Chapitre 1 : Le Moulin à Eau

Ah oui, vraiment, il y a des jours où il vaut mieux rester couchée ! Si seulement je m'étais occupée de mes oignons comme il n'a pas arrêté de me le dire, on n'en serait pas là...

Alice Avril se perdit dans la contemplation des flammes qui dansaient dans l'âtre, et pour la énième fois, se donna une claque mentale pour son comportement totalement irresponsable.

Comment est-ce que j'arrive toujours – toujours ! – à me fourrer dans des situations non seulement périlleuses pour moi, mais également dangereuses pour les autres ? Ça dépasse l'entendement !

Elle n'osait pas tourner la tête vers son compagnon assis à ses côtés. Silencieux, farouche, tendu comme la corde d'un arc, Laurence entretenait le feu sans mot dire.

Si j'ouvre la bouche, il va me crucifier en quelques phrases désagréables savamment dosées. Et je n'aurais rien à y redire, puisque je le mérite amplement... Je suis vraiment un boulet !

Alice se sentit lasse, avec le moral dans les chaussettes. Ce qu'elle venait de faire ce soir, dépassait de loin tout ce qu'elle avait jamais entrepris. Elle se sentait véritablement nulle, et ce ne serait certainement pas lui qui la contredirait, bien au contraire ! Il lui suffisait de ne pas ouvrir la bouche.

Le silence s'étira… insupportable, lourd de culpabilité... Le malaise en elle enfla, enfla... Il fallait que ça sorte, peu importe les conséquences.

« Je suis désolée. »

Un silence glacial accueillit ces trois mots, signe que la fureur qui animait le consultant du F.B.I. n'était pas retombée et qu'il ne la pardonnerait pas facilement.

Merde, Laurence, dites quelque chose à la fin ! Je préfère encore affronter votre colère pleine de ressentiments ou vos sarcasmes piquants, plutôt que cette froideur qui me met face à mes erreurs et à l'imprudence de mes actes !

Elle frissonna et s'emmitoufla dans les sacs en toile de coton comme elle put. Ce n'était pas tant le froid qui la faisait réagir ainsi que le fait de se sentir misérable. Comme une gosse prise en faute, elle avait envie de pleurer.

Sur le point de craquer, Alice se recroquevilla sur le tabouret en lui tournant le dos, puis se mordit les lèvres pour étouffer les sanglots qui montaient inexorablement dans sa gorge, sans parvenir à retenir ses larmes en revanche.

Furtivement, elle essuya ses joues humides pendant que Laurence se levait et s'occupait à quelque chose derrière elle, dans la pénombre. Il avait déjà tant fait ce soir...

A commencer par me sauver la vie, pour la vingtième fois au moins ! Laurence aurait donné sa vie pour moi et j'ai failli le perdre.

Tout était allé très vite quand elle avait glissé et chuté accidentellement dans la rivière alors qu'ils échappaient à leurs poursuivants. L'eau glaciale l'avait paralysée pendant quelques secondes et elle avait coulé alors qu'elle savait à peine nager. A cause d'un réflexe mécanique, elle avait bu la tasse. Désespérément, elle avait tenté de remonter à la surface, mais où était le haut dans ce milieu noir, hostile qui la brinquebalait dans tous les sens et où les sons aquatiques étouffaient tout ? Paniquée, elle avait cru sa dernière heure venue.

Ses poumons en feu la brûlait. Les secondes lui avaient parue durer une éternité. Au bord de la perte de conscience, elle avait refait surface en toussant violemment alors qu'une voix qu'elle reconnaissait à peine lui ordonnait de se laisser faire.

Elle avait mis quelques instants à comprendre que Laurence venait de la récupérer in extremis. La tête hors de l'eau, elle avait aspiré l'air glacial avec avidité.

« Ne luttez pas, laissez-vous porter par le courant » lui avait-il crié.

Il la maintenait à la surface sur le dos et elle regardait la lune jouer à cache-cache derrière le feuillage des arbres qui défilaient rapidement au dessus de leurs têtes. Passé le moment où l'adrénaline la portait, elle se mit à claquer des dents.

« Laurence... froid... »

« Je sais. »

Il faisait des efforts désespérés pour les maintenir à flot tous les deux et pour tenter de rejoindre la rive, mais le courant était violent, gonflé par les pluies récentes, et les entraînait toujours plus loin du bord. Elle pouvait entendre son souffle court.

