Shanee
par Chayenne
La discussion avec ce type m'avait titillée, assez pour changer mes projets. Et puis, ça m'amusait. J'avais dans l'idée qu'il serait surpris, il ne s'attendait probablement pas à ça. Surtout que si ce matin, on m'avait dit ce que je m'apprêtais à faire, j'aurais éclaté de rire et me serais sûrement recouché. Mais là, je devais reconnaître que l'idée m'alléchait et puis ça me changera du jeu de cache-cache avec les rats. Je me shootais à un autre type d'adrénaline.
Mon père devait se retourner dans sa tombe, ah non, c'est vrai, il est toujours vivant, ben sur son fauteuil alors. Sans oublier de maudire ma mère et ses cadeaux surprises. Moi, je les aimais bien, ils m'étaient plus utiles qu'encombrants, et puis ça me reliait à une autre grande famille. Une qui ne vivait pas dans des fringues hors de prix, se bâfrant de trucs infâmes, mais chics ou parlant en terme de rentabilité au lieu de sentiments. Donc merci maman.
J'étais enfin arrivée au pied de ma tour, et c'est en ronchonnant contre un oubli sur ma carte génétique que je grimpai à tâtons, jusqu'à mon chez moi. La première chose que j'aperçut fut l'absence du chien, la seconde celle de Noa, la troisième, c'est qu'un agréable parfum de fleur flottait dans l'air. Même si ce dernier point me laissait sceptique, les deux autres ne m'inquiétaient pas outre mesure. Le chien avait des besoins, comme tout le monde, et je comptais sur son intelligence pour ne pas les faire dans l'appart, enfin s'il voulait rester. Quant à ma petite colocataire, et bien, elle était libre et j'espérais bien qu'elle ne passait pas ses journées sur le canapé, elle n'était pas impotente.
Je partis donc dans ma chambre, à la recherche de mon sac de voyage et de ce qui s'y cachait. Je glissai mon petit nécessaire à ce type d'excursions dans le sac à dos de la veille où se trouvait déjà le paiement du dénommé Lokie. J'espérais bien faire d'une pierre deux coups, en tombant sur lui. Je n'aimais pas avoir des dettes, et je n'allais pas lui courir après jusqu'à la fin des temps. J'avais autre chose à faire. Pour finir, je me changeais en enfilant ce que j'appelais en riant ma mue, une tenue ultra confortable qui épousait parfaitement les moindres courbes de mon corps, et par-dessus, des fringues passe-partout, ni trop chics, ni trop pauvres. Je ne voulais attirer l'attention de personne.
Je m'apprêtais à repartir quand la porte s'ouvrit sur le museau d'un chien, suivi de près par le reste de son corps et ma petite miss 2 en 1.
" Tiens, tu es rentrée ? "
" Oui, et j'allais partir d'ailleurs. Et qu'est-ce qu'il a sur la tête le chien ? "
" Des fleurs, me répondit-elle tandis que l'animal essayait de manger le collier fleuri qu'il arborait. Hermione, arrête, laisse ça tranquille ! "
Des fleurs ? ... Hermione ? C'est quoi ce délire ?
" Tu l'as appelé comment ? "
" Hermione, c'est le nom d'un des persos dans le bouquin que je lis, et puis c'est mieux que " le chien ". Il faut juste lui laisser le temps de s'habituer... "
Et à moi aussi. Enfin, après tout, si ça l'amusait... Je me demandais seulement comment elle allait baptiser le petit. Nestor ? Casimir ? Pulchérie ?
" Et c'est quoi cette histoire de fleurs ? D'ailleurs d'où sortent celles-là ? demandai-je tandis qu'elle arrangeait et apportait un bouquet odorant sur la table du salon. "
" Du dernier étage. Dans le temps, ça devait être une serre, avec un duplex très ensoleillé. Et aujourd'hui, c'est la forêt vierge. On s'attend presque à tomber sur un perroquet ou un boa. "
" Tu es montée au dernier ? m'exclamai-je, interloquée. Ici, et dans ton état ? Tu serais pas un peu suicidaire ? "
Il devait y avoir quoi ? 35, 40 étages peut-être, et si la tour s'effondrait, je préférais n'avoir que deux étages à descendre pour m'échapper, plutôt que de sauter par la fenêtre. Je n'avais pas trouvé de parachute dans le dressing.
