Jour 2, c'est le matin qui débute!
Elena
par Andie
J'étais sur mon vélo, dévalant la pente à toute allure. Pour une fois, il faisait chaud. Je parcourais la ville, heureuse, pour une inconnue raison. Je regardais des passants qui riaient, un couple qui s'embrassait, des enfants qui faisaient une partie de foot dans une impasse... Ah, ce qu'il faisait bon !
- Dring... DRING.. !
- ...Zzzzz....
- DRING...DRIIINGG ! ! !
J'ouvris soudain un œil. « Et merde, il est déjà 4h30... » pensais-je.
J'éteignis le réveil à ma droite. Je me redressai, me frottai les yeux, puis m'étirai dans un baillement. Ricky, l'un de mes 5 colocataires, qui dormait sur le matelas posé au sol à côté du mien, ouvris les yeux à son tour. Je le regardai et lui dis en souriant :
" Et voilà, une nouvelle journée qui commence. Bien dormi ?"
" Comme un bébé. Et toi ?"
" Pareil"
Je me levai, et après avoir allumé l'unique ampoule au plafond qui éclairait l'appartement, j'allai réveiller les quatre marmottes qui dormaient dans la même pièce, les unes après les autres, d'une secousse du bras.
" Sarah, c'est l'heure, il faut te réveiller...sinon tu vas rater le bus.. ! ...John... ? John ! Debout, allez... Hey Marc, ouvre les yeux, c'est l'heure... Audrey, ma chérie, lève-toi !"
Je les laissai émerger et allai titubante préparer la table du petit déjeuner.
Je frissonnai. L'eau dans la bassine devant laquelle j'étais accroupie et avec laquelle Sarah, Audrey et moi faisions notre toilette du matin était plutôt froide. Évidemment, nous ne vivions pas dans les gated communities, et par conséquent, nous ne disposions pas de l'eau courante. Il nous fallait aller rapporter dans des bouteilles l'eau de la fontaine qui se trouvait une rue plus loin, et qui servaient à une bonne dizaines de petits immeubles comme le notre.
Nous nous lavâmes donc en vitesse, et nous nous précipitâmes pour nous habiller, afin de se réchauffer. Notre espace salle de bain était situé dans un coin de la pièce, derrière un grand paravent de taule improvisé que j'avais trouvé lors d'une de mes escapades habituelles.
" Dépêchez-vous les filles ! Dans 10 minutes le bus arrive ! s'exclama Marc."
" Oui, oui, on a finit. répondit Audrey qui finissait d'enfiler son pull."
Et nous laissâmes la «salle de bain » aux garçons.
" Grouillez-vous ! Il est déjà 4h58, le bus va passer, et il ne risque pas de nous attendre... ! s'écria Sarah qui attendait sur le palier que l'on sorte."
Nous dévalâmes les 6 étages qui nous séparaient du rez de chaussée. Lorsque nous franchîmes la porte de l'immeuble, le bus était déjà là. Nous nous ruâmes à l'intérieur, essoufflés. Nous travaillions tous dans les champs, et c'est là que le bus nous emmenait tous les matins, avant même que le soleil ne se lève. Il était bondé, nous étions écrasés les uns contre les autres, comme dans une boîte de sardines. Pas plus d'une minute plus tard, le bus démarra. J'attrapai à la hâte une poignée accrochée sur le plafond pour ne pas tomber.
Shanee
par Chayenne
Le soleil entrait à flot dans ma nouvelle chambre et je m'étirai en souriant. J'avais dormi comme un loir, ça faisait longtemps que je n'avais pas connu un tel calme. En tout cas, j'avais dû faire la grasse matinée, vu la hauteur du soleil, et sa chaleur. Un rare jour de beau temps s'annonçait sur Seattle et ses habitants.
