Deuxième semaine - Mai 1997

"Grand-père Ted a dit qu'une fois, tu avais failli être exclue parce que tu avais explosé un type…", m'informe Cyrus quand nous sommes à la moitié du tour du lac le lundi matin. Je ne dirais pas qu'il est totalement à l'aise dans sa foulée, mais il ne s'est pas encore arrêté, n'a pas encore protesté et a même initié la conversation - c'est une sorte de record. "À cause de moi en somme."

"À cause de ce que j'imaginais être l'honneur de ma mère, de la prétention d'un connard et de mon insécurité personnelle", je précise un peu nerveusement. Mais qu'est-ce que mon père est allé lui raconter ?

Cyrus prend le temps de plusieurs foulées avant de reprendre.

"Ok. J'entends. Tu te sentais responsable", il commente avec une étonnante empathie dans la voix.

"Stupidement responsable", je souligne.

"Tu as été en retenue pendant des semaines. Avec Papa", il continue, et je réalise que c'était ce point-là qu'il voulait aborder. Je m'intime de garder un silence prudent et de ne pas exploser par pure insécurité personnelle. "Et tu as passé tes week-ends aux écuries. Durant presque un mois."

"Tu veux dire que je ne suis pas originale ?", je tente avec toute la neutralité que je peux réunir. Est-ce qu'il va repartir sur le couplet de notre hypocrisie ? Pire, m'interroger sur ce qui a pu me pousser à épouser son père ?

"Je ne pensais pas que c'était ton idée." Il halète un peu en faisant cet aveu. Je ralentis. "Merci. Je... En fait, je trouve ça assez chouette que... ça soit presque une tradition familiale..."

"Chouette ?", je relève.

"Toutes choses égales par ailleurs", il admet en levant les yeux au ciel.

Il est sans doute impossible de ne rien dire, je réalise nerveusement

"J'ai toujours eu un sentiment ambivalent dans ces moments-là", je décide de lui avouer. "À la fois, j'adore l'endroit et les chevaux... et passer du temps avec mon père dans cet endroit qui est sa passion... Mais... je n'étais pas là pour m'amuser et... j'imagine que tu le mesures bien maintenant..."

"J'ai encore mal aux mains et aux avant-bras", il admet avec un sourire en coin. "Mais j'aime aussi l'endroit et... Granny a fait des dîners à faire pâlir les elfes de Poudlard..."

"Ils t'aiment beaucoup", je tente. Après tout, ce n'était pas évident que mes parents aiment Cyrus pour lui-même et non seulement comme la liberté de Sirius, mais finalement, de Noëls en anniversaires, ils se sont apprivoisés.

"Je sais", il souffle, et ce n'est pas seulement à cause de la course.

Qu'Andromeda l'accepte pour ce qu'il est constitue sans doute une chose importante pour lui, je le mesure. Reste que je ne sais pas du tout quoi dire, et c'est lui qui reprend. Sa voix est presque timide.

"Je râle et je proteste parce que je suis un sale gosse, tu le sais ça, Mãe, non ?", il tente.

Je mesure que courir, même doucement, rajoute une difficulté inutile à la conversation et je m'arrête complètement.

Il m'imite, détourne les yeux et rajoute : "Mais quelque part dans ma tête, il y a cette conviction… Y a rien de pire que d'être puni pour un truc qu'on n'a pas fait…" L'influence de l'expérience de Sirius est tellement évidente sur cette ligne de pensée que j'en suis émue. "J'ai certainement été chercher ces ennuis-là… Vous êtes mes parents et… vous faites votre job de parents, Mãe... Je râle... mais je trouve ça... plutôt... rassurant... que vous soyez là..."

Même si sa voix est un murmure à la fin, je suis à peu près certaine que Remus le remercierait de cet aveu ; d'ailleurs, est-ce que, moi, j'aurais su dire un truc pareil à mes parents à quinze ans ? Est-ce que ce n'est pas toute la marque de son éducation ? J'espère que les jumeaux en seront aussi capables. Mais puisqu'il a parlé de mon job de parent, est-ce que je ne dois pas creuser ?

