Chapitre 10

North Elba, New York, 1953

« Vous vous souvenez de moi ? » nous demanda le vampire et Rosalie acquiesça aussi.

« Je m'appelle Jasper et voici Alice, ma compagne. »

« Je suis tellement heureuse que vous soyez revenus de Corée. » nous dit cette dernière en sautillant.

« Comment peut-elle le savoir ? » s'inquiéta Esmé.

« Alice a… un pouvoir, annonça Jasper. Vous êtes surement familier du fait que certains vampires ont des capacités exacerbées ou même extraordinaires. Mon Alice peut voir l'avenir. »

« Je peux voir l'avenir, mais mon don n'est pas parfait, nuança-t-elle. J'ai eu une vision de Carlisle et depuis, je te cherche. Je t'ai vu transformer Bella et Esmé. J'ai vu aussi pour Rosalie et Emmett. Hélas sans jamais parvenir à savoir où vous vous trouviez exactement. Le plus important est que j'ai compris grâce à cette première vision de Carlisle qu'il y avait un autre chemin, je l'ai vu chasser un élan, et j'ai fait pareil. »

Je dévisageai Jasper, je me souvenais parfaitement de ses yeux écarlates lors de notre brève rencontre. Il dut décrypter mon regard et répondit.

« Je faisais partie d'un clan très différent du vôtre qui séviit dans le sud du pays, mais parfois, je m'inventais des missions très loin pour échapper à tous ces carnages. J'étais en conflit perpétuel avec moi-même. Je possède également un pouvoir, je peux ressentir les émotions et les influencer. Comme vous le savez peut-être, j'ai croisé Bella et Rosalie en 1934, Bella m'a dit qu'elles ne se nourrissaient que de sang animal et qu'elles s'en contentaient, que grâce à cela, elles vivaient auprès des humains. Tuer des humains, ressentir leur peur et leur souffrance m'a aidé à comprendre que ça n'était pas juste d'agir ainsi et je voulais changer mais dès que la soif était trop forte, je tuais de nouveau. Ça m'a pris des mois à considérer d'essayer moi-même le sang animal et j'ai fini par quitter mon clan. En 1948, j'ai été débusqué par Alice, ses yeux étaient déjà aussi dorés que les vôtres, et depuis nous ne nous sommes pas quittés. Elle m'a aidé dans cette… transition vers le sang animal, nous avons vécu tout ce temps en Amazonie, loin des humains pour éviter toute tentation. Et le mois dernier, elle a enfin eu une vision claire de vous tous. Vous alliez partir de Corée et vous installer dans cette maison. »

« Incroyable. » commenta seulement Carlisle.

« Ils me foutent la trouille. » rigola Emmett nerveusement.

« Je suis Esmé, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous l'avez constaté, la maison est en piteux état mais nous comptons bien lui rendre toute sa splendeur. Nous aiderez-vous ? »

« Bien sûr, Esmé ! » répondit Alice en la serrant dans ses bras.

Le clan venait encore de s'agrandir, adieu le retour à une vie monotone !

_oOo_

North Elba, New York, 1955

« Je dis juste que c'est le passage obligé pour les nouveaux dans la famille ! » se justifiait Emmett.

« Éphraïm a une femme et trois enfants désormais, il n'a plus le temps de chaperonner des vampires. Et j'ai promis de ne plus amener toute la famille. » lui rappelai-je.

« Mais c'est tellement dur pour Jasper ! » plaida Alice.

Ce dernier restait silencieux, visiblement mal à l'aise.

« Ça n'est pas possible. » insistai-je.

« Oh ! râla Emmett. Je voulais vraiment me mesurer à eux. Ils ne savent pas que j'ai dérapé, hein ? »

« Non, mais Emmett, tu ne te souviens pas qu'ils avaient surtout peur de toi ? »

« Poules mouillées. »

« Tu voulais te mesurer à des humains ? » tiqua Jasper.

« Ils ne sont pas humains, révéla Emmett, enfin pas trois d'entre eux qui se transforment en loups géants, très rapides et forts, ils ont déjà tué des vampires selon leurs légendes. »

« Je ne pense pas que ce soit nécessaire de traverser le pays pour aller là-bas, intervint Carlisle. On a eu besoin d'eux au début pour vous restreindre si besoin. Mais nous sommes sept désormais, nous continuerons d'aider Jasper. Et nous sommes aussi en plein cœur d'une immense forêt avec autant de proies et très peu d'humains. Certes, il était prématuré pour Jasper d'aller au lycée mais Esmé a accepté d'arrêter l'université pour rester avec lui. Et si besoin, je suis certain que nos amis peuvent nous rejoindre et rester avec nous quelques temps. »

« Splendide idée… » maugréai-je.

