Disclaimer : Nous ne tirons profit, en aucune façon, de cette histoire. Les personnages de Marvel appartiennent à leurs propriétaires. Nous ne retirons rien de l'histoire qui suit et tous les droits de création des personnages leur appartiennent. En revanche, l'histoire nous appartient.
Rating : T
Genre : Romance / Drama / Angst / Comfort
Personnages : Tony Stark ; Loki ; la plupart des personnages vus dans les films du MCU
Situation temporelle : Démarre en 2012, après que Loki a récupéré le Tesseract dans Avengers Endgame


Bonjour tout le monde !

Cela fait bien trop longtemps depuis le dernier chapitre, et nous en sommes désolés. Malheureusement, les problèmes personnels et professionnels se sont un peu accumulés ces derniers temps, pour toutes les deux. Et c'est sans doute la première fois que je vais dire ça, mais écrire à deux est quand même une sacrée contrainte avec de gros inconvénients, dont le fait de faire coïncider nos emplois du temps ! Mais on ne lâche rien, et on continuera cette histoire !

Nouveau chapitre donc, centré sur la commémoration des deux ans de la bataille de New-York. L'occasion de voir d'autres personnes que nos deux héros, et une nouvelle discussion d'importance entre Tony et Loki.

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Egwene Al'Vere, Miel Ary, Marguerite . Roxton - Jones, merci beaucoup pour vos review !


Bonne lecture !

Ju' et Kae


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CHAPITRE 27

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La solitude est une bête immonde, aux mâchoires cruelles et à l'appétit vorace. Toujours affamée, jamais rassasiée. Sentir sur sa nuque son souffle chaud n'est jamais que la promesse d'une étreinte mortelle, griffes acérées rougissant la peau trop pâle. Elle boit à la source de nos rêves, se nourrit de nos cauchemars, tandis que nous lui servons sur un plateau nos peurs et nos angoisses. Un festin dont elle se délecte allègrement pour mieux nous voir mourir sous ses crocs tachés de sang et de larmes.

Nous créons nos propres monstres. La solitude n'est que l'un d'entre eux.

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De la même façon qu'un an plus tôt, avec l'approche des commémorations de la bataille de New-York, tous les Avengers s'étaient retrouvés à la Tour, y compris Bruce et surtout Thor, qu'on voyait assez peu de manière générale. A vrai dire, il l'avait pas vu depuis Noël dernier, et avant ça lors de la dernière commémoration. De fait, Loki avait foutu le camp à Malibu et ne comptait pas repointer le bout de son museau sur la côte est jusqu'à la fin de leurs séjours respectifs. Tony en avait profité pour présenter à tout le monde le futur QG des Avengers, le projet global, l'avancement des travaux et la visite qu'il avait fait avec Steve quelques jours plus tôt. Et même s'il le niait férocement, il n'était pas tout à fait certain d'avoir pu s'empêcher de rougir face aux commentaires foutrement élogieux du Cap'.

Quant aux autres, ils avaient eu l'air ravis de l'idée et avaient rapidement demandé à voir des photos et les plans, Clint commençant déjà à imaginer la déco de sa chambre tandis que Natasha interrogeait Steve sur les capacités du futur gymnase. Pris d'une inspiration brillante, c'est Bruce qui avait finalement proposé d'aller voir le complexe tous ensemble, profitant du fait qu'ils étaient exceptionnellement tous aux Etats-Unis.

Aussitôt dit, aussitôt fait ! James avait failli s'évanouir devant tout ce beau monde, avant de ressaisir tant bien que mal et de leur faire visiter. Ils avaient tous deux eu fort à faire pour répondre à toutes les questions, notamment celles de Thor qui découvrait la conception midgardienne d'un chantier de grande ampleur, mais ça s'était plutôt bien passé. Et en voyant Nat et Clint se chamailler pour savoir qui aurait l'appartement avec la vue directe sur le pas de tir – tout le monde savait que ce serait Clint, mais Natasha adorait l'asticoter, et Tony aimait encore plus compter les points ! – il se dit qu'il avait quand même fait du bon boulot.

Comme à Noël, ils avaient également profité de ces quelques jours pour passer du temps tous ensemble. Alors certes, Steve avait insisté pour mettre en place quelques sessions d'entrainement collectif, mais le reste avait été plus fun. Clint et lui avaient trainé tout le monde au cinéma pour voir le dernier film de super-héros à la mode, « X-Men Days of futur past », sorti à peine de deux semaines plus tôt*. Bon, vu leurs boulots respectifs, ça n'avait rien de foufou, mais l'histoire était plutôt sympa. Et puis, les commentaires sarcastiques de Natasha sur le film et son scénario étaient de véritables pépites, surtout quand elle répondait aux questions incrédules de Thor, qui ne comprenait visiblement pas qu'il s'agissait essentiellement d'ironie de sa part et que non, les mutant n'existaient pas. Enfin, pas encore, à leur connaissance, mais c'était un autre genre de débat.

A la demande de Bruce, ils avaient également réitéré une sortie au musée, battant à l'occasion leur record avec quatre-vingt-treize minutes passées dans l'établissement sans être formellement reconnu, contre soixante-dix-huit la dernière fois. Une heure et demie en public et incognito, dans une ville qui se préparait avec effervescence à les célébrer dans moins de deux jours, là était le véritable exploit ! Une victoire qu'ils avaient allègrement fêté dans un petit resto de shawarma qui était en train de devenir le resto habituel pour leurs sorties de groupe.

