Bonsoir :)
Après cette parenthèse de sérénité pour nos fauves préférés (qui a fait l'unanimité ^^), on retourne dans leur quotidien pour une nouvelle semaine.
Bonne lecture !
Lundi matin. Après ce week-end hors du commun, Kagami se réveille sans grande conviction. La journée d'aujourd'hui sera forcément un peu terne après ces moments intenses et pleins de joie. Mais enfin, il ne va pas se laisser abattre comme ça. Il y aura d'autres jours comme ceux-là. Et en attendant, il a beaucoup à faire sur le plan professionnel. Après leur prestation au tournoi de vendredi, les propositions pleuvent, il faut s'occuper de tout ça, et aussi établir un solide planning d'entraînement en vue de la prochaine compétition. Ce n'est que le début de l'aventure… Il le sent dans ses tripes, que ça concerne l'e-sport ou… la relation qu'il noue avec Aomine. Cette pensée le réconforte un peu tandis qu'il s'active dans sa cuisine pour préparer son petit-déjeuner. Il aura beaucoup à raconter à Alex aussi, il va falloir qu'il songe à lui envoyer un message, peut-être passer la voir.
Il dresse mentalement sa liste de choses à faire, les classant automatiquement par priorité, marmonnant parfois à voix haute tandis que son cerveau traite les données. Puis, ses pensées dérivent vers certaines conversations qu'il a eues avec Aomine ce week-end. Il n'aurait pas pensé vouloir, ou même pouvoir, s'ouvrir à lui sur certains sujets personnels, mais il n'a pas ressenti de gêne à le faire, et ça s'est passé de manière fluide, naturelle. En y repensant, il réalise qu'il y a certaines choses qu'il n'a jamais pris le temps de faire, les repoussant sans cesse pour des raisons futiles. Tandis qu'il remue ses œufs dans sa poêle, il lance un regard à l'étagère fixée au-dessus de ses écrans de PC. Parmi diverses babioles et quelques livres se trouve un vieil album photos à la couverture rouge passée. Cela fait longtemps qu'il ne l'a pas consulté, car son cœur se serre toujours douloureusement et il a l'impression de ne faire que jeter du sel sur une plaie qui refuse de se refermer. Mais aujourd'hui, il a un objectif. Il cherche quelque chose de précis. Alors, une fois son repas prêt, il le pose sur la table basse et effleure la couverture usée et le nom écrit dans le coin en bas à droite. Kagami Hanae. Il ouvre l'album, tout en enfournant ses œufs brouillés de sa main libre. Les premières pages relatent des fragments de l'histoire de sa mère avant sa rencontre avec son père. Il la voit avec ses amis, en voyage, fêtant un événement avec sa famille. Il y a aussi quelques photos où elle est seule, et notamment un portrait d'elle dans un restaurant, souriant à l'appareil devant une table rien remplie. À côté de la photo, il y a un nom et une adresse. Cet établissement n'existe probablement plus, ou bien il aura changé de propriétaire depuis longtemps… Mais ça vaut le coup d'essayer. Délicatement, il retire la photo de l'album, et termine son petit-déjeuner.
Vers midi, après avoir travaillé un peu – de la paperasse et des tonnes de messages auxquels répondre – Kagami quitte son appartement, la précieuse photo glissée dans la poche intérieure de sa veste. Il ne lui faut que dix minutes pour rallier l'adresse indiquée dans l'album. Tandis qu'il pénètre dans la ruelle du resto, son cœur se met à cogner dans sa poitrine. Il a presque aussi peur d'être déçu que de trouver le restaurant intact, comme dans les souvenirs de sa mère, tout droit sorti d'un passé qu'il n'a pas connu. Après tout, que vient-il chercher ici, sinon des fantômes ? Mais maintenant qu'il est là, autant aller jusqu'au bout. Il avance d'un pas déterminé, et trouve le restaurant à sa place. La porte est ouverte et des effluves alléchants viennent à sa rencontre, l'attirant à l'intérieur.