« Rien ne te retient ici, tu n'as qu'à retourner vivre en ermite. » me disputa Rosalie, déçue par mon attitude.

Je lui pinçai le bras et quittai la grande table, signifiant la fin de cette réunion de famille. J'avais réussi à les dissuader de retourner chez les Quileutes, c'était le plus important pour moi.

D'après la dernière lettre d'Éphraïm, aucun des guerriers ne s'était transformé depuis douze ans, ils avaient tous fondé une famille. Quand je l'avais interrogé dans chacune de mes lettres ces dernières années, pourquoi il avait attendu autant de temps pour se marier, il avait fini par m'expliquer que sa femme était née vingt-huit ans après lui et qu'ils avaient tous deux compris seulement quand elle avait eu dix-sept ans qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Ils avaient depuis eu trois enfants, William, Jane et Mary ; cette génération n'avait donc pas encore pu retrouver les noms de leurs ancêtres. Le fils d'Éphraïm, William, allait hériter du titre de chef de la tribu. Éphraïm m'avait demandé lors de ma dernière visite de ne plus revenir chez moi car son fils avait senti mon odeur et l'avait trouvée répugnante, signe qu'il était lui aussi porteur du gène magique. J'étais donc exilée jusqu'à la majorité de William au moins, mais cela devait rester secret, Éphraïm l'avait exigé.

Ces deux dernières années après notre retour aux États-Unis, nous avions pris le temps de reconstruire la maison et de nous habituer à vivre à sept. Nous étions devenus une véritable horde les jours de repas, enfin de chasse. Jasper avait conscience qu'il avait encore besoin de temps avant de se mêler aux humains et la maison était si isolée que personne ne savait que le bon docteur et sa femme ne vivaient pas seuls. Il n'y avait donc pas eu de charade à mettre en place aussitôt. Les couples autour de moi s'étaient épanouis dans une nouvelle routine, et sans le soutien que nous avions promis aux nouveaux venus, j'aurais déjà pris la poudre d'escampette vers ma maison. Ces années passées au Japon et en Corée m'avaient rendue très nostalgique du temps que j'avais passé dans mon repère, et ma seule visite, qui s'était soldée par mon exil, m'avait évidemment laissé un goût amer.

Rosalie, Emmett et moi avions pris la décision de relever le défi de Carlisle avec quatorze ans de retard, en compagnie du nouveau couple de notre famille et le matin même, jour de la rentrée 1955, Jasper avait failli tuer une lycéenne. Alice ne l'avait prédit qu'une minute avant et heureusement, nous étions tous encore sur le parking du lycée. Le couple n'avait même pas assisté à leur première journée.

Je soupçonnais Alice de ne pas avoir réellement sous contrôle sa propre soif. De ce qu'elle nous avait raconté de son errance, elle avait évité les humains comme la peste avant de retrouver Jasper. Quand elle avait eu cette vision de son âme-sœur, où elle le rencontrerait dans un restaurant, elle s'était résolue à s'habituer à l'odeur appétissante des humains, non sans mal. Elle se reposait énormément sur son don pour protéger Jasper mais qu'en était-il pour elle, m'interrogeai-je souvent.

Ces deux-là étaient devenus pour moi un sujet d'étude intéressant, je perdais parfois mon temps à les observer quand nous étions tous réunis. Je les trouvais encore plus prudes qu'Esmé et Carlisle et comme ils étaient très prudents et discrets, je n'avais pu eu la malchance de les surprendre durant leurs moments intimes pour savoir s'ils étaient en privé des amants passionnés. Chaque couple s'était construit au cœur de la forêt une cabane spartiate et suffisamment isolée, les cabanes de l'amour, comme je les appelais, et depuis, je n'avais plus à passer mes nuits en pleine nature pour ne pas entendre leurs ébats.

