_réécriture de l'histoire de base de Descendants (modifications de certains éléments des films et livres).
_la Méchante Reine, Maléfique, Jafar, Cruella et d'autres ont l'apparence effrayante et le caractère qu'ils ont dans leurs dessins animés. Je ne me base généralement que sur les dessins animés Disney, pas sur les films ni sur les contes d'origine ou la mythologie, à part parfois pour des détails.
_certains personnages ont vu leur âge être légèrement modifié, parce qu'il n'y a aucune chance que tous les couples aient le même âge ou aient eu un bébé pile la même année.
_je suis adepte de la version anglaise, désolée si des désignations sont différentes de celles dont vous avez l'habitude du coup, des erreurs ont pu se glisser même si je fais attention d'aller chercher les bons termes en français.
L'histoire se centre particulièrement sur Mal et Evie.
Rien de ce qui se déroule dans cette histoire n'a vocation à être réaliste évidemment, que ce soit la survie de certains personnages, leurs états mentaux et physiques ou leur guérison et tout le reste. C'est un monde de contes de fées, après tout.
ATTENTION : Cela vaut pour toute l'histoire, et il n'y aura pas d'autre avertissement.
Seront évoqués ou abordés (jamais de manière détaillée) :
_des violences physiques et de la torture
_des violences sexuelles
_des violences psychologiques
_des troubles psychologiques résultant de traumatismes
_des pensées suicidaires
_des meurtres
_du sang et des blessures (combats ou attaques avec armes blanches)
_pas d'arme à feu mais des explosions.
Il y aura peu de choses très graphiques (sauf rares exceptions, ces scènes se passent hors champ ou sont évoquées uniquement), il n'y aura pas de surenchère, mais je préfère monter le rating pour ne choquer personne.
Le rating M est donc pour tout cela, et pas pour des scènes romantiques.
Il y aura aussi plein de moments positifs.
Résumé :
Lorsque Mal et sa bande arrivent à Auradon, ils découvrent que les continentaux sont des ignorants naïfs qui semblent vivre dans un monde d'arcs-en ciel et de gentillesse. On ne peut pas dire qu'ils constituent une menace, et tant mieux, car les quatre adolescents sont venus avec un sinistre plan en tête.
Mais libérés de la pression constante de l'Île, plongés dans un environnement sain et bienveillant, ils voient leurs traumatismes refaire surface et menacer leur futur... en seulement quelques jours.
PAVÉ DE BONNES INTENTIONS
I
Ils n'ont jamais vu le soleil
Cours, cours, petit enfant
Cours plus vite que le vent
Cache-toi, petit enfant
Cache-toi et sois méchant
Si Jafar t'attrape, il te découpera
Si Ursula t'attrape, elle t'étouffera
Si Facilier t'attrape, sûr qu'il te vendra
Si la Reine t'attrape, elle t'empoisonnera
Cours, cours, petit enfant
Cours plus vite que le vent
Cache-toi, petit enfant
Cache-toi et sois méchant
Si Crochet t'attrape, il t'embrochera
Si Maléfique t'attrape, elle te brûlera
Si Hadès t'attrape, il t'enterrera
Si Cruella t'attrape, elle t'écorchera
Cours, cours, petit enfant
Cache-toi
Sois méchant
Il était une fois une multitude de royaumes et de pays, d'époques et de cultures, de contes et de légendes... brusquement réunis en un seul monde dans une explosion incompréhensible de magie chaotique.
Des villes disparurent, des paysages furent remodelés, et tous les habitants se réveillèrent ensemble en l'an 2017.
Des êtres qui n'avaient jamais connu la technologie la découvrirent, d'autres furent émerveillés ou épouvantés par les pouvoirs de leurs voisins, tous se trouvèrent à parler la même langue.
Et tous avaient un point commun : de terribles ennemis à vaincre et à emprisonner.
Ils réussirent, ils gagnèrent la guerre.
Alors l'Âge des héros débuta et il fut temps de s'organiser.
L'union des royaumes, avec comme capitale Auradon et un Conseil aux voix multiples.
Le contrôle de la magie par de nouvelles lois, pour éviter tout nouveau conflit.
La création de l'Île de l'Oubli, pour que plus jamais les Méchants, leurs acolytes, leurs alliés et leurs soldats puissent faire de nouvelles victimes.
La paix, l'unité, le triomphe du Bien.
Aucune voix ne s'éleva contre ces décisions. Les dégâts provoqués par les Méchants étaient autant de cicatrices dans le paysage, des centaines de tombes à travers les territoires, des économies entières à redresser, des traumatismes à guérir. Il fallait que ça s'arrête.
C'était une idée parfaite, sur le papier.
Les premiers temps furent les pires.
Les fées qui surveillaient les activités sur l'Île rapportèrent les batailles, les tentatives d'évasion, les meurtres, alors même que les prisonniers n'avaient ni arme ni magie. Les chevaliers d'Auradon postés sur l'Île ne parvenaient pas à réguler la situation. L'océan recrachait les cadavres sur les côtes, quand ils n'étaient pas emportés par les courants au large. La situation devint intenable, et le continent décida de retirer ses troupes.
Les choses se stabilisèrent après quelques mois, et on s'aperçut avec effarement que certains prisonniers avaient donné naissance à des enfants, qu'ils fondaient des familles. Par peur de ce que feraient les Méchants les plus solitaires ou puissants de l'île à ces bébés nés de leurs concitoyens, il fut décidé qu'un acte ultime pour les engager sur la voie de la rédemption serait accompli.
Ainsi, quatre ans après la création de l'Île, les fées usèrent une dernière fois de leur magie pour offrir aux pires êtres des enfants portant leurs gènes, destinés à faire naître en eux les premières étincelles d'émotions qui ne feraient, ils l'espéraient, que grandir.
Maléfique, Ursula, la Méchante Reine, Jafar, Cruella, la Reine de cœur.
Six bébés, pour six nouvelles chances.
Hadès aurait pu les avertir.
L'Enfer était pavé de bonnes intentions.
O
Cours, cours, petit enfant
Cours plus vite que le vent
Cache-toi, petit enfant
Cache-toi et sois méchant
Si Jafar t'attrape, il te découpera
Si Ursula t'attrape, elle t'étouffera
Si Facilier t'attrape, sûr qu'il te vendra
Si la Reine t'attrape, elle t'empoisonnera
Cours, cours, petit enfant
Cours plus vite que le vent
Cache-toi, petit enfant
Cache-toi et sois méchant
Si Crochet t'attrape, il t'embrochera
Si Maléfique t'attrape, elle te brûlera
Si Hadès t'attrape, il t'enterrera
Si Cruella t'attrape, elle t'écorchera
Cours, cours, petit enfant
Cache-toi
Sois méchant
O
Dire que Marraine la Bonne fée était anxieuse serait l'euphémisme de la décennie.
