« Oh, on a raté la cérémonie de la Répartition », murmura Hermione.
Harry balaya rapidement la Grande Salle du regard tout en se remémorant fugacement sa propre Répartition, deux ans plus tôt. Les premières années fraichement débarqués à Poudlard devaient se soumettre au jugement impartial du Choixpeau, qui les répartissait à Gryffondor, Poufsouffle, Serdaigle ou Serpentard selon leurs affinités. Normalement, il aurait dû y assister, assis à la table des Lions, applaudissant bruyamment à chaque nom qui se révélait associé à la Maison du courage et de la bravoure – mais par un malheureux concours de circonstances, il s'était vu privé de ce plaisir tribal.
Ignorant du mieux qu'il le put les habituels commentaires glissés à voix basse à son passage, le Survivant atteignit sans plus d'encombres la table des Gryffondors et prit place aux côtés de Ron Weasley, son meilleur ami, tandis qu'Hermione s'asseyait en face d'eux. De là où il était, il pouvait admirer la table des Serpentards dans toute sa splendeur. Malgré la distance, il n'eut aucun mal à discerner un blondinet de treize ans lui adresser un grand sourire moqueur, aussitôt suivi d'une imitation à la gestuelle exagérée de quelqu'un tombant dans les pommes : le récit de sa mésaventure dans le train s'était propagé plus vite qu'une maladie contagieuse. Cependant, habitué aux railleries, Harry ne prêta pas davantage attention à Drago Malfoy et se focalisa sur ce que racontait Ron avec enthousiasme :
« Il y a un nouveau, leur disait-il malgré sa bouche pleine à craquer.
« Un nouveau ? s'étonna Hermione. Tu veux dire… d'une autre école de magie ?
« Moui, déglutit le rouquin sous le regard dégouté de la jeune fille. C'est super rare. La dernière fois que ça s'est produit… c'est quand Papa était encore à Poudlard. C'était un Brésilien à l'époque, Papa m'a raconté qu'il était vraiment épatant !
« A…attends, quoi ? le coupa Harry qui venait tout juste de s'intéresser à la conversation en cours. Une… une autre école de magie ?!
« Ben oui, répliqua Hermione. Quoi, tu imaginais que Poudlard était la seule école pour sorciers au monde ? »
Maintenant qu'elle le disait, ça paraissait parfaitement logique. Seulement, jamais auparavant Harry n'avait réfléchi à l'existence d'autres sorciers dans le monde – toujours trop absorbé par ses découvertes dans le monde magique anglais.
« C'est fou qu'on ait cette chance ! s'exclama Hermione sans tenir compte de son choc. Un sorcier d'un autre pays ! Ouah ! Il a sans doute appris la magie d'une manière complètement différente que la nôtre ! J'ai lu que les sorcier Brésiliens faisaient des études bien plus poussées que nous en matière de Soins aux Créatures Magiques ! Et que les Africains étaient capables de faire de la magie sans baguette et qu'ils devenaient tous des Animagi ! D'où est-ce qu'il vient ? »
Harry avait rarement vu Hermione aussi excité par l'opportunité de rencontrer quelqu'un. En général, elle ne manifestait cet enthousiasme qu'en présence de ses livres adorés.
Pourtant, malgré l'air rayonnant de son amie, le visage de Ron s'assombrit quelque peu.
« Il vient de Durmstrang, répondit-il. Il est russe. »
Le changement d'expression d'Hermione fut assez frappant : elle écarquilla les yeux et entrouvrit la bouche, un air de stupéfaction et même d'horreur se répandant sur son visage.
« Euh… qu'est-ce qui se passe, il y a un problème ? bafouilla Harry après quelques instants de silence.
« Eh bien…, commença Hermione d'une voix incertaine, tentant de reprendre contenance.
« Il y a que les sorciers russes sont souvent liés à la magie noire, répondit Ron, une lueur de haine apparente dans son regard. Déjà, leurs familles le sont toutes, et puis Durmstrang les encourage à tourner mal !
« Il parait qu'ils y enseignent la magie noire, compléta Hermione, manifestement déçue et un peu dégoutée. C'est une vraie usine à produire des mages noirs !
« Ah… je vois, fit Harry. En somme, c'est un peu comme nos Serpentards ?
« En parlant de ça, devine dans quelle Maison le Choixpeau l'a réparti », marmonna Ron en désignant une extrémité de la table Vert et Argent du menton.
