Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 208, an 18.
En regard de la doctrine instaurée par la grande régente Delleb, un avertissement a été donné aux Taremiens, après neutralisation de la menace qu'est le chef Jaffa Dalak. Je crois que le message est passé.
Quoi qu'il en soit il s'est avéré, après examen télépathique de cette...(Ksssh)...raclure de Dalak, qu'il ne connaissait pas les coordonnées de mondes Unas, contrairement à ce qu'il nous avait promis. En revanche, il exploite des esclaves Unas dans une mine, quelque part dans les montagnes...
Puisque... (Grmmmmh).. Jiu s'est douté que notre opération de récolte d'informations risquait d'échouer et qu'il a mis sur pied sa propre opération... en Jumper... sur un autre monde... On ne peut pas partir avant leur retour. Donc d'ici-là, on va aller voir cette mine, et si les Unas qui s'y trouvent peuvent nous être d'une quelconque utilité. Et juste par principe, on va vider cette mine ! De ses esclaves, et de tout ce qui ne sera pas boulonné au sol.
Parce que merde !
Tom Giacometti, fin d'enregistrement.
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Comment Jiu arrivait-il à garder son calme et à palabrer comme si de rien n'était avec la grande femme osseuse qu'était Kirma ?
L'odeur était aussi suffocante, dans l'espèce de bureau rempli de paperasse construit dans la sous-pente, qu'au rez de la grange.
N'y tenant plus, et certain que la mascarade de négociation allait encore durer un moment, Zen'kan s'excusa le plus poliment possible, avant de s'esquiver promptement.
Enfin dehors ! Inspirant et expirant à fond, il tâcha de purger ses narines et ses fentes respiratoires de la puanteur des lieux. Puis, il constata l'absence flagrante de Morgal et de l'escorte, et aussi perplexe qu'inquiet, parti à leur recherche.
Il n'eut pas longtemps à chercher, et trouva le petit groupe à l'arrière du bâtiment, où se trouvait une demi-douzaine de stalles supplémentaires, vaguement protégées des intempéries par un toiton en tuiles disjointes.
Inutile de parler unas pour comprendre que Morgal bouillonnait d'une rage difficilement contenue, alors qu'elle tentait en vain de communiquer avec un de ses congénères enchaîné au mur de sa cellule.
Le Unas en question portait un pantalon et une chemise de toile usée et, la tête rentrée dans les épaules, le regard soumis, tentait vainement de se faire le plus petit possible pour que la grande femelle cesse de l'invectiver.
Le reste de l'escorte se tenait un peu en retrait, l'air très emprunté. Zen'kan supposa que, Morgal ne faisant rien de vraiment problématique, ils n'avaient pas osé s'interposer de peur d'attiser encore davantage sa colère. Pour l'avoir vue furieuse, il n'allait pas les en blâmer.
Se mordillant distraitement les lèvres, il se retournait les méninges pour trouver un moyen de se rendre utile, lorsqu'un tiraillement sur le bas de son pantalon le fit bondir en avant avec un feulement surpris.
En se retournant, il découvrit un autre Unas prisonnier qui, après avoir tenté d'attirer son attention d'un bras tendu à travers les barreaux, s'était promptement recroquevillé au fond de sa cage comme pour éviter des coups.
La surprise passée, le cœur battant encore à mille à l'heure, il se retourna vers ce dernier, interloqué. Qu'est-ce que le reptile lui voulait?`
« Oui ? Tu voulais me parler ? » demanda-t-il, s'agenouillant devant la cage, avec l'impression un peu trop forte de l'absurdité totale qu'était le fait que – du haut de son petit mètre soixante – il doive s'agenouiller pour ne pas effrayer un monstre de presque deux mètres.
« Pardon ! Pardon ! Maître pas punir Doka ! Pitié ! Pas punir. »
« Tu parles ! Heu... Doka, c'est toi ? » s'étonna-t-il, avant de se reprendre.
