Bienvenus à nouveau, après cette looongue attente… :)


CHAPITRE 10

« Ce qui me bouleverse, ce n'est pas que tu m'aies menti, c'est que désormais, je ne pourrai plus te croire. » — Friedrich Nietzsche


Après son entrevue avec le directeur, Harry avait profité du calme régnant dans le dortoir — c'était l'heure du dîner — pour s'étendre en silence dans son lit. Le baldaquin en lourd tissu pourpre lui obstruait la vue, mais il pouvait tout de même distinguer les moulures du haut plafond de la pièce, les tapisseries anciennes aux liserées d'or, et le bazar laissé ci et là par les dignes adolescents que lui et ses camarades étaient.

Sa maison.

Il oubliait parfois à quel point il aimait Poudlard, malgré cette insécurité permanente dans laquelle il vivait.

Des voix se faisaient entendre de la salle commune, et il sentit bientôt l'escalier vibrer sous les pas lourds de Neville et Ron qui montaient au dortoir des cinquième année.

« Qu'est-ce qu'elle t'a répondu après ? »

— Ginny m'a dit qu'elle savait que c'était toi qui m'avais demandé de poser la question, et qu'elle voulait te faire savoir que tu n'avais pas à mettre le nez dans ses affaires- ah Harry ! Où tu étais pendant le dîner ? s'étonna Neville en le voyant allongé tout habillé, en étoile sur son lit.

— J'étais avec Dumbledore. » confia Harry à son ami. Il se redressa avec lenteur sur ses coudes pour mieux leur faire face.

« Il t'as pas laissé descendre manger ? demanda Ron avec une moue perplexe.

— Disons qu'il n'avait pas de très bonnes nouvelles. » éluda Harry.

En réalité, un léger poids s'était envolé de sa poitrine. Un peu honteux, il devait s'avouer qu'il était bien content d'avoir une excuse officielle pour arrêter le Quidditch et ne pas porter en la responsabilité.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? » s'enquit Neville en s'asseyant à ses côtés, sa cape révélant ses robes froissées assorties à la parure de lit.

« Dumbledore ne veut pas que je joue dans l'équipe cette année…

Quoi ? s'écria Ron avec horreur. Mais il va pas bien non ?! Il ne peut pas te virer toi ! »

Le visage devenu plus blanc qu'il ne l'était déjà naturellement, Ron jeta sa cape sur son bout de lit et retira ses chaussures en continuant de tempêter.

« Et de quel droit, d'abord ?

— Eh bien il est directeur, Ron… » tempéra Neville avec un doux sourire contrit.

Harry se rallongea, les yeux fixant le velours rouge qui plafonnait son lit.

« Il a peur d'une attaque. Il ne veut pas prendre de risques. »

En entendant ces mots, Ron se mordit la joue et ses traits se durcirent. Une ombre passa sur son visage et Harry dû tendre l'oreille pour l'entendre soupirer avec abattement.

« Quand est-ce que ça va finir… »


« Plus agressif Miss Bullstrode ! » gronda la voix grave de leur professeur de métamorphose.

Le petit groupe éclectique d'élèves tentait tant bien que mal de ne pas se marcher les uns sur les autres. C'était le premier cours de Combat que les élèves avaient avec la directrice des Gryffondor, et celle-ci avait choisi de les entraîner dans l'une des cours de l'école, petit îlot de pelouse et de jardin encadré par des arcades en pierre du château. Dans cet espace exigu, la voix de McGonagall portait sans effort et c'était une nouvelle facette de la personnalité de la cinquantenaire que Harry découvrait.

« Allez allez, du nerf, si vous ne vous impliquez pas suffisamment je me ferais un plaisir de vous trouver des motivations ! »

Comme lors des matchs de Quidditch, le regard de McGonagall était très engagé, encouragement vigoureusement ses élèves.

« Impedimenta ! » cria Draco dans la direction de Harry.

Le jeune Gryffondor para et se réfugia derrière un pallier de pierre taillée. La dizaine d'adolescents se lançaient sorts contre sorts dans la cour ensoleillée et entre les piliers des arcades ouvertes sur les couloirs, ce qui avait rameuté un petit attroupement d'élèves désœuvrés, fascinés par le simulacre de bataille.

« Suffoco ! »

Draco se lança un Protego, mais Harry visait en réalité son camarade, alors le Sang-Pur ne put qu'observer impuissant Théodore Nott s'étouffer et amener ses mains vers son visage pour chercher de l'air à atteindre.

« Anapneo ! » tenta Draco, mais sans succès.

Harry avait apprit de nombreux sorts dans l'ouvrage de Snape. Certes, ils frisaient la légalité, mais ils étaient incroyablement efficaces.

McGonagall, alerte, contra le sort pour libérer le Serpentard, non sans fusiller Harry derrière ses lunettes rectangulaires.

« Vous êtes hors-jeu monsieur Nott, rejoignez les autres. » ordonna t-elle en lui désignant du doigt les élèves mis à l'écart. Le groupe s'élargissait rapidement.

Harry se retrouva aux côtés d'une élève de troisième année de Pouffsoufle, qui l'assista contre Draco. Elle peinait à suivre le rythme à cause de ses réserves magiques encore faibles et de son manque de connaissance en sortilèges, et le Serpentard ne lui faisait aucun cadeau.

« Protego ! » cria Harry quand il vit le poignet de Draco effectuer un fin mouvement dans la direction de la jeune fille. Elle fut épargnée du sort informulé, mais Draco reporta son regard sur Harry.

« Attention ! » tenta de le prévenir sa coéquipière derrière son bouclier magique, mais trop tard.

Harry se senti perdre l'usage de ses jambes et tomba au milieu de la mêlée, les graviers du petit chemin s'enfonçant dans ses genoux. La bouche de Draco s'étira en un fin sourire.

