CHAPITRE 10 : Une histoire de Tontatta
Deux paires d'oreilles dressées fièrement au-dessus de deux petites bouilles rondes avec chacune, un museau rose, le fixaient sans fléchir et Zoro cligna des yeux plusieurs fois pour être certain de ce qu'il voyait. Deux minuscules chaussons blancs en matière duveteuse, dont le bout était censé représenté la tête d'un lapin, trônaient sur la paume de sa main. Il avait revérifié le contenu du sac mais il n'y avait que cette paire de chausson à l'intérieur. Et avec ça, il ne comprenait pas plus l'attitude de la jeune femme, de ces derniers jours. Zoro se tourna vers elle, en quête d'éclaircissement pour tomber sur deux immenses prunelles auburn qui semblaient sur le point de l'engloutir tant elle était avide de connaitre son avis. Il se sentit soudain mal à l'aise d'être ainsi détaillé et analysé avec autant d'expectative.
- Euh… je… euh…
La brillance s'intensifia et il lut la peine que provoquait son hésitation, dans son regard. Zut zut zut, dis quelque chose !
- Ils sont…euh... originaux, déclara-t-il en essayant de paraitre convainquant.
Nami fronça les sourcils.
- Originaux ? répéta la jeune femme incrédule. Et c'est tout ?
- Bah c'est que... euh... oui…, bredouillât-il.
Il était sincèrement embarrassé car il n'avait pas envie de la vexer après le tourment émotionnel par lequel elle était passée. Mais en même temps il lui avait juré de ne pas lui mentir…
- Bon je vais être honnête… c'est pas du tout mon style. En plus, ils ne sont pas à ma taille, ils sont beaucoup trop petits ! Mais… c'est pas grave. Ça me fait plaisir que tu aies pensé à moi, alors euh… merci.
Non mais... des oreilles de lapin ?! Qu'est-ce qu'elle voulait qu'il fasse de ça? A quel moment avait-elle pu croire que ça lui irait et que ça lui plairait ?! Il ne s'était pas attendu à quelque chose en particulier, mais c'est clair qu'il n'aurait jamais pu imaginer ça.
Pour Nami, l'incrédulité était la plus totale. Elle redoutait beaucoup sa réaction, et dans sa tête, la jeune femme s'était préparée à presque toutes les possibilités durant ces quatre jours de solitude. En revanche, celle-là, elle ne l'avait pas vu venir à des miles à la ronde. Au début, son hésitation lui avait rappeler un scénario qu'elle avait envisagé, dans lequel il continuait de bredouiller pour au final lui avouer ne pas être prêt et vouloir mettre un terme à leur relation. L'issue était affreusement douloureuse, la plupart de celles qu'elle avait imaginé l'était tout autant, voilà pourquoi Nami avait passé le plus clair de son temps à pleurer. Mais à aucun moment, elle ne s'était préparée à la stupidité de son amant. Et pourtant, cela semblait si évident maintenant.
Toutefois, même sachant cela, la rouquine ne pouvait s'empêcher d'être médusée par tant de crétinerie, si bien que ça la faisait douter de la réalité du moment. Est-ce qu'il pensait vraiment qu'elle avait acheté ces petits chaussons pour lui ?!
- Pas ta taille ? paraphrasa la navigatrice d'un ton incertain, partagée entre l'envie de rire et d'exploser de rage.
Dommage qu'elle ait recouvert tous les miroirs de leur chambre car Nami aurait été curieuse de voir l'expression de son visage. Il y avait fort à parier que ses yeux devaient être aussi ronds que des soucoupes, et qu'avec sa bouche entrouverte, elle devait ressembler à un poisson rouge.
- Ba ouais… ça c'est plus pour un Tontatta. J'y logerais même pas un orteil dedans. Mais ça ne fait rien, ça arrive à tout le monde de se tromper, si c'est ça qui te tracassait depuis tout ce temps.
La fin de sa phrase fit rompre l'élastique qui la maintenait dans cet état de flottement incertain entre l'amusement et la colère. Manque de chance pour lui, s'il s'était arrêté au Tontata, elle aurait ri à en avoir mal aux côtes, mais l'insinuation de sa dernière phrase, la fit basculer dans la fureur. Il la croyait vraiment aussi bête que ça ?! Sa main s'envola sans même qu'elle en ait conscience et se referma sur elle-même pour former un poing rageur.