Après tout Morgal et Tch'ana avaient été capables d'apprendre quelques mots d'anglais et de français sans trop de peine.
Le Unas opina craintivement.
Zen jeta un regard suppliant aux soldats qui observaient la scène. Qu'était-il censé faire ?
Marik'ka s'approcha après un bref échange de regards avec son camarade.
« Celui-ci parle ? »
Il opina.
« Salut. Moi, je m'appelle Marik'ka. Et toi ? »
« Doka. S'il vous plaît. Faut arrêter. Sinon, tous punis. Doka et les autres. Tous punis. Très mal. Très mal. Esclaves tranquilles, sinon mal... » supplia le Unas.
Marik'ka se retourna en direction de Laban, les poings tellement serrés que ses jointures en blanchissaient, puis jeta un regard à Morgal, qui continuait à grogner sur l'autre malheureux Unas.
Enfin, elle se retourna vers Zen'kan.
« Fais-la arrêter. »
« Comment je fais ça ?! »
« Tu te débrouilles. Mais faut qu'elle arrête. Maintenant ! »
Avec un soupir las, il se releva. Qu'était-il supposé faire ?
« Hey, Morgal ! »
Elle l'ignora.
« Morgal ! Hey ! Arrête ! » ordonna-t-il, un peu plus fort. Sans résultat.
Son instinct lui disait de ne surtout pas aller se coller entre la géante furieuse et des barreaux en acier suffisamment solides pour emprisonner un de ses congénères, mais il le fit quand même, se préparant tout de même à une éventuelle attaque.
Il en fut quitte pour un rugissement à pleins poumons, qui le laissa avec le visage couvert de postillons.
« Morgal. Arrête. Ça sert à rien. Il te comprend pas. OK ? Il comprend pas ! »
« Ta Sak nat Tan ! Taar Tak ! Unas tok taar ! Ma kan ? Kel Ka ? » (1)
« Morgal ! Je comprends pas ! Moi pas parler Unas ! Lui pas parler Unas ! Arrête ! »
Elle rugit encore un peu, grogna, le visage agité de tics, avant de reculer de quelques pas avec un grondement bas.
Zen'kan s'autorisa un soupir de soulagement.
Marik'ka, qui était restée accroupie près de l'autre cage, lui offrit un sourire encourageant avant de se retourner vers l'occupant de cette dernière.
« Voilà. C'est bon. Tout va bien. Tu vois ? »
Doka opina avec empressement. Marik'ka poursuivit après un instant.
« On est gentils. Tu vois. Tu veux bien nous aider ? »
« Maître dit. Doka fait. »
Laban, toujours aussi tendu, cracha par terre avec haine et s'éloigna à grands pas furieux.
Zen'kan allait se lancer à sa poursuite, mais Marik'ka l'en empêcha.
« Laisse-le. »
Il opina. De toute manière, il n'aurait pas su quoi dire à l'homme.
La femme se retourna vers le Unas encagé.
« Doka, est-ce que sais d'où tu viens ? Où tu es né ? »
Le Unas la fixa avec perplexité, avant de baisser la tête avec soumission.
« Dans ferme. Doka né dans ferme de reproduction. Bon parents. Forts. Obéissants. Bon prix. Doka pas castré. Bonne lignée. (Il releva la tête, une étrange lueur d'espoir dans le regard.) Doka, à vendre. Vouloir acheter ? Doka bon pour les champs. Doka sait travailler la terre. Doka utile. Vouloir être nouveau maître de Doka ? »
Zen'kan jeta un œil à Morgal. Visiblement, elle avait suivi l'échange avec attention mais n'y avait heureusement pas compris grand-chose – sinon, elle aurait déjà démoli la cage.
Marik'ka se releva, les lèvres pincées.
« Qu'est-ce qu'on fait ? » demanda-t-il plutôt à la femme.