Alice s'était intégrée rapidement et facilement dans notre vie, si curieuse, elle avait voulu tout savoir de nous. Elle était devenue une vraie amie pour Esmé et Rosalie. Elle partageait désormais leur passion pour confectionner les vêtements de la famille, au point de ne plus vouloir se contenter de leurs créations, Alice voulait toujours plus de vêtements, plus de chaussures, plus de sacs. Nous lui avions rappelé que nous avions pour principe de ne pas voler sauf cas extrême (comme lorsque le couple Rosalie et Emmett avaient déchiré leurs vêtements au Japon et avaient dû chiper des kimonos pour traverser Hiroshima au petit matin, et ils avaient rendus les vêtements la nuit suivante évidemment). Nos ressources étaient limitées, nous venant du seul revenu de Carlisle.

Et Alice s'était alors précipitée sur un journal, après s'être concentrée, elle avait prédit les cours de la bourse pour l'année à venir. Nous avions donc placé tout l'argent de réserve. Alice nous avait encore prouvé que son don était fiable, depuis nos ressources n'étant bientôt plus limitées. Mais la fée, comme l'appelait Emmett, ne cessait de dépenser. Carlisle de son côté dut bien accepter les sept voitures devant la maison, la passion de Rosalie pour la mécanique prenait aussi de la place et de l'argent, les cris et la casse provoqués par Emmett qui alternait entre sa passion pour le Rock'n'roll et ses entrainements de karaté qu'il avait appris au Japon, et les travaux permanents de la maison conduits par sa femme. Jasper restait toujours en retrait, se contentant parfois de se joindre à Emmett, surtout, il préférait observer sa compagne.

« Bella, que nous réserves-tu ? » m'avait demandé Carlisle un soir alors que la maison était bruyante avant le départ pour les cabanes de l'amour et que j'avais déjà choisi cinq livres pour m'occuper.

« Moi ? »

« J'ai de plus en plus l'impression d'être le père de famille, je dois toujours leur dire d'être discrets, de ne pas trop dépenser, de ne pas faire autant de dégâts dans la forêt. »

« Je pense que je suis prête à suivre tes pas, cher père. » lui avais-je annoncé en souriant, secrètement émue de l'appeler ainsi.

« Vraiment ? »

« Je me souviens que quand j'étais humaine, je m'évanouissais en sentant l'odeur du sang, ironique, non ? Ces dernières années, je me suis sentie tellement utile mais aussi restreinte. C'est incroyablement difficile de se limiter à cette charade humaine quand il y a tant à faire. »

« Emmett ne pense plus ainsi. » s'était-il désolé.

« Un jour, peut-être, il changera d'avis, mais je pense qu'il mérite d'être redevenu… immature et insouciant. »

Emmett avait tellement mal vécu la guerre et les bombes atomiques, il avait décrété qu'il n'était plus américain, qu'il n'aiderait plus les Etats-Unis mais le pays qu'il estimerait être en droit de se défendre. Après le fiasco de la guerre de Corée, qui s'était soldée par plus de deux millions de morts (peut-être plus, les chiffres avaient sans doute été sous-estimés volontairement), aucun changement politique et la division toujours en cours du pays, Emmett avait finalement décidé qu'il ne voulait plus aider des soldats, peu importait le pays.

« Médecin donc ? » avait voulu me faire confirmer Carlisle.

« Oui, et officiellement. Je vais terminer le lycée et si on déménage ensuite, je continuerai mon parcours avec la même identité. »

« Ça ne sera pas facile, il y a très peu de femmes acceptées, même tolérées, j'ai l'impression, hélas. »

« Ils ne me font pas peur ces machos, autant ouvrir la marche pour les futures générations ! » m'enthousiasmai-je.

« J'aurais préféré garder nos noms cette fois-ci. »

« Moi aussi, mais on a gardé nos vrais prénoms en partant pour le Japon et ensuite en Corée, on ne pouvait pas continuer. »

« Je ne pense pas qu'on pourrait vraiment nous retrouver, tu sais. »

« N'es-tu pas censé, en tant que chef de famille, t'assurer de notre protection ? » l'avais-je taquiné.

