Alex
Par Kina
J'arrivais finalement aux frontières de Seattle. La ville était tout à fait conforme à mes souvenirs, rien n'avait changé. Du moins, les bâtiments, car je ne saurais dire des gens. Des années sans avoir de nouvelles de personne... Autant j'avais hâte de revoir ceux que j'avais laissé, autant je craignais d'apprendre qu'ils n'était plus ou bien de ne pas les reconnaître tellement la vie rend les gens différents. C'est un sentiment étrange qui me hantait depuis mon départ de Sacramento une semaine auparavant.
Déjà une semaine ! J'avais battu mon record de vitesse cette fois. Il est vrai que 1000 km ça semble banal, mais à notre époque et sans papier, ça tient presque d'un exploit de parcourir cette distance sans se faire pincer.
Évidemment que j'ai rencontré quelques embûches; mais ça met du piquant au voyage non ? C'est ennuyeux quand il ne se passe jamais rien. Il n'y a rien de tel qu'une bonne poussée d'adrénaline ou un patrouilleur solitaire à dérouter pour se dégourdir un peu. En fait, le plus difficile, ce n'est pas la route, ce sont les grands centres, car n'entre et ne sort pas qui veut. Seattle, c'est différent, j'y suis né, c'est mon terrain de jeu. Il faut seulement connaître les bons passages, les endroits clés non surveillés.
Chemin faisant, j'observais quelques travailleurs. Les moutons sont toujours les mêmes, toujours aussi... moutons ! Il n'y a pas d'autre mot.
Pffff regardez-moi ce soldat. Cette pauvre femme lui obéit au doigt et à l'œil. Hééé réveille, tu ne vois pas à quel point ça l'amuse d'avoir un petit chien qui fait tout ce qu'on lui dit. Il a fait exprès de jeter sa boîte de trombones par terre, laisse-le se démerder avec après tout....
" Pathétique ! "
Deux coins de rue plus loin, je m'assurai que le lieu était bien désert et sautai la clôture de 3 mètres. La zone de non droit... enfin chez moi !
Retrouver le chemin de la centrale fut un jeu d'enfant. Je n'en étais plus très éloigné quand j'entendis des voix s'animer. Il y avait apparemment de l'action dans le coin, mais je n'arrivais pas encore à percevoir distinctement l'occasion.
Au détour d'un immeuble, j'aperçut enfin un attroupement de jeunes une centaines de mètre plus loin. Une fille était couchée à plat ventre sur le sol et tous la regardaient dans l'attente de quelque chose.
Soudain, elle releva la tête d'un air enragé avant de lancer d'une voix claire et forte ne laissant aucun doute sur ses sentiments: « Je t'emmerde conard ! »
Son adversaire sembla déstabilisé pendant une fraction de seconde. Mais c'est qu'elle a l'air d'avoir du caractère la petite. Rien à voir avec Miss trombones de tout à l'heure.
Elle se leva chancelante et tenta une frappe avec le pied droit, mais commit une erreur fatale, car avec si peu de force et de vitesse, il arriva à la saisir à la cheville et lui tordre la jambe. Ce geste lui arracha un cris de douleur et l'envoya de nouveau mordre la poussière.
C'est là que je vis son rival s'armer d'un couteau qu'il pris de sorte à ce que la lame parte du manche qu'il tenait à la main pour longer le long de son bras. Hélas, la jeune fille ne l'avait pas vu et tenta de revenir à la charge. Elle se prit un bon coup dans le ventre et tomba presque sans connaissances, le mecs à cheval sur elle, la plaquant au sol. Là ça dépassait les bornes, mais j'étais trop loin pour faire quoique ce soit. Nous en étions loin du simple conflit d'intérêt, c'était rapidement passé au règlement de compte.
Une autre fille apparut de nul part et se précipita en catastrophe vers le corps inanimé en hurlant: « Faline ! ... »
Elle dégagea rapidement le type de sur son amie, lui assénant ensuite un superbe crochet du droit qu'il ne put éviter avant de prendre ses jambes à son coup et se faire régler son compte par une autre fille qui se tenait dans l'ombre beaucoup plus loin.
Je n'étais plus très loin de la blessée à présent. Son amie lui parlait et son air affolé me renseignait vite sur l'état de Faline si j'en croyais bien mes oreilles. Je me précipitai vers les filles, car d'après ce que j'ai vu, le coup qu'elle a reçu pouvait bien lui être fatal.
