Shanee
Par Chayenne

Mine de rien, elle était immense cette zone pourrie. J'avais déjà visité un certain nombre de tours en plus ou moins grandes décrépitudes et pourtant, je n'avais pas trouvé l'ombre de ce que j'étais venue chercher. Si tout continuait ainsi, des racines allaient prolonger mes jambes et je resterai prisonnière de Seattle. Qu'est-ce qu'il m'avait pris aussi de m'embarquer dans cette aventure, comme si je n'étais pas bien chez moi, auprès des miens, avec un avenir peint en rose... Peut-être un peu trop rose d'ailleurs, je n'étais pas du genre à aimer la facilité ni les œillères, même en satin. Alors, je n'avais pas à me plaindre ; on ne m'avait pas forcée, je connaissais le risque, donc je n'avais plus qu'à assumer. C'est ça, ma fille, allez, comporte-toi en adulte !

C'était bien joli cette petite discussion in personna, mais en attendant, ça n'arrangeait pas mes affaires. Après quelques tergiversations, je m'étais décidée à poursuivre mes recherches dans les bâtiments " rebelles ". Ce n'était pas de gaieté de cœur, au vu de l'estime que je portais à ces joyeux drilles, mais bon, et puis de toute façon, ce n'était pas la question. Là, j'avais poussé une porte de manière inconsidérée, puisque je dérangeais, le mot est faible, deux d'entre eux. Comme je ne tenais pas particulièrement à devoir décliner mon identité, ni les raisons de ma présence en leurs murs, je refermai précipitamment la porte et me jetai dans un recoin. Un moment plus tard, le jeune homme sortit à son tour et... prit ses jambes à son cou. Enfin, si ça lui chante, en tout cas, moi, j'allais pas m'éterniser dans ce qui semblait être une infirmerie. Ce n'était pas là que je trouverais... Merde, mais on n'est jamais tranquille ici !

Un groupe venait de débarquer dans mon corridor. Ce n'était pas comme ça que j'allais passé inaperçue moi. Je me tenais coite dans mon recoin en espérant qu'ils se dépêchent de déguerpir ailleurs. Perdu !

Le blond façon " Laissons le charme agir et ne levons pas le petit doigt " du pub de la veille, se dégagea du petit groupe et entreprit de leur faire découvrir les lieux. Les autres l'écoutaient avec attention, à l'exception d'un... Ah ben tiens, l'infortuné dragueur d'hier soir. Il ne semblait pas très très frais, et bâillait avec ostentation. Le blond lui jeta un regard noir et le brun en profita pour lui couper la parole.

" Et ce que Matt oublie de vous mentionner, c'est que les infirmières du coin ne sont pas très féminines et encore moins nues sous leur blouse... "

Je retins un rire et constatai, comme le brun, que leur auditoire était vraiment très coincé, parce que personne n'esquissait l'ombre d'un sourire. Déconfit, le brun rendit le crachoir au dénommé Matt.

J'espérais toujours qu'ils poursuivent leur visite ailleurs et, en un sens, je fus exaucée. Seulement avant, mon ombre joua la maligne et me trahit. Le blond, à qui son harem bavant ne devait pas suffire, s'en aperçut, me vit et me fit signe de rejoindre le groupe.

" Bon, on continue et on évite de se la jouer solo, je tiens pas à devoir envoyer une équipe vous chercher. On a d'autres chats à fouetter. "

Je me retins de protester, mais lui adressai un regard noir. Le brun turbulent me reconnut alors et me sourit.

" Il aboie fort, mais il est pas méchant, me révéla-t-il. "

Je concédai à lui sourire à mon tour, et il s'apprêtait à enchaîner quand le blond se retourna brutalement, créant une bousculade surprise devant nous.

" Kyle, tu dragueras les nouvelles plus tard, et puisque tu tiens tant que ça à l'ouvrir, tu fais la prochaine visite. "

Le brun soupira à fendre l'âme et s'empressa de passer devant. Quelques couloirs plus ou moins bien stabilisés plus tard, nous parvînmes dans une grande salle où s'activaient nombres et nombres de rebelles.

Moi qui tenais à les éviter, j'étais vernie.

Alors en attendant de trouver une occasion propice pour me faire la belle discrètement, je n'avais plus qu'à suivre le groupe, agir en parfaite jeune recrue et écouter leurs speechs.


Hugo
Par La Chimère

Fixant d'un œil morne le calendrier des Postes françaises épinglé au mur, je comptai à nouveau les jours qui me séparaient de ma prochaine semaine de permission : 19 jours. Soupir Je veux rentrer au pays. Maintenant.