« Monsieur Potter, rejoign-

Conreptionis. » siffla Harry sans la laisser finir sa phrase. Il pouvait toujours se battre, même au sol.

Draco fut pris par surprise et reçu le sort en plein ventre. Harry observa avec horreur son petit ami s'écrouler et convulser, le visage enfoui dans l'herbe. Il avait lancé le premier sort qui lui venait à l'esprit, il n'avait pas pensé que…

« Monsieur Potter ! » s'indigna sa directrice.

Elle se rua sur Draco et l'inspecta de sa baguette, réussissant au bout de trois essais à lever le sort. Le jeune homme repris vaguement connaissance et cligna des yeux jusqu'à croiser son regard d'un air sonné.

Merlin, qu'est-ce que j'ai fait…

« Le cours est terminé. Remerciez vos adversaires et aller vous changer. Vous, rajouta t-elle d'une voix sourde et furieuse, ne bougez pas. »

Ce qui ne risquait pas d'arriver vu le plomb qui le maintenait encore au sol. Harry observa avec un nœud dans l'estomac Draco être relevé et soutenu par son professeur et un élève plus costaud. Elle lui intima d'emmener le blond à l'infirmerie puis rendit à Harry l'usage de ses jambes, mais il resta en place.

McGonagall lui tourna le dos et s'assura de la santé de chacun des adolescents, jetant des sorts de soins mineurs à quelques uns. Harry perdit son regard dans le velours de ses robes et le motif hypnotique de son tartan. Pourquoi avait-il lancé ce sort ? Il se souvenait parfaitement à présent que c'était un des sorts les plus offensifs du grimoire, qu'il avait été utilisé comme moyen de torture lors de précédentes guerres… comment avait-il pu l'oublier ?

Quand tous les élèves furent partis, elle se tourna son visage sévère vers lui. Même les quelques mèches noires qui s'échappaient de son chignon serré ne rendait pas sa stature moins sévère.

« Que vous est-il passé par la tête, Potter ? Relevez-vous. »

Harry obéit.

« Regardez-moi dans les yeux. »

Elle bomba la poitrine et le toisa de toute sa hauteur.

« Je me fiche des différents que vous avez avec Malefoy. Vous n'avez en aucun cas le droit d'user de sorts de ce type, est-ce clair ? Je me fiche bien de savoir où vous les avez appris, gardez-les pour le jour où vous serez sur un réel champ de bataille, mais ne blessez jamais volontairement un élève dans un cours.

— Monsieur Potter était pourtant dans les règles… »

Harry et McGonagall se retournèrent vivement pour constater que Njémilé Mensah écoutait la remontrance, nonchalamment appuyée contre une arcade de la cour.

« Madame Mensah, je me charge de juger mes élèves, répliqua sèchement McGonagall.

— Ces cours de combat ont étés confiés à ma supervision par Albus Dumbledore. J'ai autorisé les élèves à utiliser n'importe quel sort autre que les trois Impardonnables de la loi britannique. Monsieur Potter était donc tout à fait dans les règles. Qu'elles ne vous conviennent pas, c'est une chose, mais vous ne pouvez pas punir un élève pour avoir obéit à mes consignes. »

Dans sa robe d'hiver rouge à motifs exotiques, Mensah s'était redressée, et sous sa large capuche ses yeux presque dorés brillaient d'une lueur agacée.

Il était inhabituel pour la directrice des Gryffondor de se voir contredite et défiée. Même Snape ne s'y risquait pas. Elle releva la tête d'un air digne et détacha totalement son attention de son élève, pour s'avancer vers l'autre femme.

« Ce sort aurait pu tuer monsieur Malefoy s'il avait duré plus longtemps… gronda t-elle.

— Ce qui ne pouvait être le cas sous votre supervision. Il n'a duré que quelques secondes.

— Entendez-vous ce que vous dîtes ? Il ne s'agit pas de faire souffrir nos élèves ! »

Mensah arqua un sourcil.

« En effet. Il s'agit de les préparer à la guerre qui les attends. Ce n'est pas un cours innocent, c'est un entraînement au combat. Comment mobiliser toute sa combativité si l'on sait que l'on ne risque rien ? »

Harry se faisait très discret et ne savait pas comment cette joute verbale allait finir.

« Je ne connais pas les méthodes de vos précédents établissements, mais nous ne sommes pas à Durmstrang, nous sommes à Poudlard, où nous respectons nos élèves !

— Respecter quelqu'un et le materner sont deux choses bien différentes. »

Les deux femmes s'étaient dangereusement approchées l'une de l'autre quand la main ridée de Dumbledore se posa sur l'épaule de Harry. Celui-ci sursauta et sa présence stoppa la querelle.

« Allons allons, ne laissez pas vos divergences d'opinion nous éloigner de la tâche qui nous incombe, celle de réfléchir ensemble au meilleur moyen de protéger nos élèves. »

Mensah fit un pas de côté immédiatement, se recomposant un visage calme, tandis que McGonagall ne prit pas cette peine et ouvrit la bouche pour exprimer sa colère au directeur.

« Albus, la fin ne justifie pas les moyens, et Harry est de ma maison, il est de mon devoir de lui apprendre les limites de cette école.

— Limites qui n'ont pas été franchies. Nous traversons des temps bien sombres, et les règles de ce cours ont été claires dès le début. Cependant » rajouta t-il en levant la main en signe d'apaisement alors qu'elle allait répliquer « Il est vrai que Monsieur Potter aurait pu utiliser des sorts… »

Il observa intensément la baguette de Harry, comme s'il pouvait lire le sort qui en avait été jeté. Derrière ses lunettes de demi-lune, le regard de Dumbledore était circonspect.

« …moins agressifs. Nous allons revoir les règles de ces cours, qui sont trop permissives. Nous ne tenons pas à prendre des risques inconsidérés. Qu'en pensez-vous ? »

Harry se crispa, ne sachant comment interpréter l'expression de son visage. L'homme se détourna de lui et alterna son regard entre les deux professeures.