Je n'étais pas le seul à voir que ça n'allait pas, car des passants , sans doutes alertés par les cris de la copine, s'approchèrent également de la scène.
J'arrivai le premier pour constater l'ampleur des dégâts, qui à ma grande surprise, étaient certes forts importants considérant la quantité de sang qu'elle perdait, mais néanmoins superficiels. Sans avoir pu éviter le coup, elle avait quand même réussi à se positionner de sorte à ce que la lame ne la pénètre qu'en surface, ne touchant à rien de vital.
Ne perdant pas une seconde, je pris une chemise que j'avais dans mon sac et décrirai un morceau afin d'en improviser une compresse. Les vieux réflexes demeurent, j'ai passé trop de temps dans les unités de premier soins et d'urgences moi. J'avais maintenant l'hémorragie sous contrôle avec une compresse que je ne pouvais lâcher pour le moment sous peine de récidive. Pour la première fois je levai les yeux vers l'amie qui tenait Faline dans ses bras. Il y avait quelque chose dans son visage... puis au bout de quelques secondes, je réalisai: Cassy !
Les passants arrivèrent finalement et voyant que j'avais la situation bien en main, essayèrent de calmer Cassy et de me laisser le champ libre. Faline semblait délirer et je tentai de la rassurer en lui disant: « Ça va aller, tu vas t'en sortir ma belle ... »
Je ne sais pas si elle m'a vraiment entendu, car elle ne tarda pas à tomber dans les pommes. Je dois avouer qu'elle se trouvait dans un sale état. De nombreuses contusions, des égratignures à n'en plus finir et surtout, une belle coupure de 15 centimètres partant du flanc vers le ventre. L'entaille n'était peut-être pas trop profonde, mais l'était suffisamment pour nécessiter quelques points de sutures.
Il fallait la déplacer et la soigner dans un endroit propre. Ici, j'accumulais la poussière et ce n'est pas ça qui aiderait à prévenir l'infection. Je demandai donc à un voisin qui me fixait depuis quelque temps de me déchirer dans le tissus un bout suffisamment long pour improviser un garrot afin de maintenir la compresse. Il fut un peu long à la détente, mais me donna tout de même ce que je réclamais.
Cassy, quant à elle était partie à la poursuite de l'assaillant. Elle ne m'avait apparemment pas reconnu et de toute façon, l'heure n'était pas aux bons souvenirs. Je me concentrai donc sur ma nouvelle patiente, qui se devait aller à l'infirmerie dès que j'aurai stabilisé sa blessure afin qu'elle ne s'ouvre pas trop en cours de route.
Eh bien, pour mon retour au bercail, les choses commençaient plutôt drôlement. À peine arrivé et déjà au boulot. Dire qu'à une autre époque, j'aurais un diplôme de médecine moi. Quoique ça ne m'a pas empêché d'apprendre et de mettre en pratique ces dernières années.
Voilà, j'avais maintenant un pansement temporaire assez solide pour quelques temps. La question la plus délicate consistait à présent au transport, car un grand choc ou un faux mouvement et ce serait une nouvelle marre de sang. Je me penchai donc et prit doucement son corps meurtri dans mes bras. Dans un sens, c'était presque une bonne chose qu'elle ait perdu connaissance, car ainsi elle souffrirait moins. Je me levai donc, un colis dans les bras, et les quelques spectateurs restants me laissèrent passer pour ensuite se dissiper chacun de leur côté.
L'infirmerie la plus près consistait à un bâtiment un peu à l'écart du quartier général. Malheureusement, elle était déserte à mon arrivée, ce qui ne m'empêcha pas de trouver un lit dans une pièce et d'y installer mon petit fardeau qui, veut, veut pas, commençait légèrement à peser son poids au bout d'une demi-heure. J'avais presque les bras en compote.
Je fis le tour à la recherche d'un responsable, mais sans succès. Je trouvai néanmoins le matériel dont j'avais de besoin. Je pris les pansements et les produits désinfectants sur un chariot dans le corridor, puis je mis finalement la main sur un kit de suture dans la pièce d'à côté. De retour dans la chambre, je commençai donc par bien nettoyer l'entaille pour ensuite la refermer avec des points et la panser avant de m'occuper des quelques éraflures et autres blessures plus légères. Je venais de terminer mon travail et commençait à ramasser mon désordre quand Cassy fit enfin son apparition dans l'embrasure de la porte.