Reportant mon regard par delà la fenêtre, je contemplai à nouveau le paysage qui s'étalait sous mes yeux. Miteux et déprimant. Sous le fin rideau d'une pluie persistante, la ville affichait les mêmes couleurs que Tchernobyl après l'explosion du réacteur. Grise, éventrée, glauque. Les rares rayons du soleil ne parvenaient même pas à éclaircir la noirceur des lieux ou les visages des fantômes habitant cette ville de cauchemar. Ces visages. Tous les êtres qui passaient devant le poste de contrôle avaient la même expression. Vide. Dénaturée. Aucun sourire, aucune lueur dans le regard. Des « moutons ». L'expression que j'avais entendue de la bouche d'un Rebelle prenait toute sa signification.

Les cris qui s'élevaient de la porte d'à côté grimpèrent d'un ton. Je grimaçai d'anticipation. Mes hommes étaient déjà rangés en position « repos » dans la cour du bâtiment, attendant comme moi, la soufflante qui n'allait pas tarder à éclater. J'entendis clairement le bruit du combiné téléphonique claquant sur son réceptacle et la porte s'ouvrit à toute volée.

« Saint-Just ! Au rapport ! »

Le colonel Marboeuf, le visage au teint aubergine, se positionna devant moi. Fulminant de rage contenue, il me dévisagea de la tête aux pieds avant de s'élancer au pas de charge vers mon unité qui claqua des talons sur un « garde-à-vous » sonore de mon chef de section.

Dès que la bouche du colonel s'ouvrit démesurément, j'eus la même réaction que mes hommes. Crispation des épaules et regard lointain. Tout se déversa comme une rafale d'arme automatique. Notre incompétence, notre oisiveté, notre irrespect de la hiérarchie... le topo habituel dans le même cas de figure. Le fait que j'eus deux barrettes dorées sur mes épaulettes ne m'épargnait en aucune manière. J'étais responsable des faits et gestes de mon unité. Et pour le coup, nous avions merdé.. oui c'est le terme approprié.

Je vis le colonel tenter de reprendre son souffle. Impassibles, nous laissons la pluie s'immiscer et tremper consciencieusement nos uniformes impeccables. Le lourd gilet pare-balles s'alourdissait insidieusement et le froid nous pénétrait jusqu'à la moelle. Je haïssais cette pluie. Continuelle, sapant le moral et usant les nerfs. Pourquoi avais-je signé ?

Pourtant tout se présentait bien. Major de ma promotion, appelé à une brillante carrière, j'avais postulé pour ce poste en « outre-mer » ! Servir la Nation mais sous d'autres cieux. 'Tin, la brillante idée que j'avais encore eue.

L'ONU avait mandaté toutes les nations pour venir porter secours à cette ex-grande puissance qu'étaient les USA. Difficile d'imaginer que ce pays ait pu imposer sa souveraineté sur le reste du monde. Les immenses tentes kaki de la Croix Rouge jouxtaient les ruines de buildings. Des files immenses s'étiraient devant chaque échoppe, rappelant ces images d'archives sur les vicissitudes de l'ancien bloc soviétique.

L'ordre de dispersion du chef de section me tira de mes rêveries. Tandis que mes hommes partaient en bougonnant, je partis rejoindre mon chef d'unité. Frappant à la porte de son bureau, j'attendis son « Entrez ! » sec et entrai.

« Asseyez-vous ! Et donnez moi une explication plausible si possible ! »

« Je n'en ai aucune. Nous sommes régulièrement pillés. »

Comme tout détachement en extérieur, notre unité était dotée d'une antenne médicale et d'un mess. Ce dernier régulièrement ravitaillé par cargo était la proie de toutes les convoitises. Nous avions dû faire protéger notre malheureux cuistot submergé par les demandes d'embauche de la « bourgeoisie » de Seattle. Cette dernière « raffolait » de la gastronomie à la française et cela donnait lieu à toutes sortes de malversations. Notre mess était ainsi régulièrement « visité » et certains mets de choix disparaissaient comme par enchantement malgré la garde dont il était entouré. Le dernier larcin en date était le vol d'une caisse de champagne Taittinger destiné à une soirée.

«Je ne me fais pas d'illusions, ce n'est pas perdu pour tout le monde !»

« Les Rebelles ? »

«Saint-Just, le jour où ces mafieux sabreront le champagne, je commencerai à me poser de sérieuses questions ! Non, c'est encore un coup de ces gens là..»

Je souris. Ces « gens-là » étaient la classe haute de la ville. Des étrangers pour la plupart et propriétaires des grosses usines qui produisaient les nouvelles richesses du pays. Des vautours en somme. Ils avaient créé leur propre quartier et menaient une vie similaire à celle qu'ils connaissaient sur le Vieux continent. Tandis que la population trimait, eux se gavaient de petits fours en suivant avec intérêt les cours de la Bourse. Classique me direz-vous, dans chaque pays occupé, on trouvait généralement les mêmes charognards.