Je sautai dans mes pantoufles - fourni par l'ancien occupant - et partis explorer l'appartement dans son entier. En arrivant, il faisait trop sombre et je n'étais pas d'humeur pour tout visiter, mais là, avec l'éclairage offert par le soleil, ça s'annonçait bien. J'avais déjà eu l'occasion de voir ma sublime salle de bain, où, comble des miracles, l'eau était aux robinets, ainsi que ma chambre, avec son lit king size et ses tentures de voiles, la salon, classique, et la cuisine. Celle-ci était disposée plein sud et donnait sur une petite véranda. Bon les vitres étaient en poudre, mais à défaut d'y faire pousser des plantes exotiques, rien ne m'empêchait de m'en servir en terrasse. La cuisine avait un autre avantage, c'est qu'elle était très bien aménagée, même si l'absence d'électricité rendait caduque tous les équipements hauts de gammes. Les placards regorgeaient de nourriture et ça me fit mal au cœur de voir toutes réserves perdues à jamais. Les conserves étaient bombées, périmées depuis 40 ans et les paquets de gâteaux éventrés, probablement par les rongeurs dont la ville regorgeait. Cependant j'eus quelques bonnes surprises, comme des bocaux de céréales encore épargnés par les rongeurs et les insectes, et toute une rangée de pots de confiture. J'étais très sceptique quant à leur conservation, mais le vide avait dû être bien fait car ils semblaient prêts à la consommation.
Ravie de ces découvertes, je continuai mon exploration. Il me restait encore trois pièces à visiter. Je poussai une première porte et tombai sur une autre chambre, celle d'un enfant à priori vu le papier peint et les jouets savamment disposés n'importe où. Je fus saisi d'un pincement au cœur en me demandant ce qu'était devenue la petite fille qui vivait là. Avait- elle périt dans la bombe, dans les massacres des terroristes, des suites de l'épidémie ou était-elle devenu un gentil petit mouton ? Je n'en saurai jamais rien, mais cette pièce me mettait mal à l'aise. J'avais l'impression que la porte d'entrée allait s'ouvrir et qu'une petite puce se précipiterait pour jouer avec sa maison de poupée.
Cet appartement semblait comme hors du temps, grain du sablier coincé ente deux mondes, entre le passé et le présent. Frissonnante, je refermai la porte et me tournai vers l'autre. La poussant, je découvris un dressing- room, où les costumes d'hommes de luxe alternaient avec les tailleurs chics et extrêmement chers. Des cartons à chapeaux, des cravates, des ceintures et des dizaines de paires de chaussures complétaient le tableau. Cet étalage d'argent jeté par les fenêtres me révulsait, je n'avais jamais compris l'intérêt de cette chose futile, appelée " mode ". Enfin, les fringues étaient certes poussiéreuses, mais des housses les avaient protégées des mites, et j'en tirerai un bon prix au marché noir. C'était déjà ça.
Il ne me restait plus qu'une pièce, mais quelque chose ne me plaisait pas trop avec elle. J'avais un pressentiment, comme si je m'apprêtais à ouvrir la boîte de Pandore. Rejetant cette idée, je tentai de pousser la porte, mais elle résistait. Au bout de plusieurs tentatives, je crochetai la serrure et pu enfin l'ouvrir. Qu'est-ce que je n'avais pas fait ? Une puanteur, acide et rêche s'en échappa et mon estomac fit un looping. Torche au poing, je cherchais ce qui pouvait en être cause. J'étais dans un beau bureau, avec de lourds rideaux pour empêcher la lumière d'entrer. Tout était poussiéreux, mais je ne voyais pas encore ce qui avait donné cette odeur. Prudemment, je m'approchai et alors que je contournai la table, je retins un cri d'effroi. Dans un fauteuil, un squelette, dont les vêtements étaient en lambeaux, semblait chercher à voir au-delà des rideaux.