Ce n'est que beaucoup plus tard que l'infirmière daigna enfin se pointer dans l'immeuble. Elle ne nous avait pas entendu et avait presque fait une crise cardiaque en tombant nez à nez avec Cassy qui sortait justement de la chambre chercher de l'eau. Elle vint voir la nouvelle patiente et fut surprise de voir qu'on l'avait déjà soignée. À ce commentaire, Cassy se retourna vers moi, incrédule.
- Quoi ? Elle n'allait pas se soigner toute seule pendant qu'elle était dans les vap quand même !
- Eh bien, vous avez du talent en tout cas. Je ne sais même pas si j'aurais pu en faire autant ! commenta l'infirmière.
Là je me sentais mal à l'aise. Je fais ce genre de trucs depuis des années et c'est loin d'être un exploit. Il suffit de pratiquer un peu au début, puis ça devient machinal.
- C'est gentil, finis-je par répliquer, mais il commence à se faire tard et je dois y aller. Si vous pouviez seulement lui donner un autre calmant pour la douleur dans 2 h, elle devrait vous en être reconnaissante à son réveil.
Sur ce, je pris congé des dames pour me trouver un coin tranquille où passer la nuit.
Je n'étais que de passage à Seattle et devait à nouveau prendre la route dans la journée, mais j'étais tout de même curieux de savoir comment se portait ma patiente. J'avais surtout oublié mon sac de voyage dans sa chambre la veille et ne pouvait absolument pas repartir sans lui.
À ma grande surprise, je la trouvai déjà debout à arpenter le couloir de l'immeuble abritant l'infirmerie. Même les X ne guérissent pas aussi vite, elle est folle ou quoi.
" Mademoiselle, tout va bien ?" l'interpellai-je.
Elle se retourna et me regarda un peu perdu. Elle sembla réfléchir un moment, puis sourit légèrement.
"- Faline, c'est ça ? enchaînai-je
- Oui, qui vous l'a dit ? fit-elle surprise.
- Eh bien, disons que votre amie a la voix qui porte, tentais-je de répondre en guise d'excuse à mon soudain intérêt pour son nom. Elle n'a cessé de vous appeler pendant que vous étiez dans les pommes, expliquai-je finalement. "Venez, ne restez pas là, vous allez attraper froid. Et puis, dans votre état, je ne sais pas si c'est très sage de quitter sa chambre..."
Autant cette fille n'aurait jamais dû se lever, autant je ne pouvais m'empêcher d'admirer sa force d'esprit. Elle était vraiment étonnante. Malgré la dose d'anti-douleur qu'on avait pu lui injecter, elle semblait plutôt lucide et bravait déjà les corridors.
Elle obéit sagement sans ronchonner, mais apparemment à contrecœur. Je la suivit donc jusqu'à sa chambre. Je n'avais pas trop remarqué hier dans le feu de l'action, mais cette fille n'était pas mal du tout. De jolies formes, la taille fine, une belle chute de rein, des fesses bien arrondies...
Je ne pu malheureusement en apprécier d'avantage, car une forte odeur de solvants et de renfermé me tira de ma rêverie. Nous étions dans la chambre et je m'empressai d'ouvrir les fenêtres histoire d'aérer.
Entre-temps, elle avait regagné son lit et se recouchait de peine, grimaçant à l'occasion. Je m'approchai d'elle et m'assit sur la chaise près du lit que j'avais occupé la veille.
- Je peux ? demandais-je en indiquant la blessure qu'elle couvrait de sa main.
Elle me regarda un instant se demandant sans doute ce que j'avais en tête, puis voyant que je ne bronchait pas, fini par acquiescer en retirant sa main. Je soulevai donc le pan de sa chemise et vit le pansement taché de sang. " Elle s'est réouverte ! "
- Oui, répondit-elle simplement.
Je n'étais même pas surpris de le constater. C'était trop prévisible après sa petite promenade, mais je ne trouvais pas la force de la sermonner. À quoi bon, ça n'aurait rien changer. Cette fille à l'air aussi têtue que moi.
J'enlevai donc le vieux pansement pour commencer à nettoyer la plaie, désinfecter, refaire le pansement, et ce dans un geste malgré tout retenu. Je ne put empêcher mes doigts de partir à la découverte sa peau douce et soyeuse. Puis, je la sentit frissonner sous ma caresse.