«Les bouteilles apparaîtront comme par magie sur les tables vous le savez.»

«Oui, et payés au quintuple de leur prix ! Sincèrement, nous pourrions être riches si nous mettions aux enchères notre stock de foie gras ! Nous en avons toujours, n'est-ce pas ?»

« Oui. Dans votre coffre ! »

Le colonel éclata de rire et se cala dans son fauteuil en cuir. Je le dévisageai rapidement. Officier et fier de l'être. Le cheveu ras, l'œil vif, une bonhomie patinée par le règlement militaire. Il avait bourlingué à travers la planète et n'aspirait qu'à obtenir ses étoiles de général de brigade et finir posément sa carrière au sein d'un état-major quelconque mais national de préférence. J'étais considéré comme son aide de camp. Nous nous estimions et prenions plaisir à cancaner sur notre situation. Nous étions certainement sur écoute mais notre immunité diplomatique nous protégeait.

«Voyez-vous Saint-Just, je ne serai pas mécontent de partir d'ici. C'est une poudrière me rappelant les conflits du Proche-Orient ou de l'Asie centrale. Mais c'était différent. Ici, j'ai l'impression d'œuvrer dans un purgatoire !»

J'acquiesçai de la tête. Je vis l'homme se pencher sur son bureau pour attraper sa boite à cigarettes. Je déclinai sa proposition tout en notant qu'il avait dû se réapprovisionner auprès du marché noir. Dans ce pays, la cigarette, l'alcool non frelaté et la « capote » étaient des produits de luxe ! Et malheureusement, notre état-major considérait ces derniers comme n'étant pas essentiels à notre survie donc tiquait à nous en envoyer par containers. Le gouvernement provisoire du pays tenait à booster la natalité du pays mais nous ne nous sentions pas enclins à y participer !

« Quels sont vos ordres ? »

« Et bien pour réveiller vos incapables, je vous propose une petite balade le long de la frontière ? Qu'en dites-vous ? »

« Très bien. »

Je me levai, claquai des talons et quittai mon supérieur. La plaie ! Notre détachement était composé de 100 hommes et composant 5 unités dispatchées dans la ville. Mon unité était positionnée au carrefour stratégique : Quartier Propre (lieu de stationnement), un quartier-dortoir affligeant au possible et surtout des centaines de mètres de clôture nous séparant de cette fameuse zone de non droit. Nous n'étions pas supposés la franchir sauf si nous constations une présence indésirable autre qu'un rat ou un chien affamé. Et malheureusement, cette zone regorgeait de « présences indésirables ». Ces soi disant « rebelles » à l'ordre établi.

Je reniflai avec mépris. Des rebelles.. tst tst tst.. des voleurs de tout poil qui tentaient de s'enrichir en créant le chaos. Ils cherchaient à provoquer des grèves et nuire ainsi à la fragile reprise de l'économie locale. A chaque heurt, un couvre-feu était instauré avec un renforcement des procédures d'accès aux différents quartiers. La population subissait douloureusement ces rétorsions sans que cela n'inquiète réellement les rebelles qui durcissaient alors leur guérilla urbaine en représailles. Un cercle infernal.

M'écrasant dans mon propre fauteuil, je passais mes doigts dans mes cheveux courts. La nuit allait être difficile surtout si la pluie s'obstinait à tomber. Mon chef de section apparut. Voyant mon air, il fit la moue :

« C'est pour notre pomme, c'est ça ? »

«Ouais ! Préviens les hommes que ce soir, c'est promenade de santé avec Famas chargé et jumelles à vision nocturne ! Soyez contents, il ne nous a pas encore sucrés nos prochaines permissions.»

Il me fit un clin d'œil et sortit. Je n'émis aucune remarque sur son comportement bien cavalier envers son supérieur hiérarchique mais dans cet enfer, nous prenions quelques libertés.

Pourquoi avais-je signé cette putain de fiche de vœux de mutation ? Et coché la case : poste sous égide de l'ONU, oui – non ? Hein ? Pourquoi ?


Cloé
Par La Chimère

Je sautillai d'un pied sur l'autre pour passer le temps. Me dressant sur la porte des orteils, je considérai la longue file d'attente pour passer le point de contrôle. Pfff, à chaque fois le même topo, une nouvelle consigne mise en application avec son cortège d'ordres et de contre ordres. Jetant un coup d'œil derrière mon épaule, je constatai que le flot continu des passants allait en augmentant. Pourtant aucune plainte ne se faisait entendre. Nous avions l'habitude de prendre notre mal en patience et personne ne se serait risqué de prendre à partie le militaire obtus (et armé jusqu'aux dents) qui vérifiait scrupuleusement chaque laissez-passer comme si sa vie en dépendait.