"Puisqu'on est dans une séquence vérité", je tente, "est-ce que je peux demander ce que tu avais en tête en ramenant ce scooter ?"

Il hausse les épaules, mais essaie : "Si je te réponds que je l'ai trouvé et que je me suis dit, tiens, si j'essayais de le réparer, est-ce que tu vas considérer que c'est une réponse suffisante ?"

"Trouvé hors de Poudlard ?", j'insiste.

"Je pensais que c'était établi et que c'était même une des raisons de mon expulsion", il soupire. "Sans vouloir paraître impertinent."

"Tu voulais le modifier pour qu'il vole ?" Il hésite clairement à me répondre. "Je ne vois pas trop ce que je pourrais ajouter comme punition, Cyrus. Ce n'est pas l'objet de ma question. Mais comprendre comment on en arrive là me plairait", je rajoute. Comme un écho venu de très loin, je revois Remus m'expliquer qu'il comprend que mes parents veuillent savoir pourquoi je me suis battue. Je dois réprimer un sourire.

"Pas de réelle préméditation, Mãe, promis ! ... Je... voulais d'abord le faire rouler... Mais oui, j'ai... j'ai été vite tenté de voir si mes souvenirs... de transformation... étaient... valides. Je suis désolé..."

"Vraiment ?"

"Je vous complique la vie - et de ça, je suis vraiment désolé..." Je ne sais pas pourquoi il ne s'arrête pas là - ça aurait été malin de sa part. Malheureusement, il lâche avec humeur : " Et oui, je connaissais les règles, le contrat, comme dirait Papa, c'est ça que tu veux que je dise ?"

"Je veux comprendre pourquoi", je répète sans me laisser agacer.

Il hausse les épaules de nouveau. "Parce que l'occasion... parce que l'adrénaline... parce que l'interdit... Tu avais plus de raisons de te battre contre un gars plein de préjugés..."

"Tu crois ?"

"Non ?"

"Je lui ai permis de se poser en victime de cette méchante demi-sang pur ; tous les mêmes", je soupire. "J'étais prête à me faire virer plutôt que de m'excuser... Je suis tombée dans son piège et je n'ai en rien prouvé à quiconque qu'il se trompait."

"C'est quand même plus classe que de vouloir faire voler un scooter par pure... envie d'être plus fort que tout le monde", il estime.

"Tu crois ?", je répète.

"Tu penses que c'est un peu pareil", il estime, assez curieux, je dirais.

"Je crois que je me souciais un peu trop de mon image et pas assez de qui je voulais être vraiment", je réponds.

Cyrus ouvre la bouche et la referme plusieurs fois avant de souffler d'une voix peut-être trop grave pour lui - mais n'est-ce pas exactement ce que je voulais, dans un coin de ma tête ? : "Tu... as compris ça... quand ?"

"Après avoir passé de longues soirées à trier toute la bibliothèque du professeur Lupin et plusieurs week-ends à nettoyer les écuries, j'avoue que l'argument que j'étais celle qui payait le prix fort parce qu'elle avait mis toutes les apparences contre elle a commencé à avoir du crédit", je tente.

"Les apparences ?", il articule.

"J'entends l'envie de s'amuser et de contourner les règles", je réponds calmement. "Mais je crois aussi qu'il y a ce personnage que tu veux incarner... parfois en dépit de qui... tu es vraiment ?"

"Qui je suis vraiment", il répète très bas.

"Ce serait bien que tu t'autorises aussi à être cette personne", je décide de répondre.

Je laisse le silence faire son œuvre.

"Grand-père Ted dit qu'il n'y a que l'effort physique pour rappeler aux sorciers la chance qu'ils ont le reste du temps... et les amener à réfléchir à ce qu'ils seraient sans la magie", commente Cyrus avec une pointe de connivence dans les yeux.

