Ce récit commence juste après les chapitres 8 et 9 de Vers l'avenir.

Comme il n'y a pas vraiment de « nouveaux » personnages principaux dans ce récit, je vous conseille vivement d'avoir lu Au-delà des étoiles et Par-delà le destin avant. Après, je suppose qu'il est possible de prendre en cours de route.
Il ne s'agit pour l'instant pas tant d'un récit suivi que d'une suite de moments.

Petit portrait de Tom à peu près à cet âge (sans les espaces):

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Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 246, an 11.

Ubris, lance l'enregistrement. Ça tourne déjà ? Ah. Merci de me le dire que maintenant ! Enfin bon... donc il est, euh... trois heures du matin, heure locale... ce qui donne... quatorze heure, temps d'Oumana. On est donc le jour 245... non... 246 de l'an 11. On vient de quitter l'orbite de la Terre. Dans cinquante-deux heures, on devrait arriver en bordure du système et pouvoir entrer en hyperespace sans être détectés. Par je ne sais quel miracle, Zen'kan est toujours en vie et en bonne santé alors qu'il a été sous ma responsabilité pendant trois jours. Je vais appeler ça une victoire. Je sais que Milena me l'a confié en espérant que j'arrive à mettre un peu de bon sens dans sa caboche mais... comme dire... ce gosse a encore moins de bon sens que moi, et les reines savent que j'en ai pas beaucoup. Hahaha !

Pour être exact mon bon sens s'appelle Jiu et Liu. Enfin bref, heureusement que ces deux-là étaient là pour gérer l'équipage et la diplomatie avec ce foutu brigadier Moustache-fâchée ! Je sais pas ce que je ferais sans eux... mais shhhht, c'est confidentiel ! Donc bon, ils se sont occupé des aspects chiants, et moi, j'ai essayé de m'occuper de mon frère. J'admire vraiment mes mères. Milena plus encore que Jin'shi. Elle, elle a remis le couvert avec une seconde larve wraith ! Vraiment, je l'admire. C'est facile de le faire manger, et de l'occuper... surtout en faisant des blagues à l'équipage... mais... je me rends bien compte qu'élever une larve c'est pas ça... Tout ce qu'elle fait pour lui... ce qu'elle a fait pour moi... J'en serais parfaitement incapable...

D'ailleurs en parlant de parentalité... Jin'shi avait raison. Milena a pas sauté de joie en apprenant que j'ai été élu capitaine de bord. Je suppose que c'était prévisible... héhé... Je sais qu'au fond, elle est fière de moi... même si pour être tout à fait honnête, je crois que je la comprends. C'est pas exactement le travail le plus tranquille de l'univers ! Enfin... trêve de blabla... On m'appelle sur le pont. C'est l'heure de prouver que je vaux mes galons.
Tom Giacometti, fin d'enregistrement.

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Au final, il ne s'agissait que d'un problème mineur. Un problème qui aurait pu être grave, mais qui au final n'avait été que mineur. Ils n'avaient perdu que trois heures sur l'horaire prévu, et il avait passé un savon au technicien qui s'était endormi sur sa console. Léonard avait sagement attendu son tour pour en passer un – encore pire – au pauvre humain. Il n'avait pas essayé de modérer l'ingénieur en chef. La double engueulade était méritée. Cet idiot s'était endormi à son poste et avait accidentellement désactivé l'occulteur de l'Utopia. Ils n'étaient restés visibles que vingt-six secondes, le temps que Jiu, de garde dans le poste de pilotage, ne s'en rendre compte et le réactive, mais un scanner terrien longue portée les avait accrochés dans ce court laps de temps. Il avait immédiatement fait changer le cap, et le détour de quelques millions de kilomètre leur avait fait perdre trois heures. Mais prudence étant mère de sûreté, il ne regrettait pas son choix, même si leurs senseurs passifs semblaient indiquer qu'aucun vaisseau n'était à leurs trousses, ni même en train d'explorer leur ancienne trajectoire.