" Mais non, ça ne craint pas davantage qu'ici. Et puis, ça me muscle. "
" Si tu le dis... Mais si tu as un malaise, tu n'es pas bien, enfin, tu fais ce que tu veux... "
Cette idée ne me plaisait qu'à moitié, mais j'avais d'autres chats à fouetter dans l'immédiat, donc on en reparlerait plus tard.
" Bon, je file, moi. Et évite de te tuer bêtement, je n'aimerais pas être prévenue par l'odeur... "
Noa sourit, tandis que je lui adressais un clin d'œil. Je n'étais pas sa mère, mais elle commençait à me plaire cette gosse, donc... Ne voulant pas voir s'éterniser ce moment de complicité muette, je pris le parti de mettre les voiles et dévalai les escaliers. D'ailleurs, dans le noir, je préfère les descendre que les monter...
Avec tout ça, je n'étais pas en avance sur le programme. J'avais intérêt à ne pas traîner en route, et surtout je ne me sentais pas de faire le détour pour trouver mon arbre marqué exit. Et comme mon corps n'aurait rien contre un petit échauffement, le plus simple était de tracer tout droit et de surmonter les obstacles. Et c'est ainsi, qu'une vingtaine de minutes au petit pas de course, je me trouvais face à ce fichu mur d'enceinte. D'une butte un peu plus haut, j'avais pu voir que la voie était libre, et sans laisser à ma raison le temps de me casser les pieds, je fis un saut digne de ma famille chérie. Je n'avais peut-être pas des yeux de chat, mais il me restait bien quelques gênes valables dans mon héritage, et puis ça, mon côté funambule sur ressort, c'était ce dont j'étais la plus fière. C'est ce qui me rapprochait d'elles.
Enfin, bon, ne repartons pas dans les souvenirs et évitons de nous endormir là. Je n'étais toujours pas rendue.
J'arrivai en vue du premier checkpoint au petit trot et je pris le temps de réfléchir à la marche à suivre. Certes, je pouvais la jouer touriste et exhiber un certain petit carnet bordeaux et or, mais je n'étais pas très friande de ce type de privilège. Je ne voulais pas détonner dans le paysage. Donc, à moins qu'une bonne âme décède à mes pieds en me filant son passe, j'allais éviter l'entrée principale.
Tandis que je cherchais le trou de souris le plus accessible, je réfléchissais à mon manque d'honnêteté. Tout ça n'était pas un jeu pour moi, mais j'avais quand même un sacré joker dans la manche. J'avais beau faire, je n'étais pas quelqu'un d'ici, avec la volonté de survie et les malheurs inhérents à cette condition. A moins d'être abattue froidement, je pourrais toujours m'en sortir, avec au pire une petite tape sur les doigts et une remontrance bourrue. C'était peut-être pour cette raison que je m'efforçais d'être insupportable et que je narguais l'Ordre à la moindre occasion. Et sûrement pour ça aussi que je détestais les rebelles. J'avais honte de moi en face d'eux ; je n'avais pas eu à me battre pour virer mes œillères, et j'agissais probablement comme la pire des ados en venant ici. L'impression d'être quelqu'un... Alors qu'en fait, ceux que je cherchais désespérément à impressionner n'en avaient cure, au fond d'un tombeau ou, ce qui revenait au même, les yeux rivés sur la bourse.
Cette jolie et inutile introspection plus tard, j'avais enfin trouvé ce que je cherchais, un vasistas ouvert dans un immeuble limitrophe. En silence, je me glissais sur une benne à ordure puis par l'étroite ouverture. La chance était avec moi, car je venais d'atterrir dans des sanitaires déserts. En sortir ne me paraissait pas difficile, et en définitive, ce ne le fut pas.
J'étais parvenue dans le secteur " propre ", appelé ainsi car ceux qui s'y promenaient étaient particulièrement triés sur le volet et que peu de choses ici ne reflétaient la misère nationale. Sur ces quelques kilomètres carrés, on aurait pu croire que rien n'était jamais venu troubler la quiétude économique de ce pays. Quelle illusion... et tout ça grâce à un balayeur, des aveugles et un bon coup de peinture... Enfin, toujours était-il que j'étais parvenue à bon port, ou presque. A ma droite, le commissariat central ; en arrière, le bâtiment du corps français ; à 50 mètres, le centre de tout, la pseudo-mairie accolée au centre de commandement. Et pour combler les trous, des sièges d'entreprises, des banques, des pubs pour nantis, des cabinets d'avocats, et toutes sortes de sociétés à l'implantation plus ou moins logique.