Mais elle mentirait si elle n'avouait pas que sous la crainte se trouvait une bonne dose d'excitation.
Diriger Auradon Prep se montrait aussi barbant que ça en avait l'air. C'était un rôle noble, certes, de veiller à la bonne éducation de la prochaine génération de rois, reines et personnalités des royaumes, et comme tous les adolescents, il leur arrivait de faire des bêtises, mais on ne pouvait pas dire que le challenge se montrait à la hauteur de ses capacités.
Intégrer les enfants des Méchants, en revanche, pourrait s'avérer être le défi du siècle.
Le prince avait choisi d'inviter les bébés que Marraine avait aidé à créer, ce qui était assez ironique au demeurant mais qui l'avait immédiatement ravie. Ils n'avaient plus aucune vision sur ce qu'il se passait sur l'Île depuis longtemps et elle s'était souvent demandé ce qu'il advenait de ces enfants. Ouvrir un passage s'était montré trop risqué depuis que les prisonniers avaient réussi à se forger de nouvelles armes et à se réorganiser, ils n'avaient donc plus trop idée de comment la vie s'organisait chez les vaincus et encore moins ce que devenaient les habitants.
La voiture arriva enfin, en plein milieu de la nuit, devant le Centre de soin royal. Le petit bâtiment avait été sécurisé pour l'occasion et seuls deux médecins choisis par le roi et la reine eux-mêmes étaient présents et dans le secret.
Les Insulaires descendirent enfin de voiture, tous un peu pâles, tous clairement méfiants. Des six invités, seuls quatre s'étaient présentés devant la barrière pour retrouver les chevaliers envoyés les chercher.
Marraine ne saurait dire exactement à quoi elle s'était attendu, mais elle fut surprise de découvrir quatre jeunes gens au visage d'ange et au regard vif. Ils avaient un style... coloré et bien à eux, elle n'avait encore jamais rien vu de tel, mais en dehors de ça ils étaient des adolescents de seize ans semblables à leurs pairs.
Leurs cheveux n'étaient pas une surprise, certains avaient déjà eu cette particularité, bébés. Un effet secondaire de la magie que les fées avaient mise en œuvre pour leur donner la vie. L'une des filles avait ainsi les cheveux bleu nuit presque noirs, l'autre violet foncé. Pour les garçons, le résultat était plus subtil. La racine des cheveux du moins grand était noire puis ils passaient au blanc, et la longue chevelure d'ébène de l'autre jeune homme comportait une épaisse mèche rouge écarlate sur le côté gauche de son visage.
« Bienvenue à Auradon ! » proclama la fée, les bras levés pour appuyer sa joie. Tous eurent un petit mouvement de recul et l'observèrent avec suspicion. « Je suis Marraine. »
« Comme dans la bonne fée ? » Le ton railleur de l'adolescente aux cheveux violets accompagnait parfaitement son attitude nonchalante. « Babidiba et tout ça ? »
« Celle-là même. » Vu leur réaction à ses gestes enthousiastes, elle se força à restreindre son exubérance naturelle et baissa également sa voix. « Enchantée de vous rencontrer. »
Ils l'observèrent comme si une seconde tête venait de lui pousser à côté de la première. Leur visage étaient fermés, leurs expressions entre neutralité et dédain. Ce genre de salutations ne devait pas être la norme dans leur monde.
« Vous vous trouvez au centre de soins, nous allons nous assurer que vous êtes en bonne santé. Puis nous allons voir comment vous intégrer au cursus de l'école. Suivez-moi ! »
Chacun ne possédait qu'un sac de taille moyenne qu'ils tenaient fermement, et tous la suivirent sans protester une fois que la plus petite lui emboîta le pas. Marraine les conduisit dans le salon où les attendaient déjà Marcus et Sam.
« Je vous présente le docteur Marcus Harris, qui veillera à votre santé, ainsi que Sam Prim, qui se chargera de veiller à ce que votre intégration se passe au mieux. Asseyez-vous, je vous en prie. »
Si Marcus, un grand homme à la peau sombre et à la fine barbe, âgé d'une cinquantaine d'années, et Sam, une quarantenaire blonde aux grands yeux bleus, la suivirent sur les canapés et les fauteuils, ce ne fut pas le cas des quatre jeunes qui restèrent debout face à eux.
Marraine avait vécu bien des siècles, avait vu des guerres et des miracles, des royaumes naître et mourir. Elle n'avait pas besoin de lire leurs esprits. La façon dont ils se tenaient à distance d'eux et leur position qui leur permettait de voir la porte et la fenêtre parlaient pour eux.
Ces gamins étaient anxieux malgré les faux airs avenants qu'ils se donnaient, aussi Marraine décida d'être la plus prévisible et explicite possible.
« Faites comme il vous conviendra. Nous allons discuter un peu, puis nous mangerons un repas avant que vous n'alliez vous coucher pour la nuit. »
« Discutons, dans ce cas, » approuva la plus bavarde en croisant les bras, comme si elle s'apprêtait à entamer des négociations pour un traité de paix.
Marraine lui sourit.
« Nous aimerions beaucoup savoir vos noms, ce serait un bon début. »
« Maléfique. »
Le froid qu'elle jeta l'amusa visiblement, un petit rictus leva le coin de ses lèvres quand elle précisa :
« Mais on m'appelle Mal. »
Ainsi cette petite aux cheveux violets et aux yeux verts était la fille de la fée la plus noire qui ait existé. Elle avait l'air tellement fragile, ses gènes humains avaient dû prendre le pas sur le patrimoine génétique de sa mère.
« Evelyn, » se présenta la jeune fille à la tresse bleu sombre avec un sourire pétillant, avant de préciser rapidement : « Evie. »
« Jay. »
« Carlos. »
Elle n'eut pas besoin de leur demander le nom de leurs parents. La couleur de peau de Jay et les cheveux de Carlos étaient parlants, et si Mal était la fille de Maléfique, Evie ne pouvait être que celle de la Méchante Reine – Marraine se souvenait très bien que la fille d'Ursula avait la peau sombre en raison du matériel génétique humain utilisé lors du sort pour lui donner la vie, et le sixième était un garçon.
« Comment vous vous sentez depuis que vous avez passé la barrière ? »
« C'est... différent, » répondit laconiquement Jay en haussant les épaules. « Il y a plus d'air. Et ça sent bizarre. »
« C'est parce que ça sent pas la pourriture et la moisissure, idiot. »
« Carlos, ce genre de vocabulaire n'est pas le plus approprié lorsqu'on s'adresse à un camarade. Mais je voulais surtout parler d'un point de vue médical. Pas de maux de tête, de vertige ? Les filles, l'on m'a dit que vous aviez réagi vivement lors du passage. »
« On va bien. »
Puisqu'elles tenaient debout, Marraine ne les contredit pas. Elle se doutait que si les filles de Maléfique et de la Méchante Reine avaient été submergées lorsqu'elles avaient quitté la bulle de confinement, c'était sans doute en raison de l'éveil de la magie dans leur sang. Ce n'était pas une bonne nouvelle, il allait falloir qu'elle inclut cela dans ses prévisions.