« Qu'est-ce que tu veux faire ? Regarde-le. C'est un esclave qui n'a jamais rien connu d'autre. Je suis même pas sûre qu'il serait heureux d'être libre. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? Qu'on le libère ? Ça risque de faire capoter les négociations de Jiu. On est pas là pour les sauver. On est là pour trouver leur monde d'origine. »
« On peut pas faire les deux ? »
La femme eut un rire désabusé.
« On peut pas sauver tout le monde... »
« Mais genre lui... On pourrait pas, je sais pas... le racheter ? »
Marik'ka se retourna vers la cage.
« Hey, Doka ! Tu veux être libre ? Si on te rachète, et qu'on te libère, tu feras quoi ? »
« Vous racheter Doka ? Alors Doka vous servir. Très bien. Doka bon esclave. Doka toujours obéir. Toujours ! »
Elle se retourna vers lui.
« Tu vois ? »
Il opina, tristement. A quoi bon le libérer, s'il ne le voulait pas ?
« Ah, vous voilà !» s'exclama Jiu, tournant au coin, accompagné de Kirma.
« Vous avez trouvé les cages des esclaves agricoles, je vois. » nota cette dernière, un regard avide fixé sur Morgal. « C'est un spécimen sauvage ? Une femme en plus ! » s'extasia-t-elle, cerclant à bonne distance autour de l'intéressée – qui la fixait d'un air mauvais en feulant doucement.
« En effet. » nota Jiu d'un ton neutre.
« Elle est splendide. Elle a déjà mis bas ? » poursuivit Kirma.
Jiu ne répondit pas.
« Pas de chaînes, pas de collier. Comment vous la contrôlez ? »
Le jeune homme ne répondit pas davantage.
Kirma fit un dernier tour avant de revenir se planter devant lui.
« Je vous l'achète. Mon prix sera le vôtre. »
« Morgal n'est pas à vendre. »
« Allons. Je suis sûre qu'on peut trouver un accord. Vous m'avez dit être venus refaire votre stock. Je vous propose, disons, quatre esclaves prêts à l'usage en échange ? »
Jiu, les bras croisé, hocha négativement la tête.
« Ah ! Alors disons deux reproducteurs. Un mâle et une femelle. Deux pour le prix d'un, c'est pas mal, non ? »
« Non. »
« Alors disons trois. Deux mâles et une femelle. Qui ont tous déjà donné des petits de qualité ! »
Jiu ne répondit pas tout de suite, l'air d'y réfléchir sérieusement.
« Je veux les voir avant de conclure quoi que ce soit. »
Zen'kan ne put retenir une grimace éberluée. Est-ce que le jeune homme était tombé sur la tête ? Il songeait vraiment à vendre Morgal ?!
Kirma ricana.
« Ah ! Je savais qu'on trouverait un accord ! Venez, les reproducteurs ne sont pas ici. Vous pourrez choisir les bêtes qui vous conviennent. J'ai quelques jeunes fraîchement dressés qui devraient aussi vous intéresser. Et il faudra que vous m'expliquiez comment vous la contrôlez ! » s'exclama l'esclavagiste, joyeuse, leur faisant signe de la suivre.
Jiu la laissa prendre un peu d'avance, puis il se retourna vers eux, avant de murmurer en wraith :
« Où est Laban ? Retrouvez-le et rendez-vous au Jumper. Et emmenez Morgal avec vous. »
Marik'ka opina tandis qu'il se tournait vers la Unas – qui n'avait pas bronché. Comment la convaincre de partir en laissant ses congénères dans les cages ?
« Alors, vous venez ? » s'enquit Kirma en voyant que personne ne l'avait suivie.
« J'arrive. Je renvoyais juste mes hommes avec la marchandise au camp. Nous sommes venus négocier, et maintenant que nous avons quelque chose de concret, il est temps de prendre de quoi payer. Je suppose que de l'or et des joyaux conviennent ? »
La femme eut un sourire avide.
« Bien entendu ! »
« Dites-nous où l'on peut trouver votre élevage, et on vous y retrouve dans, disons, trois heures ? »
Kirma eut un rictus retors.