Je passais mes doigts sur son ventre lisse et légèrement arrondi, je dépassais sans le vouloir les limites du pansements. Je m'aventurais légèrement plus haut, avançant lentement vers les monts de sa féminité, mais sans m'y rendre complètement. Je sentis son cœur battre un peu trop fort à travers sa peau fine.
Soudain, elle se redressa sur son lit. Je relevai la tête, étonné de son geste, et elle prit mon visage entre ses mains douces. Je cru que les médicaments l'avaient enivrés, et je n'osais pas l'aider dans son élan. mais elle était si belle, et si fragile et si tendre, que bientôt je laissais mes lèvres aller contre les siennes dans un moment de faiblesse...
Elle m'embrassait avec une telle envie que, malgré ma gêne et ma morale, je laissais mon corps répondre à mes envies, et nos corps s'exprimer librement. Je ne sentais plus ses blessures, mais seulement son corps de femme, et mes mains sous le tissu de sa chemise remontèrent le long de son dos.
Puis, je la sentit s'échapper légèrement, et mes mains s'apaisèrent sur sa peau pour ne pas la blesser. Elle m'en remercia par un nouveau baiser.
Le moment fut cependant brisé lorsque quelqu'un toqua à la porte. Réalisant maintenant pleinement ce que j'étais en train de faire, je me relevai dans un geste affolé, en essuyant ma bouche qui portait encore quelques traces de sa salive. Je me sentit soudain coupable devant la personne qui allait entrer.
Cloé
Par La Chimère
D'une main preste, je soulevai la toile de jute qui servait de volet pour observer la couleur du ciel. A croire que seule la couleur grise avait été programmée pour cette ville en totale décrépitude. Me penchant un peu par dessus le rebord, je contemplai le paysage alentour. Gris.
Les débris décrivaient des formes irréelles des hauteurs où notre appartement de fortune se trouvait. Peu de temps après notre fuite, si on pouvait dire que l'on avait fui, nous avions trouvé ce gratte-ciel, qui ne grattait plus grand-chose, mais qui tenait encore debout, grâce à son voisin, qui le soutenait par le milieu. En fait, tout cet ensemble ressemblait à un jeu de mikado géant. Il suffisait que l'une des tours cède pour que tout s'écroule ! Alors imaginez pour ceux qui squattaient comme nous... Enfin, on vivait tous ainsi avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête. Avait-on le choix d'abord ? Non.
Soupirant, j'ôtai ledit volet de fortune pour faire entrer un peu plus de clarté à l'intérieur de notre « home sweet home ». La moisissure avait gangrené les murs au point qu'il était désormais impossible de distinguer la couleur de la peinture originelle. Des câbles pendouillaient du plafond en un entrelacs ressemblant furieusement à une immense toile d'araignée. Pourtant aucun d'eux n'avait été fichu de nous apporter l'essentiel à savoir de l'électricité et de l'eau. Me déplaçant furtivement pour éviter de faire du bruit, j'enjambai les caisses en bois servant au besoin de table, tabourets, armoire ou planque pour les marchandises à troquer sur le marché.
Attrapant l'une d'entre elles, je me mis en devoir de préparer un semblant de petit déjeuner. D'abord étendre un torchon pour dissimuler les échardes, ensuite déposer des bols non fissurés (un miracle surtout lorsqu'on connaissait la délicatesse légendaire de l'un des occupants des lieux) et ensuite trouver un paquet de céréales non entamé par les rats. Saupoudrez le tout avec du lait en poudre et versez l'eau. La bouillie ressemblait à rien mais était comestible !
Me relevant de ma position à genoux, j'entreprit d'aller affronter le monstre. La bête sommeillait, étendue de tout son long sur le matelas, uniquement vêtue d'un simple caleçon. Plus d'un mètre 85 de muscles déliés, la bête de sexe masculin possédait une chevelure de jais coupée court pour tenter de dompter d'éventuelles mèches rebelles. Rien que son profil laissait deviner que le monstre était fichtrement séduisant même si ses joues étaient mangées par une barbe naissante aux poils râpeux.
J'étendis le pied et donnai un coup dans la forme endormie en choisissant comme cible la partie la plus rebondie de son individu. Pas de réaction. Deuxième coup un peu plus ferme. Un grognement de mise en garde retentit. Je ne pus m'empêcher d'afficher un sourire sadique en renouvelant une troisième fois mon attaque.