Soupirant à fendre l'âme, je repris mon sautillement tout en observant les alentours. Gris évidemment, (ça n'a pas changé depuis tout à l'heure) et seule la croix rouge sur fond blanc sur un bâtiment formait une tache de couleur dans ce décor apocalyptique. Des infirmières houspillaient les enfants qui traînaient autour des barils d'eau de pluie. Je fis la grimace.

C'était mon univers. Je n'en avais pas connu d'autres et pour ce que j'en savais, ce n'était guère différent ailleurs. Enfin, ailleurs dans ce pays décomposé comme une vieille charogne. Au-delà des frontières, il y avait le Paradis. Cet Eden que je voulais conquérir. Le Canada. Mais bon, pour le rejoindre, il me fallait un miracle et ce dernier tardait à venir. Soupir

Mes souvenirs me ramenèrent à nouveau sur la seule période heureuse de ma courte existence. Ma mère était morte en me mettant au monde. J'avais trop tardé à suivre mon frère jumeau. Pourtant mon père ne chercha pas à la remplacer et assura tous les rôles auprès des deux bébés. Il nous éleva du mieux qu'il put, enseignant à Raven la façon de se battre et de se défendre comme lui-même l'avait appris de son propre père. Il m'entourait de toute son affection. J'étais sa petite lumière qu'il disait. Lorsqu'on fut en âge de comprendre, il nous expliqua alors que notre sang était maudit. Mes grands-parents étaient en partie responsables de ce chaos. En voulant je ne sais trop quoi, ils avaient précipité ce pays dans la ruine en massacrant des millions d'innocents.

Des Familiers. Mon père ne s'était guère étendu sur le sujet mais nous avait demandé de cacher nos origines, de ne jamais chercher à en savoir davantage. Pourtant il ne pouvait nier que nous étions différents. Plus résistants, plus forts aussi que le commun des mortels. Nous étions passés au travers des dernières épidémies alors que des milliers d'enfants avaient succombé malgré la campagne de vaccination lancée de toute urgence par les Nations Unies. Nous grandissions malgré le manque de tout et cela aurait pu continuer si un soir, mon père ne nous avait levés pour nous forcer à nous habiller. Malgré la nuit, il nous obligea à sauter dans la ruelle et nous ordonna de nous enfuir au plus vite, confiant à Raven le soin de me protéger. J'avais toujours en mémoire la sensation de son dernier baiser sur ma joue avant qu'il ne se détourne pour refermer ce qui nous servait de fenêtre. Des soldats de l'Ordre venaient le chercher. Il avait été dénoncé. L'un des voisins l'avait accusé de posséder des articles de contrebande alors qu'il n'en était rien. Plus tard, nous apprîmes que ledit voisin convoitait davantage notre appartement de fortune et sous couvert d'un acte de civisme, avait dégagé l'encombrante famille que nous étions. Nous n'avions que 11 ans et nous étions livrés à nous-mêmes comme des centaines d'autres orphelins poussant comme des mauvaises herbes, évitant de se faire alpaguer pour être conduits dans des centres d'éducation.

Dix ans avaient passés. Mon père avait succombé peu après son arrestation. Raven veillait sur moi tout comme je veillais sur lui. Indissociables. Nous n'agissons que dans l'intérêt de l'autre.

Le cours de mes pensées s'interrompit lorsque avec un grognement acerbe, l'homme derrière moi me poussa pour me faire avancer. Nous étions parvenus devant la guitoune où se tenait l'homme en armes. Tendant mon badge, je tentais de conserver le visage aussi atone que possible. Etre un fantôme au teint hâve parmi d'autres fantômes au regard éteint. Le militaire me dévisagea et reporta son attention sur mon passe en plastique à pastille jaune. D'un bref mouvement de tête, il m'accorda le passage et dirigea son attention sur mon voisin. Je franchis l'étroit passage encadré par des barbelés et des herses pour empêcher le passage en force d'un quelconque véhicule.

Pénétrant dans le quartier marchand, je m'engageai rapidement dans ce qui fut une galerie commerciale et qui ressemblait maintenant à un mélange de foire à tout et un marché. Les gens se bousculaient autour des étaux pour tenter d'obtenir les quelques denrées alimentaires en exposition. Les dépassant, je m'avançai plus profondément dans cet endroit sombre tout en surveillant les alentours. Des militaires patrouillaient tout en commentant leurs faits et gestes par radio. Ils balayaient consciencieusement les environs des yeux à la recherche de toute personne au comportement suspect. Pourtant, ils semblaient ignorer le trafic à peine voilé organisé par certains hommes aux sourires trop éclatants pour être honnêtes. Le marché noir battait son plein mais moyennant une commission confortable, l'Ordre fermait les yeux.