Malgré son ton affable, les deux femmes savaient bien que la discussion était close.

Mensah acquiesça sèchement et tourna les talons sans ajouter un mot de plus. McGonagall salua le directeur et dit à Harry avant de quitter les lieux :

« Maintenant que les choses sont dites, vous êtes prévenu qu'à la prochaine incartade vous ferez perdre vingt points à votre maison. » ajouta t-elle avec un signe de tête.

Une fois seuls, Dumbledore s'approcha de Harry et lui offrit un regard désolé. Le jeune homme se sentait encore plus petit à mesure que sa culpabilité le tassait, devant la stature imposante du vieil homme, renforcée par ses robes chatoyantes et sa barbe tressée.

« Je m'excuse, je ne sais pas pourquoi j'ai lancé ce sort. » bredouilla Harry.

Un silence plana entre eux, et il semblait à Harry que son professeur ouvrit et ferma la bouche avant de se raviser.

« Hm. Tu dois aller aux cachots pour tes leçons de potion si je ne m'abuse ? » Harry ne releva pas le ton incertain de Dumbledore. « Va donc, ne testons pas la patience de ton professeur. »

Harry fuit son regard et trottina entre les arcades grignotées par le lierre, laissant échapper de la buée de son souffle angoissé. Finalement, le retour de Dumbledore dans son quotidien ne lui simplifiait pas les choses.

Il s'emmitoufla dans sa cape. Ce n'était que la fin d'après-midi mais déjà, la nuit était tombée et l'air était glaçant, sa respiration se refroidissait de façon très désagréable dans son dos. Il pressa le pas.

Avait-il vraiment fait du mal à Draco ? Il aurait tellement aimé pouvoir se permettre de lui rendre visite à l'infirmerie avant de retrouver Snape… Harry porta ses ongles à sa bouche.

Draco allait-il lui en vouloir ?

Bien sûr idiot, se dit-il, tu lui a fais vivre une épilepsie, ou une douleur atroce, tu sais même pas ce que tu lui as fait !

Il secoua la tête et ouvrit la porte des quartiers de Snape.

L'homme haussa un sourcil en le voyant débarquer en trombe dans ses appartements. Harry jeta presque son sac contre la console à côté de la porte et se réfugia sur le tapis tressé, devant l'âtre chaud.

« Potter..?

— J'ai failli tuer Draco. » annonça t-il théâtralement en serra contre lui ses genoux.

Nullement impressionné, Snape se composa une expression semblant signifier 'oh, ce n'est que ça' et se tourna vers lui pour en apprendre plus, une tasse de thé fumante à la main. Il était habillé de ses éternelles robes noires, mais en chaussettes. L'homme se détendait en sa présence.

« Je lui ai lancé un des sorts du livre ! explicita Harry.

— Il me semble que c'est à ce dessein que je vous l'ai offert. » ironisa Snape, portant sa tasse à ses lèvres.

Harry leva les yeux au ciel.

« Mais le sort était dangereux !

— Ce qui est également pourquoi je vous ai offert ce livre.

— Vous ne comprenez pas, ça l'a fait convulser, McGonagall a dit qu'il aurait pu en mourir.

— Potter, vous ne pouvez pas tuer instantanément quelqu'un avec les sorts de ce grimoire, et ils se lèvent aisément, ce ne sont pas des Impardonnables. Ils sont dangereux, oui. Seulement, vous êtes encadré par un professeur qui a pour mission d'empêcher que des incidents se produisent. Monsieur Malfoy va bien. »

L'adolescent aux yeux brillants hocha la tête et trouva du réconfort dans la voix ferme de son professeur.

« Comment s'est passé votre entrevue avec le Directeur ?

— Plutôt bien… Il m'a dit que je ne devais plus jouer au Quidditch.

— Vous semblez bien le prendre. » remarqua le potioniste.

Harry fit promener ses doigts sur les fils entremêlés du tapis. La lumière vacillante du feu réchauffait le bleu du tissu.

« J'ai réfléchi, et j'avais déjà décidé d'abandonner mon poste. Entre les cours, nos leçons, et le reste » il désigna 'le reste' par un geste vague de la main « ça me semblait impossible de continuer de toute façon.

— C'est une sage décision. » soutenu Snape.

Ses sourcils se froncèrent néanmoins. Il se demandait jusqu'où ils pouvaient pousser le mental déjà fragile de Potter. Comment le gamin pourrait garder la tête froide s'il se voyait retirer toute activité lui permettant d'avoir un semblant de vie normale ?

« Il me semble que voler » une grimace tordit légèrement son visage à ce mot « est une activité qui vous apaise. Ne plus jouer dans l'équipe ne vous empêche pas d'utiliser votre balais librement de temps à autre. Discrètement et non loin du château bien sûr. »

Harry hocha la tête, pensif.

Ses yeux commençaient à souffrir de la chaleur du feu, alors il promena son regard dans la pièce, laissant le rythme de son cœur s'apaiser peu à peu. Les appartements de son professeur n'étaient pas ce qu'on pouvait appeler épurés, au contraire, mais ce bazar organisé représentait très bien le potionniste.

Les livres, d'abord, encombraient la majorité de la pièce. Débordant du cadre en pierre claire de la cheminée, sur la table basse en noyer parcourue de tâches de café récentes, courbant les étagères des armoires dépareillées cachant presque les murs, et même deux posés négligemment sur le parquet, près du canapé gris. Tous écornés et anciens, ciselés de marques pages.

Mais Snape semblait donner plus de soin aux plantes qui parvenaient à survivre à l'obscurité des cachots. Voltiflor, mauve ou cranson, toutes rassemblées au dessus du bureau-secrétaire placé devant l'unique petite fenêtre ronde du salon, donnant sur l'herbe rase.