Glups ! je me dépêchai de faire entrer la lumière, et il m'apparut soudain moins effrayant. Sa main pendait le long de l'accoudoir, et dessous gisait un revolver. Il n'était pas très difficile de comprendre ce qu'il s'était passé, d'autant plus que le crane était perforé d'un trou béant au niveau des tempes. Les rats avaient entièrement nettoyé les os, et je m'attendais à voir le squelette se démantibuler à tout moment. Je n'étais pas spécialement enchantée de cette rencontre, mais après tout, je savais déjà ce qui était arrivé au propriétaire.
Glissé entre le bureau et une plaque de verre, un papier attira mon attention. En faisant attention à la dépouille, je m'approchai afin de lire ce qu'il y avait d'inscrit. C'était la lettre d'adieu du type qui expliquait son acte. Cet homme avait survécu aux terroristes et à la bombe, en se terrant dans son appartement, mais, de ce fait, il n'avait pas pu protéger sa famille. Et de son bureau même, il avait assisté à leur exécution par les terroristes. Sa femme et sa fille n'étant plus, il n'avait plus aucune raison de vivre. La lettre était datée de deux jours avant l'attaque des Familiers. Cet homme était mort de sa propre main, au contraire du reste de la population. Je ne ressentais aucune compassion pour ce cadavre, je le méprisais pour s'être planqué alors que sa famille était aux mains des tueurs. Même s'il n'aurait probablement rien changé, il n'avait pas le droit d'être mort dans son fauteuil.
Enervée, je traversai l'appartement et partis chercher un sac poubelle dans la cuisine. Je revins avec et, sans égard, je démontai le squelette et y jetai les os. Le chien me regardait faire avec intérêt, mais il comprit rapidement qu'il n'en aurait pas. Et d'un, je n'allais pas le nourrir, et de deux, j'avais un minimum de respect pour les morts, même pour les lâches.
Une fois ce sale travail achevé, je ficelais le sac et entrepris d'aérer la pièce. Cette odeur de mort poussiéreuse me révulsait.
J'avais fini mon exploration et dans l'ensemble, à l'exception d'une ou deux surprises désagréables, j'avais toutes les raisons d'être satisfaite de ma planque. Il ne me restait plus qu'un point à voir : la porte d'entrée. Hier, je l'avais poussée de la main, et même si la zone était dangereuse, je ne pensais pas être la première à visiter cette tour en 45 ans. D'autant plus que les appartements précédents avaient été pas mal pillés. Et le confort exceptionnel de celui-ci me paraissait suspect. Le sac poubelle à la main, et le chien sur mes talons, je m'approchai de la porte et l'étudiai avec minutie. Elle était blindée et aucune serrure ne semblait avoir été crochetée, mais par contre le métal utilisé pour faire verrou tombait en poussière. C'était de la camelote, du fer oxydé.
J'étais bonne pour changer toutes les serrures, si je voulais conserver mes précieuses découvertes. En attendant, je confierais la maison au chien, il fallait bien qu'il serve à quelque chose. L'animal me comprit et s'assit devant la porte. On aurait dit qu'il me souriait.
Munis de mon sac et de la poubelle, je m'aventurai dans l'escalier à tâtons. Il fallait que j'arrive à me repérer dans le noir, car je n'allais pas avoir assez de piles. D'ailleurs, j'avais besoin de faire des achats, je manquais de nourriture, de bougies, de piles, de serrures et d'infos. Et je n'étais pas sûre de trouver un épicier ouvert au coin de ma rue. J'allais devoir me rendre en ville...
Je me rendis soudain compte que j'étais un peu trop descendue, j'étais dans les étages ensevelis et je n'avais pas envie de les visiter pour le moment. J'avais vu assez de cadavres pour la journée. Alors que j'arrivais au troisième étage, qui faisait office de rez-de-chaussée désormais, et que je poussai la porte afin de traverser l'appartement -vestibule, je sursautai.