« Mmmmmmmmmhhhh... dégage ! »
Charmant ! Et dire que cette grande chose échouée tel un cachalot était la personne que j'adorais le plus au monde au point d'être persuadée de mourir foudroyée à l'instant où il disparaîtrait définitivement. Avec un pincement au cœur, je revis les images de mon dernier cauchemar. Il était tellement imprévisible qu'à tout moment, il pouvait m'échapper..
Me penchant sur lui, je glissais mes doigts dans ses cheveux et soufflai de ma voix la plus douce :
« Debout ! Sinon ton p'tit déj' sera aussi dur que du ciment si tu tardes ! Allez... »
« Encore cinq minutes... juste cinq... » grommela-t-il le nez dans l'oreiller.
Gros soupir. Autant convaincre l'Ordre de quitter notre sol natal !
« Raven !! Lèves-toi ou je sors le seau d'eau ! »
Je dus me pousser rapidement car mû par un réflexe archaïque, l'homme se redressa immédiatement pour poser sur moi un regard limite effrayé. Je lui offris mon sourire le plus lumineux et gentiment lui embrassa la joue.
« Bonjour, bien dormi ?! »
Le laissant pestant et bougonnant sur la tyrannie domestique, mon ingratitude et le fait qu'il crevait de sommeil (mon œil !), je le quittai en chantonnant presque. Mwouahahaha...
Raven vint me rejoindre quelques minutes plus tard en baillant à s'en décrocher la mâchoire. Il avait enfilé son jean rapiécé mais indifférent aux courants d'air, était resté torse nu. D'un œil narquois, il me dévisagea de la tête aux pieds.
« Tu comptes sortir où dans cette tenue ? »
Je baissai les yeux pour me détailler. Un pull et des rangers aux pieds.. Certes, je portais rarement de jupe mais n'ayant rien d'autres à enfiler... Question féminité, on faisait mieux mais ici, les artifices n'avaient plus cours ou alors juste pour obtenir plus qu'un moment d'oubli dans des bras indifférents. Je grimaçai et levai un regard ennuyé :
«Quoi ? C'est bien là non ? Je vais juste dans la galerie tenter d'avoir des légumes.. Lokie est passé hier d'après mon contact. Si j'arrive à le voir...»
« Je veux pas que tu traites avec lui ! Je le ferai moi, je préfère ! »
Ben voyons... Mon regard se fit charmeur et j'adoptai la position : «Rien ne me résiste et certainement pas toi !» en m'avançant d'une démarche féline vers lui. Il se mordilla la lèvre inférieure et tenta (vainement) d'échapper à mon étreinte. Glissant mes bras autour de son cou, je me mis sur la pointe des pieds (il me dépassait d'une bonne tête et demie) et murmurai :
«Raven... C'est moi qui suis chargée du ravitaillement et rappelles-toi que je réussis nettement mieux que toi à ramener ce qui te plaît ! Alors dis-moi oui et fais moi un sourire tant qu'on y est.. »
Attrapant mes mains derrière son cou, il les éloigna fermement de lui et plantant son regard brun dans le mien, lâcha d'une voix sans réplique :
«Cloé, c'est non ! Et arrête ton cirque ! Je suis immunisé !»
Je fis la moue. Incroyable ! Il me résistait l'enflure. Machinalement, je me mis à taper du pied, déclenchant immédiatement un sourire et une lueur moqueuse au fond de ses yeux. Il lutta pour ne pas éclater de rire mais craqua finalement.
«T'es impossible ! OK, c'est bon pour cette fois mais arrête de me fusiller du regard ! T'es vraiment pas crédible, ma pauvre sœur !»
Pour m'enfoncer davantage, il eut le toupet de me tapoter le sommet du crâne avant de saisir son bol pour engouffrer en deux bouchées la mixture que j'avais préparée. Tournant les yeux vers moi, je le vis me dévisager à nouveau, très content de lui.
Un claquement sur notre droite nous fit sursauter en chœur. Tournant les yeux vers la source, nos regards se rencontrèrent dans la glace qui nous faisait face. Deux visages, deux facettes pour un même être. Le féminin et le masculin. Nous étions jumeaux.