Comme dans une tanière, pensa Harry. Il pouvait sans peine deviner le privilège que Snape lui offrait en lui permettant d'accéder à son intimité.

L'homme l'avait laissé à sa rêverie, sirotant son thé dans son fauteuil tapissé, dos à un diplôme de la Très Extraordinaire Société des potionnistes accroché au mur. Son regard s'était perdu dans l'âtre. Le visage détendu, il faisait presque ses trente-six ans.

La trêve qui semblait s'installer entre eux reposait Harry. Il était peut-être la seule personne avec qui le silence n'était pas gênant. Il osa néanmoins le briser.

« Professeur, je voulais vous demander… Est-ce que les prophéties existent vraiment ? »

L'homme contrôla son expression faciale, son cœur manqua un battement. Potter était au courant ?

« Parce qu'en divination je fais toujours des prédictions assez pessimistes. Mais Hermione dit que ce cours est inutile et qu'il devrait être retiré du programme, alors… Je ne sais pas trop si je dois y faire attention. »

L'homme poussa un léger soupir, allégeant sa poitrine.

« L'éducation Moldue de Miss Granger la conduit à mépriser de nombreux domaines magiques qui la dépassent. » critiqua t-il.

Harry tiqua mais laissa Snape exposer son analyse.

« La divination, ou plutôt les différentes techniques de divination, ne sont évidemment pas aussi riches et complexes que celles des centaures. Mais il serait sot de prendre à la légère une prédiction.

— Oui enfin… C'est une prédiction de Ron. Je veux dire, on est pas… oracles ! » protesta faiblement Harry en croisant les jambes sur le tapis épais. Il rapprocha son visage de la cheminé. Un peu trop près, nota Snape.

« Racontez-moi le tirage qui vous préoccupe. » L'enjoint-il.

Après une petite hésitation, Harry creusa dans sa mémoire et lui relata le contenu de la prédiction de Ron. Le professeur fronça les sourcils et rassembla ses mains en prière devant sa bouche, dans une posture réflexive.

« Certains disent que ce ne sont pas les sorciers qui contrôlent un tirage. Un peu comme la baguette qui choisit son sorcier au lieu de l'inverse. Votre camarade a tiré des cartes importantes, faisant référence à des divinités nordiques, Loki et Baldr, dont l'histoire définit le destin des neufs mondes… Je ne suis pas un grand amateur de divination. Mais si vous répétez des tirages similaires, il serait peut-être bon d'y porter attention. »

Harry laissa tomber sa tête sur la pierre chaude, sentant sa joue presque roussir à la chaleur du feu.

« Mais je ne connais rien à tout ça… »

— L'étude des mythologies fait parti de l'éducation pré-scholaire des sorciers. Certains Né-Moldus rattrapent leur retard, mais c'est difficile. » il se perdit dans quelques lointains souvenirs mais sa voix grave repris le cours de ses pensées.

« Souhaitez-vous que je vous éclaire à propos de ces deux divinités ? Les autres cartes que vous avez tirées sont symboliques, sujettes à interprétation. Mais ces deux-là sont simples à comprendre. » dit-il en posant sa tasse vide sur la table, créant un nouveau cercle humide.

Harry acquiesça. Ce n'était pas un sujet qui l'intéressait particulièrement, mais il savait que c'était le cas pour la plupart des sangs-purs. Ça pourrait lui être utile plus tard : Voldemort devait connaître le sujet sur le bout des doigts.

L'homme s'installa plus confortablement dans son large fauteuil et jaugea son élève d'un œil neuf.

« Que savez vous des dieux nordiques ? »

L'expression de Harry parlait d'elle-même.

« Je vois. » il prit une grande inspiration. « Durant le moyen-âge, les scandinaves ont colonisé à plusieurs reprises les îles britanniques, Sorciers et Moldus confondus puisque comme vous le savez grâce à ce cher professeur Binns, le Code international du secret magique était encore loin d'exister. Ils ont apporté avec eux certaines de leurs croyances et coutumes, ce qui explique son empreinte dans notre culture moderne, mêlée aux mythologies celtes et gréco-romaines. Loki est le dieu de la métamorphose et ce que l'on appelle un décepteur, un fripon. C'est lui qui permet le chaos constructeur.

— Comment un chaos peut construire ? le coupa Harry, perplexe.

— Les choses stagnent quand elles restent trop longtemps sans changement. Certaines situations nécessitent une révolte, un changement brutal, voire de la fourberie. »

Il se leva pour fouiller dans la plus imposante bibliothèque, à gauche de la porte d'entrée, qui menaçait de s'écrouler sous le poids de ses livres et des ingrédients de potion.

« Baldr, lui, est le lumineux, poursuivit-il, c'est un être décrit comme bon, incorruptible, et courageux. Mais il fait des rêves où il se voit mourir. Sa mère, Frigg, ne supporte pas cette idée et fait jurer à chaque chose du monde de ne pas blesser son fils. Elle oublie de faire jurer le gui. » Snape eu un sourire amusé à cette histoire absurde. « Un jour, Loki chuchote à l'oreille de Höd, un autre dieu, et réussit à l'aveugler par ses paroles fourbes. Il le persuade de lancer une flèche faite de gui, dans le cœur de Baldr. Ce qui marque le début du Crépuscule des Dieux.

— Le ?

— La fin du monde selon les nordiques, ou plutôt la fin d'un monde, et son renouveau. »

L'homme passa une main fatiguée dans ses longs cheveux noirs, le fixant toujours de son regard profond. Harry se détourna de ses yeux et de la cheminée, qui le brûlaient trop.