Harry suivit son regard et finit par tomber effectivement sur un élève qu'il n'avait jamais vu avant. C'était peut-être un quatrième ou cinquième année, pas très grand, plutôt mince – pas bien menaçant en somme. Sous ses mèches sombres, son teint était assez pâle et ses joues un peu creusées, comme s'il sortait de convalescence, mais cet aspect maladif de premier abord contrastait avec son comportement qui transpirait la curiosité et la vivacité : il examinait avec beaucoup d'attention les éléments de son entourage, qu'il s'agisse du plafond enchanté, des couverts dorés ou des tapisseries ornementées des Quatre Maisons, un doux sourire rêveur et émerveillé aux lèvres, et ses yeux clairs luisaient d'un intérêt et d'une énergie surprenants, distinguables même de loin.
Il ne semblait guère prêter attention aux autres Serpentards pourtant, lorsqu'un voisin – un grand gaillard de cinquième année – lui adressa la parole, il répliqua aussitôt, le visage soudain rayonnant, et finit par s'immiscer vivement dans la conversation en cours à son coin de la table.
Malgré les paroles de Ron et d'Hermione, Harry ne ressentit d'instinct aucun sentiment de méfiance vis à vis de cet individu – tout au plus, une vague indifférence. Ne prêtant plus attention à ses deux amis qui étaient passés à un autre sujet, le Survivant se concentra sur son assiette, savourant cette nourriture délicieuse qu'il n'avait aucune chance de manger ailleurs qu'à Poudlard.
OooO
Les véritables bizarreries du « nouveau » ne commencèrent à se manifester que le lendemain du jour de la rentrée.
C'était une journée en apparence banale. Il faisait beau, bien qu'un peu frais il était encore assez tôt dans la matinée, tous les élèves n'étaient pas descendus dans la Grande Salle. Un petit groupe de Poufsouffles de cinquième année, quatre filles et trois garçons, discutaient tranquillement, deux d'entre eux nonchalamment adossés à la table, les autres assis devant leur chocolat chaud. Ils venaient de recevoir leur emploi du temps et se lamentaient faussement face à la quantité de travail qu'ils allaient devoir fournir cette année pour passer leurs B.U.S.E.
C'est alors que…
« Bonjour ! Enchanté, je m'appelle Nikita, Nikita Lebedev, je suis le nouveau ! Et vous ? »
Il y eut un grand silence. Même les élèves alentours s'étaient tus et tournés, yeux écarquillés, vers cette scène surréaliste.
L'élève à l'écusson à l'effigie d'un serpent argenté se tenait à deux pas du petit groupe de Poufsouffles, qui ne l'avait pas senti s'approcher. Un grand sourire franc, presque naïf, ornait son visage qui s'était légèrement coloré au niveau des pommettes. Ses yeux ne trahissaient pas la moindre ruse ou intention hostile : au contraire, leur éclat était chaleureux et amical.
Cette réaction de la part de son entourage ne parvint pas à décontenancer le Russe, qui se contenta de lancer un coup d'œil égal en direction de la table des Serpentards – qui semblaient tous tendus, comme sur le point de bondir ou de fuir, les yeux rivés sur lui. Pour une raison obscure, son sourire s'élargit imperceptiblement et il fit un pas en avant vers les Poufsouffles comme pétrifiés.
« Oh, euh… je voulais juste faire votre connaissance, expliqua-t-il d'une voix claire – il était par ailleurs à noter qu'il parlait dans un anglais impeccable et que sa prononciation était fluide, nette et agréable. J'ai vu qu'on partagerait plusieurs cours par semaine, désigna-t-il l'emploi du temps de l'une d'entre eux.
« Euh… Oui, oui, c'est vrai, intervint enfin l'une des Poufsouffles, s'efforçant de paraitre naturelle et détachée. On a cours de métamorphose lundi, de botanique le mardi et de défense contre les forces du mal le jeudi après-midi… Au fait, enchantée, moi c'est Mary ! Mary Blumel !