Instinctivement nous nous sourîmes avant de porter nos regards vers le morceau de plâtre qui venait de se détacher à cause de l'humidité. Raven pesta en se penchant sur le mur en piteux état.
«Il faut vraiment qu'on déménage ! Je suis allé prospecter un peu plus loin par là, je suis sûr que je trouverai mieux !» fit Raven en pointant son doigt vers l'extérieur sans direction précise.
Certes, dénicher un endroit convenable relevait de la gageure mais voir s'effriter jour après jour notre abri précaire incitait à prendre les devants. Je soupirai. Un jour, tout ceci appartiendra au passé. Ce jour là, tout changera définitivement sans possibilité de retour en arrière.
Un jour prochain, nous serons libres, Raven et moi.
Raven
Par AmaRanTh
Mon dernier regard sur Cloé était désapprobateur tandis qu'elle sortait de la zone de non-droit, jupe et hanches provocatrices. Elle n'était qu'une peste, mais elle était ma peste, ma petite sœur, mon joyau. Mon attitude était sûrement exagérée, surtout quand on savait qu'elle était tout à fait capable de se défendre, mais j'étais persuadé qu'elle avait autant besoin que moi de cette soi-disant protection que je m'efforçais de lui donner.
De savoir que je ne suis jamais seul, même en pleine mission, perdu au milieu des décombres, cette impression réconfortante d'avoir toujours quelqu'un à aimer malgré tout ce que l'Ordre avait pu tenter de faire pour annihiler ce simple sentiment, c'était plus important que tout le trafic du monde. Cette jeune femme (ça m'écorchait la bouche de l'avouer, mais c'en était une !) était tout pour moi, surtout depuis la mort de nos parents.
Les rebelles, les missions, le trafic, tout ça n'était rien. J'abandonnerais tout sans une seconde d'hésitation pour voir un sourire illuminer le visage de ma sœur. J'étais terrifié à chaque fois que je la laissais partir seule. J'avais peur qu'elle se fasse agresser, j'avais peur qu'elle tombe amoureuse, j'avais peur qu'elle parte, en gros. Qu'elle ne me regarde avec ses immenses yeux bruns et ne me dise au revoir. Adieu.
Je tentais de chasser ces pensées déprimantes alors que je faisais mon jogging matinal au milieu du désert mort qui était cette zone de Seattle. Ils me déprimaient, ces pans de murs décrépis qui semblaient tendre leurs barres d'acier vers le ciel dans une attitude implorante, ces bâtiments branlants qui n'attendaient qu'un éternuement pour tomber, tels des châteaux de vieilles cartes, ces débris qui s'élevaient en montagnes insurmontables, visibles du reste de la ville, qui donnaient l'impression d'être de gigantesques doigts d'honneur à la société.
Je passais entre, décrivant des cercles, des paraboles et d'autres figures géométriques pour éviter les endroits dangereux. Je connaissais cette zone comme le fond de la poche arrière gauche de mon seul et unique jean, et sachant que dès que je l'avais sur moi, ma main venait s'y installer sans même que je m'en rende compte...autant dire que je connaissais l'endroit très, très bien.
Tandis que je courais, j'essayais de repérer d'autres bâtiments moins ébranlés que celui dans lequel Cloé et moi vivions, afin de nous y installer, et peut-être vivre dans un confort plus que relatif, mais un certain confort quand même. On pouvait rêver, mais mon père me disait toujours que l'espoir fait vivre, et que c'était la seule chose à laquelle on pouvait se raccrocher de nos jours.
Je croisais quelques patrouilles de rebelles qui me saluèrent. J'étais plutôt connu car plutôt actif au sein des rebelles. J'adorais m'infiltrer. Avec Cloé, nous pouvions passer des semaines à nous faire voir dans des soirées mondaines, dérober ou collecter les informations nécessaires, et on finissais toujours par être invité de nouveau. Pratique, couverture garantie. Ils étaient vraiment trop idiots, les bourgeois, de nos jours. Depuis quelques années maintenant nous jouions un jeu avec eux et ils adoraient ça. Bande d'imbéciles.