Après une courte séance d'occlumancie — ses réserves magiques ayant été vidées par l'entraînement au combat — Harry quitta les souterrains de Poudlard et remonta d'un pas décidé les escaliers en marbre du château, les seuls qui étaient toujours à la même place. Il évita de porter attention aux chuchotements des tableaux sur son passage, faiblement éclairés par diverses lampes flottant dans le vide étourdissant de la hauteur du château. Quelques élèves de Gryffondor et Serdaigle entreprenaient la pénible ascension jusqu'à leurs tours respectives, mais Harry s'arrêta au troisième étage. Il espérait voir Draco à l'infirmerie, tout en priant pour que son sort n'ai pas nécessité qu'il y reste.

Au bout d'un couloir d'où la pâle lueur de la lune traversait les hautes fenêtres, la double porte en bois sculpté était entrouverte et laissait passer un filet de lumière de lampe. Il n'était pas très tard, à peine vingt heure d'après sa montre cabossée. La plupart des élèves finissaient leur repas dans la Grande Salle, et malgré son ventre qui criait famine, les rejoindre n'était pas sa priorité.

Sa lourde cape d'hiver traînant derrière lui, il s'approcha doucement de l'embrasure de la porte et jeta un coup d'œil dans la longue pièce aux lits bordés par des rideaux blancs.

Un seul lit semblait occupé, et il reconnu l'élégant cartable de Draco dépassant des rideaux tirés. Doucement, il s'avança en prenant soin de ne pas faire grincer la grande porte.

Il entrouvrit le voilage et posa une main hésitante sur la couverture qui cachait le corps longiligne de son petit-ami. Celui-ci se retourna lentement, l'ayant probablement entendu arriver ou reconnu son odeur. Le jade chaud des yeux de Harry rencontrèrent l'acier qui coloraient ceux du sang-pur. Était-il en colère ?

« Tu vas bien ? osa t-il demander après un long silence inconfortable.

— Ça pourrait être pire. Je sors demain. »

Harry hocha la tête et tapota distraitement le drap de laine, incertain du comportement à adopter.

« Pomfresh veut être sûre qu'il n'y ai pas d'effets secondaires, et comme ma tête a cogné le sol, elle craint une commotion. Mais en réalité je suis certain qu'elle me garde juste parce qu'elle m'aime bien, plaisanta Draco.

— Écoute je… je suis désolé, j'ai jeté le sort en ayant oublié ce qu'il faisait, ce n'était pas mon intention de faire ça… »

Il avait conscience d'à quel point son excuse était piteuse.

« Je t'ai demandé d'arrêter de jeter des petits sorts défensifs et d'utiliser tout ce que tu avais. Je ne t'en veux pas. Mais il faudra que tu me l'apprennes ! »

Un fin sourire se dessina sur les lèvres de Harry. Il remonta sa main le long des hanches de Draco, par dessus la couverture.

« Et je t'en prie » ajouta t'il en rejoignant la main de Harry « la prochaine fois que tu te bats contre Nott, sens-toi libre de lancer ce sort autant de fois que nécessaire…

— Un problème avec lui ? » s'enquit Harry.

Le jeune homme blessé se redressa sur ses coudes, faisant glisser les draps et révélant son torse enveloppé dans une chemise de nuit en soie. Harry s'assit à ses côtés, sa main caressant doucement celle de son amant.

« Il devient pressant. Mon père m'a envoyé une lettre insistant pour que je passe Yule au manoir et Théodore revient sur le sujet tous les jours… A côté de ça, Blaise me répète que c'est une mauvaise idée et que je devrais trouver une excuse pour rester ici.

— Je suis d'accord avec lui. » affirma le brun.

Draco se tut un instant. Harry massa la paume de la main fine du blond, en une maigre tentative de le détendre.

« Je ne peux pas rester à Poudlard, Harry. Je veux voir ma mère. »

Au fond de la salle, la silhouette de Pomfresh glissa derrière les vitres dépolies de son bureau, masquant quelques secondes la lumière qui en parvenait. Ils parlèrent moins fort.

« C'est trop dangereux ! Il pourrait te demander de…

— De prendre la Marque ? Tu crois que c'est ça qui m'inquiète ? » chuchota Draco avec un air défaitiste.

Harry ouvrir la bouche avec indignation mais Draco poursuivit :

« Je vais prendre la Marque. Que ce soit dans deux semaines ou dans deux ans, je n'y échapperai pas, Harry. »

La question ne s'était jamais posée avant le retour de Voldemort, et c'était un sujet qu'ils avaient évité d'aborder depuis l'été.

« Tu n'es pas un Mangemort, tu-

— Je suis le seul descendant des Malefoy, je suis le fils d'une Black, toute ma famille est Mangemort.

— Sirius n'est pas un Mangemort. » affirma Harry avec aplomb.

— En effet, et Sirius a été renié comme tous les autres Traîtres à leur sang. C'est les parents de ton père qui ont dû le recueillir ! » il prit le visage de Harry entre ses doigts. « Je ne veux pas connaître le même sort. Je ne veux pas perdre ma mère. Je ne veux pas perdre ma maison. Je ne veux pas perdre mon nom. Donc je dois prendre la Marque »

Le Gryffondor serra les dents et plongea son regard dans celui, mortifié, de Draco.

« Mais j'ai peur tu sais… J'ai peur qu'il me demande de faire des choses que… je n'en serai pas capable. J'aimerais avoir un rôle mineur comme simplement faire des potions… n'importe quoi sauf tuer des gens ou leur faire vraiment du mal. Je pourrai pas le faire. Et je ne tiendrai pas longtemps avant qu'il se rende compte que je ne veux pas tout ça — sa voix s'emballa — et alors je serai… ou ma mère sera… »

Les doigts glacés de Draco se contractèrent contre sa peau.

« Tu n'as vraiment pas d'autre choix ? souffla Harry, impuissant.

— J'aimerais. La seule solution serait qu'il disparaisse. »

Harry enroula ses mains sur celles de son amant, plaçant toute sa force dans ce qu'il allait dire.

