D'aussi loin qu'elle s'en souvenait, Luna avait toujours eu un don pour mettre les gens mal à l'aise. Elle n'avait jamais souhaité que toutes les discussions auxquelles elle participait finissent systématiquement dans une atmosphère de malaise plus ou moins diffus. Et pourtant, ses propos, vrais et directs, aboutissaient toujours à un tel résultat.
Luna ne comprenait pas vraiment pourquoi. Les interactions sociales apparaissaient à ses yeux bien plus complexes et énigmatiques qu'un calcul d'arithmancie basé sur une équation du quatrième degré. De plus, le sujet ne l'avait jamais suffisamment passionné pour qu'elle passe des heures à l'étudier et l'analyser.
Évidemment, ce trait de caractère ne l'avait pas rendu populaire au cours de sa scolarité. Même s'il elle l'avait bien plus subie que choisie, Luna s'était faite une raison et avait accepté la solitude.
Du moins, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'elle pouvait transformer ce défaut en atout.
Ainsi naquit l'énigmatique et tyrannique dame Hécate, la face cachée de Luna. Une dame sûre d'elle que les hommes contactaient et payaient dans l'espoir de pouvoir se prosterner à ses pieds (qu'elle essuyait parfois sur leur visage).
Après avoir exercé quelque temps à domicile, Luna s'était aménagée un appartement pour accueillir ses clients « chez elle » et ne plus avoir à se déplacer. Elle maîtrisait ainsi son environnement autant que ceux qui y gravitaient.
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Luna, équipée d'une tenue couvrant l'intégralité de son corps, tendit sa baguette et lança un sort d'arrosage en direction de la plante qui trônait dans un coin de son bureau. Les appendices ligneux s'agitèrent de contentement, puis remontèrent, palpitants, jusqu'à la source du jet d'eau. Elles s'enroulèrent le long du bras de Luna et la tâtèrent.
De l'extérieur, on aurait pu croire que la plante caressait la jeune sorcière, la remerciant pour les soins prodigués. Il n'en était rien et Luna le savait. Les palpations dont elle faisait l'objet visaient à chercher un morceau de chair accessible. Sa Tentacula étrangleuse jouait à l'insatiable.
《 Je te mettrai un peu d'engrais demain. 》promis Luna d'une voix pleine d'amour. En entretenant avec soin cette avide plante carnivore, Luna ressentait une étrange affinité avec Hagrid, le professeur de soin aux créatures magiques de Poudlard, et son goût immodéré pour les créatures dangereuses.
La Tentacula, qui ne manquait pas d'adeptes parmi les clients de Luna, lui avait été offerte par un de ses plus proches amis, Neville Londubat. Le jeune sorcier, devenu professeur de botanique, avait élevé lui-même ce spécimen, fruit de multiples sélections et croisements, afin de le rendre à la fois vigoureux et relativement inoffensif. En tout cas peu mortel.
Un gage de remerciement particulier, en l'honneur de Luna et de ses jolis pieds.
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Luna avait découvert la fascination de Neville bien des années auparavant et par le plus grand des hasards. C'était l'année où Rogue était directeur, les Carrow professeurs, le ministère de la Magie aux mains de Voldemort et l'Armée de Dumbledore en lutte.
Durant une froide et venteuse nuit de novembre, Luna fut réveillée par un bruit provenant de sous son oreiller. Un bruit semblable au grattement d'une plume sur un parchemin. Elle chaussa ses Luinettes, déposées à portée de main sur sa table de chevet. Capables d'amplifier la faible lumière nocturne des astres, elles était très pratique pour lire la nuit sans déranger le dortoir ou tenter d'apercevoir des Lullabiles Mordorés.
Elle retira de sous son coussin un petit carnet de note marron, parfaitement standard. Elle l'ouvrit à la première page celle qui servait à la réception des messages.