Ce qui était incroyable avec Zoro, c'était qu'il pouvait esquiver une balle sans sourciller, mais les poings de sa concubine finissaient toujours par s'encaster dans sa tête verdoyante, aussi creuse qu'une noix pourrie. Ce dont Nami ne se plaindrait jamais, car cela faisait un bien fou !
- BAKAAAA !
Le bretteur fut propulsé en avant et atterrit face la première contre le plancher, tandis que la navigatrice se relevait pour le toiser furieusement, les mains posées sur les hanches.
- J'y crois pas ! Mais comment peut-on être aussi stupide ?!
- Bah quoi ?! Qu'est-ce que j'ai fait encore ?! J'y suis pour rien si tu t'es plantée ! éructa Zoro qui se redressait en position assise tout en se tenant la tête.
- Tu crois vraiment que j'aurais acheté des chaussons de c'te taille-là pour toi ?! T'as franchement l'impression que je dépenserais mon argent aussi bêtement ?! Bien sûr que c'est pas ton style ! et bien sûr que c'est pas ta tailles ! faudrait être débile pour ne pas l'avoir remarqué !
- BAH ALORS POURQUOI TU ME LES A OFFERT ?! ET POURQUOI TU ME HURLES DESSUS ?!
- JE N'HURLES PAS ! C'EST TOI QUI HURLES ! ET PARCE QUE FAUT ÊTRE TOUT AUSSI DEBILE POUR CROIRE QU'IL S'AGIT DE CHAUSSONS DE TONTATTA ! COMMENT J'AURAIS PU TROUVER DES CHAUSSONS DE TONTATTA A DES LIEUX DE DRESSROSA ALORS QUE MÊME LES HABITANTS DOUTAIENT DE LEUR EXISTANCE ?!
- MAIS J'EN SAIS RIEN MOI ! s'écria Zoro plus qu'agacé. Y-A DES TRUCS BIEN PLUS BIZARRE DANS CE MONDE, QUE CA !
Bouillonnante de rage, Nami serra les poings sur ses hanches pour se retenir de le frapper une fois de plus et se mordit la langue afin de contenir son hurlement d'indignation. Au lieu de quoi, elle essaya de parler d'une voix claire sans hausser le ton.
- Ce. Ne. Sont. Pas. Des. Chaussons. De. TONTATTA !
Sans grand succès visiblement. Elle avait martelé chaque mot pour que chacun d'entre eux entre dans sa petite tête étroite. Pour sa défense, la lueur de défis qui dansait dans sa pupille solitaire et la provoquait afin de lui prouver le contraire, ne faisait qu'attiser la flamme incandescente de sa fureur. Finalement, elle détourna le regard et tomba aussitôt sur la paire de petits souliers blanc, renversés par terre, et Nami sentit son cœur lui remonter dans l'œsophage. La vérité était difficile à formuler, elle la tenait à la gorge et lui nouait la langue. Pourtant, elle ne pouvait plus la garder pour elle seule.
- Ce sont des chaussons pour bébé, admit-elle d'une voix étrangement douce.
Elle les ramassa délicatement, comme s'il s'agissait d'objets précieux, et caressa les petites oreilles entre son pouce et son index. A elles seules, ces deux petites choses symbolisaient la plus grande des épreuves qu'elle ait eu à affronter, et la rendaient tellement tangible, tellement plus réelle. Les yeux luisant, Nami se tourna vers son compagnon qui la fixait sans détours, l'air sérieux mais clairement perdu. Elle voyait bien les rouages travailler dans son esprit pour tenter d'élucider le rapport qu'il y avait entre lui et des chaussons pour bébé. Qu'est-ce qui lui avait pris de choisir un crétin pareil pour amant ?
- Pour ton bébé. Notre bébé.
Le visage de l'épéiste se renfrogna, puis l'information perça doucement la carapace de son crâne et s'infiltra dans son cerveau, à la façon dont son œil commençait à s'écarquiller. Pour enfoncer le clou et être certaine qu'il n'y ait plus de malentendu, Nami glissa une main sur son ventre puis ajouta :
- Je suis enceinte, Zoro.