« Vous ne voulez vraiment pas vous asseoir ? »
Elle vit Carlos jeter un œil au canapé moelleux, mais il ne bougea pas, tourna presque imperceptiblement la tête vers Mal. Puis soudain les quatre ados s'installèrent, Evie entre Carlos et Mal sur le canapé en face de Marraine et Sam, Jay sur le fauteuil en face du docteur Harris.
Seule Evie avait le port d'une jeune fille distinguée, les autres s'avachirent de façon tout à fait désordonnée et incorrecte.
« Vous alliez à l'école sur l'Île ? » demanda curieusement Marcus.
Les jeunes retinrent à peine leur rire.
« Il n'y a pas d'école sur l'Île, mec, » informa Jay avec un sourire amusé. « Tout ce qu'on sait, ce sont les vieux qui nous l'ont appris, ou l'Île. »
« Je vois. »
« Vous vous connaissiez avant de venir ici, » observa Sam.
Mal haussa un sourcil.
« C'est une question ? »
« Comment vous êtes-vous rencontrés ? »
« L'Île n'est pas vraiment un grand pays, » répondit-elle avec un petit rictus. « Il n'y a qu'une seule cité. »
« En tout cas nous sommes heureux que vous ayez accepté notre invitation, » offrit Marraine. « Ce projet du Prince Ben lui tient à cœur. »
Un petit son amusé s'éleva de la gorge de Mal.
« J'imagine que ça a beaucoup plu. »
« Un peu rebelle, le fils prodigue, non ? » lança Jay.
« Il est admirablement progressiste. Vous le rencontrerez rapidement. »
Une expression rêveuse s'invita sur le visage d'Evie qui sourit.
« Ce sera un honneur pour nous. »
« S'il n'y a pas d'école sur l'Île, » commença Marraine lentement, car cette révélation était perturbante en soi, « pourrais-je vous demander où en sont vos apprentissages académiques ? »
« Académiques ? » répéta lentement Jay dans un murmure.
Il gouttait clairement ce mot pour la première fois.
« Nous savons lire, écrire et compter, » informa froidement Mal avant que sa voix reprenne un ton plus poli, mais il sonnait sans doute plus forcé qu'elle ne l'aurait aimé, « et nous avons des notions dans d'autres domaines, mais tout ce qui n'est pas essentiel à la vie de tous les jours n'est pas un sujet d'étude intéressant sur l'Île. »
« Je vois. »
« Le dîner doit être prêt, » informa Sam avec un sourire.
« Parfait ! Allons-y ! »
Les enfants les regardèrent avec prudence et se levèrent rapidement à leur suite, tendus, gardant leurs distances. Ils les suivirent dans le couloir puis dans la cuisine où le couvert avait été dressé.
« Est-ce que vous avez faim ? » demanda doucement Harris alors qu'ils entraient dans la pièce.
Il avait demandé à ce qu'un cuisinier leur prépare un simple plat de pommes de terre sautées mélangées avec quelques légumes et un peu de sauce. Rien de trop riche ni trop exotique ou épicé. Il s'approcha de la table immédiatement pour remplir les assiettes, faisant en sorte que celles des adolescents comportent une part normale pour un jeune adulte.
Ils lui retournèrent un regard étrange suite à sa question et après quelques secondes de flottement qui auraient pu mal finir, Evie sourit joliment.
« Oui, merci. »
Bien que la jeune fille demeurait lumineuse, sa voix semblait comme bloquée quelque part dans sa gorge.
Suivant leur exemple, les adolescents s'installèrent face aux assiettes mais, alors que les adultes commençaient à manger, eux se contentèrent d'observer la nourriture avec un mélange d'émotions étrange. Marraine avait pris place en tête de table, avec Marcus et Sam près d'elle puis Jay et Mal et enfin Evie et Carlos.
Après quelques secondes, Jay tourna son corps vers eux et leur offrit un petit sourire charmant.
« Je n'ai pas bien compris cette histoire d'école, je dois dire. Est-ce qu'on devra y rester tous les jours ? »
« Oh, eh bien, » commença Marraine avec enthousiasme, ravie que l'un d'eux se montre enfin plus ouvert et intéressé, « Auradon Prep se concentre sur les quatre dernières années de scolarité avant le diplôme. C'est un établissement sélectif, moins de deux cents élèves y étudient. Tous dorment sur place du lundi au vendredi, mais certains élèves rentrent chez eux le week-end lorsque la distance entre le domicile de leurs parents et l'école le permet. Ceux qui restent sur place peuvent participer à une pluralité d'activités. »
« Donc on va dormir dans l'école ? » interrogea Carlos en fronçant les sourcils.
« Oui, vous aurez des chambres sur place, comme les autres élèves. »
Il hocha la tête puis se concentra sur son assiette. Tous se mirent enfin à manger avec appétit. Cela faisait bien longtemps que Marraine n'avait pas vu quelqu'un avaler si rapidement un repas. Elle échangea un regard avec Marcus qui terminait, son attention discrètement tournée vers les jeunes.
« Demain matin, nous discuterons un peu plus et verrons quel programme nous allons mettre en place pour vos cours. Vous ne pourrez pas suivre tous les enseignements comme les autres élèves, nous allons adapter vos journées pour que vous vous plaisiez au mieux à Auradon. Sam sera là pour ça. »
L'un des chefs cuisiniers de l'école, qui avait accepté de se déplacer pour l'occasion, arriva avec un plat en mains. Alexis était grand et mince, près de la retraite et toujours d'humeur égale. Il était tenu au secret de part sa fonction et resterait neutre face aux Insulaires, Marraine avait entièrement confiance en lui.
« Prêts pour la suite ? » demanda-t-il en s'arrêtant près d'eux.
« Oh, oui, merci beaucoup, c'était délicieux. Les enfants, voici Alexis, qui nous a préparé notre repas. Alexis, voici Mal, Evie, Carlos et Jay. »
« Bonsoir, » salua le grand homme fin avec un hochement de tête alors que les jeunes le dévisageaient prudemment. « Voici le dessert, une tarte aux myrtilles. »
« Parfait, » sourit Sam. « Merci. »
Alors qu'Alexis déposait sa création et retirait leurs assiettes vides pour leur donner les assiettes à dessert, Marraine observa les adolescents échanger des regards étranges en silence. Tous restaient distants mais aussi plus curieux qu'anxieux à cet instant. Un effet de la nourriture, peut-être. L'Île ne recevait que peu de variété (légumes, pommes de terre, conserves, pain, céréales, lait en poudre pour les bébés).