Face à la situation au sein de l'école, l'Armée de Dumbledore s'était dotée d'outils de communication supplémentaire. Si les pièces ensorcelées d'Hermione transmettaient efficacement des dates et des heures, elles ne permettaient ni de communiquer un message ni de s'adresser à une personne en particulier. Pour combler ce manque, le système des Carnets Jumelés avaient été mis en place.
Fruits d'un travail méticuleux, les différents pages étaient reliées les unes aux autres à l'aide d'un sortilège de Calque. La première page permettait de recevoir des messages. La dernière, d'en envoyer à tous. Chaque autre feuille ciblait le Carnet d'un membre spécifique de l'AD.
Sur la page de garde du Carnet de Luna luisait un message :
« Urgent. Besoin cachette. NL »
Elle n'attendit pas que le message disparaisse pour se diriger vers l'entrée de la salle commune des Serdaigle. À peine eut-elle ouvert la porte qu'un Neville essoufflé fit irruption dans la salle. Il s'affala contre le battant, épuisé, et murmura :
– Merci.
– Tu n'es pas encore sorti d'affaire, tu sais. Que fais-tu ici ?
– Je suis allé aider Dean, dit Neville d'un ton haché. À minuit. Il n'était pas encore revenu. De sa retenue. Avec les Carrow. J'ai fait une diversion. Avec l'aide. De Peeves. Ça ne s'est pas. Passé. Comme prévu. J'ai été. Poursuivi. Impossible de rejoindre. Ma salle commune. Ou la Salle sur Demande. Alors. Voilà, conclut-il d'un haussement d'épaule nerveux.
Luna s'avança dans la salle, passant de la pénombre à la lumière, tout en réfléchissant à haute voix sur la suite des évènements :
– Tu peux ta cacher sous mon lit. Ou alors je peux te transformer en statue et te placer dans une salle d'étude. Le dernier gnome sur lequel j'ai lancé ce sort à récupérer l'usage de presque tous ses doigts ensuite.
Ne se sentant pas suivi, Luna se retourna. Aucune besoin de lancer un sort de Statufixion : Neville la fixait, médusé.
– Tu aurais pu attendre d'être dans un endroit moins passant pour te métamorphoser, fit Luna d'une voix légère.
Elle suivit son regard. Elle se rendit alors compte que, dans la précipitation, elle était descendue seulement vêtue d'une chemise de nuit. Les yeux de Neville étaient rivés à ses chevilles nues. Elle se déplaça d'un pas, sur la pointe des pieds. Le regard de Neville ne quitta pas un instant le bas de son corps.
Il finit par secouer la tête pour remettre ses idées en ordre, mais son visage présentait toujours un air égaré.
– Je… je ne savais pas que tu avais des pieds si jolis.
Luna, qui ne s'était jamais demandée quelles parties de son anatomie étaient belle et lesquelles ne l'étaient pas, ne sut quoi répondre et resta silencieuse.
Finalement, Neville passa une partie de la nuit avec Luna, caché dans une alcôve, derrière un portrait du Salon aux Énigmes. Il lui raconta les détails de son escapade nocturne et lui demanda de garder son amour pour les pieds secret.
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D'une certaine manière, Neville avait été son premier client. En tout cas la première personne dont elle détenait un secret si intime.
Elle n'avait pas trahi sa confiance et n'avait jamais parlé de son goût à qui que ce soit. Tout juste, parfois, s'était-elle amusée à passer devant lui en remontant légèrement sa robe de manière à dévoiler bottines et chevilles.
Confidence pour confidence, quand l'idée de se lancer en tant que dominatrice avait germé en elle, il en avait été le premier informé.
Ce qui se révéla par ailleurs judicieux : Neville, par sa gentillesse, sa capacité à mettre les gens en confiance, son aura paradoxal de looser héroïque et le don qu'il avait pour se trouver toujours au mauvais endroit, au mauvais moment, était devenu au fil du temps le confident de nombreuses personnes. Son cerveau stockait les secrets intimes d'un grand nombre de ses pairs. S'il s'était lancé dans la presse à scandale, Rita Skeeter aurait été bonne pour changer de métier.