Leur absolue discrétion était la clé de la sécurité du plan le plus ambitieux jamais mené à ce jour par les Ouman'shiis : élever et éduquer en secret sur Terre une jeune reine wraith et deux mâles – dont son petit frère – pour qu'ils deviennent les futurs leaders de leur peuple.

Et il ferait tout son possible pour que, si le plan échoue, ce ne soit pas à cause de lui !

C'est pourquoi il était resté dans le poste de contrôle, à surveiller les écrans pendant trente heures d'affilée, ne s'autorisant que de brèves transes en demi-stase jusqu'à ce que Léonard, son air de vieux wraith qui en sait beaucoup au visage, ne vienne l'en déloger pour l'envoyer dormir. Il avait essayé de protester malgré la fatigue, mais Liu et Jiu l'avaient chacun attrapé par un bras, et traîné jusqu'à ses quartiers. Ce n'était qu'une fois arrivé à destination, dans le calme frais de sa cabine bordélique, qu'il avait réalisé qu'il était épuisé, affamé et puant.

Ses hysthars lui avaient fait chacun un don d'énergie vitale, puis Jiu était parti prendre sa relève aux commandes, tandis que Liu, sans aucune délicatesse, lui arrachait presque sa veste d'uniforme. Elle lui aurait aussi enlevé le reste s'il ne l'en avait pas empêchée, s'enfermant de peu dans sa salle de bain privative.

Il avait sans doute un peu abusé de l'eau chaude, mais merde, il était le capitaine après tout !

Pour la millième fois au moins, il pesta mentalement contre le pommeau de douche fixe, construit par des Lanthiens pour accommoder des personnes de taille humaine et pas des wraiths de deux mètres et quelques comme lui, et, pliant un peu les genoux, il glissa la tête dessous, laissant l'eau détremper ses cheveux, collant les longues mèches de son mohawk sur son visage et les parties rasées en pleine repousse des deux côtés. Passant une main sur le fin duvet, il constata qu'il était plus que temps qu'il s'organise des retrouvailles avec son rasoir. Un petit rituel mensuel depuis une décennie déjà. Il sourit.

Il se souvenait encore du jour où il avait rasé ses côtés pour la première fois. Liu l'avait aidé à voler un rasoir, et ils s'étaient cachés dans une pièce abandonnée d'Atlantis pour le faire. Regarder les mèches blanches tomber avait été terrifiant. Libérateur aussi. Il s'était senti, pour la première fois de sa vie, vraiment maître de son destin. Même si à la base, il avait surtout fait ça, soyons honnêtes, pour faire chier le commandant Ko'reyn, dont le regard et les remarques dédaigneuses sur son éducation humaine l'avaient fait sortir de ses gonds, il n'avait jamais laissé ses mèches latérales repousser de plus de quelques centimètres. Il n'avait jamais coupé le reste de ses cheveux, et ils lui arrivaient à présent au milieu du dos, le forçant à les attacher la plupart du temps pour ne pas ressembler à une créature sortie tout droit d'un marais, mais il était fier de cette coiffure. Liu, puis Jiu l'avaient imité quelque temps plus tard, et sans qu'il y ait jamais rien eu de formel là-dedans, c'était devenu une sorte de tradition à bord.

Effectuer une année complète de service sur l'Utopia donnait le droit de se raser un côté. Deux ans, les deux côtés. C'était un bon moyen de savoir qui était capable de survivre et qui ne l'était pas. Même Ubris, l'IA de bord s'y était mise, relookant son adorable hologramme de jeune femelle hybride. Le seul qui avait refusé de s'y plier était Léonard. Non pas que le vieux grincheux ait quoi que ce soit à prouver à qui que ce soit. Surtout pas à bord de l'Utopia. De tous les membres de l'équipage, il était le plus légitime. Après tout, c'était lui l'artisan de la résurrection de l'antique vaisseau lanthien, qu'il avait réparé et amélioré avec dévouement et passion dès le jour où Rosanna et Markus l'y avaient conduit. On lui avait donné une ruine enterrée sous une jungle et il en avait fait le plus dangereux vaisseau de la flotte ouman'shii. Presque tout seul, et avec seulement un bras ! Après de tels exploits, pas besoin d'une coupe de cheveux pour attester de ses capacités.