Lorsque Sam tendit le bras pour prendre l'assiette de Mal, la jeune fille plaqua son dos contre sa chaise brusquement. Ça tenait plus du réflexe que de l'intention, et Sam figea immédiatement son geste et lui fit un petit sourire.
« Je vais te servir, » offrit-elle, avant de reprendre son mouvement plus doucement.
Les jeunes se détendirent et l'étrange tension fut brisée aussitôt par Marcus.
« Les tartes d'Alexis sont toujours délicieuses. Vous aurez l'occasion d'en goûter d'autres à Auradon Prep. »
Une fois servis, les adolescents regardèrent leurs parts quelques secondes, jouant avec pour les observer plus attentivement avant de se mettre à manger. S'ils restaient difficiles à lire et silencieux depuis le début du repas, leur appréciation du dessert ne fit absolument aucun doute. L'expression sur leurs visages brisa un peu le cœur de Marraine. Jane avait eu la même lorsque, toute petite, elle avait goûté pour la première fois une barre de chocolat.
Carlos jetait des coups d'œil gourmands vers les parts restantes, et Sam les invita à se resservir et vider le plat. Il ne resta rien au bout de quelques minutes supplémentaires.
Puisque les quatre jeunes ne semblaient pas être d'humeur sociable, Marraine leur demanda de la suivre. Ils récupérèrent leurs sacs et elle leur montra les deux chambres qui avaient été préparées à leur attention.
« Il n'y a que vous dans le bâtiment. Marcus et Sam resteront également ce soir. Vous pouvez vous servir des salles de bains, des affaires ont été laissées pour vous. »
Ils jetèrent un œil aux chambres depuis le couloir, et elle leur sourit.
« Je vais vous laisser aller vous coucher. On se retrouvera demain matin. Encore une fois, bienvenue à Auradon ! »
O
Une fois la fée partie, Carlos et les autres entrèrent tous dans la même chambre. Il ferma rapidement la porte derrière eux et soupira doucement, essayant de se détendre un peu.
Personne ne les avait enfermés, personne ne les avait attaqués, ni même ne leur avait crié dessus... C'était inédit.
La chambre se composait de deux lits une place, deux tables de chevet et un bureau. Il y avait des coussins, des couettes, du chauffage, et le plafonnier ne clignotait pas. Quant à la salle de bains, quoique un peu étroite, elle était propre et toute équipée.
Jay siffla.
« Ça change. »
« Ça change ? » répéta Carlos. « Est-ce qu'on peut parler de la nourriture ? Parce que j'ai aucune idée de ce qu'il y avait avec les patates, mais bordel, c'était le meilleur truc que j'ai mangé dans toute ma vie ! »
« Je crois que c'était simplement des légumes, » sourit Evie en s'asseyant sur un lit. « Et la tarte aux... myrtilles ? Ça, c'était la meilleure chose. »
« Ouais, » railla Mal. « Leur nourriture n'est pas pourrie, la peinture ne se décroche pas des murs, le bâtiment est entier et ne va pas s'écrouler, les lits ne sont pas branlants et il fait sec. C'est Auradon, les gars. Ne vous ramollissez pas ! Bien sûr que ces enfoirés ont la belle vie et nous le reste. Cette foutue fée m'écœure. »
Carlos échangea un regard amusé avec Evie. Il comprenait pourquoi il était là, lui aussi était nerveux, mais ça ne voulait pas dire qu'il ne prenait pas un plaisir infini à avoir l'estomac plus que plein pour la première fois de sa vie. Mais entendre Mal râler lui faisait du bien, c'était familier et rassurant.
« Personnellement je suis fière de vous, » compléta Evie, une lueur espiègle dans les yeux. « Votre utilisation de vos couverts était à peine hésitante. »
« Oh ? » remarqua Jay en ouvrant la fenêtre. « Tu crois qu'ils n'ont pas remarqué qu'on a plus souvent mangé avec les doigts qu'avec des fourchettes ? »
« Qu'est-ce que tu fous ? »
« Mal, c'est pas fermé. Rien n'est fermé, » remarqua-t-il, une jambe déjà dehors. « Je sors. »
« Tu ne vas nulle part ! On doit jouer le jeu, ne pas se faire remarquer ! »
« Ils n'ont jamais dit qu'on n'avait pas le droit de sortir. »
« On est au premier étage, je pense pas qu'ils ont un instant songé qu'on pourrait sortir par là. »
Oh, Carlos connaissait la lueur qui faisait briller les yeux de l'autre garçon.
« Ils n'ont pas verrouillé la porte non plus, d'une, et de deux... si personne ne sait ce qu'on fait, on ne brise aucune règle. Pas vus, pas pris. »
Il disparut. Evie échangea un regard avec Carlos et tous les deux se tournèrent vers Mal, avides d'aller voir ce qu'il y avait dehors.
« En route, » soupira celle-ci en levant les yeux au ciel face à leur curiosité, mais le petit rictus qui soulevait le coin droit de ses lèvres la trahissait.
O
Lorsque Sam avait reçu un appel de Marraine la Bonne fée en personne, elle avait failli tomber de sa chaise. Lorsqu'elle lui avait expliqué le pourquoi de son appel, elle avait failli s'étouffer avec son café.
Bien sûr qu'elle avait accepté, elle aurait sauté dans sa voiture à la minute même pour quitter Charmington et rejoindre Auradon si la fée le lui avait demandé.
L'occasion de travailler avec les royaux ? De rencontrer les premiers habitants de l'Île remettant le pied sur le continent ? Les premiers avec lesquels ils avaient un contact depuis trop longtemps ? Et en plus non seulement des enfants, mais ceux des pires cauchemars que cette Terre portait ?
Il aurait fallu être fou pour refuser !
La réputation professionnelle de Sam n'était plus à faire et dépassait les frontières, et les mineurs étaient sa spécialité. Elle s'était attendue à travailler avec de jeunes rebelles, peut-être révoltés, insultants et violents. Elle n'avait eu que très peu d'informations sur ces gamins, même pas leurs noms, et toutes les données sur l'Île qu'elle avait eu le droit de consulter se montraient obsolètes au mieux, possiblement erronées au pire.
Le jeune prince les avait balancés en eaux troubles, c'était le moins qu'elle pouvait dire.
Deux heures à observer ces enfants, et elle pouvait déjà constater que les choses seraient bien, bien plus compliquées que ce que les royaux et la fée avaient pu imaginer.
Elle sentit Marcus arriver dans son dos. Il posa une tasse de café sur le bureau près d'elle et jeta un œil aux écrans. Le centre possédait des caméras de surveillance dans les salles communes et à l'extérieur, et les quatre adolescents venaient de sortir dans le jardin. Ils n'avaient pas le son avec l'image mais ça suffisait à garder un œil sur eux.
« J'aurais dû les croiser dans le couloir, » s'étonna Harris.