Et mine de rien, ça faisait quand même du bien de tous les avoir avec lui. Bon, fallait pas que ça se prolonge trop non plus, parce que sa sociabilité avait des limites, mais… ouais, c'était cool. Fatiguant et reposant en même temps. C'est en les voyant que Tony ne rendait pleinement compte à quel point ils pouvaient lui manquer le reste de l'année. Même Steve, Natasha et Clint, qu'il voyait pourtant beaucoup plus régulièrement que les deux autres. Ils étaient plus détendus, moins sur les nerfs, et ça se ressentait. Il n'irait pas le dire à Steve, mais selon lui, c'était ce genre de moments qui soudait une équipe, plus que n'importe quel entrainement ou mission pouvait le faire. Ça faisait d'eux plus que des collègues, mais des amis. Et pour quelqu'un comme lui qui n'en avait jamais eu beaucoup… ça voulait dire énormément.

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Comme l'an dernier, Tony avait été chargé du discours au nom de tous les Avengers. Non seulement il aimait ça… mais surtout il était le seul à aimer ça. Thor à la rigueur n'avait pas spécialement peur de parler en public mais… ouais, définitivement un mauvais plan. Alors après la parade, le bain de foule et les officiels, le voilà de nouveau sur le devant de la scène, exactement comme un an plus tôt. On prend les mêmes et on recommence !

« Bonjour New-York, et à tous ceux qui nous regardent à la télé et nous écoutent à la radio, bonjour le monde ! »

Hurlements, applaudissements, foule en délire. Il avait juste dit une putain de phrase et ils étaient déjà à l'acclamer. Bordel, il adorait ça !

« Nous sommes tous rassemblés ici pour la deuxième fois, en ce que j'espère voir devenir un rituel entre vous et nous. Un moment de partage et de communion autour de valeurs communes : le courage, l'entraide, l'abnégation, le sacrifice. Des valeurs fortes, et vous avez choisi les Avengers pour les incarner. Et c'est humble devant la tâche que vous nous avez confié que nous vous remercions de votre confiance sans cesse renouvelée, et de la foi que vous portez en nous. »

Nouveaux applaudissements, cette fois-ci venant également de ses camarades derrière lui.

« Quand je me suis tenu devant vous il y a exactement un an jour pour jour, je vous ai parlé de la valeur des mains tendues, des occasions saisies et des secondes chances, toutes les circonstances qui m'avaient amené à vous parler ainsi, en ce lieu, en cet instant. Mais si chaque choix opéré, chaque carrefour emprunté a son importance, ils appartiennent néanmoins au passé. Aujourd'hui, je veux vous parler de l'avenir. »

Tony commença à arpenter la scène, plus proche du public que ne l'était son pupitre, et au diable toutes les consignes formulées par Happy et les différents services de sécurité en charge de l'événement. Il était Iron Man merde !

« L'avenir est devant nous, et tout reste à construire. Et pourtant, qu'il est difficile d'avancer dans l'obscurité, sans voir, sans savoir. Nos efforts payeront-ils ? Nos choix s'avèreront-ils concluants ? Les risques pris en valaient-ils vraiment la peine ? Ce sont des questions avec lesquelles nous nous débattons tous, moi le premier. Le doute est quelque chose de profondément et terriblement humain. Et malgré la force de nos convictions, nous ne pouvons jamais être certain, totalement certain, d'avoir fait le bon choix. Mais ces décisions difficiles ? Nous les prenons. C'est que nous faisons tous, chacun à notre échelle. Mais en tant qu'Avengers, le poids de nos choix et de nos actions est important. L'impact va en conséquence. Nous avançons sur un terrain miné, yeux bandés et mains attachées dans le dos. Mais nous avançons, coûte que coûte. Et vous savez comment ? Parce que nous avons des gens pour nous aider, pour nous épauler, pour nous guider. Des personnes pour qui nous battre. »

Il se battait pour ses coéquipiers, qui risquaient avec lui leur vie sur le terrain. Il se battait pour Pepper, Rhodey, Happy, ses amis, loin d'être sans défense, et pour lesquels il s'interposerait pourtant sans la moindre hésitation entre le danger et eux. Il se battait pour tous ces gens qui comptait sur lui, sur eux. Il avait trop déçu, par le passé. Aujourd'hui, il voulait se montrer digne d'éloge et de confiance, leur confiance à tous. La confiance se méritait, et il allait la gagner.

« Nos efforts payeront-ils ? Nos choix s'avèreront-ils concluants ? Les risques pris en valaient-ils vraiment la peine ? » répéta-t-il. « Je ne sais pas. Mais ce dont je suis sûr, c'est ma volonté, notre volonté, de faire au mieux. Nous ne sommes pas exempts d'erreur, alors parfois il nous arrive de tomber. Mais nous nous relevons, encore et encore. Et ce chemin, nous continuons de l'arpenter. Sans relâche, nous avançons. Nous construisons notre avenir. »

Omega était né de cela après tout : une volonté, un besoin de protéger son avenir, et celui de tous ces gens. Un pari osé, un contrat passé avec ce qu'il pensait être à l'époque le diable personnifié, et tout ça pourquoi ? Un avenir incertain, dont il ne pouvait prédire avec exactitude ce qu'il en ressortirait, bon comme mauvais. Nos efforts payeront-ils ? Nos choix s'avèreront-ils concluants ? Les risques pris en valaient-ils vraiment la peine ? Ces questions étaient plus personnelles qu'il ne voulait bien l'admettre à quiconque. Ces peurs étaient siennes. Et pourtant il avançait, encore, toujours. Flou, changeant et fluctuant, l'avenir était ainsi fait. Un avenir bâti à sa mesure et à celle de ses choix, passés, présents et à venir. Un avenir qu'il protègerait à tout prix. Tel était pour lui le véritable sens d'Omega.