Je souris en franchissant la porte battante d'un immeuble spécialisé dans l'import-export - Echange bébé contre huile, farine et épices..., tout en évitant l'axe des caméras de surveillance. D'un pas assuré, je pris place dans l'ascenseur et agis comme si ma présence était habituelle, voire banale. Et ce fut sans attirer un regard suspicieux que je sortis au 16ème étage, un demi-niveau au-dessus du toit voisin.
Au culot, je remontais un couloir vitré, saluant sans me démonter les employés que je croisais, jusqu'au dernier bureau dans lequel je pénétrais. Je comptais sûrement sur ma bonne étoile pour n'y trouver personne et, fait heureux, c'était le cas. Mais ça ne durerait pas longtemps vu qu'un mug de café fumait sur le bureau. Prenant une profonde inspiration, je traversais la pièce et fis coulisser la vitre. Je grimpai sur l'étroite bordure et m'avançai contre le mur. A l'instant où je disparaissais de sa vue, une femme entrait, la tête dans un dossier.
" Curieux, je ne me rappelle pas que la fenêtre était ouverte, marmonna-t-elle en la refermant. "
Plaquée contre la paroi, je reprenais mes moyens et me dépêchai de terminer mes acrobaties et de gagner l'extrémité de l'immeuble. De là, je sautai en silence sur le toit couvert de gravier, et courbée, je gagnai rapidement un puit de lumière.
Il était temps pour moi de faire honneur à la famille et je sortis mon équipement, le seul truc qui avait vraiment de la valeur chez moi. Soulevant la vitre, je plaçais un instrument qui s'apparentait à une poulie, en plus pratique et surtout plus sophistiqué, et autour duquel était enroulé un filin et j'accrochais l'extrémité à ma ceinture. Croisant les doigts que personne ne prenne l'escalier de service à ce moment-là, je me laissais glisser par l'ouverture. Tandis que la corde se déroulait à bonne vitesse, je maudis ma précipitation qui m'avait fait délaisser mon harnais. Je n'étais pas un mec, et heureusement, sinon j'aurais pu remplacer la Castafiore. Parvenue sept étages plus bas, j'enjambais la rambarde et retrouvais un semblant de stabilité. Je me détachais promptement et jetais un coup d'œil aux 15 mètres de corde noire jurant dans le décor. Je n'avais pas le choix, je prendrais un autre chemin au retour. Il fallait que je dégage mon attirail avant qu'il n'attire l'attention et ne déclenche une fouille en règle. Je sortis un petit boîtier électronique et après avoir appuyé sur quelques touches, j'entendis le bruit caractéristique de ma poulie cessant de faire aimant avec la paroi. Je tirai d'un coup sec sur la corde et mon équipement ne tarda pas à retourner dans mon sac, le tout sans m'avoir arraché le bras. Juste une petite luxation de l'épaule... Profitant du calme ambiant et d'une plaque métallique comme miroir, je réajustai ma tenue et ma coiffure.
J'entrouvris alors la porte donnant sur le couloir central du huitième étage de ce qui n'était rien de moins le bâtiment du Commandement Central et étudiai la situation. J'avais le cœur qui battait à mille à l'heure et l'excitation me donnait le tournis. En temps normal, je n'étais pas du genre suicidaire, mais là, j'étais piquée au vif. Et plus ça semblait dangereux, et plus, ça me faisait frissonner. Une sensation... orgasmique.
En tout cas, il y avait du monde là, et pas des imbéciles facilement bernables. Non, j'allais avoir besoin de tout mon aplomb, ainsi que d'une sacrée veine. Et encore, je doutais que ce serait suffisant, mais ça ne me plaisait que davantage.
La porte devait être à proximité d'une machine à café, car l'odeur du jus de chaussette venait chatouiller mes narines et révulsait mon estomac. Deux types s'approchèrent et tournèrent. Ils n'étaient pas loin, car j'entendais leur discussion, ô combien machiste. Il était temps que je bouge, ou je risquais de me statufier. Je poussai donc la porte et me glissai dans le dos des deux types.
