Chapitre 8 : Payer le prix
« Je te déteste vraiment. » Marmonna Drago avec rébellion alors que lui et Harry marchaient dans le couloir.
« Tu voulais venir. » Lui fit remarquer Harry pour ce qui lui parut être la quinzième fois ce matin. « Je ne t'ai pas forcé. »
Drago secoua la tête, « Si ça n'avait pas été pour toi, j'aurais dormi la nuit dernière…ce matin…qu'importe… » Il se tut et succomba à un bâillement. Il ouvrit tant la bouche qu'Harry se demanda s'il avait vraiment du sang de serpent dans ses ancêtres et s'il n'avait pas hérité de leur habilité de se distendre la mâchoire. Finalement le bâillement se termina et Drago accusa Harry, « Ton existence m'offense. »
Harry ne daigna pas commenter et leva les yeux au ciel. Il était aussi fatigué que Drago mais pour lui, la fatigue était le prix à payer pour avoir pu regarder ses amis dans les yeux et leur dire la vérité sur lui-même, une bonne fois pour toute. C'était comme si un poids avait été retiré de ses épaules après toutes ces années où il avait dû cacher qui il était.
Est-ce moi qui suis fatigué ou le couloir s'est-il allongé par rapport à ce qu'il était ? Harry se posa la question d'un air las alors qu'il marchait d'un pas lent. Bien qu'il sache que le bâtiment change l'organisation et la place des pièces de manière arbitraire, Harry savait qu'il serait le seul à blâmer s'il s'évanouissait de fatigue avant de parvenir à leur destination.
Les plaintes incessantes de Drago ne l'aidaient pas et Harry était déchiré entre le désir de l'étrangler, même s'il reconnaissait que dans son état présent ce serait difficile et, le désir d'avoir comme le Serpentard encore assez d'énergie pour se plaindre.
« Nous aurions dû prendre du café en revenant. » Offrit Harry en supprimant un bâillement.
« J'ai vu assez de moldus pour un siècle. Ou cinq. » Répondit Drago, énervé.
« Oh allons, ce n'était pas si mal. » Harry trouva l'énergie pour objecter. « Personne ne nous a vu et en plus Kevin et Ben t'apprécient. »
« Explique-moi une fois de plus pourquoi je me soucierais de plaire à une paire de moldus. »
« Pourquoi est-ce que je te parle ? » Demanda Harry réthoriquement. « Pourquoi est-ce que je me tracasse ? »
« J'espérais plutôt que tu arrêterais de me parler. » Ajouta Drago obligeamment. « Tu peux arrêter tu sais, ça ne me fera rien. »
Avec Drago il y avait toujours la possibilité qu'il roule des yeux derrière le dos de quelqu'un. « J'abandonne. » Harry fit un vague geste de défaite. Il n'avait pas l'énergie pour plus de grandiloquence.
« Il t'en a fallu du temps. »
Ils continuèrent à marcher en silence. Harry s'autorisa à bailler. Il espérait que ça le réveillerait un peu plus. ¨Peut-être qu'après le petit déjeuner, je ferais la sieste, pensa Harry, toute trace de loyauté disparue. Au moins, je serai reposé pour voir mes amis ce soir. Le fait qu'il ait exclu Cate de la catégorie générale d'ami l'aurait fait réfléchir s'il avait été suffisamment éveillé pour faire fonctionner son cerveau.
« Je ne leur fais pas confiance. » Drago brisa le silence.
« Même après tout cela, tu doutes d'eux ? » Lui demanda Harry, surpris. C'est plus facile pour moi de leur faire confiance, je les connais depuis des années alors que lui ne les connaît que depuis quelques heures. S'il avait été un peu plus éveillé, ça aurait été évident. Comme s'il avait soudain compris le problème, Harry fut surpris par un éclat de pur génie, « Ce sont nos amis, Drago. »
« Ce sont tes amis, Potter. Pas les miens. »
« Ils ne nous trahiront pas. »
« Ce n'est pas comme si on les croirait s'ils le faisaient. » Admit Drago avec réticence.