Toujours penché en avant pour que l'eau continue à lui couler sur la tête, Tom appuya son front contre la paroi fraîche. Même si ses schiitars s'étaient ouverts alors qu'il n'avait que seize ans, il n'avait pas encore tout à fait la force et l'endurance d'un wraith adulte, et ses trente heures de veille avaient sérieusement entamé ses réserves. Il sourit tristement. Sans doute n'était-il pas possible de toujours tricher avec la biologie. Comme le lui avait rappelé Milena, il n'avait que vingt-trois ans. Pour les standards wraiths, c'était à peine s'il commençait à être adolescent. Autrefois, sur les ruches, un wraith ne devenait adulte qu'autour de son premier siècle, lorsqu'il était présenté à et imprégné de sa reine.

A vrai dire, c'était toujours le cas sur l'immense majorité des ruches. Sur toute sauf une, pour ce qu'il en savait. Et la seule ruche à ne pas le faire était la sienne. La ruche de Silla, sur laquelle il était né. Et si ce n'était plus le cas, c'était parce qu'il n'y avait plus de larves à maltraiter à bord. Elles avaient toutes été tuées lorsque les Ouman'shiis, Rosanna en tête, avaient tué Silla et s'étaient emparés de la ruche. Tous ses jeunes frères – des centaines – avaient été abattus comme du bétail par les gardiens du couvain, pour faire de la place à la progéniture de la nouvelle reine, comme l'exigeait leurs traditions dépravées.

Il avait tout d'abord cru être le dernier fils de Silla, puis il avait découvert Zen'kan, à peine éclos, et pourtant déjà assez malin pour se cacher dans un conduit et survivre. Il l'avait récupéré au milieu des cadavres pourrissants de leurs frères, et Milena l'avait adopté. La meilleure chose qui pouvait arriver à cette larve.

Une ou deux larmes se mêlèrent à l'eau qui ruisselait sur son visage. Chaque fois, même des années après, il revoyait les yeux morts de ses frères qui le fixaient, accusateurs.

Une seule couvée entière avait survécu. De jeunes guerriers, de plus cinquante ans, que le maître du couvain avait jugé prêts à commencer à servir la nouvelle reine. Presque des adultes à présent. Ils étaient toujours là, à bord de la ruche, en train d'être formés selon les préceptes traditionnels pour il ne savait trop quel usage par Delleb. Ils ne connaîtraient jamais la joie d'avoir une famille, d'être aimés et chéris, mais ils étaient en vie. C'était mieux que rien. Il se passa une main fatiguée sur le visage. Il fallait qu'il dorme. Il devenait sentimental.

Coupant l'eau, il sortit, se sécha vaguement et, balançant sa serviette humide dans le noir, partit s'effondrer sur son lit.

« Mets-toi sous les couvertures, au moins ! » siffla Liu, assise sur son bureau, noyée dans les ombres.

Il lui répondit d'un vague grognement et d'un geste grossier de la main.

Sautant de son perchoir, elle s'approcha et lui colla une fessée sèche, qui le fit bondir en feulant.

« Non pas que je n'apprécie pas la vue charmante de ton fion, mais tu vas choper un rhume si tu dors sous la clim en étant à moitié trempé.» poursuivit-elle, arrachant les draps du lit.
Avec un grondement trop las pour être vraiment mauvais, il se laissa retomber sur son matelas. Elle lança la couverture délicieusement fraîche sur lui, le borda serré, et lui déposa un baiser sur la joue.

« Bonne nuit, mon doux hystar... » susurra-t-elle, sardonique.

« Mmmmhnn-nuit... » maugréa-t-il, assortissant ses presque paroles d'un nouveau geste grossier.

Le temps qu'elle quitte la pièce et referme la porte, il dormait déjà à poings fermés.