" Attends ! tu trouves que c'est Strella, la meilleure du service ? tu me fais marcher. "
" Non, je t'assure, elle assure. "
" Elle peut avec ce qu'elle a au compteur. Non, moi je te dis que rien ne vaut Adrienne, avec son petit uniforme, hummm je le lui arracherais bien moi... "
" Adrienne ? et bien mon cher, tu ne vises vraiment pas haut toi. Tout le monde se l'est faite. "
" Arrête, tu déconnes... "
Je m'avançai contre la machine et glissai au passage, en ressortant mon accent anglais :
" Je confirme. "
" Ah, tu vois, fit l'un. "
L'autre me regardait avec étonnement, tandis que je filai un coup à la machine qui ne voulait pas me servir sa pisse d'âne. Le premier me remercia de l'avoir soutenu en me montrant comment faire.
" Tu te l'es faite, toi aussi ? "
" Et l'autre... Non, je ne mange pas de ce pain-là, ris-je. Mais j'ai déjà bossé avec elle, et entre filles, tu sais, on se fait des confidences. "
Les deux types étaient tellement intéressés qu'ils en oublièrent qu'ils ne me connaissaient ni d'Eve, ni d'Adam.
" Non ? raconte... "
" Oh, je sais pas si je peux, hésitai-je un court instant. Bon allez, mais chut hein. Si elle le sait, je suis couïc. Ca reste entre nous... Bon, vous voyez ce type au service des dépenses ? Comment il s'appelle déjà... le brun, avec des lunettes, pas très beau... "
" Ah Boris, fit le premier. "
" Mais non, pas lui. Elle parle du moche. "
" Ah ouais, je vois, mais je ne connais pas son nom. Dugland quoi... "
" Va pour Dugland, plaisantai-je. Ben, même lui qui n'avait rien pour lui, il a réussi à se la faire. C'est dire. Et ce n'est qu'un parmi tant d'autres... D'ailleurs, je crois qu'elle tient un journal. Je l'ai vue consigner ses ébats. "
" Yes ! tu sais où elle le planque ? s'enthousiasma mon nouveau pote. "
" Bêtement, dans le tiroir de son bureau. Qu'elle quitte rarement... "
" Oui, mais y a une réunion du personnel dans une heure, m'apprit le second. Et y a moyen de s'esquiver. "
" Cool, fis-je. J'aime bien l'idée... "
" Alors, dans 65 minutes ici. Débrouillez-vous pour vous planquer lors de l'appel. "
Un clin d'œil général scella le pacte. Nous allions nous séparer, quand un officier supérieur ventripotent beugla dans le couloir :
" Marie, dans mon bureau ! Marie !... elle est passée où ? "
" Elle est aux toilettes, monsieur, pour cause de gastro, expliqua l'un de mes acolytes. "
L'officier parut se calmer, puis se gratta consciencieusement la moumoute.
" Et comment je fais sans secrétaire moi ? fit-il démuni. "
Les deux types se retournèrent sur moi, et je souris. Ok, j'ai compris, c'est pour moi, ça. Elle doit être secrétaire, l'Adrienne. L'officier comprit tout de suite et me fit signe d'entrer dans son bureau, ce que je m'empressai de faire. Alors là, soit ça échouait lamentablement et je finissais aux fers, soit on allait bien se marrer.
" Vous vous appelez comment mon petit ? me demanda-t-il, en m'indiquant le bureau de sa secrétaire indisposée. "
" Claudia, répondis-je en prenant place. "
" Et bien Claudia, j'ai des lettres à envoyer. Si vous voulez bien... "
" Tout de suite monsieur. "
Je relançais l'ordinateur et partis à la recherche d'un traitement de texte. Je le trouvais aussitôt car il n'y avait pas foule de logiciels, pas d'Internet évidemment, ni d'images de cul, mais en contre partie, j'avais accès au réseau interne. Et tandis que je tapais les lettres dans une fenêtre, je visitais d'autres fichiers et copiais consciencieusement ce qui pouvait m'intéresser.
L'heure passa à une vitesse folle, et on n'allait pas tarder à devoir rejoindre la salle de réunion, quand je mettais le point final à la dernière lettre.