« Oh, ce serait bien compliqué de vous l'expliquer. Prenez donc votre or, votre sauvage, et retrouvons-nous ici dans trois heures : je vous emmènerai, ce n'est pas si loin. » répliqua-t-elle, comme si elle se souciait de leur confort.
Jiu accepta gracieusement, et alors que Marik'ka (qui avait disparu au coin d'un bâtiment) revenait, un Laban plus que sinistre en remorque, il se tourna vers Morgal.
« On rentre. Allez. Maison. » déclara-t-il d'un ton joyeux, comme s'il appelait un chien dissident.
La géante grogna méchamment mais lui emboîta le pas docilement, sous le regard fasciné de Kirma.
Après un dernier regard coupable à Doka qui les fixait toujours avec espoir, il suivit.
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« Vous êtes sûrs que ça va marcher ? » demanda Tom.
Avec un grincement exaspéré, Léonard se redressa, non sans avoir remis le tableau de bord du Dart en place.
« Absolument. Le rayon capteur a été modifié pour également prendre en compte la physiologie unas. »
« Et ça ne va pas leur faire de mal ? » demanda-t-il anxieusement.
La dernière chose qu'il voulait, c'était nuire aux malheureux captifs de la mine.
L'ingénieur manchot jeta un regard las en direction de Tch'ana qui, assis sur une caisse, secouait la tête, encore groggy.
« Ils auront une petite migraine en se réveillant. Un bien maigre prix pour la liberté, si vous me demandez mon avis, capitaine Giacometti. »
Il ne put qu'opiner à cette affirmation.
« Alors, on y va. » conclut-t-il.
Hellna'kymn, qui attendait impassiblement à côté du chasseur, bondit souplement à bord, alors que son capitaine montait à bord du Jumper Un.
Liu lui fit signe depuis le poste de pilotage de Jumper Trois.
« Tout le monde est paré ? » demanda-t-il à la cantonade.
Une vague d'approbation lui vint de l'arrière et, satisfait, il décolla.
Léonard, solennel sur le seuil de la baie d'amarrage, le salua, lui assurant d'une pensée qu'il prendrait bien soin de l'Utopia et de l'équipage en son absence.
Les deux Jumpers occultés n'eurent pas longtemps à voler pour trouver la mine secrète de Dalak. Ses abords étaient discrets, mais Jialym avait extrait sa localisation exacte de la tête du Jaffa.
Comme il s'y attendait, deux Jaffas seulement en gardaient l'entrée. Et en dehors des esclaves qui sortaient occasionnellement de la mine pour déposer le contenu de grands paniers de minerai en une haute pile prête à être emmenée, les détecteurs de signes de vie ne trouvèrent pas âme qui vive en surface.
Satisfait, il fit faire demi-tour à son Jumper toujours invisible, avant d'en ouvrir tout grand la porte.
Il y eut un grand courant d'air, le bruit de quatre tirs simultanés, et les deux sentinelles s'effondrèrent, assommées.
Quelques secondes s'écoulèrent encore puis, comme aucun renfort ne semblait sortir de la mine, l'équipage de Jumper Trois sembla se matérialiser de nulle part à quelques dizaines de mètres de l'entrée. Dès qu'il eut confirmation de la sécurisation de l'entrée, Tom posa à son tour son vaisseau afin d'en débarquer les passagers.
Sortant à leur suite, il désigna du pouce l'énorme pile de Naquadah brut.
« Marquez-moi ça. » ordonna-t-il.
Aussitôt deux soldats humains s'élancèrent, mesurant le volume exact de matière grâce à un télémètre laser, avant de poser plusieurs balises autour.
Liu de son côté donnait d'autres ordres afin que deux machines à l'usage exact inconnu soient également marquées. Certains que ses arrières étaient en de bonnes mains avec elle, il fit signe à ses guerriers, et ils s'avancèrent dans l'obscurité de la mine.
(1) Il s'agit de vrai vocabulaire Unas, d'après ce que j'ai pu trouver en ligne.