Devant moi se tenait une jeune adolescente, qui semblait avoir avalé un ballon. Deux petits cris sortirent en même temps de nos bouches respectives, aussitôt comprimés par nos mains. La gamine semblait terrifiée de mon apparition et moi, je n'étais pas sûre que mon cœur s'était remis à sa place. Nous nous regardâmes avec attention, nous scrutant, attendant que l'autre fasse le premier pas. Progressivement, je reprenais mes esprits. Ce n'était qu'une gosse et elle paraissait encore plus effrayée que moi. Ce n'était pas la petite bête qui allait manger la grosse.
" Qu'est-ce que tu fiches ici ? lui demandai-je, peu amène. "
" Je vis ici, hésita-t-elle. Je vais vivre ici, plutôt. "
" Sûrement pas. Prends tes affaires et barre-toi. Il y a d'autres tours vides. "
Sans la calculer davantage, je récupérai la poubelle et me glissai dehors. Le soleil tapait toujours aussi fort, et je m'avançais prudemment, en pestant contre mes fringues un peu trop voyantes dans les décombres. Je parvins bientôt au bas de la butte et alors que je réfléchissais au chemin à prendre, j'entendis le bruit d'une patrouille. Décidément pour une zone soi-disant désertée, il y avait du passage. N'hésitant pas une seconde, je planquai le sac des os derrière des débris et crapahutai à toute vitesse jusqu'à la tour. Là, je me rejetai dans l'ombre protectrice de l'ouverture et trois secondes plus tard, je vis une dizaine de soldats apparaître au pied du tumulus et tenir un conciliabule, à l'endroit où je me tenais un instant plus tôt. Ils ne semblaient pas disposé à partir et je remis mon expédition à plus tard.
Je rentrai dans le " vestibule " et retrouvai la jeune squatteuse, au même endroit que cinq minutes plus tôt.
" Tu es toujours pas partie, toi ? Qu'est-ce que tu fais encore là ? "
" Je n'ai nulle part où aller... "
" Si, il y a une foule de tours vides, ou, sinon il doit bien avoir des foyers de l'Ordre en ville. "
A cette proposition, je vis ses yeux s'enflammer et son front se barra. Elle n'aimait pas l'Ordre, pas si stupide finalement.
" Alors ? m'impatientai-je. "
" Il y a des soldats dehors. "
Elle semblait désorientée, un peu fragile, un peu cassée. Petite poupée dans un corps de femme, avec des yeux qui avaient déjà trop vu la noirceur du monde. Je soupirai.
" Bon, allez, suis-moi ! Tu ne vas pas rester là, c'est moche, c'est en plein courant d'air et il n'y a aucun confort. Mais je te préviens, c'est juste une solution de dépannage. "
Je pris sa petite main dans la mienne et la guidai à travers les étages. Nous parvîmes enfin à ma porte et je la fis entrer, devant le chien, toujours à son poste. A l'arrivée de la gamine, il se leva et vint lui renifler les doigts avant de la lécher. Décidément, il acceptait tout le monde.
" Oh, ce qu'il est mignon, s'exclama-t-elle, avec candeur. Comment il s'appelle ? "
" Il s'appelle pas, c'est " le chien ". "
C'est vrai, ce chien n'était pas à moi, il me ressemblait, il était indépendant et je ne me voyais pas lui donner un nom. Mais la gosse semblait déçue.
" Tu peux lui donner un nom, si tu veux. Et d'ailleurs, c'est quoi le tien ? "
" Noa. "
" Très bien Noa, moi c'est Shanee et ici, c'est chez moi. Personne n'entre dans ma chambre sans ma permission, ni toi, ni le chien. J'espère que tu n'as rien contre les peluches, parce que l'autre chambre en est pleine. Suis-moi. "
Je poussai la porte de cette pièce qui m'intimidait et l'y fait entrer. Son visage s'illumina en découvrant les lieux. Elle devait avoir quoi ? 15 ans à tout casser, mais c'était bel et bien une enfant.
" Bon et n'oublie pas, c'est une solution de quelques jours, dès que tu auras trouvé une autre piaule, tu te casses. "
J'étais un peu bourrue, mais après tout, je n'étais pas l'armée du Salut et je ne tenais pas ramasser tous les chats errants de cette planète.