J'avais donc commencé le lycée avec Emmett, Rosalie, et un mois plus tard, nos soi-disant cousines, des terminales, nous avaient rejoint pour terminer leurs études dans le majestueux lycée de Lake Placid. Je fus, bien malgré moi, embrigadée très souvent par Tanya, Kate et Irina qui ne voulaient pas passer leurs nuits dans la maison de North Elba. Quand bien même Carmen et Éléazar avaient aussi eu le droit à une cabane personnelle, les trois sœurs avaient décidé de continuer à mener le même train de vie tout en prétendant avoir dix-sept ans et êtres des triplées. Nous avions au moins réussi à leur faire promettre de « séduire » à au moins une heure de course pour ne pas risquer de croiser des gens d'ici. Elles attirèrent bien trop l'attention tout de même et Carlisle convint qu'il ne fallait pas renouveler l'expérience.

À l'été, nous partîmes tous en vacances séparément, et ce fut si étrange pour moi. Je me retrouvais seule, les couples décidèrent d'explorer des contrées éloignées, et parfois ensoleillées, sauf Jasper et Alice qui optèrent pour le grand nord canadien. Carlisle acheta une petite île au large de Rio pour l'offrir à sa femme, Emmett emmena Rosalie à Rochester, elle revit sa famille de loin, puis ils partirent à Atlantic City où ils s'enfermèrent volontiers les journées dans leur chambre et flambèrent la nuit, munis de fausses cartes d'identités.

J'avais choisi de rester aux Etats-Unis et de retourner sur la côte Pacifique sans toutefois trahir ma promesse, je n'irais pas à Port Angeles mais au moins voulus-je m'approcher de ma chère forêt. Voyager seule en voiture aurait été parfait si juste avant le grand départ de chacun, Alice ne m'avait pas fait part d'une vision.

« Un jeune homme t'appellera Bella, et tu seras tellement amoureuse de lui et lui de toi ! »

« C'est tout ? »

« Euh… oui. »

« Il m'appellera Bella ? Vous m'appelez tous Bella, je te signale. Il n'y a rien de si- »

« Le plus important est que vous allez être très amoureux ! m'interrompit-elle. Tu vas rencontrer ton âme-sœur ! Tu n'es pas heureuse ? »

« Quand ce grand miracle va-t-il se produire ? »

« Je ne sais pas, je n'ai même pas vu son visage. Mais ça va arriver, ne doute pas de mon pouvoir, chère sœur ! »

Je levai les yeux au ciel.

« Bon voyage, Alice, et bon courage, Jasper ! » les saluai-je, et partis la première.

Ma voiture tomba en panne au sud de Chicago, où je venais de passer quelques jours à explorer les rues bruyantes profitant de quelques jours de pluie. Rosalie m'avait appris les bases de la mécanique et je compris le problème aussitôt mais je ne pouvais pas repartir, j'avais besoin de certaines pièces. La petite ville de Peotone me parut bien lugubre ce jour-là, personne dans les rues pour me dire où trouver un garagiste. Vers minuit, je poussai ma voiture jusqu'au centre-ville et continuai à fouiller littéralement dans la ville à la recherche d'un mécanicien. Un fois déniché, je poussai encore ma voiture jusqu'à devant son garage et passai le reste de la nuit dans ma voiture pour sécher et être présentable le lendemain.

Finalement, la petite ville me plut et je me dis qu'elle serait parfaite pour y faire vivre la famille. Pas trop grande ni trop petite, entourée d'une vaste nature et proche d'une grande ville pour satisfaire l'addiction d'Alice au shopping. Carlisle n'aurait aucun mal à trouver un emploi dans un des hôpitaux de la région, il pourrait même sinon devenir vétérinaire, comme il l'avait envisagé quand nous vivions à Gatlinburg, entourés d'exploitations agricoles et où il avait soigné beaucoup de bêtes.

Le reste de ma traversée du pays se passa sans incidents, j'avais évité une odeur d'un vampire dans l'État du Montana. Jasper m'avait mise en garde contre les vampires qui continuaient de sévir dans le sud du pays, malgré les purges punitives régulièrement faites par les Volturi. En dehors du fait que passer l'été dans un état du sud se serait résumer à ne sortir que la nuit, je n'y mettrais pas pieds pour éviter de croiser la route de ces conquistadors du monde vampirique.