« Aidez-moi, Avril, bon sang ! »

Elle ne voyait pas comment. L'eau froide la tétanisait et elle avait mal aux extrémités. Il fallait qu'elle bouge et se sorte de l'étau qu'il exerçait sur elle de peur de la perdre.

« Lâchez-moi, Laurence ! »

Il ne répondit pas, tout à son effort. Elle se dégagea malgré tout, et s'accrocha maladroitement à sa veste au niveau de l'épaule. Ils nagèrent ainsi ensemble pendant quelque temps, lorsqu'il poussa un cri de douleur et jura. Leur progression fut stoppée.

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

« J'ai heurté quelque chose ! »

« Il faut rejoindre la rive ! »

« Qu'est-ce que vous croyez que je suis en train de faire ? » hurla Laurence, le visage grimaçant. « Du tricot ? »

Un bruit d'eau vive s'amplifiait à mesure qu'ils avançaient, un bruit qui faisait penser à un déversoir ou à une chute d'eau.

« Il faut qu'on sorte d'ici, et vite ! » cria Laurence. « Allez, Avril, encore un effort ! »

Quelque chose battait l'eau avec une régularité alarmante et ça s'amplifiait à mesure qu'ils s'en approchaient.

« Accrochez-vous, Avril, ne lâchez rien ! »

Il l'encourageait encore et encore, alors qu'elle jetait ses dernières forces dans la bataille contre le courant. Essoufflée, les muscles en feu, Alice refusait de plier, faisant fi du froid et de la douleur.

« On y est ! » hurla t'il par dessus le vacarme assourdissant.

Il avait pied. Il l'entraîna vers la rive, sur laquelle ils se hissèrent à genoux, tous les deux à bout de souffle. Ils ne tardèrent pas à grelotter violemment.

Laurence se releva tant bien que mal, le corps roué. Il força Alice à se mettre également debout et ils se mirent en marche dans le noir, en remontant la berge glissante. Ils claquaient des dents, leurs deux corps secoués de tremblements incontrôlables.

« J'ai... froid... » parvint à dire Alice.

« On va trouver un abri. »

Alice eut un ricanement qu'il n'entendit pas. Elle se demandait bien où ils allaient trouver refuge, trempés, grelottant, dans la nuit à la lueur de la lune. Après avoir failli mourir noyés, ils allaient mourir de froid. Quelle ironie !

Mais Laurence savait ce qu'il faisait. Il l'entraînait en claudiquant vers l'origine du battement régulier, et elle devina la silhouette sombre d'un bâtiment devant elle.

« Là, une maison ! »

« Un moulin à eau. » Précisa t-il.

Elle aperçut alors la roue à augets au-dessus de l'eau qui luisait sous l'éclat de la lune. C'était elle qui produisait le battement régulier en tournant, avec un grincement couvert par le bruit de l'eau vive. Ils pressèrent le pas et arrivèrent dans une cour déserte. Ses yeux habitués à l'obscurité, Laurence aperçut la porte d'entrée du moulin et frappa. Il n'y eut pas de réponse. Il essaya de l'ouvrir. Par bonheur, elle était ouverte.

En grelottant, Alice pénétra dans une pièce plongée dans le noir qui sentait la poussière et le foin. La température était à peine plus élevée qu'à l'extérieur mais au moins, ils avaient un toit au dessus de la tête. À tâtons, elle chercha devant elle et heurta ce qui semblait être une table. Elle continua ses explorations.

« Trouvez la cheminée. »

Plus facile à dire qu'à faire. Elle se cogna à quelque chose qu'elle identifia très vite comme un gros vaisselier ou une armoire. Elle suivit alors le mur en prenant bien soin de ne pas heurter d'obstacles ou de tomber dans un escalier. Dans le silence, elle entendait également les tâtonnements de Laurence et ses claquements de dents qu'il essayait de contrôler, tout comme elle.

Il fit tomber un objet qui se brisa, déplaça une chaise ou un banc qui grinça sur le sol, puis dérangea des bibelots. Savait-il ce qu'il cherchait ?