« Les pages se tournent, les chapitres se terminent, mais ce n'est jamais que le début d'un nouveau tome, plus beau, plus grand, plus éclatant que le précédent. Rien n'est joué d'avance, le futur n'est pas écrit, jamais, et il ne tient qu'à nous d'écrire la suite de notre histoire. Pour pouvoir un jour regarder derrière nous et nous dire « je suis fier de ce que j'ai fait, de ce que j'ai accompli, du chemin que j'ai parcouru ». Le futur est nôtre. Et nous l'écrirons ensemble. »

Et alors que ses mots vibraient encore dans l'air, la foule jusqu'ici silencieuse et suspendue à ses mots se répandit en applaudissements, cris et acclamations. Il pouvait presque sentir la scène vibrer sous ses pieds, au rythme des milliers de mains, de millions de battements de cœur à l'unisson. Tony ferma les yeux un instant, savourant cette communion avec tous ces gens au nom de quelque chose de plus grand, de cet avenir qu'il était peut-être le seul à entrevoir.

Et il sourit.

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« Joli discours. »

Tony se retourna pour faire face à Pepper qui lui tendit l'une des deux coupes de champagnes qu'elle tenait et qu'il accepta avec reconnaissance.

« Tu sais, je crois que Natasha m'a abordé exactement de la même façon l'année dernière. »

« Et qu'a-t-elle dit d'autre ? » lui demanda la jeune femme avec un léger sourire.

« Que mon discours était loin d'être aussi orchestré qu'il n'en avait l'air et que je m'étais montré beaucoup plus franc et sincère qu'elle ne s'y attendait, surtout sur un sujet qui était bien plus personnel que je ne le laissais entendre. Oh, et qu'elle détestait me voir si sérieux. Pourquoi, tu as quelque chose à rajouter ? »

« A vrai dire, non. Ça ne devrait pas m'étonner, mais Natasha avait visé particulièrement juste à l'époque, et ses commentaires s'appliquent tout aussi bien à la situation d'aujourd'hui. Peut-être même sont-ils plus vrais encore. »

« Tu trouves ? »

Pepper ne répondit pas et se détourna, portant son regard sur la piste de danse tout en sirotant sa coupe de champagne. Tony se retrouva à imiter sa position, son regard se perdant sur l'assemblée. Il aperçut Bruce qui dansait au bras de Natasha, et il était facile de dire lequel des deux menait. Sans doute la russe avait-elle sauvé le scientifique de quelque politicien ou haut-gradé particulièrement insistant. Tony devrait probablement procéder à quelques vigoureux rappels à l'ordre auprès de certains…

« Tu sais Tony, » reprit Pepper d'une voix douce, le ramenant à l'instant présent, « je ne suis pas aveugle. Je te connais bien mieux que beaucoup de personne sur cette planète, et je sais que tu ne nous dis pas tout. Ça a toujours été le cas, même du temps où nous étions encore ensemble. Mais depuis que nous nous sommes séparés, j'ai pu prendre du recul, et je m'aperçois que je vois des choses auxquelles je ne faisais pas forcément attention auparavant. Et depuis quelques temps, plusieurs mois déjà… Il y a tes émotions changeantes, cette joie, presque de l'euphorie parfois, puis tu sombres dans un violent désespoir que je n'ai que rarement vu, avant que tu ne cèdes finalement à une colère dévastatrice. Il y a ce grand projet que tu évoques parfois à demi-mots, sans vraiment le vouloir, presque sans t'en apercevoir. Il y a cette crainte que tu portes en toi, ces choix dont tu sembles douter, alors même que tu restes persuadé qu'il s'agissait de la meilleure solution. Ton discours d'aujourd'hui n'a fait que mettre des mots sur des choses que je savais déjà. »

Elle soupira lourdement avant de se tourner vers lui. Tony, figé, était incapable de formuler le moindre mot, et serrait si fort son verre qu'il craignait qu'il ne finisse par exploser.

« Je te connais, Tony, » répéta-t-elle, insistant sur ces quelques mots. « Alors je ne sais pas ce que tu gardes pour toi, ni même si je veux le savoir, mais ça ne m'empêche pas de m'inquiéter pour toi. »

Elle posa une main parfaitement manucurée sur son épaule, et la serra brièvement. Si son regard était soucieux, son sourire en revanche était triste. Tellement triste.

« Prends soin de toi Tony, veux-tu ? »

Et un instant plus tard, elle s'était évaporée dans la foule.

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Tony avait la tête qui tournait, et le cœur au bord des lèvres. De l'air, il avait besoin d'air. Maintenant. Tout de suite !

Titubant légèrement, il se fraya un chemin entre les invités, adressant inconsciemment quelques gestes de la main, s'excusant par réflexe lorsqu'il heurtait l'épaule de quelqu'un dans sa précipitation. Ses yeux ne quittaient pas les grandes portes-fenêtres donnant sur la terrasse, que quelqu'un avait ouvert pour laisser entrer la fraicheur de la soirée. Lui avait l'impression d'étouffer.

Ses poumons étaient trop étroits pour lui, encerclés dans une étreinte de fer, broyés par une force incommensurable. L'air était incroyablement sec, irrespirable, et Tony se demanda un instant ce qui lui avait pris de faire construire sa villa à Malibu parce que vraiment ? La Californie ? Il aurait mieux fait de s'abstenir.

Et puis tout à coup, il passa les portes et fut dehors. Sa coupe de champagne, qu'il n'avait pas lâchée, alla se fracasser sur le joli sol carrelé, petits carreaux noirs et blancs, tandis qu'il dénouait d'un geste rageur sa cravate. De l'air. Il avait besoin d'air. Il fit sauter un, deux boutons de sa chemise, avalant de larges goulées d'air en essayant de ne pas s'étrangler. De ne pas se noyer. De ne pas mourir.