L'aveu était moins douloureux qu'elle ne l'aurait cru, mais elle lui donna le vertige. Ça y est, elle y était. L'info était lâchée, comme une bombe dont elle ignorait tout de l'intensité de la déflagration ainsi que de sa portée. Toutefois, elle aurait cru se sentir libérée d'un poids, mais le silence qui se prolongea pesa encore plus lourds sur ses épaules que son secret. Le Supernova semblait tombé des nues, la fixant comme si elle était devenue une nouvelle personne. Il ouvrit la bouche, la referma, et soudain une ombre voila son visage, l'emprisonnant dans une expression dure.
Leur petite dispute au sujet des chaussons, lui avait permis d'oublier son inquiétude, mais à l'instant où son regard froid, d'une intensité paralysante, se planta dans le sien, l'angoisse la saisit de nouveau aux tripes et une boule se forma dans sa gorge. Le temps d'un battement de cil, l'ancien chasseur de pirates bondit sur ses pieds et traversa la distance qui les séparait pour se planter devant elle, envahissant son espace personnel. La peur l'empêchait de bouger et elle était incapable de se détacher de son iris tranchant comme la plus affutée des lames. Nami sursauta quand les deux grosses mains de son amant encadrèrent son visage pour lui ôter toute possibilité de se défiler. Bien sûr qu'elle n'était pas sans savoir que Zoro pouvait se montrer terrifiant quand il le voulait, mais jamais elle n'avait autant crain ce qui allait sortir de sa bouche.
- Tu dis ça sérieusement ? Tu attends vraiment un… notre enfant ?
La fermeté dans sa voix rauque la fit frémir et elle eut l'impression que ses jambes s'étaient transformées en coton. La tension devenait insoutenable, et avec son manque de sommeil ainsi que ses hormones en folie, les nerfs de la jeune femme étaient à fleur de peau. Sa vision s'embua et elle se mordit la lèvre pour que celle-ci cesse de trembler. L'hésitation de confirmer cette nouvelle de peur d'engendrer une colère dévastatrice chez l'homme qu'elle aimait, traversa son esprit, mais Nami se résolut avec la dernière once de fierté qu'il lui restait et hocha la tête. L'image de Zoro se troubla tandis que ses yeux se noyaient sous les larmes. Désespérée de le perdre, la jolie rousse ouvrit la bouche pour s'excuser, certaine qu'il avait toutes les raisons du monde d'être furieux contre elle. Elle-même était furieuse contre son imprudence à s'être laisser entrainer par ses pulsions primaires tel un animal.
Alors quand la bouche de son amant s'écrasa brutalement contre la sienne entrouverte, Nami écarquilla les yeux de surprise. Zoro l'embrassa à en perdre haleine, l'emportant dans l'un des baisers les plus passionnés qu'il ne lui ait jamais donné. Était-ce le même homme qui une seconde plutôt semblait sur le point de l'occire ? Pourquoi ce revirement de situation ? Qu'importe, elle était fatiguée de constamment se poser des questions, et un baiser comme celui-là, ça se savourait. Surtout après une crise de couple comme ils avaient eu.
Quand l'oxygène vint à manquer, le bretteur fut le premier à y mettre un terme en déposant chastement ses lèvres sur les siennes. Ses mains restèrent à leur place, empaumant chacune de ses joues, et il colla son front à celui de son amante, pour maintenir leur proximité. Tout doucement, les paupières closes et le souffle court, Nami redescendait des hauteurs où ce tourbillon l'avait emporté.
- J'en reviens pas, souffla-t-il avec une pointe d'amusement dans la voix.
Le petit rire qui suivit, l'intrigua. Elle ne comprenait pas ce qu'il y avait d'hilarant dans cette situation. Quand ses yeux s'ouvrirent, chargés de confusion, ils furent aussitôt éblouis par le sourire radieux de l'épéiste. La joie faisait même pétiller son regard, d'une façon qu'elle n'avait plus vue depuis longtemps, et il sembla avoir rajeuni d'un seul coup. Dans sa poitrine, son cœur se mit à fondre, et elle eut envie de l'embrasser.
- Tu… tu n'es pas fâché ? demanda timidement la jeune femme.
- Bien sûr que non ! C'est une nouvelle formidable, Nami ! Tu me fais le plus beau présent qui soit, lui assura-t-il sans s'arrêter de sourire.
Pour prouver son euphorie, il l'embrassa à nouveau, plus tendrement cette fois-ci, cependant, ces paroles retinrent la jeune femme de s'abandonner. Même si elles se voulaient rassurantes, leur naïveté attisa son inquiétude et réveilla la colère qui sommeillait en elle. Comment pouvait-il se montrer aussi insouciant ?! Lui qui d'habitude, savait évaluer la gravité de la situation, et gardait son sang-froid en tout circonstance !