Elle eut la réponse quelques instants plus tard lorsqu'elle l'entendit gratter une allumette. Il tremblait tellement que le petit bout incandescent s'éteignit immédiatement. Il dut s'y reprendre encore à deux fois avant de maintenir une petite flamme qui leur réchauffa immédiatement le cœur.

Alice avisa la vieille lampe à pétrole sur la table qu'elle avait heurtée en entrant. Elle s'en saisit et ils parvinrent enfin à avoir de la lumière.

Alice fit le tour de la pièce du regard. C'était un atelier. Divers outils traînaient sur un établi dans un coin. Une armoire branlante trônait contre un mur près d'un vieil évier en pierre. En face, la cheminée noircie aurait pu contenir une vache, mais ne servait plus à faire de feux. Un escalier poussiéreux montait à l'étage et une porte donnait sur une autre pièce. Quelques chaises autour d'une table centrale et un banc complétaient le mobilier rustique qui avait connu des jours meilleurs.

« Avril, venez m'aider. »

Alice tourna la tête vers Laurence alors qu'il fermait le volet en bois intérieur de la seule fenêtre que comptait l'atelier. Elle se rendit compte de l'état pitoyable dans lequel il se trouvait. Son costume trempé lui collait au corps et était déchiré en maints endroits, sans compter la boue qui le maculait. Elle s'observa à son tour et trouva qu'elle n'était guère en meilleur état.

« On va bloquer la porte de façon à ce que personne n'entre. Après, je ferai du feu et on se réchauffera. »

Ils firent glisser un meuble devant l'ouverture. Alice serra les bras contre son corps en tâchant de contenir les frissons involontaires de son corps transi de froid.

« Il nous faut du bois. »

Il passa dans la pièce contiguë avec elle. Il y avait là un blutoir qui recueillait la mouture broyée en provenance du niveau supérieur. A part des sacs remplis de farine en attente d'être livrés, il n'y avait pas de petit bois. Ils repassèrent dans l'atelier puis montèrent ensemble à l'étage.

C'était la minoterie. Les deux meules en pierre avec leur énorme arbre moteur et leurs engrenages en bois trônaient au milieu de la pièce. Ici, il y avait seulement des tabourets. Une cheminée de plus petite taille complétait la pièce. Dans un coin, quelques bottes de paille étaient entassées. Et il y avait de quoi allumer un feu.

Sans plus attendre, Laurence rassembla le petit bois. Il souffla sur les flammèches pour que le feu démarre. Alice n'en pouvait plus de trembler et sentait qu'elle allait être malade.

« Fermez les volets ici aussi. Il ne faut pas qu'on voit la lumière de l'extérieur. »

Elle s'exécuta en sentant que la fatigue prenait le dessus. Tout son espoir résidait dans ce que Laurence était en train de faire. Ce furent cinq minutes d'attente insupportable et enfin, des flammes crépitèrent joyeusement dans l'âtre. Ils se pressèrent autour de la cheminée comme si leurs vies en dépendaient.

« Enlevez vos vêtements, ne gardez que vos sous-vêtements. »

« Mais... »

« Ne discutez pas, Avril ! »

Il se rendit au rez-de-chaussée. Lentement, Alice se déshabilla. Tout de même, c'était gênant cette situation mais elle devait avouer qu'il avait raison sur ce point. Inutile de se réchauffer en gardant des vêtements mouillés.

Après les avoir étendus, elle prit un tabouret et se fit chauffer le dos avec un plaisir manifeste, depuis la seule source de lumière de la pièce, puisqu'il avait pris la lampe à pétrole avec lui.

Elle entendit l'escalier grincer et se couvrit sommairement avec les bras. Il revenait avec des sacs en toile et de la ficelle de chanvre qu'il jeta devant elle en l'ignorant. Il en garda deux. Dans le premier, il découpa des trous pour les bras et la tête, dans le second, il trancha le fond.

« Mettez ça. »

Elle ne se le fit pas dire deux fois alors qu'il se déshabillait devant elle sans cérémonie. Aucun ne se regardait. Alice considéra le piètre résultat sur elle et fit la moue.

« Vous pouvez enfin dire que je m'habille comme un sac ! »

Sa tentative d'humour tomba à plat et elle releva la tête. Son regard s'arrêta sur la cuisse découverte du policier où une méchante coupure saignait abondamment.

« Laurence ? »

« Je sais... » répondit-il, agacé.