« Ils sont passés par la fenêtre. »
« Comment ils ont fait ? »
Avec un haussement d'épaules, Sam observa Jay avancer sur l'herbe. Il se baissa et elle fronça les sourcils en le voyant toucher le sol prudemment. Derrière lui, Evie avait retiré ses chaussures et avançait doucement tandis que Carlos s'était approché d'un chêne. Il faisait nuit, leurs expressions étaient difficiles à percevoir, mais Sam n'en avait pas besoin pour comprendre ce qu'il se passait.
« Par Merlin, » souffla l'homme près d'elle en se penchant pour mieux voir l'écran. « Ces gamins n'avaient jamais vu d'herbe de leur vie... »
Ni d'arbre ni de fleur apparemment. Et leur excitation alors qu'ils levaient la tête serra le ventre de Sam.
« La barrière doit empêcher de bien voir les étoiles. »
« Même si ce n'était pas le cas, il y a toujours d'épais nuages gris au-dessus de l'île, » corrigea son collègue. « J'en ai tenu compte dans mes remarques préliminaires, pour demain matin. »
« Tu veux dire qu'ils n'ont jamais vu le soleil non plus ? »
« Oui. Il leur faudra un temps d'adaptation, mais je ne suis pas trop inquiet pour leurs yeux. C'est peut-être à cause des nuages qu'il n'y a pas de végétation sur l'île. »
« Rien ne l'indiquait dans les dossiers. Sur la carte que j'ai vu, il y avait une forêt et des plantations. »
« Au début. Tout est mort dans les premières années d'après ce qu'on m'a dit. »
Elle se tourna vers lui, se força à arracher son regard de ces adolescents découvrant le monde pour la première fois.
« Mort ? Comment c'est possible ? »
« Je n'ai pas eu de réponse. Je ne suis pas certain qu'ils en aient. »
« Leur réaction à table, face à la nourriture... »
« Ils sont tous trop maigres, » confirma Harris. « Trop pâles. Ils sont mal nourris. »
« Il y a deux livraisons par semaine pourtant. »
« Va savoir comment sont partagées les ressources sur l'Île sans la supervision des chevaliers d'Auradon. Et personne n'a une idée de la démographie actuelle. Ils n'ont pas amené beaucoup d'affaires non plus. »
« Tu as noté leurs réactions ? »
« Tu veux dire la façon dont ils surveillaient le moindre de nos gestes ? C'est plutôt ton domaine, mais oui. On prévient Marraine pour leur sortie ? »
« Non, on lui dira demain. Tant qu'ils ne font qu'explorer les environs et assouvir leur curiosité, c'est inutile de leur tomber dessus, ça créerait un conflit et du stress pour pas grand-chose. »
« Ils doivent être habitués à briser les règles, ou peut-être à ne pas en avoir. »
« Peut-être, oui. Tu peux aller te coucher. Je vais les surveiller pour m'assurer qu'ils ne s'éloignent pas et qu'ils rentrent bien. »
« Bien. À demain. »
Elle le salua, but une gorgée de café et activa un second moniteur.
Les images des dernières heures repassèrent plusieurs fois en accéléré, mais Sam cherchait quelque chose de précis. Dans le salon, les jeunes avaient refusé de s'asseoir. Puis tous les quatre avaient obtempéré comme un seul homme. Et il s'était passé la même chose au début du repas. Alors si Sam ne se trompait pas...
Là. C'était juste là. Elle repassa plusieurs fois les images au ralenti... Oui, c'était bien ça. Mal avait croisé les bras juste avant qu'ils n'aillent s'asseoir, et son index et son majeur de la main droite étaient tendus, les autres doigts fermés. Un signal. Un accord.
Sam mit plus de temps à comprendre pour le repas. Puis elle remarqua que Jay avait tourné son corps vers eux pour leur parler, pour montrer un intérêt soudain et étrange pour l'école. C'était une distraction... Mais pourquoi ? Il cachait Evie, et la caméra n'avait pas le bon angle. C'était subtil, mais Carlos et Mal portaient sans en avoir l'air une certaine attention à la jeune fille à cet instant. Puis une minute plus tard, la fille de Maléfique s'appuyait sur la table, et Sam regarda sa main droite... Le même signe que plus tôt, et tous les quatre se mirent à manger.
Elle l'avait noté dès les premières minutes. C'était dans leur manière de se tenir, légèrement derrière Mal, mais toujours près d'elle. Dans la voix de la jeune fille, où se dissimulaient à peine autorité et arrogance. Il y avait une dynamique hiérarchique entre eux, plus que dans d'autres groupes d'adolescents. Et la plupart des ados n'avait pas un langage silencieux aussi développé.
Quant à leurs réactions aux autres...
Une seconde ils rencontraient sans soucis leurs regards, la seconde d'après ils baissaient les yeux et se tendaient. Les sursauts face aux mouvements des inconnus autour d'eux et la façon dont certains d'entre eux avaient saisi leur couteau lorsqu'elle avait tendu le bras trop brusquement devant Mal lui indiquaient que la violence avait fait partie de leur environnement.
Sam n'avait pas besoin de toutes ses années de pratique pour s'inquiéter de ce genre de réactions, même s'il était rare d'en entendre parler dans les royaumes depuis vingt ans.
Et au-delà de ça, contrairement à ses collègues qui trouvaient leurs invités plutôt polis et bien disposés au vu des circonstances, Sam avait décelé une autre chose.
Ces gosses les détestaient.
Guère étonnant, ils s'y étaient même plutôt attendu. Aussi ce qui l'intéressait davantage c'était qu'ils se montraient résolus à cacher cette rancœur, ou du moins à l'atténuer.
Peut-être avaient-ils simplement peur d'être renvoyés sur l'Île. Peut-être.
Sam Prim n'aurait raté ça pour rien au monde, définitivement.
O
Le soleil les avait réveillés. Une telle luminosité restait inédite pour eux, alors tous s'étaient redressés curieusement avec l'aube.
Une fois la surprise passée, Jay s'était rallongé, poussant un peu Carlos pour avoir plus de place. La veille ils avaient décidé de rester ensemble pour parer à tout, mais tous avaient eu envie de profiter des lits. Ils avaient donc partagé, ce qu'ils ne faisaient jamais d'ordinaire. Au repaire ils avaient seulement deux matelas simples, fins et usés. Lorsqu'ils étaient tous présents deux d'entre eux dormaient par terre, chacun à leur tour. Dormir tout près d'une autre personne ne les mettait pas à l'aise. En cas de menace, ils auraient fait des cibles faciles.
Cette nuit-là pourtant, ils en avaient eu besoin.
Avec un soupir, Mal se leva doucement pour ne pas trop déranger Evie même si elle savait que l'autre fille ne dormait pas, et alla attraper son sac avant de filer dans la salle de bains. L'idée de prendre une douche lui plaisait beaucoup après la journée de la veille et elle savait qu'elle devrait être bien éveillée pour les heures à venir.