« Il disparaîtra. Je te le promet. »

Draco eu un fantôme de sourire alors Harry insista :

« Parles à Snape, je suis sûr qu'il aura un moyen de persuader Voldemort de ne pas te faire subir tout ça. »

Le blond hocha la tête, les yeux humides.

« On discute souvent, avec lui et ma mère. Il a assuré qu'il m'aiderait.

— Alors tout ira bien. » assura Harry en tachant d'y croire.

Draco se releva un peu pour tendre la tête en direction du bureau de Pomfresh, puis attira Harry contre lui pour se blottir dans ses bras et inhaler son parfum.

Harry caressa sa nuque frêle et ils se tinrent ainsi durant de longues minutes, priant pour que rien de mal n'arrive.


Il observait avec mépris la télévision trônant à côté d'une édition de la Gazette du Sorcier. La maisonnée douillette n'avait jamais accueillit une telle violence sous son toit. Sur le plancher du salon, la créature qui lui faisait face n'était plus humaine. Ce n'était qu'une masse de chair gémissante, incapable de penser.

Les Moldus craquaient si vite. Leur faiblesse était embêtante, car il ne disposait pas de beaucoup de temps pour les faire parler.

Le père de famille, un Traître à son sang, était ligoté magiquement au bout de la pièce.

« Pitié, laissez-la… »

Le sort vert que Harry lança avec nonchalance fila droit sur la poitrine d'une troisième créature, plus petite, qui ne bougea plus. Une autre Moldue.

Le visage de l'homme se tordit de douleur et d'impuissance, gémissant des paroles incompréhensibles. Sa femme, elle, était encore en vie, mais il refusait de divulguer les informations que le Seigneur des Ténèbres désirait. Il se lassait. Si le Doloris n'était pas suffisant, ils allaient devoir passer à d'autres méthodes, et il n'avait aucun intérêt pour la chose. Il se détourna et glissa son regard serpentin sur son Mangemort qui semblait impatient de changer de tactique.

« Fais en ce que tu veux, McNair, je te l'offre. Fais le parler. »

Un sombre sourire défigura le Mangemort, qui déboutonnait lentement sa robe en s'avançant vers la Moldue, ignorant les cris de son mari. Harry se détourna : les créatures n'avaient aucun intérêt.

Le Survivant se réveilla brusquement, son pyjama collé à son torse et le souffle court.

Depuis une semaine, ses visions étaient devenues plus fréquentes.

Il se dégagea de sa couverture, et posa ses pieds nus sur les pierres froides du sol, seul moyen immédiat de reprendre contact avec la réalité. Il n'était pas Voldemort. Ce n'était que des visions.

Il se répéta ce mantra longuement en pressant sa tête entre ses mains, tira inconsciemment sur ses cheveux et gratta sa cicatrice.

Le degré de maîtrise que lui demandait son bouclier mental était trop grand pour pouvoir s'endormir assez profondément. Alors il devait se permettre de parfois baisser son niveau de vigilance pour pouvoir réellement se reposer, en priant pour éviter d'être attiré dans l'esprit de Voldemort.

Au fil des visions, il développait un certain degré d'indifférence. Il ne vomissait plus en se réveillant, tout juste avait-il la nausée, et il parvenait avec plus d'aisance à occluder ces souvenirs. Un sentiment de vide prenait la place dans sa tête, et il se faisait peur à ne plus être choqué par ses visions.

Et pourtant, comme pour le démentir, ses ongles s'enfonçait dans sa chair, ses jambes étaient folles, et ses dents rongeaient ses lèvres meurtries. Mais il ne s'en rendait plus compte.

Prenant la décision d'aller se doucher pour se réchauffer, il ôta les mains de ses yeux et releva la tête. Son regard tomba dans celui de Ron, allongé dans son lit près du sien, les rideaux ouverts. Depuis combien de temps était-il éveillé ? Au vue de son visage inquiet, depuis longtemps.

Harry n'eut pas la force de lui dire quoi que ce soit, de le rassurer ou de lui sourire. Il se leva et alla prendre une douche brûlante dans la salle de bain commune.

Il passa devant un grand miroir et évita son reflet, sachant qu'il ne devait pas être beau à voir. Dans son œil dansait une lueur rouge.


Au matin, Harry rejoint la Grande Salle, immédiatement alpagué par Fred ayant entendu la rumeur et n'en croyant pas ses oreilles.

« Tu es sérieux ?! Pourquoi tu abandonnes le Quidditch ? »

Un petit groupe de Gryffondor tournait autour de lui, alors qu'Angelina avait discuté avec Ron de l'absence de leur attrapeur aux entraînements. Ron avait parlé de la nécessité de trouver en remplaçant et toute leur maison s'en était mêlée avant que Harry n'arrive.

« Allez vous plaindre à Dumbledore, il m'a retiré de l'équipe. » dit-il en essayant de les temporiser. Il grimaça en tendant son bras vers un petit gâteau, et évitait le regard appuyé de Ron alors qu'il s'étirait la nuque.

« Avec le contexte actuel, les entraînements de combat, et les rattrapages de Potion, Dumbledore a raison, le Quidditch n'est pas une priorité. » soutenu Hermione qui fignolait un devoir sur un parchemin posé entre les assiettes.

Les jumeaux rouspétèrent, scandalisés par cette dernière affirmation, mais Harry était soulagé que Hermione le soutienne.

« Eh beh bravo Harry, il fallait que t'en rajoutes en abandonnant notre maison. A force de passer ton temps caché dans les cachots ou on-ne-sait-où, je vais vraiment finir par croire que tu sabotes la coupe, et pas que. » siffla une voix dans la cohue.

Harry reporta son regard vers son camarade irlandais qui se tenait debout derrière lui et sentit son sang agiter ses veines. Seamus était devenu moins virulent contre lui depuis la mort d'Arthur Weasley, mais il lui arrivait encore de lui envoyer quelques petites piques assassines. Harry commençait à en être franchement agacé.