Bifurquant à l'angle d'un tréteau, j'entrai dans une sorte de cagibi où se tenait une très vieille femme décharnée au regard mort. Elle ne cessait de baraguiner des mots sans suite. La touchant à l'épaule, je me fis reconnaître d'elle.

« Grand'ma, c'est Cloé. Tu vas bien ? »

« Cloé ? Ma toute petite... »

Je la laissai poser ses doigts trop fins sur mon visage. Un semblant de sourire éclaira son visage parcheminé. Puis d'une voix contenue, elle commença à me réciter tout ce qu'elle avait entendu. Indifférents à sa présence, les gens discutaient et échangeaient des informations qu'elle me confiait à mi-voix. Je faisais le tri, enregistrant tout ce qui était susceptible d'être intéressant pour Raven et pour mes propres affaires. Le flot de ses paroles sembla inépuisable pourtant sa voix s'amenuisa et épuisée, elle se tue. Je l'embrassai tendrement sur le front et lui mis dans la main une barre vitaminée comme celle distribuée par certaines organisations humanitaires. Elle me souffla un remerciement avant d'avaler au plus vite ce qui constituerait son seul repas.

M'éloignant toujours aussi discrètement, je me mis en quête d'un autre contact pour lui laisser un message à l'intention d'une autre personne qui en avertirait une autre. La confiance était telle que pour dire bonjour à quelqu'un, on préférait passer par plusieurs intermédiaires. Mon information délivrée, je m'éclipsai rapidement. Un coup de sifflet strident déchira le brouhaha ambiant et aussitôt, des militaires partirent en courant vers l'origine du bruit. De loin, je vis une jeune fille piquer des deux pour se tenir hors de portée des hommes lancés sur sa trace.

J'aurai voulu la suivre des yeux mais une main s'empara de mon bras et me tira en arrière. Surprise, je fus sur le point de me défendre lorsque je croisai le regard du jeune homme. Avec un soupir, j'acceptai de le suivre. Il m'entraîna rapidement vers un renforcement du mur et me força à m'accroupir pour nous dissimuler davantage. Agacée, je me dégageai.

«C'est bon Ret ! Ils sont occupés ailleurs. Qu'est-ce qui t'est arrivé ? T'es tombé sur une patrouille ?»

Le jeune homme tenta de me faire un sourire mais ses lèvres fendues ne l'aidèrent guère. Son visage plutôt attirant d'ordinaire ressemblait davantage à une palette de couleurs originales allant du noir au violet en passant par le jaune et bleu. Ret était un métis X. Je le savais, il me l'avait confié, persuadé que je l'étais aussi. Un jour, il m'avait vu sauté d'un mur sans me pulvériser les chevilles et en avait tiré les conséquences qu'il voulait. Je m'étais bien gardé de le contredire. Ret et moi avions flirté quelque temps mais son arrogance avait eu raison de mes quelques sentiments. Pourtant, il m'avait accordé son amitié et je m'en contentais.

A ma question, son regard s'assombrit et une lueur coléreuse s'alluma. Il siffla entre ses dents serrées qu'il avait encore dû protéger son équipe. L'Humaine avait encore merdé et failli provoquer une énième catastrophe. Je le laissai déverser sa haine contre une jeune femme prénommée Faline qui avait su remuer du popotin devant les bonnes personnes pour être encore tolérée parmi des X. Ret semblait très fier des gènes hérités de ses parents, eux-mêmes issus des éprouvettes de Manticore. Le commun des mortels était juste bon à être un « mouton » docile et corvéable et cette Faline dérogeait à la règle. Les traits crispés, blanc de rage, Ret laissa son ressentiment déborder avant de se calmer. A l'entendre, cette fille était une catastrophe ambulante qui risquait de les faire plonger.

Je me contentai de lui sourire gentiment, malgré tout, indifférente à son tourment. Je ne connaissais pas cette fille et ne tenait pas spécialement à y changer quoi que ce soit. Je notais juste son prénom dans un coin de ma tête. Jetant un bref coup d'œil autour de nous, je vis que tout était revenu à la normale. Me faufilant à l'extérieur, je pris congé après un bref salut de la main et partis en direction d'un autre secteur. Ret disparut à son tour dans la foule. Deux êtres avaient discuté dans l'indifférence générale pourtant j'étais persuadée que des yeux nous avaient certainement dévisagés avant de se poser ailleurs.


Matt
Par Kina

Ça devait bien faire une demi-heure que Kyle m'avait donné rendez-vous ici pour une petite partie de basket et il ne s'était toujours pas pointé. Ce serait quoi l'excuse cette fois-ci ? Oh j'ai croisé une jolie fille et je ne pouvais résister à lui demander de sortir ce soir ! La belle affaire !