Il prit la ceinture de son pantalon et la lui tendit.

« Serrez fort. »

Elle s'agenouilla devant lui et fit ce qu'il disait. Il ne broncha pas malgré la pression qu'elle exerça. Inquiète tout de même, elle descendit au rez-de-chaussée et fit couler de l'eau dans une marmite qu'elle avait trouvée près de la cheminée.

Elle remonta. Il s'était habillé de la même façon qu'elle et se réchauffait sans un mot. Elle accrocha la marmite au-dessus du feu et attendit que l'eau boue. Pendant ce temps, elle déchira des bandes dans un sac en toile pour lui faire un pansement propre.

« Il faut qu'on vous trouve un docteur au plus tôt » fit-elle remarquer quand elle eut fini de le soigner.

« Le médecin attendra. Pour l'instant, on se réchauffe et on se cache. Nos poursuivants vont nous chercher. »

Et nous tuer, ajouta mentalement la journaliste.

Le silence s'étira pendant lequel elle se blâma de ce qui était arrivé par sa faute, jusqu'à ce qu'elle n'y tienne plus et qu'elle soit dévastée par la culpabilité.

« Je suis désolée. »

Seul le silence lui fit écho. Laurence s'activait derrière elle sans qu'elle sache ce qu'il manigançait. Assise sur l'autre tabouret, elle tâchait de retenir ses sanglots, le corps crispé, au bord du gouffre qui menaçait de l'engloutir.

Un bruit énorme la fit sursauter et elle tourna vivement la tête, apeurée. Tel un pantin désarticulé, le policier gisait au sol sur le ventre et ne bougeait plus.

« Laurence ! »

La rousse se précipita vers lui.

« Laurence ?! Laurence, vous m'entendez ? »

Alice le retourna tant bien que mal en posant la tête de son ami sur ses cuisses. Il était horriblement pâle, et surtout, présentement inconscient. Elle n'avait pas vu ce qu'il lui était arrivé. Était-il tombé ? Était-ce sa blessure ?

« Non, non, non… Laurence ! Réveillez-vous ! Restez avec moi ! »

Avec angoisse, elle le secoua un peu et lui donna quelques petites tapes sur la joue. Rien n'y fit, et Alice se mit à sangloter cette fois en se laissant aller, submergée par l'anxiété.

« S'il vous-plaît, réveillez-vous ! Me laissez pas, je vous en supplie ! »

Les secondes s'allongèrent. Impuissante, elle se mit à le bercer contre elle avec l'énergie du désespoir.

« J'ai besoin de vous ! Me laissez pas ! Je vous en prie ! »

Un grognement sourd se fit entendre et elle s'écarta un peu, tout en continuant à s'accrocher à lui. Il ouvrit des yeux encore hagards et elle ressentit une joie immense à le voir reprendre conscience. Avec soulagement, elle posa la main sur sa joue, puis la lui caressa en souriant.

« Oh, mon Dieu ! Vous m'avez fait tellement peur ! Laurence, ça va ? »

« Qu'est-ce… Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qu'est-ce que je fais là ? »

Il essaya de s'écarter d'elle avec sa brusquerie habituelle, mais ne put réprimer une grimace dès qu'il fit un mouvement. Sa lucidité revint en même temps que la douleur.

« Ne bougez pas ! » s'alarma t-elle. « Vous êtes tombé... » Elle porta un regard vers sa cuisse. « Il faut vraiment qu'on vous trouve rapidement un médecin ! »

Laurence observa le pansement ensanglanté en estimant la situation d'un œil critique. Sa blessure le clouait au sol. Il n'était pas du genre à s'inquiéter inutilement mais tout ce qu'il avait pu lire sur de telles plaies par le passé n'était guère encourageant. S'il ne recevait pas rapidement des soins, il allait probablement se vider de son sang, puis mourir…

Avril le tenait toujours contre elle de façon éperdue, positivement effrayée et ne savait pas quoi faire… à part lui tenir la main !

« Vous pouvez me lâcher, Avril » grogna Laurence en reprenant contenance. « Je ne vais pas à nouveau tomber en pâmoison comme une vierge effarouchée ! »

Nerveusement, la rouquine ne put s'empêcher de s'esclaffer devant cette image à dix mille lieues de l'irascible Laurence. Elle lui serra la main un peu plus et il hocha la tête en comprenant. Finalement, il se détacha d'elle en s'asseyant.