Depuis la mort de nos parents, Cloé et moi nous étions installés dans la zone de non-droit, afin d'aider les rebelles et d'échapper au culte, ou à ce qu'il en restait. C'était notre sang qu'ils voulaient, et j'avais en horreur de faire gicler le mien. Tant qu'à faire, qu'il reste au chaud dans mes veines, c'était mieux. Et comme nos parents nous avaient élevé dans la connaissance du pouvoir de l'Ordre sur la masse, nous n'avions jamais été des moutons. Donc travailler dans les champs était complètement impossible, pour nous. En plus, Cloé n'y aurait pas survécu deux jours. La connaissant, elle se serait plainte à longueur de temps et j'aurais fini par lui faire la peau.
J'arrivais enfin à destination. Mon t-shirt, trempé de sueur, me collait à la peau et je le retirais d'un mouvement preste en entrant dans la grande salle d'exercice, vide pour le moment. Tout en resserrant la ceinture de mon jogging, je m'avançais vers le tatami, au fond de la salle. Bref salut, quelques étirements, et j'étais prêt à travailler.
Je fis mes enchaînements de katas comme à mon habitude, danse rituelle qui aidait mon corps à perdre de sa rigidité et qui me permettait plus de finesse lors des combats, plus de discrétion lors de mes déplacements et plus de précision lors de mes attaques. Des mouvements antiques, hérités d'un art tellement ancien qu'on en avait oublié les origines.
Ma concentration à son maximum, je prenait le temps pour faire des mouvements parfaitement exécutés, que je connaissais sur le bout des doigts. Des katas que je travaillais depuis mon enfance, qui soit me relaxaient, soit aiguisaient ma vigilance.
La porte claqua et je me retournais, le dos tendu, les muscles prêts à l'attaque, l'esprit clair.
Un miaulement retentit, et je réprimai un éclat de rire.
Tessa
Par AmaRanTh
Avec un soupir las, je croisais les jambes sous mon bureau, libérant pendant un bref instant mon pied de l'étreinte des chaussures à talons que j'étais forcée de porter. Au dehors, le vent rabattait la porte de la quincaillerie installée à côté sur la baie vitrée de l'agence dans laquelle je travaillais, provoquant un bruit rythmique que je répétais avec un stylo mordillé.
Je m'ennuyais. 11h14.
« Tessa ? Veuillez m'appeler cette liste de personnes et les inviter cordialement à la soirée que j'organise demain soir. » Guilbert me lança une feuille longue comme mon bras sur le bureau que j'occupais et plongea ses yeux dans mon décolleté avec un détachement impressionnant.
« Très bien, Monsieur. »
Rester calme et posée pour ne pas lui flanquer ma main sur le visage alors que sa main se posait sur la mienne.
« Vous m'accompagnerez à cette soirée. Ma femme est indisponible, et vous vous imaginez bien que je ne peux m'y rendre seul. »
Je réprimais mon envie de lever les yeux au ciel. Comme à chaque soirée, il fallait que je l'accompagne. Sa femme avait continuellement la grippe, la diarrhée, ou alors une deuxième tête lui avait poussé et il ne voulait plus la sortir. 11h18.
« Je comprend, Monsieur. »
« Vous n'aviez rien de prévu, au moins ? » demanda-t-il. Comme si ça aurait changé quoi que ce soit ! Cependant, je niais de la tête et serrait les poings sous la table. Sa main se balada jusqu'à mon épaule, et il joua pendant quelques secondes avec le col de ma chemise. Ses doigts graisseux étaient sur moi, et j'avais l'impression dévorante qu'il me touchait tout le corps, alors qu'il ne faisait que m'effleurer. J'avais envie de crier, de le frapper, de le tuer. 11h21.
Il me fit un sourire en coin qui me fit froncer le nez, et je me dégageais en un roulement de chaise vers le téléphone.
« Je m'occupe de votre liste d'invités de suite, Monsieur. »
Il s'éloigna, son pas lourd et son costume de mauvais goût. Je passais une main sur mon visage en prenant une longue respiration. Il est temps de se recomposer, Tessa. Si seulement j'avais quelqu'un dans ma vie pour me protéger d'un homme pareil ! Il m'effrayait, me dégoûtait et m'humiliait en même temps. Chaque minute en sa présence me donnait envie de me renfermer sur moi-même, toujours un peu plus, jusqu'à ce que je ne sois plus qu'une coquille vide. Peut-être, lorsque mon esprit aura quitté mon corps, je me sentirais plus libre.
11h26.
Trois coups de téléphone, un coursier, un massage express pour mes talons endoloris.
11h39.
J'y arriverai, un jour.
À Suivre...