C'est encore plus petit qu'il n'y paraissait sur la photo, mais confortable et accueillant. Il a presque l'impression de rentrer chez quelqu'un. Derrière le comptoir donnant sur la cuisine ouverte, un vieil homme lève la tête et le salue chaleureusement. Sur son invitation, Kagami s'assoit, choisissant d'instinct ce qui devait être la place de sa mère d'après la photo. Il n'y a personne d'autre, et le cuisinier semble travailler seul. Il attend nerveusement, son regard dérivant sur la décoration vieillotte avant de s'attarder sur le menu. Il note mentalement ce qui lui fait envie, et demande une bière au cuisinier. Il la lui apporte aussitôt et prend sa commande avant de s'en retourner en cuisine. Kagami trempe ses lèvres dans le liquide blond. Elle ne lui semble pas extraordinaire, et pourtant elle a un goût spécial, quelque chose d'amer et de nostalgique, et paradoxalement, réconfortant, comme un jour d'automne pluvieux où se glisse un rayon de soleil. La boisson légère le détend, et il écoute les bruits de cuisine tandis qu'il patiente, pensif. Sa mère était un peu plus jeune que lui quand la photo a été prise. Il n'était probablement même pas encore une idée dans son esprit. Avait-elle l'habitude de déjeuner ici ? Venait-elle seule ? En tout cas, il sait que sa mère était un fin gourmet, alors il s'attend à déguster un bon repas. Quand le vieil homme revient avec son katsudon, Kagami ose le retenir quelques instants :
« Excusez-moi… Vous vous souvenez d'une femme qui venait ici autrefois ? C'était il y a plus de vingt ans… Elle… elle avait des cheveux comme les miens. »
L'homme lui sourit, creusant les rides autour de ses yeux, et commence à secouer la tête quand soudain il se fige. Il l'examine attentivement, le tenant dans un suspense insoutenable, avant de s'exclamer :
« Oh… Mais oui ! Hayashi-san ! »
Kagami le fixe, estomaqué. C'est bien le nom de jeune fille de sa mère.
« Vous vous souvenez ? Vraiment ? Vous vous rappelez son nom ? »
Le cuisinier hoche la tête, un voile passant devant ses yeux tandis qu'il convoque ses souvenirs, toujours souriant.
« C'était une cliente régulière. Au début, je n'y ai pas pensé, mais à vous voir assis à sa place… Vous lui ressemblez tellement. Vous êtes son fils ?
— Oui… souffle Kagami.
— Incroyable, s'illumine le cuisinier, vraiment incroyable. Je l'aimais bien, vous savez. Et pas seulement parce qu'elle me commandait toujours beaucoup à manger ! Elle avait l'air… Comment dire ça… Toujours pressée d'aller quelque part, et pourtant, elle savourait son repas comme si c'était le dernier. Une femme très énergique. Et très franche, quand elle n'aimait pas quelque chose. Pour être honnête, elle m'a aidé à perfectionner ma carte !
— Vraiment ?
— Oui, oui. Tenez, je vous offre le repas. Prenez ce que vous voulez.
— Oh non, je vous en prie, ce n'est pas…
— J'insiste. Ça me fait plaisir de me rappeler de Hayashi-san. Et de vous voir ici aujourd'hui. Profitez de votre repas ! »
Kagami n'a pas le temps de protester davantage ou de poser d'autres questions que l'homme repart déjà en cuisine. Il baisse les yeux sur son bol, le cœur battant, le ventre remué d'émotion. Mais ce n'est pas ce qui l'empêche d'avoir faim, bien au contraire. Et peut-être se laisse-t-il emporter par son désir de se connecter à sa mère, de recomposer les pièces manquantes du puzzle dans sa mémoire, mais il lui semble que ce katsudon le ramène en enfance, par une froide journée d'hiver. La faim, c'est une bonne maladie, disait sa mère en lui donnant son bol, alors qu'il avait encore les joues rougies d'une matinée passée à jouer dans la neige. Son cœur s'emplit d'une chaude tendresse mêlée de peine à l'évocation de ce souvenir, vague et fugace comme un rêve. Il suspend ses baguettes un instant pour boire quelques gorgées de bière. Il ignore pourquoi ça fait remonter tant d'émotions en lui dans un mélange si doux amer, mais après tout, c'est pour ça qu'il est venu. Alors il déguste son kastudon perdu dans ses pensées et ses souvenirs.
Plus tard, quand le cuisinier repasse, il demande :
« Ma mère… J'ai une photo d'elle et je me demandais… Dans quelles circonstances elle a été prise ? »
Il sort la photo de sa poche et la lui montre.
Le vieil homme se penche pour mieux voir.
« Oui… Je m'en souviens, dit-il en plissant les yeux. Elle a dit qu'on ne sait jamais où la vie peut nous mener, alors elle voulait une façon de se rappeler cet endroit, si jamais la vie la portait loin d'ici. C'est moi qui ai pris la photo. Et de fait, c'était l'une des dernières fois où je l'ai vue. Je crois qu'elle a rencontré quelqu'un après ça…
— Oui… Mon père… murmure Kagami.