Elle reprit avec hésitation :

« Je suis désolée de vous avoir entraîné dans cette histoire... » Lui dit-elle, repentante. « C'est ma faute si vous êtes blessé. »

« Si l'on pouvait éviter d'en arriver là à chaque fois, Avril, on s'épargnerait bien des désagréments, vous ne croyez pas ? »

« N'empêche, j'ai bien déterré un lièvre ! Ce complot existe bel et bien ! J'avais raison ! »

Laurence serra la mâchoire. Ce qu'ils avaient surpris cette nuit, dépassait le simple cadre de ses fonctions de consultant et de conseiller au F.B.I. C'était une bombe et il avait conscience du danger dans lequel ils se trouvaient désormais.

« Il y avait moyen de s'y prendre autrement que de foncer dans les ennuis sans réfléchir, tête de mule ! Jamais vous n'apprendrez, hein ? »

« Mais vous ne m'écoutez pas non plus ! Quand je vous ai dit qu'il fallait agir vite, vous m'avez envoyée bouler ! »

« Nous n'avons pas affaire à de simples malfaiteurs, Avril, mais bien à une organisation gouvernementale qui agit dans un but criminel ! Ils savent qu'ils ont été espionnés et ils vont nous rechercher jusqu'à nous trouver ! »

« Mais vous appartenez au F.B.I. ! Ils ne vont rien faire contre vous ! »

« Mon dieu, qu'est-ce que vous pouvez débiter comme bêtises ! » ricana t-il sarcastiquement. « Je suis un ancien agent au service de la France, et vous, une journaliste étrangère qui fourre son nez partout ! » Il prit un ton ironique : « Oh ! vous fomentiez l'assassinat d'un important leader politique ? Nous, on se promenait ici totalement par hasard... Grande maline, que croyez-vous que les américains vont en déduire en pleine Guerre Froide, hein ? »

Alice baissa brièvement les yeux devant son regard subitement féroce, puis fit amende honorable en se taisant.

« ...Vous ne vous rendez pas compte de ce que nous venons de découvrir ? Nous sommes morts tous les deux si ces individus mettent la main sur nous. »

« Vous croyez ? »

« Vous voulez parier ? »

« Bon, alors, il ne faut pas rester là à se morfondre et à attendre que la mort nous cueille. On s'en va ! »

Laurence resta silencieux quelques secondes, puis se contenta de hocher la tête en direction de la cheminée.

« Aidez-moi à me relever. »

Alice s'exécuta alors qu'il grimaçait en boitant et l'accompagna jusque devant l'âtre.

Le dilemme était clair pour Laurence. Ou il envoyait Avril chercher de l'aide, au risque d'y perdre la vie si elle se retrouvait face à leurs poursuivants… ou elle restait à l'abri ici avec lui, sans garantie non plus qu'elle s'en sorte… Dans les deux cas, il était fichu, mais la rousse avait une chance de s'en sortir si elle fuyait. Il prit sa décision.

« Avril, il faut que vous partiez d'ici tout de suite. »

« Pas sans vous ! On est une équipe, je ne vous laisse pas derrière ! »

« Regardez-moi. Je ne peux pas me déplacer. Il faut que vous me laissiez ici. »

« Certainement pas ! »

« Soyez raisonnable. Je vais vous ralentir. Seule, vous irez plus vite pour aller chercher du secours et surtout vous mettre à l'abri... »

« Non... »

« Écoutez-moi bien, Avril ! » insista t-il en lui prenant le bras. « Vous ne parlez à personne de ce que vous avez vu ici ce soir, c'est compris ? Personne ! Surtout pas les autorités ! Vous gardez ça pour vous. Si on vous interroge, vous dites que j'ai eu un accident en manipulant le mécanisme du moulin, d'accord ? »

Avril le considéra en silence quelques secondes, visiblement à la torture, puis hocha la tête. Elle baissa la tête, sembla encore réfléchir quelques instants, avant de dire :

« C'est pas bon ce que vous avez à la cuisse. »

« C'est une simple égratignure. »

« Ne me prenez pas pour une andouille ! C'est beaucoup plus grave ! »

Le visage de Laurence se ferma et il s'agaça :