" C'est très gentil mon petit. Je vais vous laisser rejoindre les autres, mais avant, je voudrais que vous les prépariez à partir. Vous trouverez les adresses dans mon carnet. Et puis, ce n'est pas grave, si vous avez un peu de retard à la réunion. On ne vous en tiendra pas rigueur, et puis, vous savez probablement tout ce qui va se dire. "
Il rit et se leva. Avant de sortir, il posa sa main sur mon épaule et d'un ton badin, ajouta :
" J'apprécie votre travail, Claudia. J'espère que l'on aura de nouveau l'occasion de travailler ensemble. "
" Merci, monsieur, mais je ne pense pas. Mon stage chez vous se termine. Je retourne à Dallas. "
Il soupira, puis quitta la pièce. Quant à moi, je n'en revenais toujours pas.
Je lançais les diverses impressions, et copiai le fichier où j'avais rassemblé mes fouilles sur un CD-Rom. Je ne voyais pas où me procurait l'appareil pour étudier tout ça en détail, mais on verrait bien, et en attendant, j'allais imprimer les pages qui pouvaient avoir un intérêt immédiat. Un coup d'œil à ma montre m'indiqua qu'il était l'heure de retrouver mes comparses, et après avoir glissé le répertoire dans ma poche, je sortis à mon tour du bureau.
Le rouquin quitta presque en même temps les toilettes (classique mais efficace), mon sauveur de café dégarni du cuir chevelu réussit à s'extirper du casier à balais (plus salissant) et à ma grande surprise, un troisième larron descendit de son perchoir, à savoir les néons (équilibre, goût du risque et légèreté exigé).
Mon visage perplexe obligea le chauve à m'expliquer.
" Milan bosse avec moi, et comme ça le branchait pas trop d'assister à la réunion récurrente, je l'ai convié. Ca te gêne pas. "
" Aucun problème, s'il sait garder le silence. Par contre, j'ai quelques photocopies à faire, donc on fait comment ? "
" Bah tu les fais, nous pendant ce temps, on voit ce qu'on trouve. "
Les trois se dirigèrent vers une série de bureaux et s'agenouillèrent devant l'un d'entre eux. Malheureusement pour eux (et le contraire pour moi), c'était fermé à clef. Pendant ce temps, j'avais repéré les photocopieuses.
" Dis, tu ne sais pas où elle met sa clef ? "
" Aucune idée. "
" Bah tant pis, on va chercher. "
Je les entendais farfouiller partout, tandis que je photocopiais consciencieusement le maximum de pages du répertoire. Je m'endormais presque, bercée par le ronronnement de la machine et mes gestes mécaniques, quand je perçus la présence de Milan m'observant juste à côté.
" Tu fais quoi ? "
Il désignait l'étrange manège auquel je me livrais, et qui, je pouvais le comprendre, n'avait rien d'habituel, ni d'apparence très honnête.
" Une sauvegarde, mentis-je avec assurance. "
Milan me regarda sceptique, mais comme je continuai comme si de rien n'était, il retourna aider ses potes à la recherche de la clef perdue. Je réprimai un soupir de soulagement et vis arriver avec satisfaction la dernière page du calepin. Je glissais mon tas de copies dans une chemise, puis repartis dans le bureau, en terminer avec ces enveloppes. Cinq minutes plus tard, elles étaient prêtes et tous mes larcins avaient atterri dans mon sac.
Je regagnai le bureau d'Adrienne que mes acolytes avaient réussi à ouvrir.
" Je ne le trouve pas, marmonna le rouquin. "
" Elle l'a peut-être laissée chez elle... proposai-je. "
" Peut-être, mais c'est dommage... Bah, c'était quand même marrant, ça permet de décompresser un peu. "
Je souris, conciliante. Soudain le chauve qui s'acharnait dans la fouille poussa une exclamation et se redressa en brandissant sa trouvaille. Les deux autres s'esclaffèrent et j'en restais bouche bée. Des sous-vêtements très osés passèrent de mains en mains. Et je dus reconnaître que les rumeurs sur la demoiselle devaient être vraies. Je ris de bon cœur avec eux.
" Finalement ce n'était pas en vain. Alors, maintenant on peut regagner nos planques, fit le chauve. "
" Et bien à plus, j'ai un mot de retard pour la réunion, ça ne le ferait pas si on m'y voyait pas, m'excusai-je. "
" Ok, à plus, firent-ils. "
Je les quittai et partis récupérer mon sac dans le bureau. Alors que j'en sortais, Milan se trouvait en face de moi. J'affectai un sourire, tandis qu'il ne quittait pas mon sac du regard.