L'air était froid, vivifiant. Il y avait un peu de vent. Perché tout en haut du bâtiment sur le toit-terrasse, à plusieurs dizaines de mètre du sol, les bruits de la rue étaient comme atténués. Lointains. La rumeur sourde et vague d'une ville dont on disait qu'elle ne dormait jamais. En levant les yeux, il pouvait voir une lune presque pleine, se détachant sur un ciel dégagé piqueté d'étoiles. On voyait rarement autant d'étoiles, à New-York. Il devait être tard. Ou peut-être incroyablement tôt, qui sait ?

Progressivement, Tony sentit sa respiration revenir à la normale. Chancelant, il se laissa tomber sur un banc de pierre, la tête entre les mains, tandis qu'il se forçait à inspirer lentement par le nez. On inspire, et on souffle par la bouche. Et encore une fois. Doucement, tout doucement. On inspire, et on souffle.

Tony n'était même pas certain de savoir exactement ce qui avait provoqué cette crise d'angoisse. Parce que ç'en était une, peu importe qu'il ait réussit à suffisamment se maitriser pour ne pas s'écrouler en public. Ce dont il était certain en revanche, c'est que les mots de Pepper avaient fait mouche. Quels mots ? Tout se mélangeait dans sa tête, la compassion de Pepper devenant des accusations féroces, tandis qu'elle lui reprochait son caractère auto destructeur, ses silences et ses secrets. Tous ces secrets qui le bouffaient. « Il y a cette crainte que tu portes en toi, ces choix dont tu sembles douter, alors même que tu restes persuadé qu'il s'agissait de la meilleure solution. » Voilà ce qu'elle avait dit exactement, il s'en souvenait. C'était sans doute ça le pire. Il doutait bordel, il avait peur des réactions et des conséquences de ses actes, même quand il essayait de ne pas trop y penser. Mais pour autant il ne regrettait pas la moindre seconde sa décision, persuadé que c'était le bon choix à faire. Aucun regret. Et parfois, juste parfois, il se détestait pour ça.

« Ami Tony ? Allez-vous bien ? »

Relevant brusquement la tête, Tony fut surpris de voir Thor à quelques mètres de lui, et plus encore de ne pas l'avoir entendu arriver – un fait des plus rare dès lors qu'on parlait du dieu du tonnerre. Il envisagea un instant de mentir, ne doutant pas qu'il pourrait facilement duper son ami, mais il n'en avait pas l'envie. Pas le courage, non. Pas aujourd'hui, pas maintenant.

« Tu veux la vérité ? Non, ça ne va pas non, » dit-il d'une voix rauque et rocailleuse.

Il fut surpris de voir le dieu s'approcher lentement, avant de s'assoir à ses côtés et de poser une main compatissante sur son épaule.

« Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour alléger vos tourments ? »

Tony le vit serrer le poing, comme à la recherche du marteau qu'il ne quittait jamais, avant de venir triturer son nœud papillon. Soupirant, Tony vint le desserrer pour lui. Si le blond avait pris l'habitude des vêtements terriens quand il était en visite chez eux, il ne portait pas de costard, jamais, au contraire de son frère qui en avait fait ses habitudes. Et si Loki avaient fait siennes l'allure et les manières empruntées qui allait avec pareil costume, Thor lui avait toujours l'air un peu gauche dans ces vêtements. Et… et voilà qu'il recommençait. Penser à Loki, toujours. A lui, ou plus généralement à Omega. Mais il ne savait pas comment faire autrement.

Il aurait bien pris un verre, là, tout de suite. Mais qu'il soit damné s'il remettait seulement un pied à l'intérieur. Finalement, il était pas trop mal ici, il allait rester encore un peu. Il en aurait presque oublié le grand dadais à ses côtés, si celui-ci n'avait pas fini par reprendre la parole, passant du même coup au tutoiement.

« Je ne prétends pas savoir ce qui occupes tes pensées et te perturbe autant mon ami, mais saches que tu n'es pas seul. Tu as des gens sur lesquels t'appuyer, et malgré ma faible présence sur Midgard, je serais honoré que tu me considères de ceux-là. »

Le rire que laissa échapper Tony n'était pas aussi sarcastique qu'il l'aurait souhaité, mais plutôt… épuisé.

« C'est gentil Point Break mais… mais si j'en parlais à n'importe qui, à toi comme aux autres, vous me prendriez pour un fou bon à enfermer. Pas sûr que ce soit une mauvaise idée cependant. »

« Et toi, me prendrais-tu pour un fou si je te disais que mon petit frère me manquait ? »

Surpris, à la fois par le changement brutal de sujet et par la voix douce et mélancolique au moment de sa confession, Tony se tourna subitement vers lui. Mais Thor ne le regardait pas, la tête levée, son regard posé sur le ciel nocturne. Après quelques instants d'hésitation, Tony se retrouva à imiter sa position. Et comme si le dieu avait simplement attendu de n'être plus scruté attentivement comme une bête curieuse, il reprit d'une voix basse.

« Je sais qu'il a commis des actes terribles par le passé. La bataille au cours de laquelle nous avons combattu côte à côte n'était que la dernière occurrence. Mais il restait mon frère, mon petit frère. Et quand il m'a accompagné sur Svartalfheim pour m'aider à sauver Jane et venger notre mère… je ne sais pas, j'ai cru que peut-être nous avions une chance, peut-être pas de faire table rase du passé, mais tout du moins… de nous offrir une seconde chance. Ensemble. C'est pathétique, ne trouves-tu pas ? »

« Non, » répondit Tony sans la moindre hésitation. Et il était sincère. « L'espoir ne devrait jamais être considéré comme quelque je chose de stupide, ou qui nous ferait paraitre faible. T'as rien retenu de c'que j'ai dit l'année dernière ou même c't'année, hein ? » Le rire de Thor était un peu trop humide à son goût, mais il était présent, et c'était déjà ça. Il reprit. « Loki est ta famille, peu importe ce qu'il a fait. T'as grandi avec lui, il est présent dans quasi tous tes souvenirs alors… ouais, c'est normal qu'il te manque. Je crois qu'il me manquerait aussi à ta place. »

La dernière phrase était peut-être en trop, ou peut-être sonnait-elle tout simplement un poil trop juste à son goût. Mais voilà, il la pensait, alors il l'avait dite. Si on lui demandait des comptes, il accuserait l'alcool.