Noa
par Luz
Je zigzagais entre les tours. Une odeur de soufre flottait dans l'air. Je sentis les taches de rousseurs sur mon nez se froncer. Je frissonnai. Toi non plus tu n'aimes pas cet endroit, mon petit ? Enfin, au moins, le soleil brillait maintenant. Il ferait peut être chaud, si je ne me sentait pas si mal. Je marchai dans une flaque de boue qui éclaboussa mon jean, je la sentis presque me tremper les jambes. Je resserrai les mains autour de toi pour te protéger (ou peut être pour me protéger...) du manque qui s'infiltrait en moi comme la boue. Manque de présence, maternelle, manque de larmes qui refusaient de sortir.... " Bon, mon petit, tu pèse trop lourd sur ma fatigue, on en prend une au hasard. Là, ce grand bâtiment, c'est très bien. Allez, encore quelques mètres et on y est."
J'entrais, les bras toujours serrés autour de la petite vie. Les yeux rivés sur le sol poussiéreux, je levais soudain le visage et poussais un cri. Effrayée par mon propre bruit, je plaquais les mains sur ma bouche et vis la jeune femme en face de moi en faire autant. Les yeux écarquillés, je n'arrivais pas à détacher mon regard d'elle, cherchant intérieurement ce que je devais dire ou faire. Elle semblait aussi terrorisée que moi, puis reprit soudainement ses esprits comme pour essayer de dominer la situation. Je reprimais un sourire.
« Qu'est ce que tu fiche ici ? »
Sa voix était glaçante. Sensation connue de rejet. Sauf que moi, il faut que je trouve un endroit à l'abri pour mon petit, et si pour ça je dois te déranger un soupçon tant pis. Je lui expliquais la situation en deux mots, mais je ne reconnût pas ma voix. J'étais intimidée, un peu admirative peut être devant cette jeune femme qui avait l'air de savoir parfaitement ce qu'elle faisait. Elle me dit de me tirer de là. La belle veut pas partager, oui, mais moi je reste là, désolée.
Elle sortit. Je ne bougeais pas. Elle osa me proposer un de ses foyers de l'Ordre, mais elle retira ses mots d'un regard. Elle attendait ma réponse d'un air pressé. J'avais envie de vomir, ne refait plus ça, petit homme, je ne tiendrais pas le coup ce soir si tu me fais des misères... J'avais un peu envie de pleurer aussi, et je m'entendit répondre qu'il y avait des soldats dehors. Ce qui était la stricte vérité, et la vérité est souvent bien désagréable.
Alors elle se décida à me prendre avec elle. Elle glissa sa main dans la mienne et le contact de sa peau me fit presque sursauter. A part toi, petit, à travers ta prison de velours, je n'avais plus eu de contact physique avec personne depuis longtemps. Je me sentais mieux. Elle me fit monter quelques étages, et me fit passer devant elle. Soudain, le chien à la porte me sauta dessus et me léchouilla les doigts. Il m'attendrit d'un coup et je ne me sentit pas plus résistante qu'un marsmallow.
« Oh, qu'il est mignon, fis-je, comment il s'appelle ?»
J'étais étonnée de voir une spontanéité comme celle de l'animal dans ce monde où tout semblait si déréglé. Il était si mignon, si tranquille, que ça me rappelait presque le chien que j'avais, quand j'étais petite... Elle me répondit qu'il n'avait pas de nom, qu'il s'appelait juste « le chien ».
« Le chien ». T'as vraiment une imagination débordante, la belle.
Elle sembla interpréter mon air septique pour de la déception, et se reprit avec une voix que je m'imaginais bien dans quelques mois, que je pouvais lui donner un nom, si je voulais. Et quel était le mien. J'ai appris qu'elle s'appelait Shanee, et que même son chien ne pouvait pas entrer dans sa chambre. J'avais envie de rire, elle était aussi mignonne que son animal, même si elle avait un sale caractère.