— Mais vous voyez, elle a bien fait ! Car cette photo vous a conduit ici ! Vous vous êtes souvenu à sa place ! »
À ces mots, son cœur se serre douloureusement, et pourtant il éprouve aussi de la joie, de la surprise, et un sentiment d'accomplissement et de fierté, comme s'il avait réalisé l'un des souhaits secrets de sa mère.
« Yeah… Je suis content d'être venu. Et votre cuisine est délicieuse. Ce katsudon… Il me rappelle celui qu'elle faisait.
— Qui sait, je me suis peut-être inspiré de sa recette ! sourit le vieil homme en lui adressant un clin d'œil. Si vous voulez… Je peux prendre une photo de vous aussi. Pour la ranger à côté de celle de votre mère. »
Kagami déglutit, la gorge un peu sèche. Il hoche la tête sans rien dire, lui tend son téléphone et lui explique rapidement comme s'y prendre.
« La ressemblance vous sautera aux yeux quand vous verrez les deux photos côte à côte ! » assure le vieil homme.
Kagami lui adresse un sourire timide, et le cuisinier prend la photo, puis lui rend son téléphone. Le rouge vérifie qu'il n'a pas l'air complètement stupide sur le cliché, et baisse la tête pour le remercier.
« C'est vraiment gentil à vous.
— Je vous en prie. »
Alors que le vieil homme rejoint sa cuisine, Kagami finit sa bière, en proie à des émotions contraires. C'est à la fois réconfortant et intimidant de marcher dans les pas de sa mère. Avec une certaine appréhension, il examine encore la photo que le cuisinier a pris de lui, et pose celle de sa mère à côté du téléphone. Son regard navigue de l'une à l'autre, et force est d'admettre que la ressemblance est effectivement frappante. Il se reconnaît dans les traits de cette femme qui affiche un immense sourire, franc et heureux. Et bien sûr, dans cette chevelure flamboyante qui cascade jusqu'en bas de son dos.
Lorsqu'il ressort du restaurant, pris d'une impulsion, il va faire imprimer sa photo et l'encadrer avec celle de sa mère. Il n'a aucune photo chez lui, ce sera donc la première. Mais il a envie d'avoir ce rappel, cette assurance réconfortante qu'il ne vient pas de nulle part, que sa mère a bien vécu, et qu'ils sont liés tous les deux. De retour chez lui, il pose la double photo encadrée sur son bureau, là où il pourra toujours la voir. Il se sent mélancolique maintenant, mais quelque part, un peu apaisé, content de lui, avec l'impression d'avoir fait ce qu'il fallait.
Contrairement à ce week-end, le réveil d'aujourd'hui est plus difficile. Il faut dire que l'idée de retourner travailler après plusieurs jours off n'est pas très réjouissante. Quand bien même, Aomine s'étire et grimace d'inconfort. Tout courbaturés qu'ils sont, ses muscles protestent à faire le moindre effort. Il a beau être un grand amateur de sport, le surf nécessite l'implications plus soutenue de certains muscles, différents de ceux qu'il sollicite habituellement.
Quand il émerge du brouillard, il attrape son téléphone sur le chevet mais reste dans le confort des draps. Aomine sourit en trouvant un message de Kise arrivé dans la nuit. La tornade blonde le noie de questions sans rapport, s'enquiert de sa journée surf, lui confie que ça lui manque aussi, lui parle boulot, lui demande où en sont ses amours et la santé de sa mère. Il lève les yeux au ciel et secoue la tête en reconnaissant bien là son vieil ami, inchangé. Il prend le temps de lui répondre, mettant un soin particulier à lui retourner ses questions. Avec le décalage horaire il se doute qu'il n'aura pas de réponse immédiate mais ce contact, même à retardement le met en joie. Il se dit même que finalement, il a surestimé leur éloignement et qu'il ne tient qu'à lui de le combler. Puis, parce qu'il n'a pas eu le temps de passer le voir comme il l'avait prévu, il appelle Testu qui décroche presque immédiatement.
« Yo Tetsu. Bien remis du match ?
—Oui très bien merci. C'était comment le surf ?
— Au top ! Ça m'avait manqué. Mais ça tire un peu ce matin.
—Tu as encore zappé les étirements je parie. »
Il grimace et souffle de dépit. Inutile de nier avec lui… Il ne sait pas si c'est le message de Ryota ou simplement la redescente post week-end, mais ce matin la nostalgie l'étreint.
« On a passé de bons moments à la mer tous ensemble…
— C'est vrai, il faudra le refaire. Si tu t'y prends en assez en avance je pense que ce serait envisageable pour l'été prochain.
— Hum je suis pas le meilleur organisateur.