"Merlin", je secoue la tête parce que ce refrain-là, je le connais bien.

"C'est pas ça que tu as en tête quand tu me fais courir avec toi, Mãe ?", il semble s'étonner avec une totale sincérité.

"À mon insu peut-être", je reconnais. "Consciemment, j'espère te fatiguer assez pour que tu ne grimpes pas aux murs à force d'être enfermé le reste de la journée."

Cyrus essaie de ne pas rire, mais n'y arrive pas. Il me paraît étonnamment jeune quand il vérifie que je ne le prends pas mal.

"On finit cette boucle et on rentre ?", je propose, magnanime.

"À la fin de la semaine, on en fera deux sans s'arrêter", il annonce.

"Attention à toi si c'est un pari en l'air", je commente en tendant la main et il accepte le défi avec un sourire qui me fait plaisir.

oo

La deuxième semaine se passe presque bien, avec de vrais progrès dans notre sortie matinale et une espèce de routine presque agréable, alternant des moments de travail et des moments familiaux presque sans arrière-pensées. Tout ça est remis en cause le jeudi soir lorsque Cyrus plaide pour avoir une occasion de voir Ginny "en vrai". Il essaie pendant un bon quart d'heure de convaincre son père, en allant jusqu'à souligner qu'il n'a eu que des bonnes notes depuis son exclusion.

"Je ne sais pas si c'est une bonne stratégie de ta part de me rappeler ça", grince Remus que je sens totalement rigide, sans être convaincue qu'il ait raison de l'être. "Tu n'es pas à Poudlard, Cyrus, combien de fois faut-il le répéter ?"

"Pas longtemps, un thé", insiste Cyrus, un peu désespéré par ce qu'il comprend bien comme une fin de non-recevoir. "On va pas baiser sur votre canapé !", il lâche avant de quitter le salon en claquant la porte derrière lui.

Je dois arrêter physiquement Remus.

"Tu crois qu'on doit le laisser exprimer sa mauvaise humeur par des provocations gratuites pareilles ?", il s'agace.

"Je crois qu'il sait très bien qu'il est allé trop loin. Qu'il trouvera le moyen de me le dire demain matin et de te le dire demain après-midi."

"Et s'il ne le fait pas ?"

"Alors, il faudra revenir sur le sujet, mais laissons-lui une chance..."

J'avoue que je remercie Cerridwen quand, à la fin du premier tour du lac, Cyrus brise le silence têtu qu'il arbore depuis son réveil pour souffler : "Je suis désolé pour hier."

"Je suis désolée pour Ginny et toi", je réponds. "Sincèrement."

Il me dévisage et semble se convaincre que je pense ce que je dis. "Papa... tu l'as retenu, hier, non ?", il ose demander après de longues secondes. Je ne réponds rien, mais je sens qu'il a toute la confirmation dont il avait besoin. "Je sais qu'il sera calmé... et je vais m'excuser", il promet. "Sans toi, on se serait disputés, j'aurais eu le dessous et il serait malheureux comme une pierre", il développe avec cette acuité surprenante pour les profondeurs des sentiments humains. Ma surprise doit se voir parce qu'il rajoute : "C'est ce qui se dit dans un coin de ma tête et je crois que c'est assez vrai... "

"Dans un coin de ta tête", je répète un peu à mon insu.

"Sirius dit que je suis un petit con qui ne comprend que trop tard qu'il est allé trop loin", il confirme.

"Je n'ai pas assez connu Sirius pour savoir s'il savait aussi bien s'excuser que toi quand il comprenait qu'effectivement, il était allé trop loin", je compose lentement ma réponse.

"Tu me trouves arriviste et manipulateur ?", il questionne, l'air soudain véritablement inquiet.

"Je te trouve capable d'analyses complexes des situations et des sentiments - sans doute un peu tard quand ça ne va pas dans ton sens", je réponds en soutenant son regard. "Voler une moto et la ramener à Poudlard, tu espérais quoi ?"