Différents produits avaient été laissés à leur attention sur le lavabo et Mal les découvrit avec méfiance. Bien qu'ils avaient des savons et que certains habitants de l'île réussissaient à créer des shampoings, ils n'avaient rien à voir avec ceux-ci. Le gel à l'odeur fruité laissa ses cheveux souples, parfumés et doux... Evie allait adorer ça. Sans parler de l'eau apparemment inépuisable dont ils pouvaient régler la température à loisir et qui restait si claire.
Elle se sécha et s'habilla rapidement avant de repasser dans la chambre, soulagée qu'ils aient eu l'idée de laver tous leurs vêtements juste avant de venir. Il aurait été quelque peu humiliant qu'ils sentent dans ce monde si immaculé, coloré et propre.
« Hey, » lui souffla Carlos encore à moitié assoupi en passant devant elle pour aller s'enfermer dans la salle de bains à son tour.
Jay était toujours étalé sur le ventre sur le lit, les yeux fermés, alors qu'Evie se tenait debout et regardait par la fenêtre sans bouger.
« Des choses intéressantes ? » demanda Mal doucement en s'asseyant pour enfiler ses bottes.
« Du soleil et des fleurs, des oiseaux qui chantent,... »
Des oiseaux. Mal leva les yeux au ciel. L'amertume sombre dans la voix d'Evie n'était pas étonnante. Seulement quelques heures à Auradon et ils en avaient déjà vu assez pour haïr ses habitants pour plusieurs vies.
Avec un soupir, Mal se frotta les mains l'une contre l'autre. Malgré son passage par la douche elle avait l'impression que tout son corps la démangeait, comme si la magie dans ses veines essayait de sortir par les pores de sa peau. La sensation n'était pas très agréable.
« Jay, tu comptes rester là toute la journée ? »
« Ce lit est tellement confortable, putain... » marmonna le jeune homme. « Surtout sans Carlos. »
Mal savait que les garçons n'avaient jamais eu de lit. Et les lits et les draps de l'Île n'avaient absolument rien à voir avec ceux du coin, alors elle le laissa en profiter le plus longtemps possible.
Néanmoins ils étaient tous douchés et prêts lorsqu'on toqua à la porte de la pièce. Tous sautèrent sur leurs pieds aussitôt et Mal leva une main pour les calmer avant d'aller entrouvrir.
Bien sûr que c'était cette stupide fée. Elle ouvrit plus grand – il n'y avait pas de raison pour qu'elle soit la seule à devoir la supporter de si bon matin.
« Bonjour ! » cria Marraine en levant les mains avec son enthousiasme écœurant – et cette fois-ci Mal ne recula pas comme une idiote. « Ah, vous êtes tous là, » remarqua-t-elle en leur jetant un œil ainsi qu'aux lits mais elle ne fit aucune remarque sur leur utilisation d'une chambre sur deux. « Vous êtes prêts pour le petit-déjeuner ? »
« Le... ? » interrogea Jay lentement, confus.
« Petit-déjeuner, » répéta Marraine avec un sourire plus petit, une ombre étrange dans les yeux.
« Oui, on est prêts, » répondit rapidement Mal en imitant l'expression joyeuse qu'avait souvent la fée. « Après vous ! »
« Parfait ! »
L'adulte se mit en chemin et Mal se retourna vers son équipe pour lever les yeux au ciel. La journée allait être longue, et elle comptait sur eux pour l'empêcher de tuer quelqu'un. Carlos émit un petit son amusé avant de la suivre dans le couloir.
Aucun d'entre eux ne savait ce qu'était un petit-déjeuner. Un déjeuner, d'accord, c'était censé être le repas. Mais un petit ?
Ils arrivèrent dans la cuisine pour voir que la table était dressée et Mal faillit se figer de choc. Un repas. Au saut du lit. Un petit repas ? Du coin de l'œil, elle vit la bouche ouverte de Jay et Carlos qui semblait prêt à exploser d'excitation.
Après ce qu'ils avaient mangé la veille ils ne s'attendaient pas à être nourris avant au moins le soir, et Mal ne s'était jamais réveillée aussi rassasiée. Mais aucun d'entre eux n'allait refuser l'occasion de manger à nouveau.
Ils s'installèrent autour de la table et cette fois-ci aucun adulte ne se joignit à eux. Marraine leur indiqua de prendre leur temps et de la rejoindre dans le salon quand ils auraient terminé, à la plus grande joie de Mal.
Une fois certain que la fée était partie, Jay haussa un sourcil.
« Les continentaux sont vraiment stupides. »
« Si on se retrouve sans surveillance tout le temps, les choses pourraient devenir intéressantes, » sourit Carlos.
« Vous voulez que je teste les aliments une nouvelle fois ? »
« Laisse tomber, E. Je doute fort qu'ils nous empoisonnent ou nous droguent. »
« Je crois que c'est du café, » s'avança Jay en reniflant le contenu d'un thermos. « Mais c'est différent. »
« Et ça c'est quoi ? » interrogea Carlos en inspectant le second thermos qui contenait un liquide plus épais et marron. « Ça sent bon. »
Il y avait aussi trois jus de fruits différents (trois !), des tranches de pain chaud (crétins d'Auradoniens !), de la gelée fruitée étrange (ça n'avait pas l'air moisi pourtant), une brique beige et grasse (Carlos pensait que c'était du beurre – il avait souvent croisé cet aliment dans ses lectures), des petits pots individuels en verre contenant quelque chose de blanc et de drôles de galettes rondes et molles. Cela n'avait rien à voir avec ce qu'ils avaient mangé la veille, même la vaisselle n'était pas la même.
« Okay, » souffla Mal en faisant un geste de la main vers la nourriture, « eh bien, bon appétit ! Encore. »
Et de ce côté-là, ils n'eurent aucun problème. Carlos tomba amoureux de la boisson marron, Mal de la confiture aux fraises (c'était marqué sur le pot), Jay des galettes rondes et Evie de la gelée de myrtilles.
« Je ne sais pas à quoi ressemblent des fraises, mais je maudirais des royaumes entiers pour en avoir tous les jours ! »
« Des petits fruits rouges, » informa Carlos. « Quoi ? Y avait des photos dans l'encyclopédie qu'on a au repaire. »
« Bon, va falloir qu'on aille au salon, » soupira Jay alors qu'il s'essuyait les doigts. « Comment tu veux la jouer ? »
« Comme on l'a prévu, » répondit Mal en se levant. « Pas la peine de s'empêtrer dans des mensonges, et vu que la violence et l'intimidation ne doivent pas être des habitudes auradoniennes, on va essayer de rester calmes. »
« Et polis ? »
« Calmes, c'est déjà pas mal, Carlos. »
Il sourit avec malice et haussa les épaules.