— C'est ton idée Aomine-kun.
— Ouais j'y penserai… » Un léger silence s'installe, qu'il brise avec l'objet de son appel, plus sérieusement : « Dis je t'appelle parce que je me demandais… pourquoi tu as été si indiscret au Magi avec Kagami ? »
À travers le combiné, il peut entendre son interlocuteur cessé son activité, quelle qu'elle soit. Il a toute son attention.
« Il s'est ouvert à toi après mon départ ? »
La question le rend perplexe. Qu'est-ce que ce filou de fantôme avait encore manigancé comme plan foireux ?
« Euh non… C'était le but ? » Un nouveau silence, plus pesant. Puis un soupir, résigné.
« Aomine-kun... je suis vraiment très content pour toi. Tu attendais un tel rival depuis longtemps. Mais j'ai remarqué qu'il avait l'air inquiet d'un éventuel rapprochement entre toi et Naoko. Et je trouverais dommage que tu le perdes bêtement pour une histoire de fille. Je ne voulais pas être intrusif, seulement l'amener à t'en parler. »
Aomine reste coi, analysant les propos de son ombre. Quand il en comprend le sens, il étouffe un rire. Kuroko pense que Kagami a des vues sur Naoko ? Ça c'est la meilleure ! Son ami n'a peut-être pas perdu la main au basket, mais niveau déduction, il va falloir qu'il revoie sa copie. Un sourire aux lèvres, il décide de le rassurer. Lui non plus n'a pas envie de perdre Kagami. D'ailleurs, n'a-t-il pas éconduit la jeune femme plus ou moins pour cette raison ?
« Merci Tetsu, je gère. Elle ne m'intéresse pas de toute façon. Et je crois que Kagami est assez grand pour me le dire si c'était le cas. Mais j'en doute…
— Il y a quelqu'un d'autre ? »
Tetsu s'est planté, mais il ne perd pas le nord. Il comprend vite. Aomine secoue la tête, toujours amusé. Il n'est sûr de rien, et au fond, malgré sa curiosité – déformation professionnelle – il préfère ne pas le savoir. Au risque que les choses changent entre eux. Et c'est tout l'inverse dont il a envie. Kagami s'est très vite imposé dans sa vie et il n'est pas prêt à devoir s'en passer. Alors c'est tout à fait sciemment qu'il élude la question. Autant pour Kuroko que pour lui-même.
« Ça il te l'a déjà dit. Ça le regarde. Fouineur !
— Aomine-kun, toi et moi savons que je finirai par le découvrir.
— Hahah ouais peut-être, mais d'ici là Sherlock évite les questions malaisantes tu veux ? »
Soudain son portable vibre contre sa joue. Un message interrompt sa conversation. Il grimace en prenant connaissance de son contenu, il pensait avoir plus de temps avant de rejoindre le poste. C'est son chef, le big boss qui lui demande de venir le plus tôt possible.
« Désolé Tetsu je dois filer. Une urgence au boulot. On se voit bientôt d'accord ?
— Quand tu veux. Tu sais où me trouver. »
Il raccroche et sort prestement de son lit, sourcils froncés.
Une fois sur son lieu de travail, il ajuste la chemise qu'il a enfilée en vitesse et se rend directement dans le bureau de Masato. Ce dernier l'invite à entrer après qu'il ait toqué et toujours inquiet de cet appel d'urgence il obéit.
« Un problème chef ?
— Ah ! Daïki, te voilà. »
La bonne humeur de son supérieur le surprend quelque peu mais ses traits reprennent vite leur dureté qui incombe à sa tâche et son rang. Assis dans le siège face au grand bureau de bois sombre il attend de connaître la raison de sa convocation.
« On les tient », lui annonce-t-il simplement.
Aomine ne saisit pas immédiatement mais son visage s'illumine quand il comprend et il demande ravi :
« L'arrestation est pour quand ?
— Dans deux jours. On doit faire vite, l'infos est tombée ce week-end, ils se réunissent en nombre sur les docks pour une livraison.
— Génial, mais… je ne vois pas l'urgence du coup ? Pourquoi tu m'as fait venir ? »
Masato lui sourit tandis qu'il se baffe mentalement pour avoir fourché. Ici, il est son chef, point.