Nami attrapa ses poignets et les détacha de son visage pour s'écarter, rompant ainsi le baiser de façon un peu abrupte. Plus elle voyait le bonheur de son compagnon, plus sa colère montait en pression à vitesse grand V. Il n'avait quasiment pas réfléchi aux conséquences qu'impliquaient une telle nouvelle et ça la mettait hors d'elle. Finalement, elle aurait préféré avoir le Zoro effrayant et impitoyable qu'elle s'était imaginée.
Dos à lui, elle contourna le lit et entreprit de ramasser ses vêtements parsemés sur le sol. La rapidité d'exécution et la brutalité qu'elle exerçait, trahirent de son état d'énervement.
- Nami ?
Au moins, il avait senti le vent tourner, et la bonne humeur avait presque disparu dans sa voix.
- Parle-moi. Il y a quelque chose qui ne va ?
En d'autre circonstance, entendre l'inquiétude dans sa voix, l'aurait ému, mais malheureusement, sa naïveté eut raison de son self-control. Nami jeta rageusement sur le lit, les quelques jeans qu'elle venait tout juste de ramasser et fit face à un épéiste complètement largué.
- BIEN EVIDEMMENT QUE QUELQUE CHOSE NE VA PAS, ZORO ! JE SUIS ENCEINTE ! VOILA CE QUI NE VA PAS !
Le visage de Zoro se décomposa, cependant, maintenant que sa soupape de sécurité venait d'imploser, il était impossible de s'arrêter.
- Je pensais que tu aurais compris ce que ça signifiait pour nous ! pour tout le monde ! Il ne s'agit pas juste de toi et moi, Zoro ! Mais de nous tous sur ce navire ! Avoir un bébé, ce n'est pas une chose anodine ! Il y aura des répercussions sur notre vie à bord, mais aussi sur nos rêves. Un bébé c'est fragile et ultra dépendant, ce n'est pas comme tes haltères, avec lesquels tu joues pendant une heure ou deux et puis que tu remets dans un coin ! Ça demande énormément de temps et d'argent ! En plus de ça, un navire est ce qu'il y a de moins sécuritaire pour un enfant, alors ne parlons même pas de voguer sur le Nouveau Monde ! Plus on progresse et plus les ennemis qu'on rencontre sont redoutables. A chaque fois on s'en sort de justesse et l'un de nous, le plus souvent toi, manque d'y rester !
Elle marqua une très légère pause afin de reprendre son souffle, et en profita pour baisser d'un ton alors que les multiples souvenirs de son corps inerte au sol, revenaient la hanter :
- Je sais que tu te surpasses pour être meilleur et pour nous protéger... mais ça te rends insouciant. Tu mets ta vie en jeu comme si rien d'autre ne comptait à côté, comme si ça m'était égale que tu te sacrifies pour nous. Jusque-là, je ne peux pas dire que je m'en fichais, bien sûr que non, mais parce que je te faisais confiance pour t'en sortir vivant, je l'acceptais...
- Et quoi ? ça a changé ? demanda-t-il méfiant.
- Non ! mais maintenant, je ne peux pas arrêter de m'imaginer cette fois de trop, où tu ne te relèveras pas... où je devrais annoncer à ce petit qu'il ne reverra jamais son père. Je refuse de l'élever seule !
Le jeune homme voulut l'interrompre, bien que ses arguments semblaient faire leurs chemin dans sa tête, mais elle ne lui en laissa pas l'occasion et poursuivit avec encore plus de verve :
- On a déjà du mal à se protéger nous-même, comment pourrait-on mêler un petit être innocent à tout ça ?!
- Nami… je…
- Et la grossesse, tu y as pensé ? Bien sûr que non puisque c'est MOI qui vais devoir le porter ! Regarde ce que ça fait déjà sur moi ! Mes hormones sont devenues complètement folles, je pleure pour un rien, j'ai encore plus envie d'étriper quelqu'un quand quelque chose me contrarie ! Et maintenant que je suis enceinte, je vais devoir me ménager, et en plus de ne plus être très utile au combat, je serais un poids mort pour vous tous car je serais vulnérable.
Un léger rictus releva le coin de des lèvres de son amant et nourrit instantanément le feu de sa colère. Zoro s'avança doucement vers elle, pendant qu'elle continuait d'exposer toutes les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas avoir d'enfant.