« Compris. »
Lorsqu'ils arrivèrent dans le salon les trois adultes de la veille les invitèrent à prendre place autour d'une table ronde. Mal dut se faire violence pour ne pas faire une remarque qui serait sans doute perçue comme mal placée et elle put sentir Jay retenir un rire près d'elle, comme s'il avait pu lire ses pensées.
Le doc s'éclaircit la voix.
« Pour commencer, j'aimerais savoir si vous me laisseriez vous examiner. »
« Examiner ? » interrogea Jay, immédiatement tendu.
Mal plissa les yeux et se redressa.
« Non, » répondit-elle froidement, car il était hors de question qu'elle laisse qui que ce soit s'approcher de ses lieutenants pour leur faire elle ne savait quoi. « C'est hors de question. »
Elle ne tenait pas non plus à ce qu'ils deviennent des objets de curiosité ou d'expérience. Si les encyclopédies disaient vrai, la vie à Auradon n'avait rien à voir avec la vie qu'ils avaient connue mais elle n'avait aucune idée de ce qu'il entendait par examen, et il était absolument hors de question qu'ils risquent leur vie bêtement ainsi.
« Très bien, » concéda Harris en levant une main. « Vous n'y êtes pas obligés. Sachez juste que je serai votre médecin, ça veut dire que si un jour vous êtes malade, ou si vous avez des questions ou des ennuis d'ordre médical, vous pourrez demander à tout moment à me voir. »
L'idée même d'aller voir un inconnu pour lui faire part d'une faiblesse lui paraissait tellement ahurissante qu'elle ne trouva même pas de mot pour répondre à ça. Heureusement Evie prit le relais et le remercia avec son sourire innocent et ses yeux miel et ce ton adorable qui lui avaient probablement été inculqués avant même qu'elle sache marcher, et Mal se recomposa.
« Pour préparer au mieux vos emplois du temps, il nous serait utile de connaître vos centres d'intérêt, » commença la fée sans se départir de son foutu sourire. « Que faisiez-vous lors de votre temps libre ? »
L'idée qu'on lui dise quoi faire de ses journées éveillait une rage au fond d'elle, et Mal sentit sa magie tourner et tourner, le dragon en elle grogner. Elle eut un fin sourire qu'elle espéra pas trop cynique alors qu'elle répondait posément.
« On passait beaucoup de temps à l'extérieur. Des activités en groupe, vous voyez. »
Carlos se gratta la nuque pour lui signaler qu'il s'amusait et elle croisa les bras alors que le visage de son interlocutrice s'illuminait.
« Merveilleux ! De quel genre ? »
« Oh, vous savez, des complots, des conspirations, des plans machiavéliques à mettre en place,... La base. »
Bon, elle put sentir la désapprobation d'Evie. Mais franchement elle ne pouvait pas s'en empêcher ! Jusqu'où pouvait aller l'hypocrisie de ces crétins, sérieusement ?
« Quelques succès ? »
Sam Prim. Des trois, Mal se méfiait d'elle le plus. Parce qu'elle était silencieuse, calme, posée, avenante, et que ces interventions avaient toujours l'air anodines. Mal avait passé des années près d'Evie, elle connaissait les masques, elle savait se méfier de ce qui paraissait inoffensif au premier abord.
Mais s'ils voulaient jouer, alors elle était partante. Elle ne reculait jamais devant un défi.
Elle haussa les épaules.
« Je ne me plains pas, » offrit-elle tranquillement. « J'ai une bonne équipe, et j'ai eu de bons maîtres. »
« Malheureusement j'ai bien peur qu'Auradon Prep n'offre pas de cours de complot, » nota Marraine sans se départir de son écœurante joie de vivre, aucunement déstabilisée.
« Carlos adore l'électronique, » offrit finalement Mal, parce qu'après tout ils ne seraient pas là longtemps alors autant qu'ils profitent de l'expérience.
Le garçon sursauta et tourna la tête vers elle, les yeux écarquillés d'être ainsi propulsé sous les projecteurs alors que les adultes tournaient la tête vers lui.
« Oh vraiment ? »
Il se ratatina un peu sur lui même, les yeux baissés. Bon sang, ils avaient eu beau le soustraire totalement à sa vie chez Cruella, il se montrait encore parfois nerveux quand l'attention se portait sur lui.
« Oui, » répondit-il finalement. Mal le fusilla du regard et il obéit à son ordre silencieux. « Les ordinateurs, la programmation, la robotique, la mécanique aussi, tout ça. Sur l'Île on a seulement de vieux appareils et des pièces détachés, et on avait pas internet alors... c'était limité. »
« Oh oui, certainement. Mais l'école possède un labo et un atelier, je pense que tu apprécieras y passer du temps. Tu pourras suivre les cours du Professeur Jack également. »
Super, Mal allait devoir se souvenir de garder un œil sur lui pour être certaine qu'il ne fabrique pas un explosif ou une autre invention délirante.
« Et toi, Jay ? A quoi t'intéresses-tu ? »
Le sourire goguenard poussa Mal à lui jeter un regard en coin pour le dissuader de parler de vol ou de collectionner les conquêtes féminines, et il haussa les épaules.
« J'aime bouger. Courir. »
« Oh, c'est parfait, Auradon propose tout un tas d'activités physiques pour les garçons, les Tournois, l'équitation, l'escrime, les duels,... »
« Excusez-moi, » intervint Mal en se redressant une nouvelle fois, « pour les garçons ? »
« Oh, oui, » répondit Marraine, surprise de l'interruption. Elle semblait un peu mal à l'aise mais Mal ne fit aucun effort pour contenir son irritation cette fois. « Ces activités ne sont pas adaptées aux jeunes filles. »
Carlos avait l'air stupéfait, Evie resta impassible et Jay toussota pour faire maladroitement passer son envie de rire. Mal, elle, sentait sa magie chauffer sous sa peau.
« Alors les filles ont des activités où elles se tressent les cheveux et s'entraînent à attendre un prince charmant en chantant au milieu des bois ? »
Prim ne retint même pas son amusement malgré le regard que lui lança Marraine et elle leva les mains en signe d'excuse.
« Navrée, » souffla-t-elle, même s'il était clair qu'elle ne l'était pas – sans doute était-elle plutôt d'accord avec l'indignation de Mal.
Cela signifiait peut-être que ces séparations sexistes ridicules n'étaient pas la norme partout, ou que des continentaux aspiraient au changement.
« Auradon Prep forme les futurs rois et reines, conseillers et grands noms de ce monde. Il y a des traditions à respecter. »
Mal avait tellement envie de croiser le regard d'Evie pour connaître ses vraies pensées sur ce détail, mais Marraine lui demandait justement ce qui l'intéressait. Et alors qu'elle répondait avec sincérité mais un enthousiasme entièrement feint qu'elle adorait la mode, le stylisme et le maquillage, ce fut au tour de Mal de se retenir de rire. Parce que cette fille avait été dressée pour ce genre de situations, pour se fondre dans ces sociétés sexistes et les faire imploser, et Auradon semblait vouloir leur laisser un maximum de liberté, ils n'avaient même pas été fouillés, avaient toujours leurs armes sur eux, et bordel ce serait peut-être la mission la plus simple qu'ils avaient eue à remplir jusque-là !