"Je ne l'ai pas volée !"

"Je pourrais aller vérifier au poste de police de Pré-Abélard", je menace calmement - ça fait quand même dix jours que j'y pense. Le premier soir, j'ai même plaidé qu'on devrait la ramener côté moldu.

"Elle était accidentée dans un fossé. Sans doute depuis des semaines", il rappelle soucieux de me convaincre.

"Tu as mis des semaines à te décider à la ramener ?", je creuse. Combien de fois est-il sorti du parc ? Merlin, je ne suis pas certaine de vouloir le savoir.

"Mãe... si mener des enquêtes et accuser les gens te manque autant, tu devrais retourner faire l'Auror !", il tente - une explosion mesurée camouflée en blague, je dirais. Du pur Cyrus.

"Jolie déflexion", je ponctue. "Mais j'attends une réponse."

"Peut-être", il souffle en s'arrêtant de courir.

"Une bonne nouvelle alors", je commente en l'imitant. "La prochaine fois, suis ton premier instinct et laisse-la dans son fossé."

"J'essaierai", il promet avec un demi-sourire. "Ou j'attendrai d'être majeur."

"Voilà", je conclus. "Alors, ces deux tours, tu te défiles ?"

"Dans tes rêves, Mãe !"

On reprend notre course et, de fait, il y a une certaine régularité dans ses foulées même si je le sens concentré. J'ai eu tort de penser que c'était par l'effort. À la fin du lac, alors que j'allais le féliciter, il porte sa propre attaque :

"Tu comptes retourner quand au Bureau des Aurors, Mãe ? Ça te manque, non ?" Je m'en arrête sur place et il doit se retourner pour qu'on se regarde. "Papa... il ne peut pas être contre", il estime en reprenant son souffle.

"C'est moi qui ne souhaite pas retourner dans un Bureau qui poursuit des objectifs politiques que je ne peux pas assumer", j'articule, surprise moi-même de la violence de la boule dans ma gorge.

"Je comprends", il répond après un long moment où je ne peux que me demander quel cours ses pensées ont pu suivre.

On rentre en silence.

ooo

Cyrus est a priori studieux au bureau de son père - lieu symbolique fort, même après deux semaines - et les jumeaux fascinés par mon dernier enchantement, qui reconstruit automatiquement la tour qu'ils détruisent, quand le feu crépite. J'ai dû sacrément négocier pour avoir une cheminée raccordée au réseau de Cheminette et inaccessible des autres cheminées de l'école. Jamais ça n'avait été fait. Remus doutait même que ça soit possible. Mais il y a des batailles qui méritent d'être menées à leur terme et dont on peut gouter la victoire si souvent qu'on en oublie les difficultés précédentes.

"Comment va ma copine préférée ?", lance Dawn joyeusement comme à chacun de ses appels.

"Comment va mon Auror préférée ?", je contre, sans plus d'imagination, en m'agenouillant devant la cheminée pour qu'on soit à la même hauteur.

"Tonks...", elle proteste comme chaque fois.

"J'ai lu que tu avais un procès", je biaise en surveillant l'approche des jumeaux qui sont intrigués.

"Un sacré truc", elle lâche. Elle va enchaîner, mais elle se ravise. "Ça va, tes mômes n'écoutent pas ? "

"Cyrus, tu peux emmener les petits jouer dans leur chambre ?", je décide. Il y a bien une voisine moldue londonienne qui m'a un jour prédit que je n'aurais jamais de problème de baby-sitting en raison de l'écart d'âge entre les jumeaux et leurs grands frères.

"Pourtant, l'histoire avait l'air de valoir le coup", tente le spécimen de grand frère que j'ai sous la main.

"Je verrai si je peux te la raconter."

"J'ai l'impression que je devrais négocier davantage - juste pour correspondre à l'archétype de l'adolescent frondeur que je suis censé être", il lance, mais il s'est levé. Remus le dit souvent. Cyrus est de bien meilleure volonté qu'on pourrait le croire.