- Imagine que la grossesse se passe mal ! Que je sois obligée d'être alitée pendant des mois ! Comment est-ce que je suis censée faire mon devoir de navigatrice ?! Et si l'accouchement tombait pendant un combat ? Ou bien pendant une tempête, et que je sois incapable de vous aider ? Si je ne suis plus en mesure de suivre Luffy et de l'aider à accomplir son rêve, qu'est-ce qui va arriver ?! Et comment ils vont le prendre ? Tu penses à tout ça ?!
Il ignora la question rhétorique et contourna le lit pour s'approcher de Nami qui haletait à force d'élever la voix, mais aussi parce que l'anxiété prenait de plus en plus le pas sur ses émotions. Les joues rougies et le regard brillant, bien qu'incendiaire, la navigatrice pointait un doigt accusateur en direction du torse musclé de son conjoint.
- Je refuse qu'on fasse une halte dans la course au One Piece uniquement parce que je n'ai pas pensé à prendre ma contraception et que tu ne t'es pas retiré à temps !
Le doigt s'enfonça contre son pectoral dénudé, ce qui ne l'empêcha pas de continuer sa progression jusqu'à ce que le tissu du sweat que portait Nami le frôle. Cette dernière rétracta rapidement sa main comme si son contacte venait de la bruler au troisième degré, pour lever les bras d'un geste dépité avant le laisser retomber en claquant le long de ses cuisses.
- C'est de la folie ! C'est du grand n'importe quoi ! On ne peut pas être parents !
Dans une envolée de cheveux, elle tourna les talons et attrapa la jambière d'un pantalon qui pendant sur le miroir de plein pied, puis tira d'un coup sec. Le rideau de fortune tomba, révélant le portrait d'une jeune femme échevelée, accaparée par le stress, et d'un jeune homme en arrière-plan, à l'air placide. Depuis la découverte de sa prise de poids, Nami s'était réfugiée dans le déni, refusant catégoriquement de voir la vérité crue que lui renvoyait de façon impitoyable, les miroirs dans leur chambre. Alors dans un acte désespéré, elle avait balancé les vêtements, qu'elle n'avait pas pris soin de ranger, sur ses alter-égos qui se trouvaient emprisonnés. Cependant, aujourd'hui, elle n'avait d'autre choix que de faire face à la réalité et de constater l'état pitoyable dans lequel elle s'était mise toute seule par son laisser-aller. Elle avait l'air d'une folle. Sa colère se mua soudainement en tristesse.
- Regarde-moi. Comment pourrais-je être digne d'avoir un enfant avec la vie qu'on mène ?
Une main tremblante passa du la poche ventrale du sweat et elle fit lentement de petits cercles. Au travers du miroir, Nami observa Zoro qui venait de se rapprocher. Son bras passa de l'autre côté de son corps et sa main calleuse vint se placée au-dessus de la sienne, sur son ventre camouflé par le tissu épais du vêtement. Avec ses dix centimètres en plus, il la surplombait aisément et elle paraissait encore plus frêle dans ce miroir. D'une légère pression sur son ventre, il l'obligea à se coller contre lui, et sentir la chaleur de son corps se diffuser dans son dos, lui procura une douce sensation d'apaisement.
- C'est vrai que tout ça est important. Mais je pense que tu oublies une question qui me semble plus importante encore, annonça-t-il énigmatiquement.
- Ah bon ? et laquelle, selon toi ?
- Est-ce que tu veux de cet enfant ?
Ses yeux chocolatés quittèrent leurs mains jointes pour croiser le regard sérieux de Zoro.
- Quoi ?! Tu penses vraiment que c'est la plus importante ?! Après tout ce que je t'ai dit ?! s'exclama-t-elle d'un pince-sans-rire.
Cette question, elle ne se l'était jamais réellement posée, car il y avait beaucoup trop d'enjeu et de risques, pour qu'elle s'autorise ce genre d'égocentricité. Il n'était pas question d'elle, mais bien de l'avenir de ce petit et de ses nakamas. Pourquoi Zoro ne le comprenait-il pas ?
- Oui.
Nami voulut se dégager de son emprise en sentant la colère resurgirent (ce ping-pong sentimental commençait à l'épuiser, merci les hormones !), toutefois, le bretteur resserra son étreinte pour la maintenir en place. Lasse, elle ne lutta pas sur le plan physique, de toute façon c'était peine perdue.