Je pris beaucoup de plaisir à rester à Seattle, puis à Portland et traversai même la frontière pour admirer depuis la ville de Victoria, au Canada, la forêt d'Olympia. Ces semaines seules me permirent de me ressourcer et malgré moi, je passais beaucoup de temps aussi à réfléchir à la vision d'Alice. J'attendais depuis si longtemps, j'étais résolus à attendre sans trop me lamenter. À quoi bon me prédire l'amour si elle était incapable de me dire dans combien de temps mon bel italien arriverait dans ma vie ? J'étais toujours accroché à ce rêve de gamine, et c'était réconfortant d'imaginer mon futur compagnon toujours de la même façon. Mes souvenirs de ma vie d'avant, d'humaine, n'étaient plus qu'une multitude d'images très floues, je ne pouvais me baser que sur ce que j'avais retranscrit après ma transformation quand j'avais été assez calme pour tenir un stylo.

Mon retour à North Elba ne fut pas si difficile, ils m'avaient tous manqué, surtout ma créature. Elle passait tant de temps déjà avec Emmett mais depuis l'arrivée d'Alice, Rosalie s'était de plus en plus détachée de moi. J'avais entendu les mères de mes camarades de classe tenir ce genre de propos parfois au sujet de leur enfants. Les adolescents ignoraient leurs parents, c'était dans l'ordre des choses. Rosalie s'était émancipée, elle n'avait plus besoin de moi, au moins étais-je heureuse de l'avoir toujours dans notre famille.

Nous terminâmes le lycée sans les trois sœurs slaves, pour qui l'expérience du lycée n'avaient pas été intéressante, et je fus reçue à l'université de médecine de Yale. La famille accepta de me suivre, nous dûmes changer de toute façon l'ordre d'attribution des villes puisque Jasper et Alice nous avaient rejoints. Carlisle fut si fier le jour de mon entrée à l'université, il m'accompagna sur le campus, cette fois-ci, ce ne fut pas Esmé mais Carlisle qui fut désigné comme membre de ma famille. Durant trois ans, il lut toutes mes leçons, me força souvent à répéter des cours entiers, m'interrogea sur les professeurs, apprit de nouvelles techniques en même temps que moi. Nous nous rapprochâmes beaucoup tandis de son côté il continuait à travailler comme médecin à l'hôpital universitaire justement de New Haven, où je prévoyais déjà d'effectuer mes années d'internat.

_oOo_

New Haven, Connecticut, 1963

Tandis que je terminais ma troisième année d'études de médecine à l'université de Yale, je reçus une invitation au mariage de William, le fils d'Éphraïm. J'en fus très surprise et ne crus pas nécessaire de répondre, je n'y assisterai pas mais au moins j'avais l'autorisation de rentrer chez moi.

Je partis mi-juin, ma Lincoln Continental remplie à ras bord de livres, de linges de maison, de quelques cadeaux aussi pour les trois guerriers et leur famille. La radio dans ma voiture jouait très souvent Elvis, lui qui avait été décrié et même banni de plusieurs stations radio quelques années auparavant. Emmett avait adopté le même look que le chanteur, à l'instar des trois quarts des garçons de son lycée et je remarquai qu'à Port Angeles aussi, le King avait de très nombreux adeptes.

Je notai les changements en pénétrant dans la ville, les nouvelles constructions et les anciens bâtiments plus décrépis encore, je ne reconnaissais plus grand chose de cette ville que j'avais découverte en arrivant avec mes parents en 1912 si ce n'était le nom des rues principales et l'océan, immuable.

Enfin, je me garai devant ma maison, je n'y étais plus venue depuis dix ans, mais rien n'avait changé, Éphraïm m'avait promis qu'il l'avait entretenu un minimum pour se rattraper de m'avoir exilée tout ce temps. Sur la porte de la maison, une note m'attendait, Éphraïm m'avait écrit de l'appeler quand je serais arrivée. J'entrais chez moi et effectivement, un téléphone avait été installé. Mais ce fut une autre personne qui me répondit.

« J'arrive dans dix minutes. » me déclara l'homme.

Il me fixa étrangement quand il descendit de sa voiture. Il ressemblait à Éphraïm mais son attitude n'avait rien d'amical.

« Je suis William. »

« Isabella Swan. »

« Mon père est décédé il y a deux mois. » m'annonça-t-il froidement.

Je fis un geste vers lui, par réflexe, parce que cette nouvelle brutale devait surement l'affecter toujours.

« Reste loin de moi, sangsue ! » m'insulta-t-il.

« Quoi ? » grondai-je.

