Chapitre 53

Cela devenait une habitude.
Si cela n'avait pas été si dramatique, Jane en aurait ri.
En cet instant, elle préféra lâcher un grognement sonore, avant de plaquer sa main sur ses paupières.

- Je vais te tuer !

Ah. Darcy, et sa douce voix tendre et féminine. Le cri aigu de la brune alternait entre celui d'une harpie et d'une mère louve, selon son niveau d'inquiétude. Vu le niveau de fureur qu'elle pouvait entendre dans la voix de son amie, Jane savait qu'elle était dans le pétrin jusqu'au cou.

- Dar'.. Tais-toi..

- Comment ça, tais-toi ? Tu ne me dis pas de me taire ! Je vais t'exploser !

La blonde soupira, avant de se redresser lentement. Presque immédiatement, plusieurs paires de mains se posèrent sur elle, certaines cherchant à la repousser en arrière, d'autres la soutenant pour s'assoir. Finalement, Jane réussit à pivoter pour s'assoir sur le canapé, avant de laisser tomber sa tête entre ses mains.

- Uuuuuuuuuuuurg..

- Bien sûr que tu as mal à la tête ! Tu t'es barrée comme une conne, et après tu as fait une crise de magie sur la colline ! C'est ça que tu leur fais subir depuis des mois ? T'as pas intérêt à détruire la baraque ! J'ai pas les moyens de la repayer !

- Darcy.. pitié.. ferme-la, grogna-t-elle en se frottant le crâne.

- Ferme-la, ferme-la.. Tu vas voir si je vais la fermer, siffla son amie en s'asseyant à côté d'elle, et elle n'avait pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir qu'elle la fixait avec fureur. Tu sais la peur que tu nous as foutu ? C'est quoi ce bordel ?

- La Pomme..

- La Pomme elle a bon dos la Pomme ! Pourquoi tu t'es cassée ?

Jane resta silencieuse, ne répondant pas immédiatement. Lorsqu'elle ouvrit finalement les yeux, ce fut pour découvrir avec soulagement que la lumière avait été abaissée. Un soupir lui échappa, avant qu'elle ne grogne de soulagement lorsque quelqu'un – Fendral ? – posa une tasse de thé entre ses mains. Un bruit de pas lui indiqua que les deux hommes s'étaient éloignés, disparaissant quelque part dans le chalet pour les laisser seules.

Jane leur en était reconnaissante.

Elle était trop épuisée pour faire face à tout le monde en même temps.

- C'était trop, murmura-t-elle finalement. Trop de stimuli.. Mon cerveau a surchauffé.

- Ça, j'avais compris.. c'est la suite dont je te parle, commenta Darcy en fronçant les sourcils.

Jane roula des yeux, son expression se renfermant.

- Je te l'ai dit : c'était trop. J'avais besoin d'air. Désolée, soupira-t-elle finalement, sans oser la regarder.

Darçy haussa les épaules, mais elle se détendit, et Jane sentit une vague de soulagement l'envahir.

- Tu nous as vraiment foutu la trouille.. Thor voulait partir à ta recherche tout de suite, mais Fendral s'y est opposé : il disait qu'il fallait te laisser le temps de te calmer, ou sinon ta crise risquait d'augmenter. Putain, c'est le genre de trucs que tu as vécu là-haut ? C'est flippant !

- Je sais, soupira Jane. Je .. J'aimerai te dire que je ne t'aurai jamais agressée, mais.. Elle baissa la tête, sa voix se brisant. Je les ai attaqués eux..

- Ma pauvre louloute, marmonna Darcy, en venant la prendre dans ses bras. Quel bazar. Au moins tu as la chance d'être bien entourée. Ils ont l'air de bien prendre soin de toi, les deux zigotos. Si les autres sont du même acabit, je suis un peu rassurée. Au moins tu n'es pas seule pour gérer tout ça.

- Ils sont super, confirma Jane, avant de renifler. Même si j'ai parfois l'impression qu'ils m'idéalisent. Quoi ? demanda-t-elle en voyant Darcy la fixer curieusement.
Celle-ci haussa les épaules.

- Rien. C'est juste.. tu es différente ?

- Parles-en, grommela Jane, mais Darcy secoua la tête.

- Je veux dire.. physiquement. Et en même temps.. tu es la même.

- Quoi ?

Darcy saisit son portable : quelques clics et elle ouvrit une photo d'elle, prise avant sa maladie.

- Tu vois ? C'est pas juste la couleur de tes cheveux, ça à la limite, on pourrait dire que c'est une teinture. C'est l'ensemble : tu étais plus petite, plus menue.. Alors que là, tu as grandi, tu es bourrée de muscles, et tu te ballades en armure. Mais bon, tu ne ressembles plus à un cadavre, donc je ne vais pas me plaindre.