- Qu'en est-il de Monsieur le Second du capitaine, celui qui pense avant tout au bien commun ?!
- Ne change pas de sujet Nami. Réponds-moi franchement, ordonna-t-il pendant que sa grosse main serrait la sienne un peu plus fort.
Nami se crispa. Non ! elle ne devait pas s'autoriser à penser à ce qu'elle désirait !
- Je… je n'en sais rien, Zoro.
- Nami ! gronda-t-il.
- JE SUIS MORTE DE PEUR, D'ACCORD ?! s'écria la jeune femme au bord des larmes. Je suis terrifiée ! et plus les jours passent, et plus ça s'amplifie ! J'ai tellement peur, Zoro !
Elle éclata de nouveau en sanglot. Etonnant qu'elle ne souffrait pas encore de déshydratation avec toute l'eau qui s'était échappée de ses canaux lacrymaux. Le deuxième bras de son amant vint entourer ses épaules et il la tint fermement contre lui. Nami s'accrocha à son avant-bras juste sous son menton, comme elle se serait accrochée à une bouée de sauvetage.
- J'ai tellement peur de ce que cette décision va engendrer. Je suis autant terrifiée à l'idée de le garder comme à l'idée de l'abandonné… Et… j'ai peur de la réaction des autres… même si je sais que je ne devrais pas.
Son corps était parcouru de spasmes, que Zoro absorbait patiemment en silence. Il fallait qu'elle vide ce qu'elle l'avait sur le cœur, que tous ses doutes et toutes ses angoisses ressortent, pour qu'ils y fassent face ensemble. Mais il y avait des peurs plus tenaces que d'autres, qui semblaient indicibles, car elles étaient baignées dans la honte. Une faible pression sur de la main sur son épaule lui indiqua qu'il la soutenait et qu'il ne la lâcherait pas tant qu'elle aurait besoin de lui.
- J'ai peur d'être une mauvaise mère, de ne pas savoir prendre soin de lui ou de ne pouvoir le protéger…, avoua-t-elle à demi-mot.
- Ne raconte pas n'importe quoi ! Interjeta Zoro d'un ton sans appel. Je t'ai vu te comporter avec des enfants, avec O-Tama…
- Mais ça ne veut rien dire ! le coupa Nami en haussant la voix, avant d'ajouter plus faiblement : Tu ne comprends pas…
Dans le miroir, Zoro fronça les sourcils et la jolie rousse baissa les yeux, honteuse. Elle tritura nerveusement sa lèvre entre ses dents pendant qu'une boule se formait dans sa gorge.
- Parce que je ne sais pas depuis combien de temps je suis enceinte…
- Comment ça ? demanda-t-il un peu perdu. Si t'as acheté ces chaussons sur l'île où on a fait escale la dernière fois, c'est bien que tu étais déjà enceinte, non ? Ça a très bien pu se produire cette fois où on était dans la vigie, tu sais… la fois où ils nous ont entendu… Mais qu'est-ce que ça change ?
Evidemment qu'il ne voyait pas où était le problème.
- Oui ça se pourrait… mais quand j'ai eu des doutes sur le fait d'être enceinte, c'est parce que je me suis rendue compte que je n'avais pas eu mes règles depuis un moment… et…
- Et ?
- Et je crois que la dernière fois ça remonte à, a peu près trois mois… tu te souviens de cette soirée sur Zo ?
- Oh ! ah oui… ça remonte un peu.
- Je pense que ça coïnciderait avec le fait que ça commence à se voir physiquement…
Elle lui laissa un peu de temps pour assimiler la nouvelle, en espérant qu'il saisirait la nature de son inquiétude.
- D'accord, tu es un peu en avance dans ta grossesse, mais quel rapport avec le fait que tu sois une mauvaise mère ?
- C'est pourtant évident, non ?! En plus d'avoir été imprudente en me laissant guider par mes pulsions, je n'ai même pas su voir que mon corps changeait ! Et je l'ai mis en danger ! J'ai mis en danger ce petit être innocent à cause de mon insouciance !
Une étreinte invisible se resserra autour de sa gorge, la forçant à respirer plus rapidement.
- Sans m'en rendre compte, j'ai mis ma vie, nos vies, en danger sur Onigashima ! J'ai subi des chocs et j'ai reçu des coups, comme s'il ne s'agissait que de moi !