« Tu n'as pas été conviée pour mon mariage. Tu es là parce que je devais savoir si c'était vrai. Levi et le vieux Quil n'ont pas voulu m'en dire plus. Mon père est mort en me désignant comme le nouveau chef d'une tribu à l'agonie. »

« Et maintenant ? »

« Maintenant tu peux repartir et ne jamais revenir. »

« Cette maison m'appartient, je possède l'acte de propriété, tout a été fait officiellement. » le mis-je en garde.

« C'est notre terre. »

« Non, ça n'est plus votre terre, je suis au courant pour la nouvelle ville, ton père a cédé cette parcelle, il me l'a écrit il y a quatre ans. J'habite à Forks désormais. Ici, ça n'est plus chez vous. »

« Ça n'a aucune importance. Tu ne devrais même pas exister ! » s'entêta-t-il.

« C'est chez moi ici. Tu n'as rien à y faire. Va-t'en !»

« Mon père ne te faisait pas confiance, et les anciens non plus. »

J'avais du mal à le croire, du moins concernant son père. Quand bien même, nous avions tous gardé nos distances d'un point de vue émotionnel, Quil, Levi, Éphraïm et moi avions passé des heures côte à côte, dans la forêt à abattre des arbres, sur un petit bateau à pêcher ou même à construire les maisons de la réserve. À part cette unique fois où Éphraïm s'était transformé en loup quand il ne m'avait pas reconnue, nous n'avions jamais eu d'incidents, et jamais je ne les avais mis en danger.

« Si ta tribu existe encore, c'est grâce à moi ! lâchai-je. Ça n'est pas une question de confiance. »

« Si tu es réellement ce qu'ils prétendent, alors concluons un nouvel accord. » proposa-t-il.

« Pas avec toi, je parlerai avec Levi et Quil. »

Il se mit en colère, je me reculai, m'attendant à le voir se transformer en loup, mais cela ne se produisit pas. Je n'étais pas une menace, peut-être qu'il le savait au fond de lui et que son père lui avait raconté réellement ce que nous avions vécu ensemble.

« Ma tribu a toujours besoin d'aide. » annonça-t-il après s'être quelque peu calmé.

« Je t'écoute. »

Il se méfiait de moi, c'était dans ses gènes, contrairement à son père et les deux autres guerriers, il ne me connaissait pas. Il ne semblait même pas donner crédit aux anciennes légendes et traditions, je me demandais ce que son père penserait en le voyant, habillé d'un jean et d'un pull-over, comme n'importe quel américain.

Malgré l'attitude hostile du nouveau chef, je me sentais toujours liée à eux et à cette terre. Lorsqu'Éphraïm m'avait annoncé que je ne vivais plus chez eux mais dans la petite ville de Forks, officiellement reconnue en 1945, je l'avais profondément regretté ? Ça avait été comme être expulsée de chez moi. Je me demandais désormais s'il n'avait pas cédé ce morceau de leurs terres pour me protéger et m'empêcher d'en être un jour chassée, comme les colons l'avaient été deux cents ans plus tôt.

_oOo_

Volterra, Italie, 1963

PDV extérieur

« Le 28 août 1963, le même jour que la marche de Martin Luther King Jr. sur Washington pour l'emploi et la liberté, 1 000 manifestants ont marché de la première église AME de Seattle au palais de justice fédéral. Le même jour également, les écoles publiques de Seattle sont devenues le premier grand système scolaire du pays à lancer un plan de déségrégation volontaire. » lut Aro dans le Seattle Times.

Son regard écarlate revenant toujours sur la photographie des protestataires qui accompagnait l'article. Une jeune femme bien trop pâle et incroyablement belle avançait au milieu d'amérindiens et d'afro-américains en première ligne, supportant à elle seule une énorme pancarte. Une jeune femme qu'il avait rencontrée et mourrait d'envie de revoir.

Il tendit le journal à ses frères puis fit signe au secrétaire de déguerpir.

« Mes frères, il est grand temps d'inviter Isabella ici. » déclara Aro en souriant.

« Carlisle ne lui a donc rien appris ? » s'inquiéta Marcus en la reconnaissant à son tour sur la photographie.

« Je me demande s'il nous raconte réellement tout dans ses lettres. » se méfia Caius.

William est le fils d'Ephraim et le père de Billy, qu'il n'y ait pas de confusion.

Que pensez-vous de la fin du chapitre?