« Parce que j'aimerais que tu en sois Aomine. Tes preuves sur le terrain ne sont plus à faire. Je n'ai que de bons retours et puis, sans tes précieux rapports sur certains membres du gang on manquerait encore d'informations sur leur hiérarchie. Le briefing débute dans une heure. »
Aomine reste un peu sonné. La reprise immédiate et inattendue dans le grand bain surement. Mais il est plus qu'impatient de participer au démantèlement de cette bande de mafieux qui polluent les rues de la ville. S'ils réussissent ce serait une grande victoire pour la police de Tokyo. Il hoche la tête en signe d'accord, solennel mais aussi touché d'une telle marque de confiance. Son travail finit par payer, et sa poitrine se rengorge de fierté.
Avant qu'il ne sorte du bureau, Masato l'interpelle.
« Et Daïki… Appelle un peu ta mère tu veux ? Elle m'a encore harcelé de questions auxquelles je ne peux pas répondre à ta place.
— Oh… oui d'accord j'y penserai.
— Bien. Allez file te préparer.
— Oui monsieur. »
Il insiste sur le dernier mot avec un sourire complice. Quand Masato lui parle comme ça, c'est difficile d'oublier entièrement leur lien, malgré l'uniforme et les galons. Aomine le voit rouler des yeux face à son arrogante politesse au moment de refermer la porte.
Quand il rejoint l'open space, il se note d'appeler sa mère dès qu'il pourra. Il se sent coupable d'oublier de le faire régulièrement. Pas qu'il ne pense pas à elle, mais leur relation n'a jamais été du genre fusionnelle, et elle agit avec lui comme si elle avait peur de le déranger ou d'être intrusive. Il soupir un peu en pensant à tous ces non-dits entre eux qui semblent les éloigner plus que les kilomètres les séparant. Pourtant, il n'a pas envie qu'elle devienne une étrangère, ni qu'elle apprenne ses exploits, ou son quotidien de son supérieur. Après tout, c'est sa mère. Son cœur se serre un peu en pensant qu'il ne profite pas assez de la chance de l'avoir encore, alors que d'autre n'ont plus cette présence auprès d'eux.
Une pensée en entraînant une autre, il revient inévitablement aux souvenirs de la veille. Leurs confidences sur le sable, face à l'immensité de l'océan. Et s'il s'était sentit gêné sur le moment de se montrer si vulnérable, aujourd'hui il est seulement content d'avoir pu s'ouvrir à Kagami. Sans en avoir dit beaucoup, il s'est senti compris et en totale confiance. Il se remémore aussi sa proposition d'en discuter s'il en ressentait le besoin. Peut-être qu'il se laissera tenter…
Deux grandes mains viennent s'abatte sur son bureau pour le sortir de ses réflexions.
« Officier Aomine ! Le commissaire Masato m'a informé que vous vous joignez à l'équipe d'intervention ? Quelle bonne nouvelle, vous ne serez pas de trop. Prêt pour le briefing des opérations ?
— Oui capitaine ! » s'entend-il répondre avec enthousiasme à son lieutenant en bondissant de sa chaise.
Ce dernier lui sourit, amusé par sa réactivité. Décidemment, cette mission semble mettre tout le monde de bonne humeur. Même si la tension dans la salle de réunion est palpable. Ils entrent rapidement dans le vif du sujet et des plus studieux, Aomine écoute attentivement, enregistrant méthodiquement chaque détail important. Le soir même une simulation est prévue au hangar. Une sorte de répétition pour caler les derniers détails et la coordination des équipes. La journée du lendemain, la surveillance sera de mise. Pour s'assurer que leur fenêtre de tir demeure identique. Il échange un regard avec Tadashi, un de ses partenaires de basket et accessoirement un de ses voisins. Celui qui s'était mépris sur sa relation avec Satsuki. Ils s'entendent bien. Plus âgé que lui, son collègue l'a pris sous son aile dès son affectation ici au central. Mais voilà quelque temps qu'ils n'ont pas eu l'occasion de travailler en binôme, puisque ce dernier est monté en grade. Opportunité que leur capitaine vient de leur offrir.
Ça y est, ils y sont. Mercredi, bientôt jeudi s'il en croit l'horloge du tableau de bord, en planque sur les docks, dans l'attente. C'est le grand soir. Avec tous les préparatifs, en plus du travail habituel, ce début de semaine a été plutôt intense. Aomine peut en ressentir toute la tension dans ses épaules. Il fait craquer sa nuque, sur le qui-vive, prêt à réagir au moindre signal. À ses côtés Tadashi brise le silence qui s'appesantit de minute en minute dans l'habitacle.
« Nerveux ?
— Pas toi ? s'étonne-t-il.
— Si bien sûr, mais on dirait que t'as envie d'en découdre comme s'ils s'en étaient personnellement prit à toi.
— Faut qu'on les arrête. On n'a pas le droit à l'erreur ce soir, ça fait trop longtemps que ces gars tournent les forces de l'ordre en ridicule en toute impunité.