Harry acquiesça et prit cela comme une petite victoire. « Exactement. Ecoute. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter-. » Sa phrase fut coupée quand il fonça dans quelqu'un venu du côté opposé.
« Oh, je suis désolé ! » S'excusa Harry aussi vite qu'il le put. Son cerceau embrumé essayait de comprendre ce qui venait de se passer. Il sentit vaguement Drago agripper son bras pour le stabiliser. Il regarda de ses yeux bouffis la personne devant lui. Son esprit fatigué parvint enfin à la distinguer.
La mâchoire d'Harry s'ouvrit, alors que l'adrénaline traversait son corps, effaçant la lassitude et la remplaça par une conscience totale. « Severus ? » Murmura-t-il une fois qu'il eut retrouvé l'usage de la parole.
C'était Severus. Harry en était certain. Il ne ressemblait pourtant pas au Severus qu'Harry avait connu toute sa vie.
Déjà mince, il avait l'air émacié. Sa robe était poussiéreuse, froissée et déchirée au lieu de propre et soignée. Il l'avait attachée comme s'il avait enfilé par erreur une robe d'Hagrid. Ses cheveux étaient emmêlés et plats comme s'il n'avait pas pris de douche depuis très longtemps. Déjà effrayé par son apparence, c'est le visage de Severus qui captura l'attention d'Harry.
La peau normalement pâle du maître des potions était d'une couleur cendre, dessinée si étroitement sur son visage que ses pommettes étaient suffisantes pour projeter les ombres sur ses joues. Ses lèvres fines étaient gercées et craquelées. Des lignes étaient gravées profondément dans cette peau qui fut pourtant sans âge. Des bleus noirs cernaient ses yeux. Et ses yeux…
Souvent si lumineux et durs, les yeux noirs de Severus étaient vides et opaques. Le feu qui avait toujours brillé en eux avait disparu. Et dans ces yeux morts, il y avait une douleur qu'Harry n'avait jamais vue. Une douleur si forte qu'elle était presque tangible, une douleur qu'il ne parvenait pas à comprendre, une douleur qui l'aurait mis à genoux si Drago ne tenait pas encore son bras. Ses yeux étaient hantés et un mélange de douleur et d'autres émotions s'y écoulaient qu'Harry ne parvint pas à identifier.
« Severus… » Murmura à nouveau Harry.
Il y eut quelque chose dans ces yeux torturés quand ils se focalisèrent sur Harry, quelque chose qu'Harry n'avait jamais vu. « Harry, » Murmura Severus. Sa voix si froide et calme en général, était maintenant cassée, si rauque qu'il pouvait à peine la reconnaître et grimaça presque en l'entendant.
Une main squelettique et tremblante s'éleva, monta par à coups. Ses doigts s'arrêtèrent à quelques centimètres du visage d'Harry. La main retomba et Severus fit rapidement demi-tour et disparut dans un couloir avant qu'Harry n'ait eu le temps de réagir.
Interloqué et paralysé, il sentait encore le touché fantôme. Harry regardait toujours l'endroit où Severus s'était tenu. Puis regarda le visage pâle de Drago. « Quelque chose ne va pas, Drago. » Murmura-t-il doucement.
« Je sais. » Répondit Drago, sa voix à peine plus audible que le silence. « J'ai vu. »
« Quelque chose ne va vraiment, vraiment pas. »
Snape n'était pas au petit déjeuner. J'aurais dû le savoir, pensa Drago d'un air las en passant une main dans ses cheveux blonds. Tout pour rendre les choses encore plus difficiles. Une image d'Harry franchissant tables et étudiants dans le but d'offrir son aide à Snape après l'incident de ce matin, lui apparut, un scénario très réaliste de ce qui se serait passé si Snape avait été là. Mais peut-être était-ce mieux pour toutes les parties impliquées, qu'il ne soit pas là, décida Drago.