Et il n'était pas d'humeur à être conciliant.

« Pardon ? J'ai mal entendu. »

Seamus haussa les sourcils, surpris que Harry lui réponde. Il recula d'un pas face au regard froid de son camarade mais ne se démonta pas : tout le monde les regardait.

« J'ai dis que je commençais à croire que tu n'es pas dans le camp que tu prétends être. »

— Et je serais dans quel camp au juste ? » demanda Harry en se levant.

« Harry, laisse-tomber. » souffla Hermione en lui tenant l'épaule, mais il se dégagea sèchement.

Son mal de tête empirait sous la pression de l'adrénaline et la douleur sourde de sa cicatrice ne s'était toujours pas apaisée.

« Non, je veux entendre ce qu'il a à dire. Maintenant tu sais que je ne mentais pas à propos de Voldemort, alors c'est quoi ton problème Seamus ? Ça t'emmerde d'avoir bêtement cru la Gazette ? »

La mâchoire de Seamus se contracta et il s'avança également vers lui, presque front contre front. Celui de Harry était brûlant et il sentait sa cicatrice pulser contre son crâne. Dean tira son ami par la main, scandalisé par ses propos, mais lui aussi restait ignoré.

« Ce qui m'emmerde c'est que tu es toujours à te plaindre et à jouer les drama queen. Tu veux toujours qu'on te regarde hein ? Et pas besoin de la Gazette pour noter toutes les choses louches qui t'entourent. D'abord le Choixpeau qui a mis très longtemps avant de se décider, puis tes petites affinités avec les serpents en deuxième année, ton nom qui apparaît dans la Coupe et Cédric qui étais seul avec toi… Tu crois pas que ça fait un peu beaucoup ?

— Seamus ! » crièrent Hermione et Ron, outrés.

— Qu'est-ce que tu insinues ? Que je suis pote avec le fou furieux qui a tué mes parents ? » susurra Harry sans tenir compte de son amie qui essayait de le rasseoir.

Le regard de Seamus se durcit encore, acquiesçant silencieusement. Il n'en fallut pas plus à Harry pour laisser exploser la chaleur qui faisait brûler sa cicatrice et il se jeta sur Seamus.

Les deux adolescents tombèrent avec fracas au sol, se donnant des coups de poings sous les yeux médusés de leurs camarades et de quelques élèves qui tentaient de les séparer. Harry prit un premier coup dans le visage et sourit, ressentant enfin quelque chose, mais il poussa un râle rauque en recevant un coup de poing dans la côte brisée par son oncle et qui restait fragile. Sous le choc de la douleur, un voile obscurcit la vision de Harry mais Seamus ne s'arrêta pas pour autant et lui assena de nouveaux coups alors qu'il tentait maigrement de répondre.

« Seamus arrête ! » cria Ginny mais elle se prit un coup perdu et recula brusquement.

En voyant ça, la colère de Harry augmenta encore et il saisit Seamus par le col, tentant de le renverser. Mais le blond était plus fort que lui et le maintenait sous son poids. Il sentait le genou de Seamus appuyer sans le savoir sur sa côte mais Harry semblait presque le retenir. Il distingua de loin le regard de Draco et relâcha la pression sur le cou de Seamus.

« Où vous croyez-vous ?! » hurla McGonagall qui s'était dépêchée de parcourir la salle depuis la table des professeurs.

D'un mouvement sec de baguette, une brusque aspiration expulsa les deux garçons l'un de l'autre. Harry atterri contre le banc des Poufsouffle et expira douloureusement de l'air en se tenant le ventre, la douleur mouillant ses yeux.

« Regardez-vous, cette conduite est inadmissible ! Levez-vous Monsieur Potter ! lui ordonna McGonagall.

— Peux…pas… » articula t-il en gémissant. Il commençait vraiment à se sentir mal.

« Miss Granger, Monsieur Weasley, emmenez-le à l'infirmerie. »

Les deux préfets s'exécutèrent sans discuter et les derniers sons que Harry entendit avant de perdre connaissance était les cris indignés de leur professeur envers Seamus.


« Monsieur Potter. »

Sa conscience égerma peu à peu, mais il se sentait enveloppé dans une torpeur salvatrice. Le poids de son corps était lourd sur le matelas.

« Harry. »

Il n'avait entendu qu'une fois cette voix prononcer son prénom.

« Harry, il faut vous réveiller, vous avez une potion à prendre. »

Il ouvrit les yeux péniblement, sentant encore une gêne dans sa poitrine et une difficulté à respirer. Snape était assis face à lui, au bord de son lit immaculé.

Encore l'infirmerie…

Son professeur l'observa en silence. Harry distinguait sa silhouette floue, sa stature grande et mince, ses cheveux attachés qui se confondaient avec ses robes noires. Il finit par se rapprocher de lui, ses traits gagnant en détails, et passa une main dans son dos pour l'aider à s'asseoir. Harry se frotta les yeux.

« Tenez, buvez. »

Il prit la potion et grimaça en sentait son odeur mais la bu sans poser de question.

« Mes lunettes, s'il vous plaît…

— Elles ont été cassées lors de votre altercation avec monsieur Finnigan. Miss Granger vous les a réparées. » l'informa t-il en les lui mettant dans les mains.

« Je lui dirais merci.

— Ce serait courtois de votre part. Pouvez vous m'expliquer la raison de votre conduite déplorable ? »

Harry — les lunettes sur le nez — voyait que derrière son visage sévère, son professeur était en réalité inquiet.

« Je… J'étais en colère et il m'a provoqué. Je n'ai pas réussi à me retenir, et je crois que je le cherchais un peu aussi. » avoua t-il, honteux.
— Pour quelle raison ? »

Il tripota les fines broderies de ses draps, n'osant pas regarder l'homme dans les yeux.

