Hey !
Oui j'ai encore un jour de retard mais j'ai surestimé tout ce que je pouvais faire ce Dimanche. Donc je n'ai pu relire ce chapitre que ce matin. Oups.
Bref ! Voilà le chapitre ! L'avant dernier de la première partie, et donc le dernier du point de vue de Julian. (Ça pince le cœur. Bouh.)
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !
Soudain, le vide
.
Julian
Ilya ajuste le cool d'un débardeur qui découvre plus de peau que la bienséance ne le tolère. La chaleur pointe le bout de son nez et il ressort ses fringues les plus légères, ignorant les coup d'œil des surveillants. C'est un vieux haut miteux qu'il a récupéré dans une fripe – est-ce qu'il l'a payé ? Peut-être qu'il l'a roulé en boule au fond de sa poche, il ne sait plus. Les trous qui percent sous ses aisselles, personne ne les remarque. Et quand bien même, ça donne un style.
C'est toujours moins classe que sa chemise victorienne, mais Ilya aimerait autant faire dans le sobre, aujourd'hui. Enfin, sobre. Un slim serré aussi noir que son débardeur, c'est toujours plus discret que le reste de ses tenues.
Il jette un coup d'œil dans le miroir, chope son briquet en priant pour qu'Anged lui file une clope au lycée et-
Oh, et puis merde. Ça fait trois jours qu'il se défile. Cette fois, il se bouge le cul. Oui. Il y va et il balance la sauce. Asra le détestera quoi qu'il dise, alors pourquoi réfléchir ? Au moins, ce sera mérité. L'angelot aura au moins sa colère pour lui, une corde solide à attraper pour survivre au grand vide du célibat.
— Yo.
Mais Anged tire une cigarette de son paquet et ils fument devant les chiottes des mecs, bien loin du portail. A la pause de midi, il surveille qu'il n'y ait pas de tignasse fluffy dans la file d'attente avant de passer, et il va s'asseoir dans un coin tranquille avec des potes qu'Asra n'a jamais vu que de loin. Le soir il trace et grimpe dans le premier bus, conscient que son petit ami traîne toujours en parlant avec Muriel.
Son petit ami. Est-ce qu'il peut encore l'appeler comme ça ? Nat' a raison, le pauvre doit penser qu'ils ont rompu. Enfin, qu'il a rompu. A sa place, il n'aurait pas mis trois semaines pour sauter à cette conclusion. Mais Asra n'est pas comme lui. Il espère, des lumières plein les yeux. Sans voir le mur qui l'attend. Et Ilya ne veut pas être celui qui lui collera la vérité sous le nez.
De toute façon, c'est trop tard pour regretter. Planté devant son immeuble, il devra attendre demain pour faire un nouvel- Non, demain, c'est samedi. Mince. Ça lui laisse trois jours. Si avec ça il ne se trouve pas un discours du tonnerre…
— Pasha ? il gueule en rentrant.
— Dans la cuisine !
L'avantage, avec un appart aussi petit, c'est qu'il ne met jamais longtemps à trouver sa sœur. Il passe dans le couloir, devant les vieilles photos que Tasya n'a jamais pu se résoudre à ranger. Un visage, étrangement proche de celui de Pasha, le fait s'arrêter. Il déglutit.
Lishka.
Il s'en souvient si peu. Sans cette photo, sa trogne piquée de tâches de rousseurs lui échapperait sûrement. Et il en va de même pour celui de ses parents qu'il effleure. Il n'a plus ni leur voix, ni la tendresse de leurs doigts. Ne reste que ces images et les souvenirs que sa tante évoque parfois, quand elle a bu et que son gars pose sa main sur son épaule.
Son ventre se noue. Est-ce qu'ils sont là, quelque part, à le regarder ? Il espère que non, l'idée qu'ils sachent à quel point il est pitoyable avec les gens qu'il aime le mortifie. Ce n'est pas plus mal qu'ils soient partis, au moins, ça leur évitera une déception.
Non. C'est horrible de penser ça. Mais il ne peut pas s'en empêcher. Ça le réconforte, en un sens.
— Ilyushka ?
Sa sœur débarque, un croissant coincé entre ses dents pleines de fer.
— Tu voulais un truc ?
Un truc. Comme s'il ne pouvait appeler sa petite Pasha chérie que pour lui demander un service- et c'est sans doute le cas. Si c'est la première chose qui lui vient à l'esprit… Oh, quel grand frère médiocre il fait. Au moins, il est constant dans la nullité.
— Ça te dit une soirée film ?
— Nan, on peut jamais en profiter avec Tata. Elle arrête pas de faire des commentaires.
— Elle est pas là ce soir.