Il y avait au moins un bon point à tout ça, c'est moi qui apportais le ballon alors j'ai eut le temps de m'échauffer. Et hop, un panier de plus !

- Je suis là !
- C'est pas trop tôt dis donc.
- Désolé, j'ai un peu traîné à la douche.
- Une douche ! ... Avant de jouer ? ...Tu te sens bien ?
- Assez pour te battre ! Allez, comme d'hab'. Un set de 21 et règles spéciales.
- Bien sûr ! fis-je en lui lançant le ballon. "N'empêche que je hais ces règles."
- Hé, il faut bien une justice en ce monde ! fit-il tout en commençant à dribbler.

Le score en était 5 à 3 pour moi quand Mick se mit à nous appeler.

- Hey les gars, c'est pas le moment de traîner. Tout le monde va vous attendre.
- Mais de quoi il parle lui ?
- Allez debout ! fit-il avant de mener un de ces vacarmes en tapant sur la clôture. "Je ne suis pas votre mère moi. Faut vous trouver un réveille-matin !" enchaîna-t-il tout en martelant le bois de plus bel.
- Mmmm fis-je avant d'ouvrir les yeux pour tomber face aux jambes de Mick sur le rebord de mon lit alors qu'il était en train de secouer Kyle à l'étage du dessus.
- Kyle, réveille. Secoue-toi mec !

"Kyle tu te magnes qu'il arrête de beugler celui-là." Songeais-je avant de me retourner dans mon lit et me recaler dans l'oreiller.

- Hey, c'est pas drôle, il est 9h ! Tu as dit que tu t'occupais des recrues ce matin.

" Tiens, et lui qui voulait sortir hier. Ça lui apprendra ! Bonne journée Kyle ! "

Cela ne faisait même pas quatre heures que j'étais couché. J'étais trop vanné pour me rendre jusque chez moi alors j'ai pris ma "chambre" à la centrale et Kyle a apparemment aussi pris son lit. En fait c'était une pièce qu'on avait aménagée il y a 3 ou 4 ans afin d'avoir un endroit où se reposer sans avoir à s'éloigner du quartier général en cas de mission non complétées. Il s'agissait d'un vieux bureau dans lequel on avait installé deux lits doubles superposés qu'on avait trouvés dans un logement pas trop loin. Le reste de la pièce était rempli de filières, matériel électronique, etc. Bref, la pièce servait èa la fois de chambre et de débarras, mais ça faisait l'affaire.

Mick reprit son tapage de plus belle. « Impossible de me rendormir. Je ne suis pas sourd ! C'est pas bientôt fini ce boucan. Un peu de considération pour les voisins qui eux veulent dormir ! »

- Matt, aide-moi, faut le traîner, vous faites la présentation dans un peu plus d'une heure.
- Moi ? répliquais-je sceptique.
- Mais qu'est-ce que vous avez fait hier soir tous les deux. Kyle a donné sa parole que vous vous occuperiez des nouveaux pour que Marco puisse aller voir sa famille.

Là, j'étais plus que réveillé. Non seulement il me traînait dans l'une de ses soirées organisées qui se terminent toujours bien, façon de parler bien entendu, mais en plus là, il m'engageait avec lui sans même me prévenir !

- Quel programme et à quelle heure ? demandais-je en m'asseyant sur le rebord du lit (si je le faisais dans le lit, je me cognais la tête au plafond)!
- Programme sauvons le monde et c'est à 11h. répliqua Mick non fâché de me voir debout. Je peux te le laisser, fit-il en indiquant la marmotte du deuxième.
- Mouais, t'inquiète. Merci.
- Alors je me sauve.

Je le regardai sortir de la pièce avant de me lever pour attraper des vêtements que je gardais dans l'un des tiroirs de bureau et m'occuper de mon cher partenaire à qui je devais ce super réveil matinal un jour de congé ! C'était trop gentil, il fallait pas.

- KYLE ! criai-je.

Pas de réponse. "Alors c'est comme ça hein. Monsieur est sourd ce matin, mais ça ne se passera pas comme ça. Il n'y a qu'un moyen de le faire obéir celui là. Ça tombe bien, j'ai pas fait cet exercice depuis des mois. "

Je sautai donc sur mon matelas, m'agrippai fermement au lit du haut, constatai avec joie qu'il dormait sur le bord et d'un geste rapide, je l'empoignai fermement sous les bras, le tirai vers moi et le balançai par-dessus la barrière de sécurité.