" Passe par la cour d'honneur, y a pas de fouilles au portillon, marmonna-t-il. "
Je restais con, puis hochais la tête et d'un bond surprenant d'agilité, il regagna sa planque. Je me décidai enfin à bouger, et repartis par les escaliers de secours. En silence, merci les semelles en hévéa, je dévalai jusqu'en bas et débouchai sur la cour en question. En dix secondes, j'étais passée de l'autre côté. Je remontais la ruelle et retombai sur la grande rue principale. Je m'éloignais quelque peu du bâtiment et m'appuyai contre une bouche d'incendie pour reprendre mon souffle.
Et c'est là que j'ai béni mes parents de ne pas m'avoir fait cardiaque. Sinon la surprise que me réserva le trottoir d'en face m'aurait achevée.
Ma mâchoire descendit sur mes orteils, je la réajustai à sa place, puis agitai ma main à son attention. Elle semblait tout aussi stupéfaite de me voir là. Et avant qu'elle ait eu le temps de réagir, je me secouai et partis en courant. Il était hors de question qu'elle s'incruste dans ma journée...
Sa voix me poursuivit quelques temps, mais elle, elle pouvait toujours courir, elle ne tenait pas la distance.
Cloé
par La Chimère
Lissant ma jupe du plat de la main, je tentai de la défroisser tout en l'étirant le plus possible vers le bas sans qu'elle quitte pour autant mes hanches.
Redressant la tête, rejetant ma chevelure brune en arrière, levant le menton, je me composai le visage d'une jeune femme sérieuse et motivée et levant l'index, j'appuyai fermement sur le bouton de la sonnette. J'entendis le bruit se répercuter à travers la longue demeure blanche. A peine deux minutes plus tard, la porte tournait sur ses gonds et une femme d'âge mûr ouvrit et avec un accent portugais à couper au couteau s'informa de l'objet de ma visite. Une fois renseignée, elle me fit entrer dans un hall d'allure respectable pour me faire patienter.
En son absence, je me mis vivement à détailler les lieux, de l'endroit où je me trouvais. Par réflexe, je notais qu'il n'y avait pas de caméras de surveillance. Mes yeux volèrent des moulures en stuc du plafond jusqu'aux tableaux harmonieusement disposés de par et d'autre de la pièce. Décoration sobrement raffinée, de touche manifestement féminine. Me décalant d'un pas, je plongeai le nez dans le vase en cristal posé sur la cheminée pour respirer à pleins poumons l'odeur des œillets multicolores, provenant certainement des parterres soigneusement entretenus à l'entrée.
Les pas feutrés de la femme de charge me prévinrent de son retour et d'un signe de main accompagné d'un sourire, elle m'invita à la suivre. Nous passâmes rapidement dans un salon blanc et bleu propre à recevoir avant d'en gagner un autre plus petit dans les tons beige et crème.
S'effaçant devant moi, la femme me désigna alors la propriétaire des lieux : Madame Eléanore Dumenil qui se leva de sa chaise capitonnée pour m'accueillir d'une ferme poignée de main. Grande, sèche, cheveux mi-longs grisonnants, yeux bleus vifs dissimulés derrière les verres d'une paire de lunettes à fine monture dorée. La gorge soudainement sèche, je me mis à la dévisager timidement. Au premier abord, elle avait l'apparence d'une femme énergique mais son sourire adoucissait l'ensemble. Instinctivement, je le lui rendis. Sa voix douce me confirma dans mon premier jugement.
« Approchez s'il vous plaît. Comment vous appelez-vous ? »
« Cloé Amélia Hawson ».
« Je suis Eléanore Dumenil et je suis en quête d'une personne en qui je pourrai avoir confiance. Asseyez-vous. »
Surprise, je manquai de m'enfoncer dans les profondeurs du fauteuil mais me ressaisis rapidement. Eléanore me posait toutes les questions liées à ma situation personnelle et familiale. A la question « avez-vous de la famille, un petit ami peut-être ? », je me mordis la lèvre inférieure tandis que les rouages de mon esprit prenaient de la vitesse. De deux choses l'une, ou bien je lui disais la vérité ou bien j'utilisais la couverture mise au point par Raven.
« Je suis orpheline mais je... enfin... je vis avec mon frère, journaliste, Raven Hawson. »
Le sourire d'Eléanore s'épanouit aussitôt. Elle disparut momentanément de ma vue lorsque la femme de charge revint déposer un plateau avec tasses de thé et petits canapés.