Elle me montra l'autre chambre, et je retins un soupir de bonheur. C'était une chambre d'enfant, pleine de peluche et de souvenirs de bousculades. Il y avait autre chose aussi. Des cris d'enfant, il n'y avait pas eu que de l'innocence dans cette chambre, et la mort semblait encore ramper sur les murs. Mais j'aimais cet endroit, et je crois bien que c'était une des plus belles choses qui m'appartenait après toi, petit. Mais je me rappelais intérieurement que tu ne m'appartenais pas, tandis qu'elle se fit le plaisir de me dire que ce paradis d'enfant non plus. Quelques jours, elle a dit, elle m'accepte pour quelques jours. Oui mais moi, j'en ai besoin pour deux vies....
Julian
par Chayenne
Je me promenais tranquillement dans un des secteurs dortoirs, ma micro- caméra planquée dans la manche. Il n'y avait pas un chat dans les rues, tout le monde était au travail et le quartier semblait attendre le retour de sa population pour revivre.
Les baraques faites de tôles, de cloisons de récupération et de toiles étaient le parfait exemple des conditions de vie du pays. C'était l'un des quartiers les plus pauvres, mais j'avais déjà vu pire, à proximité des docks par exemple où les familles s'entassaient dans des vieux containers rouillés. Les plus chanceux vivaient dans des vieux immeubles décrépis où même les cafards rechignaient à aller. Il n'y avait que les rats pour se satisfaire de la région.
D'ailleurs ma promenade semblait en déranger plusieurs car j'en vis passer en trombe devant moi. Intrigué, je regardai d'où ils venaient. Prudemment, je m'approchai d'une masse que certains rongeurs téméraires n'avaient pas quittée. Un gros rat noir leva la tête et me regarda méchamment. Je frémis, son museau était recouvert de sang et là je vis ce qu'était cette masse. Un chat était éventré et les rongeurs en faisaient leur festin. Je sortis mon appareil photo et mitrailla le tableau.
Et c'est là que je le vis. Un petit garçon malingre, d'au maximum deux ans, regardait le spectacle. Ses yeux semblaient vides, mais ne quittaient pas la charogne. J'élargis mon champ et l'inclus dans la photo. Ce petit bonhomme ne disait rien, ne bougeait pas, comme hypnotisé. Le gros rat noir délaissa son repas et s'approcha des jambes de l'enfant, le reniflant. Je n'hésitai pas une seconde et soulevai l'enfant dans mes bras au moment où la sale bête allait planter ses dents dans sa chair de poupon. L'enfant hurla, mais je n'y prêtai pas attention, occupé à repousser les rats avec mes pieds.
Une gamine, qui n'avait pas encore atteint l'âge de raison, surgit de la baraque voisine et, armée d'une planche en bois, se mit à taper sur les rats, chassant les plus couards, écrasant les plus téméraires.
L'enfant pleurait toujours et lui tendait les bras, je le lui remis et elle le berça lentement. Le garçon ne tarda pas à se calmer, et suça sa petite menotte crasseuse. La fillette me regardait étrangement, je n'arrivais pas à distinguer la teneur de son regard. Était-ce de la gratitude, de la peur, du mépris ou de l'indifférence ? Elle n'avait pas les yeux de son âge, un peu trop adultes, un peu trop désabusés, sans une trace d'innocence.
" C'est toi qui t'occupes de ton petit frère ? lui demandai-je, en mettant discrètement ma caméra en route. "
Elle opina du chef et serra plus fort l'enfant contre elle.