- Ahhh ! Matt tu es fou. Tu veux me tuer ou quoi. Fit-il en regardant le plancher sous lui. "Pose-moi par terre... tout de suite !"
- Bienvenue parmi nous ! fis-je en le lâchant à 60 cm du sol.
- Je t'ai déjà dit de ne plus faire ça. Un jour tu vas finir par m'échapper et je vais me briser quelque chose.
- C'est ça. La prochaine fois je t'apporterai un seau d'eau tiens.
- Mais qu'est-ce qui te prend toi ce matin ?
- Ce qui me prend ! Eh bien premièrement j'avais l'intention de dormir après la soirée d'hier et profiter un peu de mon jour de congé. Puis il a fallu que Mick vienne te beugler dessus pendant vingt bonnes minutes pour finalement me dire que j'avais aussi rendez-vous avec les recrues et tout ça grâce à toi.
- Les recrues, c'est mercredi et ça j'allais t'en parler.
- Eh bien la prochaine fois que tu prends ce genre d'initiative, tu m'en parles AVANT de me tirer en ville un mardi soir jusqu'aux petites heures du matin." l'accusais-je.
- Uh ! Il est quelle heure ?
- 9h30 !
- Et merde ! lança-t-il avant de courir à son tour vers son tiroir.

J'abandonnai un Kyle bien réveillé, mais en piteux état et me dirigeai rapidement vers la salle de bain, question de faire un brin de toilette. Un peu d'eau au visage, ça détend, puis quelques coups de rasoir et je suis d'attaque.

Je me dirigeai donc vers la salle de repos afin de trouver de quoi déjeuner. Cassy se trouvait déjà à table devant un restant de toast à la confiture. Je mis du pain dans le toaster et me fis un café.

- Salut Matt, bien dormi ?
- M'en parle pas ! dis-je d'un ton un peu plus sec que je ne l'aurais voulut.
- Oh, mais c'est qu'il est grognon ce matin !

Je me passai de commentaires, pris les toasts qui venaient de sortir, les mis dans une assiette et vint m'asseoir à table devant elle.

Je mangeais tranquillement quand je sentis soudain une présence sur ma gauche. Je tournai la tête pour me retrouver nez à nez avec Kyle qui était penché dans mon cou. J'eus le réflexe de reculer, me demandant bien quelle mouche l'avait piqué. Ne pas le connaître, j'aurais pu jurer qu'il voulait m'embrasser celui-là.

- Mais qu'est-ce que tu fais ?
- Ça manque d'ananas, répondit-il en reniflant légèrement.
- L'ananas, tu peux bien en faire ce que je pense. Répondis-je d'un ton monocorde.
- Oh, mais j'y compte bien ! fit-il tout sourire.
- C'est quoi cette histoire avec la nana ? demanda Cassy soudain très intéressée par la remarque de Kyle.
- Ohh ! Matt avait l'ananas dans la peau hier soir.

Cette remarque lui valut un regard noir de ma part. Je ne tenais pas à m'en venter.

- Et alors, j'ai réussi à m'en débarrasser sous la douche. Répondis-je.
- La nana dans la douche, fit Cassy les yeux ronds comme s'il y avait quelque chose d'extraordinaire dans tout ça.
- Oui et alors ?
- La nana... et toi ? Ensemble ?
- C'est pas comme si j'avais le choix. Ça te colle pas ordinaire. Impossible de s'en défaire autrement.

Je ne sais pas si c'est quelque chose que je venais de dire ou sa dernière bouchée de toast qui était passée de travers, mais Cassy se figea soudain. Kyle quant à lui, suivait notre dialogue depuis tout à l'heure sans placer un mot et se mit soudain à éclater de rire.

- On peut savoir ce qu'il y a de drôle dans tout ça ? demandai-je complètement largué face à son hilarité.
- Ça dépend, fit-il en haussant les épaules, faut voir de quoi vous parlez !
- Uh ? fis-je en cœur avec Cassy.
- La nana ou l'ananas ?
- Euh... la différence ? demanda-t-elle.
- La fille ou le fruit ?
- Quoi UN ananas ! fit Cassy en se redressant sur sa chaise. Mais qu'est-ce que tu faisais avec un ananas sous la douche ? ajouta-t-elle perplexe, voyant encore moins où nous voulions en venir.
- Oulà, la journée va être longue ! soupirai-je.

C'est ainsi que Kyle entreprit de relater la soirée d'hier à l'Express, ce qui fit bien marrer Cassy à nos dépends. Je savais que c'était une mauvaise idée. Kyle omis évidemment le cou du pichet de bière et je ne fus que trop heureux de lui rappeler cet épisode. À charge de revanche.

Vint finalement le temps de se rendre à la salle de conférence du bâtiment annexe. Kyle prit un peu d'avance, car je devais passer à mon bureau quelques minutes chercher un outil de formation.

Quand je l'eut finalement rejoins de l'autre côté du bâtiment central, il m'attendait en compagnie de quelques aspirantes recrues. Eh oui, aspirantes, il avait bien choisit son groupe lui. Et il comptait faire quoi ? Toutes les draguer en même temps ?