« Bonjour Mary ! Ah, ce sera une nouvelle matière pour moi ça, DCFM ! Je suis très curieux de voir comment ça se passe, à Poudlard… en fait, je suis très impatient de commencer les cours ! Mes vacances ont été trop longues, j'ai hâte de reprendre ! Pas vous ? »
Les Poufsouffles se regardèrent, intrigués par ce volubile personnage. Jamais, au grand jamais, même dans leurs rêves les plus fous, ils n'auraient imaginé se trouver dans semblable situation : être abordés par un Serpentard – un Serpentard qui venait tout droit de Durmstrang, qui plus était ! – qui tenait manifestement à avoir une discussion parfaitement saine et normale avec eux. Mais leur nature accommodante de Poufsouffles reprit vite le dessus bientôt, tous les huit riaient ensemble de bon cœur comme de vieux amis, sous les regards quelque peu médusés des témoins de toute cette scène.
Cet incident ne demeura pas isolé, loin de là : une journée de plus suffit à ce dénommé Nikita à se lier d'amitié avec quelques Serdaigles de cinquième et de sixième années, avides de discuter avec cet étranger pour l'instant bien mystérieux. Et il ne les déçut pas, bien au contraire : il s'avéra très vite que le Russe possédait des connaissances très vastes, presque encyclopédiques dans les domaines qui l'intéressaient, et qu'il s'épanouissait comme un poisson dans l'eau dans les grandes discussions théoriques que privilégiaient les Serdaigles, notamment celles portant sur l'origine même de la magie et ses différents types d'utilisation.
« Onde ou particule ? déclamait justement Quentin Hazelwood – une grande perche de sixième année, qui dépassait facilement d'une tête ses camarades de classe – alors qu'il se tenait en compagnie de plusieurs Serdaigles attentifs près des escaliers donnant sur la cour intérieure du château.
« Telle est la question : personne n'a encore réussi à trancher ! », résonna une voix derrière lui.
Tous se retournèrent : c'était Nikita, bien sûr ! Curieux, les Serdaigles s'écartèrent poliment pour le laisser prendre place parmi eux : pour le moment, ils n'avaient pas encore osé venir l'aborder, mais ils ne s'attendaient absolument pas à ce que le premier pas soit fait par lui !
En leur adressant un sourire aimable, le Serpentard se faufila confortablement au sein de leur groupe, s'adossant contre un muret, un soulagement certain visible sur son visage un peu fatigué lorsqu'il se délesta de son sac anormalement volumineux pour une première journée de cours. Les Serdaigles, bien que brûlant d'envie de le questionner au sujet de son contenu (de toute évidence livresque, ce qui ne faisait qu'attiser leur intérêt déjà très vif), demeurèrent pourtant cois, attendant patiemment que le nouveau venu prenne la parole pour mieux pouvoir le jauger.
« Bonjour, je suis Nikita ! se présenta-t-il avec enthousiasme. On a eu cours ensemble aujourd'hui, non ? Je reconnais le visage de certains d'entre vous… mais je ne connais pas vos noms, désolé.
« Salut, lui sourit un cinquième année. Oui, on a eu sortilèges. Je suis Peter !
« Et moi Heidi ! intervint une fille.
« Et moi Jack !
« Moi c'est Hortense.
« Je m'appelle Clark, enchanté.
« Jeremy.
« Patrick, mais on m'appelle Pat !
« Ryan. »
Nikita adressa un signe de tête amical à chaque personne présentée, se concentrant visiblement pour enregistrer tous ces nouveaux noms et visages. Lorsqu'ils eurent tous fini, son regard se posa sur Quentin, qui n'avait pas encore ouvert la bouche.
Ce dernier l'examinait minutieusement, d'un regard perçant et méthodique, comme s'il voulait lire dans ses pensées. Quentin était l'élève le plus talentueux de sa promotion : les professeurs lui prophétisaient un brillant avenir et bien qu'il ne l'évoquât que rarement, il en ressentait une grande fierté et prodiguait volontiers ses sages conseils aux élèves plus jeunes de sa Maison. Il avait la réputation d'avoir toujours une réponse à tout et de ne jamais être perturbé par quoi que ce soit, agissant de manière calme, réfléchie et rationnelle en toute situation.
