparu avec les autres hommes. Il n'était pas sûr que le grand n'eût pas emmené Kurt avec lui.

Tornade atterrit près de la victime alors que Logan plongeait sous la glace. Elle l'examina rapidement. Il avait été battu, avait peut-être une commotion, mais son pouls était stable. En libérant les membres de l'homme, elle regarda la neige, guettant le retour de Logan. Peut-être que Kurt avait réussi à se téléporter hors de la prise de son agresseur. Peut-être qu'il était quelque part dans les arbres, tremblant de froid. Et peut-être qu'il était si choqué qu'il avait perdu tout sens de direction et s'était téléporté dans le sol.

Ne pense pas ça, se dit-elle. Il doit être là-bas. Logan va le trouver, ou il va surgir quelques mètres en aval. Ou il a été capturé. Il ne s'est pas noyé.

Des secondes interminables s'égrenèrent. Tornade drapa sa veste autour de l'homme inconscient et sortit sa radio de sa poche. Elle ne sentait que la brise dans les pins. Pas de changement de pression. Pas de Logan. Pas de Kurt. Puis, à 100 ou 150 mètres en aval, les griffes reconnaissables de Logan surgirent à travers l'épaisse glace couverte de neige. Logan jaillit un instant plus tard avec un cri étranglé. Tornade courut vers lui et réalisa qu'il était debout dans la rivière, tremblant de tous ses membres.

" Il-il est pas là. " dit Logan. Il serra les dents pour arrêter leur tremblement. " Pas noyé. C'est pas profond. Aurait dû dépasser. Aurait dû le voir. "

" Est-ce qu'il a été emporté avec les autres ? " demanda Ororo.

Logan secoua la tête. " Pense pas. Senti du soufre. S'est téléporté tout seul. A dû le faire. "

Il tituba hors de l'eau et tomba à genoux dans la neige, les bras serrés autour de sa poitrine. Soudain, il arracha sa veste et sa chemise.

" Bordel ! " cria-t-il. " Je peux pas le traquer quand il se téléporte ! "

Ororo alluma sa radio. Le professeur avait déjà cherché Kurt. Il pouvait le faire une seconde fois. Malheureusement, la radio était silencieuse comme la mort elle-même. Elle la frappa deux fois contre sa paume. Rien. Est-ce que le grand n'avait pas créé une sorte de vibration bleue avant de disparaître ? Une sorte de champ magnétique ? Elle se souvint du commentaire aparté du Shérif Wilson.

On a des troubles atmosphériques. Les téléphones portables et les ondes courtes sont interrompues. Un problème d'émetteurs, je dirais. Ou peut-être les gremlins.

" Dites-moi qu'on est hors de portée. " murmura-t-elle.

Elle vola vers le camp et fourragea dans leurs tentes, sortant les radios et les téléphones portables. Tout l'électronique qu'elle put trouver était mort. Elle revint à la rivière avec leurs trois sacs. Logan avait enlevé tous ses vêtements mouillés et il était en train de vérifier l'état de leur nouvel " ami ". Bien que Logan soit encore trempé, il ne tremblait plus autant. Son facteur autoguérisseur devait l'aider. Il leva la tête quand Ororo atterrit.

" Tout l'électronique est mort, jusqu'aux montres. " lui dit-elle. " Ce n'est pas l'atmosphère. Quoi que ce soit, ça doit provoquer un fort courant électromagnétique en se téléportant. C'est ça qui perturbe tout. "

Logan sortit vivement, brusquement, des vêtements secs et des chaussures de son sac. Alors qu'il s'habillait, Ororo sortit le kit de premiers soins d'où il avait valsé hors du sac et déroula une des couvertures de survie. Elle la posa au sol et y étendit leur nouvelle charge. C'était un homme de taille plutôt moyenne, 25 à 30 ans, asiatique. D'après l'état de ses muscles, il était en bonne santé, faisait probablement des activités physiques régulières. Elle chercha un portefeuille et en trouva un. Toshiro Hidoshi, 27 ans. Le permis de conduire avait été édité en Virginie Occidentale, et imprimé dans la ville. C'était un riverain, pas un pauvre touriste au mauvais endroit au mauvais moment. Logan avait fini de s'habiller et vint regarder par dessus son épaule.

" Trois possibilités sur l'identités de ces connards, et deux ne comptent pas. " feula-t-il.

" On a trouvé les tueurs, n'est-ce pas ? " demanda-t-elle.

" Ouais. On les a trouvés en train de tuer. " Il baissa les yeux vers Toshiro. " Il ne doit pas vivre loin d'ici. Il y a pas mal de maisons dans ces collines. Si le champ magnétique ne s'est pas étendu trop loin, on devrait pouvoir utiliser un téléphone pour appeler le professeur, et il pourra utiliser Cérébro pour trouver Kurt. "

" Kurt sera mort à ce moment-là ! " répondit-elle. " Peut-être que tu peux supporter ce froid, mais pas lui ! Il est peut-être déjà en état de choc ! Il ne survivra pas cette nuit sans abri ! "

" Tu as une meilleure idée, chérie ? " aboya-t-il. " Sa téléportation est mesurée en kilomètres ! Ça nous fait bien trente kilomètres de terrain à couvrir, le soleil est presque couché, et nous ne savons pas quelle direction il a prise ! "

" Si je passe par les airs, je peux couvrir le terrain en quelques minutes ! "

" Et comment vas-tu voler dans la forêt ? " Il s'arrêta et se força au calme. Il enveloppa Toshiro dans la couverture. " Très bien. Tu prends les airs, et je trouve la maison de ce gars. Je trouve quoi que ce soit, je tire une fusée. Tu trouves Kurt... "

" Tu le sauras si je le trouve. " coupa-t-elle. " Je ne me sens pas très subtile aujourd'hui. "

Elle s'éleva dans les airs dans un vortex de neige fine, un sac à dos dans chaque main, ses yeux aussi blancs que la neige autour. Logan la regarda partir, puis fouilla dans son sac pour la carte.

" J'espère que tu ne vis pas trop loin, mec. " marmonna-t-il. " Sinon, ça va être une putain de marche. "

A suivre...