"J'ai, pour ma part, le sentiment que si tu te montrais super proactif, tu gagnerais plus de points pour une négociation future. Il faut bien dire que tu as du crédit en retard."

"Ginny ?", il tente alors qu'il a déjà Iris et sa licorne dans les bras.

"Je vois qu'on ne perd pas le nord", je constate.

"J'ai peut-être abattu mes cartes trop vite, mais c'est bien tout ce qui m'importe", il annonce. Moi, je dirais qu'il négocie mieux qu'il ne le prétend.

"Je ne peux rien promettre", je soupire.

"Une lettre ?"

"Tu lui écris déjà - on sait que Harry fait le messager", je lui apprends. Il a la bonne idée de rougir un peu. "Allez, j'ai une copine à écouter, on négociera plus tard !"

J'attends qu'ils soient sortis tous les trois.

"Il fait quoi là, chez vous ? Il est malade ?", questionne Dawn. Je lui raconte et elle est impressionnée. "Je devrais t'appeler plus souvent, ça calmerait mes envies de maternité... "

"Il a quinze ans, Dawn", je me marre. Elle est après tout bien placée pour se rappeler de ce qu'on faisait comme conneries au même âge, elle et moi. Enfin, surtout moi. "Parle-moi plutôt de ton dossier avant qu'il ne soit débordé ou qu'il lâche l'affaire."

"Tu as lu ?", elle vérifie. J'opine. "Cette femme a tué son mari et sa belle-sœur, qui avaient une relation entre eux et la séquestraient. En fait, ils la faisaient passer pour folle auprès du voisinage."

"À Londres", je commente.

"Oui. Ils étaient la seule famille sorcière dans un quartier moldu. Des artisans verriers... avec des clients des deux côtés. Ce sont d'ailleurs les voisins qui ont appelé la police... à cause de l'odeur..."

"Ça a dû être charmant", je compatis.

"On a retrouvé le frère du mari, fin saoul, à l'autre bout de la ville. Il n'était pas revenu depuis une semaine et ne savait rien. Restait à localiser Lorraine... décrite par les voisins comme effacée, timide, craintive… Ça nous a pris deux bonnes journées... et quand on l'a trouvée, errant dans les forêts du pays de Galles, je me suis dit qu'elle avait tout du faon… Mais elle les a tués à coups de couteau enduit de poison. Préméditation", elle soupire.

"Mais tu as de l'empathie pour elle", je complète.

"Elle... elle a été exploitée, trahie, moquée... Bien sûr, elle les a massacrés... "

"Et ton rôle n'est pas de lui trouver des excuses", je remarque. L'enquêteur en chef est celui qui doit construire l'accusation.

"Je sais", elle se désole.

"Tu as déjà vu le juge ? C'est qui ?"

"Ogden", elle lâche. "Je ne l'ai pas encore vu."

"Mais t'as une date ? Publique ou huis clos ?"

"Il n'a pas encore dit", elle soupire.

J'imagine bien ce qui se pèse dans la tête blonde de ma copine : une audience d'inculpation publique est le plus courant, mais dans une affaire comme celle-là, c'est un pari. Si l'opinion sorcière s'intéresse à l'affaire, elle se met à attendre un résultat. Et elle rendra la Division coupable si les juges rendent un jugement différent. Une inculpation à huis clos, ça veut dire un juge instructeur concentré et attentif à certains aspects du dossier - ici, par exemple, des circonstances atténuantes pour la meurtrière. Dès lors, l'Auror en charge du dossier va devoir louvoyer entre les attentes du juge et celle de sa hiérarchie.

"Ça pourrait être pire. Tiberius Ogden fait partie des juges qui militent pour des procès sérieux et équilibré", je tente.

"Je vois que rien ne t'échappe", sourit brièvement Dawn. "Mais pour le second procès où je suis celle qui va au front... je... j'aurais préféré être convaincue de mon accusation..."