« Je vais me présenter à mon tour, je suis l'épouse de Gonzague Dumenil que vous aurez l'occasion de rencontrer dans quelques minutes. Je suis dans ce pays (profond soupir de lassitude) depuis près de cinq ans et j'ai toujours autant de mal à me faire au climat.............. Je serai franche avec vous. Jusqu'à présent, toutes les personnes, hormis Maria, qui se sont présentées ici, ont été renvoyées pour diverses raisons. Je ne supporte pas l'hypocrisie, le mensonge et le vol. »
Arrgghhh. Mes trois principales qualités. Conservant un calme olympien, je ne bronchai pas. Mon air angélique et ma réserve naturelle étaient mes meilleurs atouts. Ma première impression sur Eléanore se confirmait au fil de la conversation. Elle était fort sympathique et visiblement je lui plaisais. Certes le travail proposé n'était pas folichon loin de là mais la garantie d'obtenir un passe pour ce secteur ainsi qu'un salaire m'incitait à jouer le jeu à fond.
Nous en étions à papoter comme de vieilles amies lorsque l'atmosphère changea du tout au tout avec l'arrivée d'un homme corpulent au verbe haut et à l'attitude rigide.
« Bonjour. El', je t'avais pourtant demandé de m'attendre avant de recevoir qui que ce fut ! »
Eléanore blêmit un peu mais resta calme tandis que l'homme me jaugeait de la tête aux pieds en faisant la grimace comme si mon odeur l'indisposait. D'une voix sèche, il débita toute une série de questions qui me laissa pantoise :
«Vous droguez vous ? Buvez-vous ? Dans quel secteur vivez-vous ? Quels sont vos antécédents familiaux ? Qui côtoyez-vous en général ? Etes-vous fichée quelque part ? Qui peut se porter garant pour vous ? ...»
Désarçonnée, je répondis oui ou non sans réfléchir, sans frémir sous son regard inquisiteur. Il semblait réellement vouloir me percer à jour, mettre à nu jusqu'au tréfonds de mon âme pour avoir la preuve que j'étais digne d'avoir une place sous son toit. Ayant épuisé sa batterie de questions, il s'arrêta pour reprendre son souffle. J'étais vidée mais rassérénée par le visage souriant d'Eléanore qui me gratifia d'un petit clin d'œil complice.
Gonzague, drapé dans un costume trois pièces sombre se mit à faire les 100 pas, les mains croisées derrière son dos.
«Ici, je ne tolèrerai aucune incartade, aucun mot déplacé et encore moins une quelconque infraction aux règles qui ont été établies pour le personnel oeuvrant ici. Je ne suis pas homme à engager n'importe quelle espèce de crève la faim, avide de voler tout ce qui pourrait être revendable au marché noir.»
«Je ne suis pas une voleuse !» me défendis-je, agacée par son attitude méprisante.
Ulcérée, dressée face à lui, je le fusillai du regard mais outre que cela n'eut aucun effet hormis déclencher une lueur narquoise au fond de ses prunelles noires, il continuait à me dévisager avec un culot monstre.
Ma conduite risquait surtout de voir passer cette place sous mon nez mais je refusais de céder. Je vis alors ses lèvres fines s'incurver en un sourire diabolique tandis qu'il appelait d'une voix forte la dénommée Maria.
Sans me démonter, je saluai Eléanore qui n'avait pas ouvert la bouche depuis l'apparition de son époux, et tournai les talons pour franchir le seuil du salon. Maria courut pratiquement derrière moi. Essoufflée du fait de sa forte corpulence de matrone, elle me força à m'arrêter en m'attrapant le coude.
«Attendez... Il faut que vous sachiez ... Il faut que vous me donniez vos coordonnées. Il n'a pas encore pris sa décision..»
Ret
par La Chimère
Bousculant le traînard qui refusait de s'activer plus vite, j'attrapai de la main le dernier sandwich frais et enjambant une chaise, m'installai à une table dégagée. Croquant à belles dents ce qui constituerait mon principal repas de la journée, j'émis un grondement lorsque je sentis une main caresser mes épaules avant que deux bras se nouent autour de mon cou.