« Était. »

« Quoi ? » s'étonna-t-il, ne comprenant pas le ton douloureux de Thor.

« Tu as dit que Loki est de ma famille. Il l'était. Il ne l'est plus. »

Merde, tu parles d'un lapsus. Il chercha quelques instants une justification quelconque, une façon de ne pas lui mentir trop ouvertement… Avant de comprendre qu'il n'avait pas à lui mentir.

« Non, il est de ta famille. Pas de ''était'', pas de passé qui tienne. La famille, ça s'arrête pas quand les gens meurent. Ça s'arrête le jour où on cesse de les aimer. Ou tu vas me dire que ta mère ne fait plus parti de ta famille maintenant qu'elle est morte ? Loki, c'est pareil. Il est ton frère, et il est ta famille. Et si ta famille te manque ? Bah mon vieux, c'est quelque chose de juste putain de normal. »

Vaguement essoufflé, vachement énervé par il ne savait trop quoi, Tony prit une inspiration tremblante pour se calmer. La voix de Thor résonna de nouveau, après quelques minutes d'un long silence.

« Et dire que j'étais celui venu te réconforter, il me semble bien que les rôles aient été inversé. Mais je ne m'en plaindrai pas non. Tes mots… Tes mots, ami Tony, m'ont été d'un précieux réconfort. »

Et rarement Tony avait-il vu un regard si fragile, et en même temps un sourire si sincère de la part de ce dieu qu'il ne voyait jamais autrement que comme indestructible. Comment ne pas lui sourire en retour ?

« C'est quand tu veux Point Break, c'est quand tu veux. Les amis, c'est fait pour ça non, du moins je crois ? Quelqu'un m'a dit que j'avais des gens sur lesquels m'appuyer et que je n'étais pas seul. Bah tu sais quoi ? Toi non plus. »

Et cette fois, le rire du blond était aussi chaud et lumineux que d'ordinaire, et Tony était immensément fier de l'avoir aidé à le retrouver. Il finit ainsi par imiter le dieu quand celui-ci se releva du banc, et accepta sans rechigner son accolade.

« Merci mon ami, merci, » chuchota-t-on à son oreille.

Et c'est sans se faire prier que Tony le raccompagna à l'intérieur, rassénéré et persuadé qu'il n'était pas aussi minable, ni aussi seul qu'il le pensait, finalement.

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Tony avait tenu bon, tout le temps où les autres avaient été présents. Trouvant de la compagnie et de la chaleur dans leur présence. Ecartant les réminiscences comme si elles ne l'atteignaient pas. S'occupant autant que possible les mains et l'esprit. Surtout l'esprit d'ailleurs. Et fallait savoir que sans s'enfermer des heures dans son labo, ce n'était pas chose aussi facile que ça en avait l'air. Refusant de penser à l'anniversaire qu'ils venaient joyeusement de célébrer, et à tout ce que cette bataille avait mis en branle. Refusant de s'appesantir sur ses choix – parce qu'il les assumait, merde ! – et leurs conséquences passées et à venir. Refusant d'accorder la moindre seconde, la moindre miette de son attention à ce trou de ver, immense, ce noir infini, et les horreurs qu'il avait pu y voir. Et celles qu'ils n'avaient pas vues, là-haut, tapies dans l'ombre, jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard…

Bon, ne penser à rien de tout ça, faut croire que c'est raté…

Ses amis pouvaient-ils deviner les démons qui l'habitaient, le tumulte sous son crâne ? Peut-être. Surement même, puisqu'ils s'arrangeaient pour le laisser seul aussi peu que possible. Et Tony appréciait ça, vraiment. Il appréciait leur sollicitude discrète, sans insister lourdement ou poser nombre de questions comme lui aurait très bien pu le faire. Mais ça ne pouvait pas durer, n'est-ce pas ? Parce qu'ils avaient tous un boulot à faire, des missions, des responsabilités… des gens qui comptaient sur eux. C'était un peu le principe non ?

Alors Bruce était retourné en Inde, et Thor sur Asgard. Natasha avait été la première à décamper, il y avait eu du grabuge du côté de Porto Rico et elle était allée voir. Steve – comme c'est étonnant – était reparti sur les traces de Bucky, cherchant à exploiter les dernières pistes en date que Tony avait tirées des archives d'Hydra. Quant à Clint… et bien, Clint avait rapidement suivi le mouvement, quoi qu'on ne sache pas où il était allé ni ce qu'il comptait y faire.

Alors dès que Tony s'était retrouvé seul, il avait quitté sans le moindre remord New-York, laissant derrière sa Tour et son portail béant dans le ciel, déversant des horreurs – un portail que Natasha avait fermé, bordel de merde ! – Il avait retrouvé sa maison, son atelier, ses recherches, et Loki aussi accessoirement. Il n'avait pas dormi pendant deux jours, repoussant férocement le sommeil et se perdant dans ses expériences. Mais ça non plus, ça ne pouvait pas durer. Alors exactement cinquante-trois heures et quarante-sept minutes après son arrivée à Malibu, il daigna finalement aller se coucher. Il prit une douche pour se détendre, accepta même la tisane conseillée par Jarvis, avant d'aller finalement s'allonger dans son lit aux draps frais. Fenêtre ouverte, il écoutait le bruit apaisant des vagues venant s'écraser contre la falaise en contre-bas. Il ferma les yeux, sachant exactement à quoi il ouvrait la porte, conscient également de ne rien pouvoir y faire. Et priant malgré tout, en dépit de tout bon sens, pour passer une nuit calme et reposante. Comme s'il croyait vraiment…

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Silence. Tout est silence.