" Où sont tes parents ? "
" Au travail, murmura-t-elle. "
" Et toi, tu ne vas pas à l'école ? "
" Non, je dois m'occuper des petits. "
Des pleurs s'élevèrent de la maison et elle rentra précipitamment. Je la suivis et la vit déposer le garçonnet dans un parc de fortune, avant de sortir un nouveau-né d'un vieux landau bancal. Un grand trou s'était formé dans ce qui tenait lieu de toit et faisait comme un puis de lumière. J'aperçut deux fillettes assises dans un coin, deux petites jumelles d'au maximum quatre ans. Elles me regardaient avec intérêt et répondirent à mon sourire, dévoilant au passage des dents déjà abîmées par la misère. La grande fille tenait toujours le bébé dans les bras et lui faisait boire un liquide blanchâtre à la cuillère.
" Qu'est-ce que c'est ? m'inquiétai-je. "
" De l'eau sucrée... "
" Vous n'avez pas de lait ? "
" Pas aujourd'hui, papa n'a pas ramené l'argent et maman n'avait pas assez pour tout. "
" Et pourquoi personne n'a comblé ce trou, ça doit gêner pour la pluie. "
" Ils n'ont pas le temps, quand ils rentrent, il est trop tard. "
J'étais écœuré. Cette gamine n'avait pas l'âge d'assumer un tel fardeau et cette misère, pourtant si commune, me révoltait. Je fouillais dans mon sac et dénichai une tablette de chocolat, j'avais aussi du lait sucré concentré et deux fruits. Ca devait être mon repas de la journée, mais cette famille en avais plus besoin.
" Comment tu t'appelles ? demandai-je à la grande. "
" Clara... "
" Et bien, Clara, tu vas t'asseoir avec tes frères et sœurs et partager ça avec eux. Moi, je m'occupe de ce trou. "
Je sortis dehors et regardai les alentours. Une vieille planche gisait dans un fossé, elle était abîmée, mais elle ferait l'affaire. Je savais que la baraque ne tenait que par miracle, donc je colmatai l'ouverture avec précaution. Ca tiendrait sûrement peu de temps et la prochaine grosse pluie ferait du dégât. Mais de toutes façons, ces baraquements n'auraient jamais dû tenir. Ils défiaient toutes les lois de construction, résistant années après années aux changements climatiques.
Le trou réparé, je sortis et, avec précaution, déplaçai la charogne jusqu'à la rue, où je l'enflammai. Ce ne fut pas une mince affaire, surtout qu'à tout moment une patrouille pouvait passer et me demandait les raisons de ma présence ici. Mais finalement, il ne resta du festin des rats qu'une dépouille malodorante et calcinée.
Retournant dans la baraque, je vis la petite Clara veiller à ce que ses frères et sœurs mangent correctement. Mais je remarquai aussi qu'elle ne s'était rien gardé. Il me restait une barre céréalière dans la poche de ma veste et je la lui tendis. Alors qu'elle s'apprêtait à la partager, je l'arrêtai.
" C'est pour toi, Clara, tu dois manger aussi. "
Elle me regarda, étonnée, puis se résigna et commença à mastiquer la barre. J'en profitai pour photographier une nouvelle fois les lieux, pérennisant, pour un temps du moins, ces images de misère. La baraque n'était qu'une immense pièce, avec deux lits, un grand où devaient dormir les parents et un petit où se tassaient sûrement les quatre plus grands. Un baquet devait servir à la cuisine comme à la toilette et la table était constituée d'une planche de bois posée sur des pierres.
" Clara ? "
L'enfant leva la tête et me regarda, en esquissant un sourire.
" Clara, ce n'est pas une vie normale. Surtout, apprends à voir plus loin, ne te contente pas de survivre, n'accepte pas la misère. Tu ne dois pas déjà te résigner... Tu m'as compris ? "
Elle me fit un sourire ennuyé, et s'excusa, désolée.
" Ce n'est pas grave, tu comprendras un jour. En tout cas, n'abandonne jamais l'espoir. Et bonne chance, petite fille. "
Je souris aux gamins et sortis. Cette rencontre m'avait mis le cœur à l'envers et plus que jamais, je voulais changer ce monde.
Et voilà, c'est tout pour ce soir, car là je commence à piquer du nez (cogner des clous)
La suite si vous aimez et si les autres veulent bien la partager...
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