Agacé, je posai mon repas frugal sur la table pour me dégager de l'étreinte de Sasha qui grogna de mécontentement. S'asseyant à mes côtés, elle glissa ses longues mèches blondes derrière ses oreilles et attendit que je daigne m'expliquer. Ce que je ne fis pas.
Soupirant, je repris la mastication de mon pain non sans avoir jeté un coup d'œil sur ma voisine. Elancée, le visage fin, elle était fichtrement mignonne et squattait mon lit depuis plus de deux semaines maintenant sans que j'éprouve, pour autant, quoique ce soit pour elle.
«Tu étais où ? Je t'ai cherché partout ! Matt a refait une séance avec Kyle.. T'aurais dû voir le troupeau ! Plus ça va et plus c'est pire...»
« Et ça t'étonne ? »
«Non mais quand on sait qu'on devra un jour ou l'autre être en mission avec certains d'entre eux..»
Je ne l'écoutais plus tandis qu'elle s'escrimait à descendre en flammes tous les arrivants nouvellement « réveillés » et rejoignant nos rangs. Elle était surtout oublieuse de sa propre histoire. Même si j'étais au fond d'accord avec elle, je n'en demeurai pas moins conscient qu'il y a trois ans, j'étais aussi paumé que tous ces jeunes et moins jeunes qui débarquaient dans cette zone qu'ils avaient longtemps considérée comme étant l'antre du Diable lui-même.
Nos chefs acceptaient toutes les bonnes volontés sachant que les premiers tests écrémeraient efficacement les rangs. Dès leur arrivée, tous se sentaient l'âme belliqueuse mais après le premier entraînement organisé par Matt, Kyle ou Marco, on pouvait compter sur les doigts d'une main ceux qui conservaient le même état d'esprit. Faut dire que le coup du meurtre en direct....
Sasha continuait à s'égosiller, encouragée par mes onomatopées ponctuant ses fins de phrases. Renversé sur le dossier de ma chaise, j'observai les environs, déshabillant du regard toutes les recrues féminines et notant les allées et venues de mes congénères venant se rassasier avant de partir rejoindre leur équipe.
L'arrivée d'un jeune homme brun à la démarche féline capta mon attention tandis qu'il attrapait au hasard des denrées alimentaires. Ce type se mouvait avec la grâce d'un prédateur en chasse et s'attirait brusquement tous les regards énamourés de la basse-cour féminine.
Raven Hawson, frère de Cloé. Sans posséder le côté gracile de mon ex petite amie, il avait les mêmes traits du fait de leur gémellité. Je savais qu'il bossait parfois pour Matt, mais restait autonome la plupart du temps. Il se la jouait mystérieux, dissimulant tout ou presque de ses origines, jusqu'à l'existence même de sa propre sœur. A vrai dire, Cloé était tout aussi secrète au point que son frère devait ignorer tout de notre ancienne liaison.
Se sentant épié, Raven tourna les yeux et croisa mon regard. Il me dévisagea rapidement pour me remettre puis s'avança vers ma table, interrompant du coup le bavardage de ma compagne qui avait rivé toute son attention sur lui au point que je lui donnai un coup de coude pour la ramener vers moi.
«Salut ! Ca faisait longtemps que je ne t'avais vu traîner ici ?» commençai-je après lui avoir serré la main.
«Mmh mmh... occupé ! J'dois voir Matt mais il est aux abonnés absents ces derniers temps.» répondit-il d'une voix calme.
« Des nouveaux ont débarqués. »
Raven sourit et leva les yeux au ciel. Tous deux, nous savions que leur encadrement nécessitait une attention de tous les instants et comme Matt était d'un perfectionnisme frisant la maniaquerie...
"Qu'est-ce que tu as sur la gueule ? Tu testes un nouveau camouflage ?"
Machinalement, je portai les doigts sur mes ecchymoses douloureuses et grognai : "wouais... on va dire ça..."
Apercevant mon sac, il le pointa brièvement du doigt avant de me demander :
« Tu as pu trouvé des transmetteurs au fait ? »
«Ouais... pas assez pour remplacer toutes les radios détériorées mais suffisamment pour équiper trois groupes de plus !»
Conscient brusquement du silence de ma copine, je tournai la tête vers elle et fis la grimace en constatant qu'elle bavait littéralement sur son vis-à-vis qui s'en fichait royalement. Piqué dans ma fierté, je lui décochai traîtreusement un coup de pied dans le gras du mollet.
À suivre...