« Je suis vraiment obligé de répondre ? soupira t-il.

— Je cherche à comprendre. Vous êtes têtu, insolant, vous transgressez les interdits… mais la violence physique n'est pas dans votre nature. Ce que l'on m'a rapporté ne vous ressemble pas. Étiez-vous bien vous-même ? »

Harry s'était attendu à des répliques acerbes du professeur de potions, mais Snape avait seulement l'air soucieux. Ce qui était étrange, mais Harry commençait peu à peu à s'y faire.

« J'avais juste envie de… lâcher prise ? Je voulais extérioriser, j'étais tendu et ça bouillonnait à l'intérieur. Et puis… ça faisait du bien, lâcha t-il dans un murmure.

— Qu'est-ce qui faisait du bien, Harry ? »

Il ne savait pas si c'était le ton doux ou l'utilisation de son prénom, mais les larmes montèrent à ses yeux et un flot de parole s'échappa de sa bouche.

« D'avoir mal, d'être puni, d'être… je me sens tellement, tellement coupable ! Tout le temps. Je voulais juste… ressentir quelque chose… »

Son professeur se redressa et prit une grande inspiration en l'examinant.

« Vous avez encore eu une vision cette nuit ? »

Harry hocha la tête en déglutissant.

« Il faut vraiment que nous travaillons encore l'occlumancie. Une personne de votre âge ne devrait pas subir ces visions. J'imagine très bien ce que vous voyez quand vous êtes en connexion avec le Seigneur des Ténèbres. Vous ne tiendrez pas longtemps à ce rythme, il faut que l'on trouve un moyen de vous sortir de sa tête. »

Ou de le sortir de la mienne, pensa Harry.

« Je ne demande que ça.

— Vous avez discuté de tout cela avec vos amis ?

— Vous me l'avez interdit, grommela l'adolescent.

— Et vous êtes connu pour respecter les consignes. » répondit Snape avec sarcasme.

Harry soupira et se rallongea un peu pour soulager sa côte.

« Non. Je ne leur ai rien dit. Je ne veux pas qu'ils… me regardent comme une bête de foire. Ou qu'ils aient peur de moi.

— Ces visions vous atteignent trop, vous ne pouvez plus les garder pour vous. »

Les larmes coulèrent enfin sur les joues de Harry.

« Non… Elles ne me font plus rien, dévoila Harry, vous ne comprenez pas. J'ai l'impression d'être comme… immunisé. Je ne suis même plus choqué et quand je suis dans sa tête… c'est comme si… »

Snape l'encouragea du regard mais Harry secoua la tête, refusant d'aller au bout de ses pensées.

Il sentait que l'esprit de Snape était au bord du sien, prêt à recueillir toute pensée un peu trop forte. Alors il profita de cette facilité et plongea ses yeux dans ceux de son professeur.

Quand je suis dans sa tête, je suis lui. Je vis ses sentiments. Dans les visions, j'ai l'impression que c'est moi qui contrôle ce qu'il se passe, qu'il n'y a plus de différence entre lui et moi.

Snape entrouvrit la bouche, ne sachant que dire. Il ne pensait pas que la connexion était si forte. L'esprit de Harry était trop jeune pour la supporter, et il avait peur qu'il finisse par le plus savoir faire la différence entre ses sentiments et celui du mage noir, même éveillé.

« Je suis un monstre. C'est horrible de ressentir ce qu'il ressent… »

Snape entendit presque l'écho de la voix de l'oncle du gamin. Monstre.

« Pourquoi ne m'en avez vous pas parlé ? Il faut que vous me racontiez comment évoluent votre connexion avec le Seigneur des Ténèbres. Ce qu'il pense et ressent ne vous appartient pas, Harry. Ce ne sont pas vos pensées, ce ne sont pas vos sentiments. Vous ne faîtes que les subir.

— Ça semble pourtant bien réel. » le contra Harry en un souffle.

Snape réfléchit quelques instants, pesant le pour et le contre, mais finit par offrir une idée à son élève.

« Nous ne pouvons courir le risque d'en parler à vos amis, ni à Dumbledore. Les premiers parce que je ne fais pas confiance à des adolescents pour tenir leur langue, et le second parce que nous ne savons pas quelle action il pourrait entreprendre en sachant à quel point la situation est critique. Mais je fais suffisamment confiance à Lupin pour garder le secret, vous pourrez lui en parler à son retour. »

Harry fut très tenté par la proposition, mais il éprouvait la même peur que pour Ron et Hermione : la peur que le regard de Remus sur lui change.

Snape perçu ses pensées.

« Personne n'est mieux placé que lui pour ne pas juger ce qui vous traverse. Nous parlons d'un individu dont le désir le plus ardent chaque pleine lune est de dévorer des personnes innocentes. Vous ne pouvez pas rivaliser avec lui, dit Snape en tentant un faible trait d'humour.

— J'y réfléchirai. On verra quand il reviendra.

— Bien. En attendant, vous devez m'informer de ce genre de choses. Pour que je puisse avoir une nette idée de l'évolution de la situation, et pour protéger votre santé mentale. »

Voyant que Harry n'étais pas très attentif, il capta son regard et reprit, avec un ton plus sérieux :

« Vous vous êtes jeté sur un camarade et vous vous êtes laissé ruer de coups, monsieur Potter. Je vous avais dis en début d'année que nous devions éviter toute aggravation de votre lien avec Voldemort sous peine de vous mettre en danger vous et vos camarades. Si l'occlumancie ne suffit plus, nous serons dans l'obligation de mettre le directeur au courant.

« D'accord. Mais c'est difficile, vraiment... J'essaierai. »

Snape fut soudain frappé par une émotion qu'il n'avait que rarement ressenti sans mépris : de la pitié.

« Je vous aiderai. Je suis certain que nous allons trouver une solution. »

C'était la première fois que Severus Snape mentait à Harry Potter.