Jane fixa pensivement la photo. Instinctivement, sa main se posa sur ses cheveux, caressant les longues boucles blondes.

Totalement différente, et en même temps si semblable.

A côté d'elle, Darcy continuait de parler, sa voix déterminée alors qu'elle essayait de lui faire comprendre son point.

- Tes yeux sont les mêmes. Pas juste leur couleur – ça, j'aurai vraiment eu du mal s'ils avaient changé – mais la manière dont tu fixes les gens. C'est la même curiosité, le même intérêt pour tout ce qui t'entoure. La même fascination pour le monde. Le même caractère déterminé, têtu, buté et autocentré.

Jane roula des yeux.

Ça aussi, c'était familier.

- Tu es toujours là, tête de nœud. Tu vas mal, et c'est normal, mais crois-moi, d'où je me tiens, je te vois toujours. Darçy lui sourit. Tu es toujours mon amie. Jane sentit ses yeux s'humidifier de nouveau.

- Vraiment ? murmura-t-elle.

La brune hocha la tête avec certitude.

- Absolument.

- M..merci, souffla-t-elle en fixant sa tasse.

Darçy tendit la main, la laissant poser sa tête contre son épaule pendant qu'elle la prenait dans ses bras. Elle semblait faire beaucoup cela, depuis son arrivée, mais Jane ne s'en plaignait pas. Elle ne s'en était jamais plainte, pas sérieusement, en tout cas.

- Tu ne m'as pas dit ? Quelles nouvelles étoiles as-tu étudiées ?

Jane cligna des yeux, avant de se mordre les lèvres.

- Aucune, marmonna-t-elle.

Darcy s'étouffa dans son verre.

- Quoi ? articula-t-elle, sa voix aigüe. Tu te fous de moi, là ? Aucune étoile ? Aucune constellation ? C'est quoi ce bordel ?

- Je te l'ai dit.. J'avais commencé à faire des recherches, avant de manger la Pomme.. Je me souviens que je passais beaucoup de temps à la bibliothèque. La blonde soupira. Et puis j'ai oublié.. et la passion ne me revient pas.

- Non-sens ! C'est quoi cette connerie ? L'astrophysique c'est ta vie ! Pourquoi, j'en sais strictement rien, perso je trouve ça chiant à en mourir, en plus je passe mon temps à te sauver le cu à chaque fois que tu te mets en danger, mais toi c'est ta passion, c'est ta vie, tu respires l'astrophysique, tu vis pour l'astrophysique, tu es la plus grande experte de cette planète en astrophysique ! Et tu viens me dire que la Pomme t'a fait oublier ça ?! couina la plus jeune. La plus grande passion de ta vie ? Comprendre ce qu'il y a là-haut, dans les étoiles ? Alors qu'en plus maintenant tu y es ?

- Comme tu dis, confirma Jane d'un ton morne. J'y suis, et le voile s'est déchiré.. C'était trop beau pour être vrai.

Darcy roula des yeux, exaspérée.

- Je te retrouve bien.. toujours à te plaindre. Jane la dévisagea, choquée. Rien n'est jamais parfait, ma fille. Evidemment qu'il y a un prix à payer, tu l'as toujours su, c'est pour cela que tu disais non, même quand je pleurais et que je te demandais de manger cette putain de pomme !

Son amie se mordit la lèvre, une nouvelle vague de culpabilité la saisissant. Darcy secoua la main.

- Je t'ai pardonnée, ne t'inquiète pas. Je comprends ta peur de t'oublier, et au vu de tout ce que tu me racontes, tu avais raison de t'inquiéter. Mais, Jane, il faut que tu comprennes, il n'y a pas que toi qui as payé un prix, on l'a tous fait.. On t'a laissée partir sans savoir si on te reverrait, alors que tu étais mourante.. La seule raison pour laquelle on est au courant de ta guérison, c'est parce que Thor est venu.. Tu n'as jamais répondu à nos lettres, soupira-t-elle.

Jane baissa la tête.

- Je sais. Je suis désolée.. J'avais peur de les lire..

- Je sais.. Je ne t'en veux pas.. Enfin, si un peu, quand même, mais disons que je ne suis pas surprise, c'était à prévoir, c'est comme ça que tu fonctionnes.. Je te connais mieux que tout le monde, rappelle-toi, la taquina-t-elle.

Jane déglutit.

Tant de loyauté en son amie, alors qu'elle avait toutes les raisons du monde de lui en vouloir.

- Je.. J'ai peur, Darcy.. Je suis dépassée.. Je ne regrette pas d'avoir mangé la Pomme, mais je ne maitrise plus rien.. Je ne sais pas quoi faire, admit-elle en pleurant.

- Je sais, ma biche, soupira Darcy en la serrant de nouveau contre elle. On trouvera une solution, je te le promets. On l'a toujours fait.