— Mouais… donc rien à voir avec le fait que ton père ait failli les faire tomber à l'époque ? »
Aomine se crispe un peu plus à l'évocation de son paternel. Même sans ça, il tiendrait un discours similaire. Mais évidemment, ça ajoute un poids supplémentaire… Il ose un regard vers son partenaire et grogne un peu. Certains jours, son héritage et son nom sont un peu plus lourds à porter. D'autant plus quand d'autres que lui s'en souviennent.
« Si peut être… Mais c'est surtout eux qui me mettent la pression », confesse-t-il en désignant un conteneur du menton.
Son collègue fronce les sourcils et suit son regard, puis il demande avec surprise :
« La SAT ? Ces gars-là te font peur ?
— Mais non Baka ! La Special Assault Team… J'aimerais l'intégrer. »
Cette fois Tadashi siffle, l'air franchement impressionné. C'est vrai qu'ils en imposent avec leur équipement, leur tenue et leur prestance. Il a bien conscience que ce n'est ni le moment, ni l'endroit mais secrètement il aimerait faire bonne impression. C'est la première fois qu'il peut les voir travailler de près et ça ne lui donne que plus envie. Son cœur s'affole rien qu'à l'idée qu'un jour, il pourrait faire partie de ceux qui patientent dans le cube de métal, armés jusqu'aux dents, prêts à lancer l'attaque. Il se secoue pour se reconcentrer. Même s'il est seulement en charge de sécuriser le périmètre, il ne perd pas de vue les risques et l'ampleur de sa tâche.
Ils passent l'heure suivante dans un silence feutré, chacun dans sa bulle, observant la nuit. La tension monte d'un cran lorsqu'une dizaine de voiture arrivent sur le quai. Aomine respire lentement, calme son rythme cardiaque et braque toute son attention sur ce qui se joue plus loin devant eux. Tout de noir vêtus et lourdement armés, plusieurs hommes s'extirpent des bagnoles. Avant de lancer l'assaut sur les nouveaux arrivants, ils doivent confirmer la présence de la tête du serpent. Aomine sait que toutes les équipes retiennent leur souffle, attendant le feu vert. Sans leur chef, toute l'opération de démentiellement serait un échec. Au bout d'un temps qui lui semble durer indéfiniment, le mafieux daigne enfin sortir de son trou, l'arrière d'un énorme 4x4. Suspicieux, l'homme grisonnant surveille alentour en boutonnant sa veste. Un instant plus tard, le temps qu'il aura fallu à la reconnaissance faciale d'identifier formellement le client, la radio grésille.
Une fraction de seconde plus tard, les hommes de la SAT s'élancent hors de leur planque pour encercler les malfaiteurs de renom. Ces derniers ouvrent le feu, et très vite le bruit assourdissant des tirs résonnent sur tout le quai, rebondissant contre les containers qui répondent en écho. Des cris, des ordres, des flashs de lumière. Tout se passe très vite. Un désordre sans nom. L'adrénaline sature son système, Aomine est prêt à l'action, à intervenir si nécessaire. Il comprend que tout ne se passe pas comme prévu. Tadashi réagit en démarrant la voiture. Il allume les pleins phares en même temps que leurs collègues tout autour du périmètre. Le gang est cerné. Pourtant les hommes de main de leur cible principale ne semblent pas enclins à se rendre. Pas sans se battre. Le combat fait rage et il voit des corps tomber. Certains remontent dans les voitures pour tenter de prendre la fuite d'autres s'éparpillent à pied.
L'un d'eux se dirige droit sur leur position. Par reflexe il se baisse pour éviter les tirs. Son partenaire fait de même et avance à l'aveugle pour interrompre la course du fuyard. Un choc sur le capot. Aomine se redresse juste à temps pour voir le mafieux s'élancer en boitant hors du périmètre. N'écoutant que son instinct, il bondit hors de la voiture et court à sa poursuite. Quand il remarque sa présence derrière lui, le gangster lui tire dessus au hasard, sans prendre le temps de viser. Il s'abrite alors derrière un bloc de métal et en profite pour reprendre son souffle. Déterminé, il se rue à nouveaux entre les allées du labyrinthe formé par les conteneurs. Il sait que sa cible n'est pas loin, il peut entendre sa respiration saccadée et son pas claudiquant.