Je ne me laisse pas entraîner sur le terrain facile de la compassion pour la - injustement lente - carrière de ma meilleure amie. Quelque part, la compassion serait une insulte à ses capacités.

"Mais tu es convaincue", j'objecte plutôt avec toute la fermeté que je peux réunir. "Elle les a tués."

"Mais... Tonks ! Tu es censée être celle qui doute de tout ce bordel !"

"Tu veux que je te dise de démissionner ?"

"Je... Tu me dis de serrer les dents ?!", elle s'agace et à son ton, j'imagine que Carley en a plus ou moins dit autant. Avec raison, selon moi.

"Je te rappelle juste ton rôle. Tu amènes les preuves. C'est au juge de se questionner sur les circonstances."

"Il me semble que lors d'une de tes dernières affaires, vous avez laissé filer la vraie coupable..."

"On a laissé le choix à la victime", je rappelle, "parce qu'on lui donnait aussi un levier de négociation important avec la vraie coupable."

"OK, ce n'est pas praticable dans mon dossier..."

"Ce qui est peut-être praticable", je réfléchis à haute voix, quand j'ai mesuré à quel point Dawn est touchée par ce dossier, "c'est d'avoir recours à la sympathie du public."

"D'organiser une fuite ?", elle s'effraie.

"D'amener des journalistes progressistes, ou pas d'ailleurs, à s'intéresser à l'histoire... C'est un pari, mais... si tu peux donner des éléments factuels… nourrir le contexte... l'opinion peut écouter", je développe.

"Sa sœur tient des heures sur combien elle regrette de ne pas être intervenue et combien Lorraine va être deux fois victime..."

"Parfait. Quelqu'un qui a ses propres raisons d'en appeler à l'opinion publique", je souligne, consciente de tout le chemin qui me fait tenir de tels raisonnements aujourd'hui. "Il faut juste un ou deux bons contacts."

"Je n'ai pas ton carnet d'adresse", soupire Dawn, trop concentrée sur ses propres inquiétudes pour être en train de me manipuler.

"OK, j'essaie de te trouver quelqu'un", je décide.

"Vraiment ?", vérifie Dawn, inquiète pour moi maintenant.

"Je te tiens au courant", je conclus. Elle me remercie avec effusion.

Les yeux perdus dans les flammes redevenues minimales, je réfléchis à comment tenir ma promesse. Il y a ce jeune journaliste qui est venu à la Fondation et avec qui j'ai longuement parlé. Il avait l'air relativement intègre et intéressé par le contexte social des jeunes protégés de Remus. Le genre à avoir envie de traiter de nouveaux sujets.

Je me retourne parce que j'entends la porte dans mon dos et les petits pas rapides des jumeaux.

"Tu as bien fini, Mãe ?", vérifie Cyrus avec une prévenance qui en dit long de mon point de vue.

J'opine néanmoins alors que Kane et Iris s'installent sur mes genoux, contents de me retrouver. Je note que Cyrus ne retourne pas au bureau de son père.

"Besoin d'une pause ?"

"Je vais m'y remettre", il m'assure. Il se dirige même vers ledit bureau avant d'oser : "Toute remarque est malvenue ?"

"Me laisser entendre que tu as écouté aux portes alors que tu devais surveiller les petits me paraît une mauvaise tactique de négociation", je souris pour amortir le coup qui a clairement porté.

Cyrus prend sur lui avec ce courage rouge et or, toujours sidérant de mon point de vue : "Et en négociation, tu n'as visiblement pas grand-chose à apprendre. Je... je crois que la Division de Londres serait sacrément plus fréquentable si tu en faisais encore partie, Mãe. Je sais, tu ne m'as pas demandé mon avis et j'ai des devoirs", il conclut en s'enfuyant au bureau.

"Cy-us, zouer, encore !", réclament les petits.

"Laissez-le finir ses devoirs", j'interviens.

"Non, zouer, pas deouoirs", insiste Iris.

Je croise le regard prudemment rigolard de Cyrus et je décide que c'est à lui de décider.