« Raison de plus pour que vous filiez tout de suite ! Vous ne rendez service à personne, à commencer par vous, si vous restez ici ! »

Avril baissa la tête en silence, puis prit une décision :

« D'accord... Mais je vous interdis de mourir, Laurence, vous m'entendez ? »

« Vous savez bien que les mauvaises herbes ont la vie dure » ricana le policier avec cynisme. « A mon grand désespoir, vous risquez encore de m'emmerder dans un avenir proche ! »

« Il faut que vous vous cachiez ! Les tueurs à nos trousses vont vouloir vous faire la peau s'il vous trouve ! »

« Vous croyez que je ne vais pas la vendre chèrement ? »

Finalement, elle hocha la tête, une nouvelle détermination dans les yeux. Elle se leva pour remettre ses vêtements qui n'avaient pas eu le temps de sécher, alors qu'il s'asseyait le plus confortablement possible. Rapidement, elle s'habilla dans son dos, puis revint vers lui quand elle eut fini.

La rousse le dévisagea intensément en silence pendant qu'il lui retournait un regard grave. Impulsivement, elle combla les quelques pas qui les séparaient l'un de l'autre et lui prit le visage entre les mains, avant de déposer un baiser improvisé sur ses lèvres. Le policier subit sans protester sa tendre agression jusqu'à ce qu'elle se recule.

« Je vous ai manquée à ce point ? » la railla doucement Laurence.

Alice se redressa en rougissant et détourna le regard en se passant la main sur le visage.

« Oubliez ça, je... je sais pas ce qu'il m'a pris !… C'est… C'était stupide ! »

« Complètement stupide, impulsif et effrayant ! À votre image, en définitif ! » se moqua-t-il en inclinant la tête sur le côté.

Un très léger sourire moqueur étirait les lèvres du policier et démentait ses propos sarcastiques. Elle prit cela pour un encouragement et le considéra longuement, avec gravité :

« Tout ce que je meurs d'envie de vous dire... » murmura-t-elle finalement.

« Probablement des insultes ! » ironisa t-il encore. « Vous savez quoi , Avril ? Si jamais vous revenez, ne me dites rien, sinon je risque de faire des cauchemars pendant des semaines ! »

« Ha ha ha, très drôle... En attendant, faites pas le con, Laurence, d'accord ? Planquez-vous. »

« Je ne bouge pas d'ici. » Il redevint sérieux. « Suivez le chemin en sortant, il devrait vous conduire jusqu'à la route. Arrêtez la première voiture qui passe et demandez un téléphone. »

« Je reviens le plus vite possible, d'accord ? »

Il hocha la tête et elle se mit bravement à lui sourire, avant de tourner les talons.

« Avril ? »

« Quoi ? »

« Faites-vous greffer un cerveau, je ne serai pas toujours là pour sauver votre misérable peau ! »

Elle lui fit un sourire exagéré :

« Je serais vous, je ne ferais pas trop le mariole ! Imaginez que je ne revienne pas ? »

« Peuh ! Vous ne vous pourriez pas vous pardonner de m'avoir abandonné ! »

« Vous croyez ? » Elle eut un nouveau sourire complaisant. « J'ai déjà trouvé une belle épitaphe qui rime à apposer sur votre pierre tombale : Ci-gît le roi des enfoirés, il ne sera pas regretté ! »

Les yeux de Laurence se plissèrent : elle y lisait clairement des envies de meurtre. Avec un sourire satisfait cette fois, elle s'en alla en lui lançant :

« On se revoit en enfer, Laurence ? »

« J'y suis déjà, espèce de branquignole ! »

A suivre...

J'avais envie d'explorer le « what if aux US », sachant que nos trois « Pieds Nickelés » Marlène, Laurence et Avril, voient leurs situations radicalement changer pour la première (et malheureusement dernière) fois.

Dans cette fic, je me les suis imaginés en train de gérer plus ou moins bien la transition vers leurs nouvelles vies, tenter de faire face à des difficultés qu'ils n'avaient pas forcément anticipées, les uns sans les autres. C'est ce que vous découvrirez dans les prochains chapitres, dans le cadre d'un crossover un peu particulier, que je pense, vous aurez deviné au titre.

En attendant la suite, merci pour votre attention et vos commentaires !