« Ginny,
Je me suis mis au vert avec tout le matériel chez notre connaissance commune. Je dois dire que la cohabitation n'est pas simple, mais c'était la seule solution. Parker et Lewis sont bien dans la place. Utilise la pièce pour les contacter si besoin. J'aurais aimé ne pas avoir à le faire, mais je dois te réclamer ton compte-rendu de match des Harpies. Le championnat continue, je sais que tu le sais. Même si la pagination est revue à la baisse, j'ai toujours besoin de papiers sports. De tous les papiers que tu pourras m'envoyer. Bonne chance,
Colin »
Ginny jouait avec le sceau inviolable du parchemin. L'encre s'effaçait doucement. Elle n'avait pas pu s'empêcher de sourire à la lecture de la note de Colin. Elle l'imaginait face à Romuald. Attablée au comptoir du Chaudron, elle lui avait écrit son compte-rendu de match en une demi-heure, avait renvoyé le hibou dans la foulée.
Elle allait toujours au stade, sous une autre apparence que la sienne. Glynnis Brooker avait une sœur jumelle, qui venait souvent de temps en temps voir les matchs, c'était la couverture parfaite, transformée en sosie de la batteuse de l'équipe, personne ne venait l'embêter en tribune. Elle avait juste dû apprendre à coiffer ses cheveux crépus.
En fait, elle ne sortait plus en public en étant vraiment elle-même depuis qu'elle avait quitté le Terrier. Dans les rues, les portraits des journalistes de la Gazette s'étalaient sur des affiches, le sien y compris, avec la mention « recherchés pour témoignage ». Sauf celui de Rita. Pas d'avis de recherche pour Harry ou Newton non plus. « Ils les ont déjà sous la main », comprenait Ginny.
Une fois dans sa chambre à l'étage du pub, elle déroula encore une fois le parchemin qu'elle tenait toujours contre elle dans sa veste. C'était le plan incomplet qu'elle avait pu faire du ministère de la magie, en recoupant toutes les informations dont elle disposait. Ce que son père ou Percy avaient pu raconter, ce dont elle se souvenait de la bataille contre les Mangemorts, ce que Harry, Ron, Hermione ou Newton avaient pu lâcher par inadvertance.
C'était plus ou moins peine perdue, Ginny le savait. Mais elle voulait avoir un minimum de connaissances avant d'entreprendre ce qui lui coûterait à tous les coups un enfermement à vie à Azkaban : une évasion en plein ministère. « Quitte à finir en prison autant le faire bien », souriait-elle pour elle-même. Fred aurait été fier d'elle. Il l'aurait sans doute aidée, d'ailleurs. George était moins... Enfin, il était devenu un peu plus sérieux avec l'âge, et la mort de son frère. Ce qui ne l'empêchait pas de créer des farces et attrapes renommées dans toute l'Angleterre. Fred aurait dit oui tout de suite. George aurait réfléchi dix secondes... et aurait dit oui. Mais c'était quelque chose qu'elle voulait faire seule, sans impliquer personne d'autre.
« Bon. Ils ne peuvent être qu'au Ministère. Un transplanage sécurisé à Azkaban de deux Aurors ne passe pas inaperçu. Il y aurait eu des bruits. Parker et Lewis ne m'ont rien dit », résumait-elle. « Donc, je dois viser les geôles temporaires du département de la justice. Là où on garde les prévenus avant les procès au tribunal de justice magique ». C'était aussi là où les prisonniers arrêtés étaient interrogés, Newton l'avait mentionné. « Des cellules qui enlèvent tout pouvoir magique aux prisonniers, mais sans Détraqueurs ». Forcément, c'était au cœur du Ministère. Car étrangement, pour pouvoir maintenir une structure qui ôte tout pouvoir magique, il fallait une grande puissance magique. « Au département de la justice magique. Près du tribunal, et du bureau des Aurors. Ça nous laisse... grosso modo, tout cet espace », fit-elle en faisant un petit cercle sur le parchemin, du bout de son doigt. La justice magique n'occupait pas tant d'espace que ça.
- Et vous êtes ?
- Wyatt Lancaster. Avocat commis d'office au tribunal magique.