Noir. Tout est noir.

Comme dans un cercueil. Comme dans un tombeau. Son tombeau. Le corps retourne à la pierre, redevient poussière. Poussière d'argent, lumière nocturne dans un ciel dépourvu d'étoiles. Vide infini, infinie tristesse, infini chagrin, celui de son cœur froid et vide, mort. Cercueil de son âme. La boucle est bouclée.

Silence. Tout est silence.

Noir. Tout est noir ? Non, pas tout à fait.

Missile, explosion brutale, la lumière crue des flammes sur son visage blême, dévoilant à son regard l'horreur qui y était dissimulée. Il n'a plus peur depuis longtemps des monstres cachés sous le lit. Ceux qui se dévoilent en pleine lumière sont les pires, et font trembler son enfance perdue. Il n'est pas prêt, ne sera jamais prêt.

Noir. Tout est noir.

Silence. Tout est silence ? Non, pas tout à fait.

Chuchotements et murmures, voix inconnues et familières, mêlées, entremêlées, indiscernables et oppressantes. Elles se pressent et s'empressent, l'accusent, coupable, coupable, oubliée la foule en délire et les applaudissements résonnant dans sa poitrine. Le bruit de l'acier contre l'acier, l'acier transperçant un corps, corps tombant au sol, sol où goutte le sang, sang pulsé par le cœur qui bat la chamade dans sa propre poitrine. La boucle est bouclée. Le sang des victimes sur ses mains de coupable. Coupable. Coupable ! Il n'est pas prêt, ne sera jamais prêt.

Silence. Tout est silence.

Noir. Tout est noir.

Alors, est-ce ça ?

Mourir ?

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Réveil en sursaut.

Apnée.

Respirer.

Respire bordel, respire !

Une inspiration à la fois, doucement, par le nez, avant de souffler par la bouche, lentement. Encore. La voix rassurante de Jarvis et la lumière de sa table de chevet, un rituel familier et sécurisant dont il se serait pourtant bien passé. Il avait beau avoir anticipé cette crise, elle n'en demeurait pas moins violente. L'était sans doute encore plus du fait qu'il l'ait anticipée justement.

C'était toujours le même genre de rêve, les mêmes angoisses, sous une forme ou une autre. La peur de l'inconnu, le vide angoissant de l'espace, et la crainte des menaces qui s'y cachaient, attendant un seul aveu de faiblesse de sa part pour frapper… Ne laissant derrière elles qu'empreintes ensanglantées. Rien de nouveau donc. La commémoration avait juste réveillé ses vieux démons, et il ne savait combien de temps il lui faudrait pour qu'ils ne se rendorment à nouveau. Jusqu'à l'année prochaine du moins.

Sachant pertinemment qu'il ne se rendormirait pas – pas maintenant, et certainement pas avant un moment si on lui laissait le choix – il se força à quitter son lit. Il prit une nouvelle douche – il avait transpiré pendant son cauchemar, et l'odeur émanant de son pyjama trempé était proprement répugnante – se changea et, après un instant d'hésitation, descendit au salon.

Loki était là.

Il n'en était pas étonné. Depuis octobre dernier, à chaque fois ou presque qu'il était descendu au salon des suites d'un cauchemar, il avait trouvé le dieu présent, lisant un livre et lui offrant sa simple présence silencieuse, dénuée de compassion ou du moindre geste de réconfort. Il n'avait jamais su comment exactement, si le sorcier sentait venir ses cauchemars à l'aide de sa magie, si Tony était bien plus bruyant qu'il ne le pensait lorsqu'il était en pleine crise, ou s'il s'agissait de tout autre chose. Et Tony était content de voir que malgré les… disons, les « difficultés de communication » qu'ils avaient eues récemment, il était toujours là. Malheureusement, cette simple présence n'allait pas suffire ce soir. Pas après la violence de cette nouvelle crise de panique. Si les images de son rêve s'évanouissaient peu à peu – c'était toujours les mêmes de toute façon – la peur elle ne l'avait pas quittée.

Il adressa un signe de la tête au dieu, signe qui lui fut rendu silencieusement, avant qu'il ne se dirige vers le bar pour se servir un verre. Mais alors qu'il le portait à ses lèvres, le cognac fut brutalement gelé dans son verre. Bouchée bée, il lui fallut quelques secondes pour réagir.

« T'es sérieux là ? »

Aucune réponse. Evidemment. Putain de dieu et sa magie de glace de merde.

« Ouais, t'es sérieux. Tu veux vraiment pas me laisser oublier mes problèmes dans l'alcool, hein ? »

« Il me semblait pourtant que nous en avions déjà parlé. Outre l'inefficacité avérée de la méthode, elle n'est jamais que provisoire. »

« Je sais bien, merci. C'est pas pour autant que j'ai pas besoin de ce répit… »

Sachant pertinemment qu'il ne servait à rien de se servir un autre verre, au risque de le voir geler également – et quelle pitié c'était de voir ainsi gâché un si bon cognac ! – il alla s'affaler avec toute la grâce d'un morse échoué sur le canapé faisant face au dieu. Visiblement interdit de picoler, mais pour autant il était incapable de remonter s'enfermer dans sa chambre. Là-haut. Dans le noir. Seul.

Ouais, non merci, sans façon.

Alors il resta sur ce maudit canapé, et tant pis pour son dos. Des minutes, des heures ? Il n'en savait foutrement rien, et s'en moquait royalement. Contemplant d'un œil vide le plafond immaculé de son salon, jouant avec ses doigts et soupirant bien fort, avant de reprendre depuis le début. Et c'est en posant malencontreusement son regard sur le verre gelé, toujours posé sur le bar, qu'il sut exactement comment il allait se distraire, et surtout avec qui.