De peur qu'il lui échappe, le jeune flic réfléchit à toute vitesse. Pour lui, ce n'est pas une option envisageable. Il s'arrête un instant pour observer autour de lui et recule un peu. D'un coup d'œil, il estime la hauteur des containers – moindre qu'un panier de basket – et se positionne. Après tout, il a fait ça un millier de fois… Un sprint, un, deux, trois grands pas et il saute. Il gaine son corps pour amortir le choc et sans difficulté particulières il se hisse sur le toit du conteneur, s'y allonge telle une ombre. Le plus silencieusement possible il se redresse et avance accroupi à la recherche de sa proie. Il le trouve bientôt en contrebas, collé à une paroi voisine se croyant hors de danger. Patiemment il guette le moment le plus propice, notant dans un coin de son esprit que les tirs croisés derrières lui ont cessés. Lorsque le criminel se penche pour guetter l'angle de sa cachette, il bondit sur lui, de toute sa hauteur et de tout son poids. Désarçonné, l'homme s'écroule dans un cri et lâche son arme. D'un coup de pied Aomine l'éloigne hors de portée de son propriétaire et plaque le truand au sol de son genoux pour le menotter fermement.
Toujours sonnée, sa victime est difficile à relever. Il le fouille minutieusement pour le désarmer entièrement et le guide à travers les allées des docks, restant attentif au moindre geste suspect, au moindre bruit. Au détour d'un container il se fige, sécurise son détenu et amène une main à son taser. Dans la pénombre il aperçoit un casque et un bouclier de la SAT. Il lève la main et s'annonce calmement. C'est terminé. Ce n'est que lorsque les forces spéciales le délestent de son butin et le raccompagnent au centre des activités qu'il prend conscience des battements frénétiques de son cœur contre ses côtes. En le voyant, Tadashi accourt vers lui en le traitant d'inconscient et lui met une claque derrière le crâne. Il encaisse sans broncher, réalisant à peine tout ce qu'il vient de se passer.
C'est au petit jour que le cortège de voitures arrive devant le poste. Évidemment, une horde de journaliste les attend de pied ferme. Aomine inspire profondément, il déteste ces rapaces qui se mettent bien souvent dans leurs pattes. Il échange une œillade entendue avec son partenaire et descendent du véhicule. Quelques passants matinaux sont là aussi, attirés par la foule. Face aux acclamations et aux applaudissements des habitants, il reste stoïque. Gardant son sérieux et sa concentration. Les réjouissances seront pour plus tard, en attendant il a une mission à terminer.
Il récupère son fardeau à l'arrière du véhicule et le guide vers l'entrée du bâtiment. Devant le public, son prisonnier semble retrouver un regain d'énergie pour sauver le peu de fierté qu'il lui reste. Il lui résiste et tente de se défaire de son emprise dans un mouvement d'épaule. Le malfrat réussit à se tourner face aux journalistes pour déverser sa rage et sa colère avec vulgarité, braillant qu'il ne craint ni la police, ni la justice avant de cracher de dégout à ses pieds. Aomine contracte la mâchoire, exaspéré par ce petit numéro de caïd. Sans ménagement, il le saisit par la nuque pour le remettre dans le droit chemin. Avec poigne, il le contraint à courber l'échine, serrant sa prise sur son cou et tirant ses poignets menottés plus en arrière, arrachant un grognement d'inconfort au futur taulard.
« Tais-toi et avance ! T'auras tout le temps de t'exprimer au tribunal.
— Argh ! Connard ! Tu perds rien pour attendre … »
Pour toute réponse, à bout de patience il appuis un peu plus fort pour stopper ses jérémiades et presse le pas vers le commissariat.
Ce soir-là, la pluie enveloppe la ville d'un halo liquide dans lequel se diffractent les sources lumineuses. Le trottoir laqué de reflets défile sous les pas de Kagami, abrité sous sa seule capuche, qui marche d'un pas vif, les bras chargés de sacs de courses. Dans ses oreilles pulse une musique agressive l'isolant du reste du monde alors qu'il se dépêche de rejoindre la maison d'Alex, qui l'a invité pour dîner. Il dépasse rapidement les artères principales pour s'enfoncer dans un quartier résidentiel où les lumières se font plus éparses, épaississant les ténèbres tombées sur la ville. Enfin, il arrive devant la petite maison nichée derrière son portail coulissant, abritée par quelques cèdres du Japon. Il se hâte jusqu'à la porte d'entrée et l'ouvre sans s'annoncer. Il se débarrasse de ses chaussures dans le vestibule, puis se rend directement dans la petite cuisine qui donne sur l'arrière-cour, pose ses sacs sur le plan de travail, et finalement, retire sa capuche et ses écouteurs.