« Et toi, Mal ? »
Partager avec ces idiots ce qu'elle considérait comme personnel lui hérissait les poils mais pour qu'ils restent libres, ils devaient jouer le jeu.
« Je dessine. Et je tague. De préférence là où je ne suis pas censée le faire. »
« Tu devras te contenter des endroits autorisés, j'en ai bien peur, mais je pense qu'on pourra arranger quelque chose. »
« Merveilleux, » répondit Mal, mielleuse.
« Nous avons plusieurs tests écrits à vous proposer, pour plusieurs matières. »
« Des tests ? » demanda Jay en fronçant le nez.
« C'est simplement pour avoir une idée du niveau de chacun d'entre vous. »
Mal plissa les yeux, chercha la menace dans leurs mots, leur attitude. Il y avait toujours un revers, des conditions cachées, et elle ne savait pas en quoi consistaient ceux d'Auradon et surtout quelles conséquences leur tomberaient dessus le moment venu.
« Que se passera-t-il si on échoue ? »
« Il n'est pas question d'échec ni de réussite ! » corrigea Marraine, les yeux brillant de surprise. « Peu importe les résultats, ils serviront simplement à trouver les cours dans lesquels vous vous intégrerez au mieux. »
Mal n'aimait pas ça. Du tout. Mais ils n'avaient pas vraiment le choix, pas vrai ?
Ce n'était pas comme si leur vie leur laissait le moindre choix.
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« Que disent les tests ? » demanda curieusement Sam en s'approchant de Marraine lorsqu'elle revint au Centre.
Les jeunes profitaient de l'extérieur, les lunettes de soleil que leur avait données Harris sur le nez. Ils avaient du mal à se faire à la luminosité et le médecin leur avait conseillé de garder leurs manches longues malgré la température. Ça n'avait pas été compliqué, les adolescents semblaient très attachés à leurs vestes en cuir. Il fallait bien avouer qu'elles étaient très chouettes. Ils allaient dénoter à Auradon Prep, c'était certain. L'établissement le plus élitiste du monde restait aussi l'un des lycées les plus petits, il était privé, gardé et loin de tout regard indiscret, ce n'était donc pas idiot de les intégrer là-bas, et une petite part de Sam avait hâte de voir comment ils allaient se comporter.
Marraine leur sourit en acceptant la tasse de thé que le médecin lui tendait.
« Sans surprise, ils ne savent rien de l'histoire récente d'Auradon ou des royaumes, hormis quelques détails qu'ils ont dû glaner dans les livres qu'on envoie sur l'Île. Je doute fort qu'il soit judicieux à ce stade de leur demander de suivre une quelconque classe de politique ou d'histoire, à moins peut-être de l'histoire ancienne, mais nous verrons plutôt ça au second semestre s'ils en ont envie. Ils semblent tous avoir une bonne maîtrise de la grammaire et de l'orthographe, excellente même, hormis Jay qui n'a vraisemblablement pas l'habitude d'écrire. Tous ont un niveau honorable en compréhension de texte et en calculs. Carlos semble avoir de bonnes compétences en physique, très bonnes même, et de solides notions en chimie. Ce n'est pas le cas de Mal et de Jay. Evie obtient de meilleurs résultats qu'eux elle aussi dans ces matières comme en biologie, ses résultats sont dans la moyenne basse. Nous avons également glissé un test de culture générale basée sur l'environnement, il y a des notions qu'ils connaissent parfaitement, et d'autres pour lesquelles leur ignorance est... plus inquiétante. Par exemple sur l'identification d'animaux ou de plantes, des notions sur la météorologie, les sciences de la Terre,... Carlos encore une fois a eu de meilleurs résultats que les autres. »
« Ils pourront s'intégrer à l'école, donc ? » demanda Harris.
« Oui, » rassura Marraine. « Nous avons défini un emploi du temps pour chacun qui nous semble adapté, et pas trop lourd. Ils passeront également du temps avec moi et avec le docteur Prim. »
Sam hocha la tête avant de poser sa question.
« Est-ce que vous avez tenu compte de mes remarques ? »
« Bien entendu. Aucun ne sera isolé lors des cours. Au pire ils seront en binôme. »
« Parfait, c'est vraiment important dans un premier temps. Ils se méfient de tout ce qu'on fait, essayer de les séparer à l'école, dans un environnement complètement nouveau, serait dramatique. Il va déjà être assez difficile de les faire accepter de venir me voir chacun à leur tour. Et pour mes autres inquiétudes ? »
« J'en ai discuté avec le roi et la reine, malheureusement la situation est épineuse. Si nous les fouillons, ils risquent de prendre ça comme une agression. D'un autre côté, si vous avez raison et qu'ils ont bien des armes, nous ne pouvons nous permettre le risque qu'ils finissent par blesser un autre élève, c'est impensable. Nous allons devoir prendre la route diplomatique. »
« Il est vrai que ce sont de vrais diplomates, » ironisa Marcus en croisant les bras. « Pour le moment ils n'ont confiance ni en nous, ni en leur environnement. Mais ils répondent aux ordres. »
« Ceux de Mal, » acquiesça Sam. « Ce qui suggère qu'ils ont l'habitude d'évoluer dans un environnement arbitraire où ils n'ont pas toujours le droit de parole. »
« Vous suggérez qu'on leur donne l'ordre de se désarmer ? »
« Ce ne sera pas vu comme une agression. Si il leur est habituel de se voir donner des ordres, ce sera au contraire quelque chose de familier à laquelle ils se plieront. Nous étions partis du principe qu'ils seraient rebelles et farouches, mais pour le moment nous avons face à nous des jeunes méfiants, contrôlés et certainement calculateurs. Ils ne respecteront pas nos façons de faire car elles leur sont inconnues et donc dangereuses. Mais ils sont conditionnés pour répondre à d'autres méthodes plus hiérarchiques. »
« Bien, nous tenterons cela. S'ils coopèrent, ils seront à Auradon Prep ce soir. Docteur Harris, des remarques ? »
« Malheureusement pour le moment il est hors de question de leur demander d'obtempérer à une prise de sang ou un examen, j'espère en avoir l'occasion plus tard, quand ils seront mieux disposés. »
« Nous verrons comment ils se comporteront à l'école, et si tout va bien nous essayerons de le leur proposer dans quelques jours, quand ils auront plus confiance. »
Vingt ans de paix avaient peut-être conforté l'optimisme de Marraine, mais elle ne put chasser les pétillements de doute qui voletèrent dans sa poitrine.
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