Parler devenait de plus en plus compliqué. L'air semblait se raréfier et elle haletait entre chaque phrase, mais son besoin de faire comprendre à Zoro à quel point elle était ignoble, fut plus fort.
- Tu ne vois pas que j'ai faillis tuer notre enfant ! QUE JE L'AIE PEUT-ETRE déjà fait ?!
Son souffle était aussi court qu'erratique commença à inquiéter son amant.
- Nami, respire !
Conseil qu'elle ignora, bien trop prise par ce tourbillon de noirceur qui l'entrainait vers le fond.
- Quel… quel… quel genre… de mère… je suis pour… avoir fait… subir cela… à mon bébé ?!
Même avec la bouche grande ouverte, l'air semblait réticent à vouloir s'y engouffrer pour lui fournir l'oxygène dont elle avait désespérément besoin. La panique lui noyait l'esprit, alors que les images de la guerre sur Onigashima revenaient la hanter ainsi que les dégâts qu'elle avait subis. De petits points noirs apparurent dans son champ de vision alors qu'elle suffoquait. Le monde commençait à devenir flou et ses jambes faiblissaient dangereusement. Si ce n'avait pas été pour les bras de Zoro, Nami se serait effondrée comme une loque.
- Hey Nami ! Ecoute-moi ! Respire !
- J'y… j'y arrive pas…
La fermeté dans sa voix trahissait de l'urgence de la situation et n'aidait en rien à la calmer. Il en avait de belle, lui ? Qu'est-ce qu'il croyait qu'elle essayait de faire depuis tout à l'heure ? Pourtant, il n'y avait pas moyen, l'air se refusait toujours à elle. Et pourquoi sa voix paraissait-elle aussi lointaine alors qu'il était collé à son dos ?
- Je suis là, reprit-il plus doucement. Ferme les yeux, concentre-toi sur ma voix, et suis ma respiration.
Fermer les yeux, ça elle pouvait le faire, et le vibrato de sa voix de bariton, aussi doux qu'une caresse, la mis suffisamment en confiance pour obtempérer. Zoro était là, il l'empêcherait de sombrer quoiqu'il arrive. Nami sentit soudainement son souffle effleurer son cou tandis que sa main venait se poser au-dessus de son cœur.
- Voilà, inspire doucement et expire… inspire et expire.
Il mima l'exercice, gonflant et dégonflant son poitrail de façon exagérée pour qu'elle le perçoive avec son corps. Petit à petit, la jeune femme réussit à caller son rythme respiratoire sur celui de son compagnon, jusqu'à ce qu'il redevienne normal.
Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas fait une crise d'angoisse comme celle-ci. A mieux y réfléchir, la dernière devait remonter au temps où elle travaillait pour Arlong, ce qui était étonnant vu le nombre de fois où Luffy leur avait fait frôler la mort. Une chose était sûre, la sensation ne lui absolument pas manqué, mais heureusement, cette fois-ci, elle n'avait pas eu à l'affronter seule.
Une fois calmée, Nami leva sa main libre pour la perdre dans la chevelure émeraude de son partenaire, dont le visage était enfoui dans son cou. Ses petites mèches verdoyantes étaient incroyablement douces sous ses doigts et un petit grognement, tel un ronronnement répondit à ses caresses.
Une paire de lèvres se posa à la base de son cou et la firent frissonner.
- Mieux ? S'enquit-il doucement.
- Oui. Merci.
C'est là qu'elle se rendit compte, entre ses bras puissants, que Zoro était son roc. Qu'il l'empêcherait de sombrer quoiqu'il arrive, et qu'elle n'avait pas à affronter les épreuves de la vie, seule. Et elle l'aimait encore plus pour cela.
A suivre...
Bingo ! Clemci et Sweeney, vous avez trouvé, c'était bien des chaussons pour bébé, félicitations ! ^^
FireBird539: C'est vrai qu'un test de grossesse aurait peut-être été plus utile à Zoro pour l'aider à comprendre plus rapidement xD.
Mais dans l'ensemble vous aviez raison, Nami était bien enceinte. Du coup, j'espère que ce chapitre ne vous aura pas déçu. En tout cas, merci d'avoir joué le jeu, ça m'a fait super plaisir ! Merci également pour vos messages de soutien !
Je vous embrasse et vous dis à bientôt, car l'histoire ne s'arrête pas là ;)