- Ahh le voilà. Mesdames, je vous présente le grand patron pour aujourd'hui. Mon ami Matt !
- Bonjour ! firent-elles en cœur.

Mais qu'est-ce que Kyle a bien pu leur raconter à mon sujet. J'ai l'impression d'être un morceau de viande au milieu de louves affamées.

Elles vont me déshabiller du regard longtemps comme ça ? Et pourquoi elles ne s'en prennent pas à Kyle pour changer ? C'est à ce moment que je me retournai vers mon partenaire et constatai pour la première fois depuis ce matin que le réveil était encore difficile pour lui. Il avait l'air de sortir d'un lendemain de veille. Le pauvre, je dois avouer qu'ayant le même nombre d'heure de sommeil que lui, je m'en tire à bien meilleur compte.

- Bon, si tout le monde est là, on peut y aller ? demandais-je, n'ayant pas l'intention de moisir là trop longtemps. « Surtout ne pas tenter d'encourager ces dames, des plans pour qu'elles se fassent des idées. Et voilà qu'en chemin elles essayent de me coller prétextant que les couloirs sont étroits et que nous sommes plusieurs. Mais bien sûr ! Pitié ! »

Sur le chemin, j'en profitai pour détourner leur attention en expliquant l'emplacement des divers bâtiments dont nous nous servions habituellement. Cafétéria, dortoir, infirmerie. Comme toutes recrues, elles ne semblaient pas trop à l'aise. Qu'est-ce que ce sera quand viendra le temps de partir en mission. Rares sont les nouveaux qui sont assez solides physiquement et mentalement pour passer au niveau supérieur: les missions terrains et j'allais bientôt le prouver une fois de plus. Un mouton ne se réveille rarement rapidement, c'est un processus lent que de renier tout ce que l'on vous a toujours appris, mais ils veulent sauter les étapes et s'y brûlent les ailes. Voilà pourquoi le programme "sauvons le monde" fut créer il y a quelques années. Comme en plus Marco n'est pas là pour s'en occuper depuis quelques temps, il risque d'y avoir du monde aujourd'hui.

Nous n'étions qu'à la moitié du trajet quand Kyle commençait déjà à bailler aux corneilles. Un petit effort s'il te plaît, tu n'es pas le seul qui s'ennuie de son lit. Tu restes avec moi.

Kyle tenta de faire de l'humour concernant l'habit des infirmières pour détendre l'atmosphère, mais en vain. Comme je le craignais, personne du groupe n'avait réagit. La réunion n'était même pas commencé qu'ils étaient déjà coincés. Ça commençait bien. Cependant pendant un moment j'ai bien cru entendre quelqu'un, mais cela venait d'ailleurs.

Je tentai d'en trouver la provenance quand je vis une ombre sur le mur. C'était bien essayé, mais nous n'avions nullement le temps de nous occuper des retardataires. À ma grande surprise, ce ne fut pas un il que je trouvai dans l'ombre. C'était bien ma veine, il ne manquait plus qu'une louve de plus pour compléter le tableau.

- Bon, on continue et on évite de se la jouer solo, je ne tiens pas à devoir envoyer une équipe vous chercher. On a d'autres chats à fouetter. Lançais-je à son attention.

Elle obéit, mais au lieu de s'amener bien gentiment comme je m'y attendais, elle me défia plutôt du regard. Voilà qui fait changement ! C'est même plutôt surprenant chez une nouvelle. Cette fille là n'est pas comme les autres. Bien, voyons voir ce qu'elle a dans le ventre !

Évidemment, Kyle ne put retenir l'une de ses remarques bien à lui: " Il aboie fort, mais il est pas méchant. "

Je me retournai donc, mais plus rapidement que je ne le croyais, car les autres filles me suivaient déjà de près et quelques-unes se rentrèrent dedans, n'ayant pas prévu mon arrêt.

- Kyle, tu dragueras les nouvelles plus tard, et puisque tu tiens tant que ça à l'ouvrir, tu fais la prochaine visite.

Ainsi je puis rester à l'arrière en retrait du groupe et respirer un peu ! Parfait.

Quelques minutes plus tard, nous parvînmes enfin à la salle de conférence. Il y avait pas mal de nouveau visages. Nous étions les derniers manquants à l'appel. Je ne comptais que deux autres anciens dans la salle. La présentation allait bientôt pouvoir commencer. Le groupe que nous avions amené fut invité à prendre place à l'autre bout des gradins. Quant à moi, je pris ma place stratégique en haut à l'extrémité droite. Là d'où je pouvais avoir une bonne vue d'ensemble sur tout ce qui se passait pendant que Kyle s'avança sur la scène prêt à démarrer "le programme".


À suivre...