De même, il n'était pas dans ses habitudes de se voir couper la parole… d'autant plus que l'actuel perturbateur semblait en savoir aussi long que lui sur le sujet de sa « conférence » ! Ce qui était pourtant impensable : les théories sur la nature même de la magie n'étaient enseignées que dans certaines filières très spécifiques après Poudlard, aucun autre élève que lui ne s'y était jamais intéressé – à cause de leur grande complexité. Actuellement, le Russe n'inspirait que méfiance au grand Serdaigle : s'il était venu, c'était sans doute pour le narguer, se moquer de lui, comme savaient si bien le faire les élèves de la Maison Vert et Argent…
« Lui, c'est Quentin, dit Clark en désignant son ainé. Il nous parlait justement d'une théorie sur la nature de la magie… euh… à propos du fait qu'on ne sait pas vraiment à quoi ça ressemble, à l'échelle microscopique…
« Oui je sais, j'ai entendu de loin ! » acquiesça vivement Nikita, les joues un peu roses, les yeux pétillants, visiblement emballé par le sujet.
Il n'avait pas eu à les espionner : lorsque Quentin donnait ses « conférences », sa voix pouvait porter d'un bout à l'autre du stade de Quidditch.
« Je disais, reprit soudain le sixième année faisant mine d'ignorer le nouvel arrivant, qu'on ne sait pas si la magie élémentaire se présente sous forme d'onde, ou sous forme de particules…
« Oui, j'ai lu quelques livres à ce sujet ! confirma Nikita d'un air très intéressé. D'ailleurs, les Moldus ont rencontré un problème semblable quand ils ont voulu analyser la nature de la lumière : beaucoup de chercheurs estiment que les deux problèmes sont liés… »
Les Serdaigles ne purent cacher leur étonnement à l'évocation des Moldus : comment un Serpentard aurait-il pu témoigner le moindre intérêt à ces « êtres inférieurs » – en reprenant les termes généralement employés par les membres de la Maison au serpent ? Et puis, les élèves de Durmstrang n'avaient-ils pas la solide réputation d'exécrer tout ce qui touchait de près ou de loin au monde non-magique ?
Pourtant, le jeune Russe ne sembla pas le moins du monde remarquer leur stupeur.
« La magie donne souvent l'impression de se propager comme une onde dans l'air. Mais dans certaines situations elle se dote davantage des propriétés de minuscules particules… surtout lorsqu'elle interagit avec les êtres vivants ! »
Ce fut au tour de Quentin, jusque-là ennuyé de s'être fait si impertinemment interrompre, de froncer les sourcils d'étonnement :
« Avec les êtres vivants ? répéta-t-il. Je n'ai jamais rien lu à ce sujet… Je pensais que la magie se condensait en particule à chaque fois qu'elle rencontrait un objet solide…
« Eh bien, pas toujours, rétorqua Nikita. Dans certains cas, elle continue de se propager le long de l'objet, comme une vague – c'est le cas de certains sorts de protection, qui ne changent pas de nature selon qu'ils sont dans l'air ou qu'ils rencontrent un obstacle. D'ailleurs, l'air est aussi constitué de particules, bien que très éparses…
« Oui, oui, je sais, coupa Quentin d'un geste impatient. Je n'avais pas forcément songé aux sorts de protection, je pensais plutôt aux sortilèges d'attaque, qui se dissipent dans une nuée de petites particules quand ils atteignent un objet solide.
« Oui, le comportement qu'adopte une onde magique dépend de l'impulsion qu'on lui a conférée au départ, approuva le Russe qui semblait de plus en plus enflammé par la perspective d'une discussion intéressante avec son ainé. Il y a énormément d'études à ce sujet, on estime que les civilisations primitives ayant commencé à se servir de la magie ont peu à peu appris à corréler cette impulsion de départ déterminante avec leur propre état émotionnel… les mots qu'on utilise actuellement pour lancer des sortilèges sont généralement très riches de sens et très parlants à notre inconscient collectif, comme s'ils compactaient ces « émotions » originelles complexes en seulement quelques lettres… »
Quentin Hazelwood fut positivement surpris par cette dernière réplique :
« Oh, je vois que tu as lu La pensée magique : du sorcier tribal à nos jour, d'Ernest Vaille ! C'est la thèse qu'il y a développée.
« En effet, c'est un excellent ouvrage de vulgarisation ! Je me demande pourquoi il n'existe aucune matière scolaire qui traite de ces sujets, c'est absolument passionnant ! »
Les élèves autour d'eux s'échangeaient des regards perdus, n'ayant absolument pas les mêmes références littéraires. Ils trouvaient déjà cette coïncidence extraordinaire, que deux passionnés de ce genre de domaines abscons se soient si vite trouvés dans une école si grande… mais nul ne doutait qu'ils allaient certainement très vite se lier d'amitié !