« T'as gelé mon verre. »

Comment un soupir pouvait-il à la fois être las et sarcastique ? Tony l'ignorait, mais celui poussé par Loki l'était, indéniablement.

« Félicitations Stark, que voilà une brillante déduction de votre part. Y a-t-il autre chose dont vous deviez impérativement me faire part ou puis-je poursuivre ma lecture ? »

« Je veux dire, tu l'as pas figé ou fait disparaitre : tu l'as gelé. »

Tony sentit plus qu'il ne vit le dieu s'immobiliser soudainement, et il pouvait deviner son regard neutre – pour peu qu'il ne le fusille pas des yeux – posé sur lui, son habituel masque impassible bien en place. Il le connaissait bien, non ? C'était tellement facile… Aussi il reprit sans se faire prier.

« La glace… c'est pas quelque chose que t'utilises des masses, comme tout ce qui est… tu sais, en rapport avec ta nature. Mais du coup, est-ce que chaque race a une magie différente ? As-tu des capacités magiques que ta mère n'avait pas, puisque vous n'étiez pas de la même espèce ? Ou est-ce que tout le monde peut utiliser les mêmes sorts ? »

Un truc auquel Tony ne se serait jamais attendu en commençant à travailler avec Loki, c'était son intérêt pour la magie. Alors certes, il avait encore un peu de mal avec tout le côté « exploitation des forces cosmiques », et lâchait généralement l'affaire quand on en arrivait là. Mais comprendre ce qu'était fondamentalement la magie, toute la diversité des formes qu'elle pouvait revêtir, et la multiplicité d'applications disponibles… Il trouvait ça fascinant, et c'était une source de curiosité sans fin pour lui. Généralement, Loki ne se faisait pas trop prier pour répondre à ses questions, faisant ce que le dieu aimait appeler « son éducation ». Et malgré la connotation péjorative du terme, ce n'était pas tout à fait faux !

Mais là, Tony se doutait que le sujet serait moins aisé – ce qui, soyons franc, lui donnait d'autant plus envie de creuser – S'il y avait un sujet que Loki abordait moins qu'aucun autre, du moins à sa connaissance, c'était tout ce qui entourait son adoption et surtout son ascendance Jötunn. L'ingénieur avait toujours fait l'effort de ne pas se montrer trop insistant à ce sujet, mais là, l'occasion était trop belle pour ne pas au moins essayer, non ? Offerte par le dieu en personne, et Tony savait exactement quel argument utiliser.

« Ça peut être important pour Omega, mec. »

Il voyait bien que Loki n'avait pas envie d'en parler, et s'il l'envoyait bouler une nouvelle fois, il était prêt à réorienter la conversation sur un sujet moins dangereux. Ça restait un sujet sensible pour le dieu et, s'il voulait définitivement en apprendre plus sur le sujet, il ne forcerait pas davantage. Hey, il pouvait faire preuve de tact quand il voulait ! Il allait d'ailleurs changer de sujet, et tant pis pour ses questions, quand il fut surpris d'entendre le dieu prendre la parole.

« Toutes les espèces vivantes de l'univers ont un potentiel magique. Cela comprend les humains, mais également les animaux et même les plantes. Toutefois, toutes ne sont pas capables de l'exploiter. C'est là qu'apparait la distinction entre les êtres magiques et les autres. Nous en avions déjà parlé au début de notre collaboration. A l'époque, vous vouliez savoir si vous seriez capables de maitriser certains sorts. Ma réponse n'a pas changé. Outre le faible potentiel magique des humains, votre organisme, votre biologie cellulaire n'est pas faite pour concentrer un tel pouvoir. »

La voix de Loki était froide. Glaciale même, sans mauvais jeu de mot. Allongé sur son canapé, Tony n'osait pas bouger d'un cil. Alors tourner la tête vers lui ? Même pas en rêve ! Il gardait donc son regard fermement posé sur le plafond blanc, ouvrant grand les oreilles. Et surtout, se gardant bien de l'interrompre ou de poser la moindre question, malgré les trous dans la conversation.

« Concernant les êtres magiques proprement dits… Une nouvelle fois, tous ne sont pas capable d'exploiter ce potentiel. Ce dernier est beaucoup plus élevé chez les Ases, les Vanes ou les Jötunn par exemple. Leur corps est capable de supporter la traversée des flux cosmiques et de gérer ce surcroit de puissance. Mais quand il s'agit de maitriser cette puissance… bien peu en vérité en sont capables. »

Si Loki était toujours aussi froid et imperturbable, sont ton s'était toutefois fait docte, presque professoral. « Faire son éducation », hein ? La formule avait rarement été aussi bien employée qu'en cet instant. Mais malgré l'attrait indéniable du sujet et le nombre incroyable d'informations engrangées, Tony ne pouvait pas tout à fait s'empêcher d'être mal à l'aise à l'écouter ainsi discourir d'une manière si austère et distante.