Fort de cette connaissance, il avait présenté à Luna ses premiers véritables clients. Aujourd'hui encore, il lui arrivait de servir d'entremetteur. En échange, elle pensait à lui dès qu'elle dégotait une nouvelle paire d'escarpins. Elle était devenue experte pour donner à son cou-de-pied une courbure aussi aguicheuse que photogénique.
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Un mouvement en bas de sa rue attira soudain son attention, causant une petite inondation dans son bureau. Elle secoua sa baguette pour faire cesser l'arrosage et assécher le sol, puis elle reporta son attention vers l'extérieur.
Une silhouette au pas erratique faisait des allers-retours devant un lampadaire. Son lampadaire.
De la silhouette, elle ne devinait pas grand-chose. Au mieux pouvait-elle supposer qu'il s'agissait d'un humain mâle. Le corps, emmitouflé dans un grand manteau avec capuche comme souvent l'était les personnes se rendant dans l'allée des Embrumes, finit par stopper ses va-et-vient.
De son appartement, situé au troisième étage d'un immeuble faisant l'angle de l'allée des Embrumes et de l'impasse des Vipérines, Luna ne manquait rien de la scène. La silhouette s'avança lentement près du lampadaire, jetant des regards à droite et à gauche dans la rue, vide en ce début de soirée.
Pour avoir elle-même ensorcelée le réverbère et assistée de nombreuses fois à la scène, Luna savait ce qui allait se passer ensuite. La personne approchant son corps du poteau, collant son bassin contre le fer froid et se mettant à se frotter contre lui tout en exprimant à haute voix son fantasme le plus secret. Et là, Luna avait prévu une petite subtilité. Le dispositif magique ne se déclenchait que si un niveau d'intensité minimum était atteint.
Alors, chacun avait un peu sa méthode, dévoilant une part de sa personnalité. Olivier criait, voire hurlait « j'aime les fessées » tout en restant très statique. La voix d'Edmond dépassait à peine le murmure, mais ses mouvements des bassins étaient frénétiques. Lucius, l'image même du contrôle, s'exprimait d'une voix haute et claire tout en se frottant avec une régularité de métronome.
L'inconnu attrapa le réverbère d'un bras et imprima à son corps un mouvement de haut en bas presque mécanique. « Quel manque d'enthousiasme. » pensa Luna. Cependant, elle était intriguée : le comportement de l'inconnu ne lui permettait pas de connaître son identité. Alors que ce lampadaire n'était utilisé que par ses habitués.
Le manège de l'inconnu dura un moment. Luna supposa qu'il n'osait pas parler, ou qu'il le faisait trop discrètement. À moins qu'il ne soit pas au courant de cet aspect de l'enchantement. Dans ce cas, il pouvait toujours s'escrimer éternellement contre le pylône, cela ne l'avancerait à rien.
La silhouette continuait de tourner sa tête de tout côté.
– Ne t'inquiète pas, murmura Luna. Le sortilège de Discrétion autour de mon lampadaire d'entrée est suffisamment puissant pour garantir ton anonymat.
Soudain, elle entendit le son clair du frottement des briques contre le verre. Sa porte était ouverte. Il ne lui restait plus qu'à attendre.
Elle s'assit derrière son bureau, faisant ainsi face au couloir de l'entrée, le dos bien droit, et y déposa sa baguette de bois clair, bien en évidence tout en étant à portée de main. Les bruits de pas, montant l'escalier, se rapprochèrent puis s'arrêtèrent. La porte au fond du couloir s'ouvrit, laissant entrer la silhouette.
Celle-ci fit quelque pas et ôta sa capuche, dévoilant le visage d'un jeune homme aux cheveux blond polaire dont les aux yeux gris, arrondis par la surprise, se plantèrent dans ceux de Luna.
– Lovegood ? s'exclama-t-il.
Luna se retint de lâcher un identique « Malefoy ? ». Au lieu de quoi, elle demanda :
– Tu as donc si peu confiance en tes yeux, Drago, pour que tu ressentes le besoin de poser cette question ?