Toujours fendu de sa viennoiserie, le sourire de sa cadette s'allonge. Ils optent pour La revanche d'une blonde et, considérant que sa sœur n'a pas cours le lendemain, Ilya propose d'enchainer avec Grease. Le sourire benêt de John Travolta et son fessier musclé lui font oublier le rire flottant d'Asra – même si la chevelure bouclée de Sandy à la fin du film lui rappelle celle qu'il a maintes fois caressée.
— Elle est trop bien pour lui, Pasha déclare comme tout le monde chante You're the one that I want.
— Grave.
Une récurrente dans sa vie, ça. Mais Sandy et Danny finissent quand même ensemble. Ils ont leur happy ending, eux – il faut croire que Danny n'est pas aussi nul que lui.
Il les regarde danser à l'écran. Leur complicité lui réchauffe le cœur autant qu'elle le serre. Il avait ça. Cette force qui le poussait vers Asra, ces regards comme un monde à eux, oui, il l'avait et il lui aurait couru après à quatre pattes s'il l'avait fallu, et…
Couru après, vraiment ? Il n'est même pas capable de répondre à ses messages. Cette blague.
Pasha couchée, il attrape son téléphone pour vérifier l'heure. Son visage se décompose.
[Je suis désolé si j'ai fait quelque chose de mal.
Je t'aime.]
Pas de smiley adorable ni de tendresse de minuit. Il déglutit.
Non, Asra n'a rien fait de mal. C'est lui. Et c'est pour ça que ça doit s'arrêter. S'il en est venu à penser ça…
Ilya se laisse tomber sur son lit minable, dans une chambre minable d'un immeuble minable. Dans une vie minable. Il ricane. Même les gens qu'il aime, il ne sait pas en prendre soin. Il s'est dégonflé toute la semaine alors qu'il lui aurait suffi d'un message tapé en deux minutes pour tout avouer à Asra. Asra qui s'accroche et qui lui laisse encore une chance qu'il ne mérite pas. Pourquoi est-ce qu'il ne voit pas qu'il court après le pire mec de la Terre ?
Il pose le portable sur sa table de chevet, l'écran contre le bois. Puis il va se faire un café avant de sortir ses fiches de révisions.
. . .
Lundi, il fume près de l'entrée. Anged n'est pas là – il a préféré passer la journée à préparer son épreuve d'Art plutôt que de venir s'ennuyer en Philo – mais Ilya n'a jamais eu de mal à se trouver de la compagnie. Il rit et tire sur sa clope, ajuste le collier qui serre son cou. Les clous lui donnent un petit côté agressif, mais d'aucun le connaissant sait qu'il est un chiot docile.
— C'est vrai l'histoire sur Valérius ?
— Laquelle ?
— Parait qu'il est arrivé en cours ivre l'année dernière.
Un des gars hausse les épaules.
— Tout le monde le dit mais personne l'a vu.
— Il a quand même sacrément l'air d'avoir la gueule de bois, des fois.
Il a surtout une réputation d'alcoolique notoire. Mais ce sont des bruits qui courent et soudain, Ilya n'a plus envie d'y participer. Ça pourrait être lui, le type dont on invente la vie entre deux cours. Et si leur prof de Maths ne saura jamais ce qui se dit dans son dos…
Quand même, c'est vrai qu'il a souvent l'air de décuver.
— J'suis tellement pas prêt pour le bac.
Le temps passe. Et un bus, aussi. Qui s'arrête à l'autre bout de la rue et dépose une horde d'élèves aussi réticents à passer le portail qu'ils se précipiteront au dehors après leur dernier cours. Ces visages, il ne les verra pas longtemps. Mai est déjà entamé, Juin promet une série d'épreuves éreintantes. Dans moins d'un mois, il ne mettra plus les pieds ici – exception faite du diplôme qu'il lui faudra venir chercher. Oui, bientôt…
Il regarde le vieux portail noir à la peinture écaillée. Plus jamais, il pense. Plus jamais il ne remettra les pieds ici.
On prononce ce mot cent fois par jour mais on ne sait pas ce qu'on dit avant d'avoir été confronté à un vrai "plus jamais". La voix d'Asra s'invite dans sa tête. Asra, qui aurait fêté son anniversaire en Juin.
Asra apparaît soudain dans la foule d'élèves. Son sac pend le long de son épaule et sa main serre celle de Muriel. Leurs regards se croisent avant qu'il ne fuit et le temps s'arrête. Ou sa respiration. Les deux, peut-être. Son cœur. Le monde trébuche sur ces yeux mauves lourds de fatigue, plein des silences qu'il lui a opposé.
Alors, Ilya inspire.
Tadam. Voilà je vous laisse là-dessus. A la semaine prochaine !