« Deux choses sont essentielles pour comprendre la magie et son fonctionnement : le potentiel de l'individu et l'accès à celui-ci. Thor, comme tout Ase, a un potentiel magique plus élevé que pour d'autres espèces, et est sensible à la magie et aux forces cosmiques. Toutefois, il n'y a pas accès. Dans mon cas, je possède un potentiel magique très élevé, beaucoup plus qu'il ne l'est d'ordinaire pour un Ase, un Vane ou même… Mais comme son nom l'indique, il ne s'agit que d'un potentiel : il doit encore être exploité. Cela pourrait vous sembler absurde, mais je reste relativement jeune. Malgré une excellente maitrise de mon potentiel, je ne l'utilise pas encore à ses pleines capacités. Il y a des choses qui ne s'acquièrent qu'avec l'âge ou l'expérience. » Un soupir, à peine une pause, avant qu'il ne reprenne d'une voix plus tranchante encore. « Ma mère en revanche était une magicienne exceptionnelle. Bien qu'avec un potentiel plus faible que le mien, elle en maitrisait chacune des facettes. Elle aurait pu faire tout ce qu'elle voulait de sa magie, pour peu qu'elle le souhaite. Elle était réellement… brillante. Et si elle n'avait pas été reine, sans doute serait-elle devenue l'une des mages les plus douées des Neuf Mondes et au-delà. »

Silence, de nouveau. Pourtant, Tony entendait dans ce silence des mots qui n'étaient pas prononcés – les siens comme ceux de Loki, confus, flous et indistincts – et surtout un appel muet à poursuivre cette discussion, et poser ces questions qui lui brulaient les lèvres. Pour que cette soudaine confession crève-cœur pour laquelle Tony avait tant insisté, à regret désormais en voyant ce qu'il lui en coutait, ne soit pas vaine.

Peut-être que Tony imaginait cette demande – oserait-il ? cette supplique – de la part de Loki. Peut-être. Mais il ne pouvait pas se résoudre à faire comme si de rien n'était, mettre de côté et abandonner. Quitte peut-être à briser le fragile équilibre qu'ils avaient retrouvé. Mieux vaut avoir des remords que des regrets, non ?

Il se jeta à l'eau.

« Je comprends ton explication, autant que je le puisse étant donné qu'on parle quand même de magie. Mais ton explication reste générique, et ne distingue pas les différentes espèces. Si le fonctionnement est le même d'une espèce à l'autre, est-ce que les applications le sont également ? »

Alors même qu'il ne quittait pas des yeux son foutu plafond blanc – qu'il commençait à avoir franchement en horreur – Tony était certain d'avoir senti Loki sursauter violemment quand il avait pris la parole, comme s'il avait oublié jusqu'à sa présence.

Et ce n'est que lorsque le dieu reprit la parole à son tour que Tony se rendit compte qu'il avait inconsciemment retenu son souffle en attendant sa réponse.

« Comme vous l'avez dit, le fonctionnement est similaire pour chaque être magique. Il n'est ainsi pas rare de se chercher un mentor pour être guidé dans l'apprentissage de la magie, et l'espèce du maitre et de l'apprenti n'ont aucune importance. Ma mère fut mon mentor, et comme vous pouvez le constater, il n'y a pas eu le moindre problème de ce point de vue-là. »

Malgré le fait que la reine Frigga soit une nouvelle fois évoquée – ainsi que la véritable ascendance de Loki à demi-mot – la voix du dieu avait perdu de sa sécheresse. Pas son petit ton supérieur et arrogant bien sûr, mais hey ! on pouvait pas tout avoir.

« Toutefois, il existe effectivement des variations d'un individu à l'autre. Celles-ci dépendent de plusieurs critères tels que le caractère, ou encore la façon dont on utilise la magie. Sur Asgard, Eir est une grande guérisseuse. Dans un tout autre genre, certains nains forgerons sur Nidavellir utilisent une forme de magie pour en imprégner les armes. C'est ainsi par exemple qu'a été fabriqué Gungnir, la lance du Père de Toutes Choses, ou encore Mjöllnir. C'est leur usage de la magie qui a modelé cette dernière. Et bien sûr, selon leur espèce, les êtres magiques auront plus ou moins certaines difficultés à maitriser certains sorts, quand au contraire ils font preuve d'un talent innée pour d'autres formes de magie. »

Et cette fois-ci, Tony était absolument certain de l'entendre, cette invitation à poursuivre, et il ne se priva pas d'y répondre. Pour la première fois depuis le début de la discussion, il se tourna sur le côté pour faire face au dieu, qui le regardait attentivement.

« Quoi par exemple ? »

Tony pouvait presque deviner ce petit sourire en coin familier que le dieu refusait d'afficher ouvertement en cet instant. Mais il était là, il en était absolument certain. Et il en eut la confirmation en voyant le dieu entamer un grand exposé sur les principales espèces magiques des Neuf Mondes.

« Parmi les êtres que l'on retrouve présents dans la mythologie midgardienne alors qu'ils existent bel et bien se trouvent les nymphes. Homme ou femme, ces créatures vivent en harmonie avec la nature, la faune et la flore. Certaines d'entre elles ont une affinité magique avec les arbres, les fleurs et les plantes en général. D'autres se verront plus attirés par les lacs, les rivières et les cours d'eau. Certaines en revanche… »

De longues heures durant, Tony écouta Loki parler. Posant quelques questions, le relançant à l'occasion, mais surtout écoutant. Ils n'avaient pas reparlé des Jötunn après ça, mais c'était pas grave, il y avait tant d'autres races fascinantes dont il ne connaissait rien. Un univers, infini et inconnu, qui pouvait être autre chose que noirceur et terreur nocturne. Alors Tony écoutait, imaginait, rêvait et s'émerveillait, véritable enfant découvrant à quel point la magie pouvait être réelle. Jusqu'à ce qu'il ne finisse par s'endormir épuisé au milieu de l'une des nombreuses histoires que le dieu avait à raconter.

Et Tony avait retenu la leçon de la fois précédente : ne pas griller les étapes. Alors quand le petit matin le trouva endormi sur le canapé et qu'il fut réveillé par les rayons du soleil, il ne perdit pas de temps et descendit au labo pour trouver Loki déjà penché sur son établi. Il le salua d'une pique, avant de l'inviter à venir voir le dernier réacteur sur lequel il travaillait la veille avant de s'écrouler de fatigue. Se coulant aisément dans leur petite routine à deux, comme s'il ne s'était rien passé. Mais ils savaient tous les deux qu'il n'en était rien, et au fond, c'était suffisant.