- Je ne vous ai encore jamais vu ici.- C'est parce que c'est la première fois. Je viens d'avoir mon accréditation. Je m'occupe plutôt des sorciers empêtrés dans des procédures moldues. Ça gagne mieux. Et on gagne au taux de change en gallions.
- Ah vraiment ?
- Vous n'avez pas idée.
Le garde à l'entrée des geôles regarda encore quelques secondes la carte professionnelle que Ginny lui avait mis sous le nez. Il soupira. Sourit. « Faire du fric sur les moldus sans qu'ils sans aperçoivent. Malin »
Elle récupéra la carte et la fourra dans la poche du gilet de son costume trois pièces. Wyatt Lancaster était grand et trapu, des cheveux grisonnants soigneusement peignés sur le dessus, rasés sur les côtés. Ce devait être la mode chez les coiffeurs moldus. Ginny avait utilisé ce qui lui restait de polynectar pour se transformer dans les toilettes d'un pub près du Ministère. Avec un tel gabarit, ça avait été particulièrement désagréable. D'un coup de baguette, elle avait falsifié la vraie carte professionnelle de Lancaster, qui était effectivement une pointure du barreau, et qui traitait avec des sorciers, dans le monde moldu. C'était aussi la première fois qu'il avait un client détenu au Ministère, pour trafic de progénitures de créatures magiques de catégorie 2, il s'en était vanté au pub. Il lui avait fallu du temps pour le dégoter, mais la couverture était parfaite.
- Vous pouvez m'indiquer les cellules ?
- Continuez le long du couloir en murailles. Au croisement en étoile, prenez la première branche à gauche. Vous n'avez pas envie de tomber sur les autres créatures qui sont détenues ici, je vous assure.
- Ah ? On y trouve quoi ?
- Il y a des créatures magiques détenues illégalement, du type dragon et compagnie, en attendant que les services sanitaires les prennent en charge. Ils galèrent, ces branleurs, ils n'ont jamais assez de places dans leur service. On dépanne.
- Très aimable à vous.
- On a pas le choix, consigne de la directrice.
- Je vois. Merci pour les indications. « Oh », fit-elle en se retournant vers lui, « la confidentialité de l'entretien avec mon client est garantie, n'est-ce-pas ? »
- Quand vous entrez dans le périmètre d'une cellule, tout est sécurisé par un champ de force. Zéro magie, ni pour vous, ni pour le prisonnier, pas de dispositif d'écoute ou d'enregistrement. C'est la loi, semblait-il regretter.
- Bien. Merci.
Ginny reprit son chemin, en jetant un œil à la grosse montre à son poignet. Il ne lui restait plus que la moitié du temps de transformation. Au croisement en étoile, elle prit à gauche, faisant semblant de ne pas voir le garde qui somnolait derrière son guichet central. Elle franchit une énorme arche de pierres de taille. Une grille magique s'abattit derrière elle.
Il lui fallut quelques secondes pour distinguer les contours de la pièce. C'était un immense rectangle sombre. Seuls des meurtrières à trois mètres de haut, près du plafond, diffusaient une maigre lumière artificielle. Sur deux rangées, au centre de la pièce, des cages de barreaux, où l'on pouvait tenir assis ou debout, sans faire plus d'un pas. Sur la douzaine de cellules, seules trois étaient occupées. Un type qui dormait du sommeil du juste, affalé bouche ouverte contre les barreaux. Sûrement son client. Et puis, dans les deux cellules tout au fond de la pièce, ceux qu'elle cherchait. Newton Bodstrom et Harry Potter. Elle s'avança jusqu'à être entre les deux cellules, se frisa la moustache.
- Alors, les gars, je vous ai manqué, pendant tout ce temps ?
- Pendant quelques secondes, les deux Aurors restèrent silencieux. Wyatt Lancaster leur lança un clin d'oeil moqueur, bras croisés contre sa poitrine. Ils se levèrent doucement, s'approchèrent des barreaux avant de comprendre.
- Bon sang, Ginny ! Mais qu'est-ce que tu es venue faire ici ?
- Vous sauver les miches. Il faut bien que quelqu'un s'en charge.