« Alex, c'est moi ! »
Il entend sa voix lui répondre depuis l'étage, et il commence à ranger ses victuailles et à sortir les ustensiles nécessaires à la préparation du repas. Il chantonne la chanson qu'il écoutait tout en travaillant, à mille lieues ici de l'hostilité du soir trop frais, trop sombre et humide. Il aime cette cuisine chaleureuse où il passe une partie de son temps libre, d'autant qu'elle est plus grande et plus pratique que la sienne.
Alors qu'il est plongé dans ses préparatifs, Alex passe la tête par l'encadrement de la porte.
« Hey Taiga ! What's up ? »
Il hausse les épaules.
« Pas grand-chose. Mais j'ai passé un week-end sympa avec Aomine.
— Ah oui ? demande-t-elle, les yeux brillants d'intérêt. Tout un week-end, hein ?
— Commence pas à imaginer des trucs ! Ouais, on a fait un basket samedi. Il m'a présenté un ami à lui. Un drôle de numéro. Un gars super discret et pas très athlétique, mais qui a le don pour faire des passes ultra rapides qui semblent sortir de nulle part.
— Vraiment ?! J'aimerais bien voir ça !
— Je m'en doutais, sourit Taiga. T'auras sûrement l'occasion de le croiser un de ces quatre.
— Et dimanche, tu as fait quoi ?
— Sortie surf ! Aomine avait l'habitude d'en faire avant, il est un peu rouillé mais franchement, il se débrouille bien.
— Encore un bon point pour lui, alors ! rigole Alex.
— Hmpf…
— Je suis contente que tu te sois fait un ami, ajoute la blonde plus sérieusement. Tu fréquentes pas beaucoup de gens de ton âge. »
De nouveau, il hausse les épaules. Peu importe qu'il en fréquente beaucoup ou un seul. Ce qui compte, c'est la qualité de la relation. Mais il voit où Alex veut en venir… C'est vrai qu'il mène une vie plutôt solitaire, et ce n'est pas forcément toujours de son propre chef.
« On aime les mêmes activités et on s'entend bien, alors… Ouais, on va sûrement se voir souvent… Enfin, j'espère. Il est pas mal pris par le boulot et… moi aussi, finalement.
— Ça ne t'empêche pas de trouver le temps pour venir me voir, alors oui, je suis sûre que vous aurez l'occasion de vous voir souvent. »
Alex sourit et entre complètement dans la cuisine pour se placer à ses côtés et examiner ses préparations.
« On dirait qu'on va encore se régaler ce soir… J'ai trop faim !
— Izumi se joint à nous pour le dîner ?
— Je pense ! Je l'ai prévenue que t'étais là. Elle a dit qu'elle en avait pour une demi-heure. »
Il sourit.
« On table plutôt sur une heure, alors. »
Une fois sa cuisine terminée, ils s'installent dans le salon pour prendre l'apéro, discutant avec la télé en fond. Soudain, Alex écarquille les yeux, pose une main sur son bras et lui indique l'écran du menton. Il tourne la tête et découvre les images d'un suspect enragé conduit sans ménagement vers le poste par un officier qu'il connaît bien. Alex monte le son et ils écoutent le commentaire racontant le coup de filet sur des trafiquants qui a eu lieu dans la nuit. Alex siffle entre ses dents.
« Eh bah, c'est pas tous les jours que les flics passent à la télé ! Ça devait être un gros coup ! »
Kagami acquiesce, sourire aux lèvres. Il est content et fier pour son ami. C'est peut-être une nouvelle étape dans son parcours pour intégrer les forces spéciales.
« T'as des amis plutôt badass, enchaîne Alex.
— C'est sûr que c'est plus classe que « mathématicien des statistiques ».
— Ouch. Mon pauvre Tatsuya doit avoir les oreilles qui sifflent ! »
Kagami rigole, et ils regardent avec attention la fin du reportage, même si ce dernier, ne montrant plus d'images d'Aomine, perd tout de même beaucoup en intérêt.
Après cela, Izumi finit par sortir de son antre et ils dînent ensemble devant la télévision. Quand il va se coucher, Kagami repense aux images d'Aomine et découvre que ça l'inquiète de le savoir dehors à participer à des opérations aussi dangereuses. Cependant, ça ne risque pas d'aller en s'améliorant… puisque le brun convoite un poste encore plus périlleux. Mais il est trop tôt pour y penser… Avant de glisser dans le sommeil, il envoie un message à son ami.
Kagami – 23h15
Hey, je t'ai vu à la télé ! Félicitations pour le coup de filet. J'espère que ça sera bien sur ton dossier pour la suite. Mais prends pas trop de risques quand même !