Harry avait l'air de vouloir faire quelque chose d'intrépide. Oui, pensa Drago, énervé et fatigué ; un Potter embrouillé était préférable à ce Potter alerte et nerveux. Je sais que tu es inquiet, merde, je suis inquiet. Mais tu dois apprendre à réfléchir avant d'agir. « Allons nous asseoir. » Suggéra Drago à voix basse.
Harry le regarda simplement avec incrédulité. « Comment- » Commença-il en étranglant un cri, vite modulé par un véhément murmure de Drago qui l'invita d'un grognement au calme. « Comment peux-tu être si sacrément calme ? Tu l'as vu, Drago. Quelque chose ne va pas avec lui ! »
« Oui, je l'ai vu ! » Siffla Drago. « Mais je sais aussi de qui nous parlons. Et je peux te prédire quelle sera sa réaction si toute la faculté fait irruption dans ses quartiers pour essayer de 'l'aider'. »
« Je ne vais pas prévenir toute la faculté. » Rétorqua Harry avec calme. « Je vais juste aller le voir. »
« Ce qu'il t'a dit très explicitement ne pas désirer souffrir. » Drago regarda la remarque atteindre son but. Il était évident qu'Harry avait encaissé la pique et un éclat de lucidité revint dans ses yeux. Drago reprit, « T'agiter comme un idiot ne va aider personne, lui inclus. Je sais que tu es inquiet à son sujet ; je serai un complet abruti si je ne le voyais pas. Mais paniquer ne fera aucun bien non plus. Assis-toi, essaye de manger un peu, calme-toi et essaye de réfléchir rationnellement ce que l'on peut faire. » Je me demande s'il sait ce que rationnellement signifie. Je doute.
Il regarda Harry prendre plusieurs profondes inspirations, « Très bien. Tu as raison. » Harry rit brièvement. Son rire montrait à quel point il était proche de l'hystérie. « Je n'aurais jamais pensé que je dirais ça…D'accord…Je suis calme maintenant. Allons nous asseoir. »
Drago regarda Harry quelques instants de plus. Il mesurait la vérité de ses paroles. Il acquiesça et se dirigea vers la table, Harry le suivit. Le faire s'asseoir avait été plus facile que de le faire manger, réalisa Drago en le regardant piquer sa nourriture sans enthousiasme. Tu n'aurais jamais pensé t'inquiéter sur l'habileté de manger de Potter, n'est-ce pas ? La pensée le fit sourire malgré lui. Non, je n'aurais jamais pensé être accepté par celui que je détestais le plus dans ma vie. Et je n'aurais jamais imaginé que le célèbre Harry Potter tomberait amoureux du graisseux Severus Snape.
Le petit déjeuner arrivait à sa fin et Harry leva les yeux de son assiette et transperça Drago d'un regard désespéré, « Drago ? »
Toi, Potter, tu es bien trop prévisible. « Ne t'inquiète pas. » Soupira Drago. « Dès que mon premier cours sera terminé, j'irai lui parler. »
Drago voulut lever les yeux au ciel quand il vit la gratitude dans les yeux de Potter, « Merci. » Il s'arrêta. « J'aimerais… »
C'était un sentiment très curieux qui fit que Drago rencontra les yeux d'Harry, un sentiment qu'il n'essaya pas d'identifier, et dit d'une voix gentille qu'il ne se savait pas capable d'utiliser, « Je sais. Donne-lui du temps. »
Harry le regarda, les yeux écarquillés.
Je sais que c'est difficile à croire Potter, mais je suis humain. Imagine donc.
Très bien Snape, pensa Drago en descendant pour aller aux cachots. Que faites-vous ? A quel jeu jouez-vous avec Potter ? Au cours de sa scolarité, Drago avait vu plusieurs visages de Severus Snape. Mais il n'avait jamais vu l'homme brisé qui s'était tenu devant eux dans le couloir. Et c'est ce que Snape avait été, Drago le savait intuitivement. Complètement brisé. C'était comme si quelque chose de terrifiant quelque chose d'horrible lui était arrivé et avait gravé des cicatrices dans son âme. Il y avait pire, et Drago était certain qu'il ne voulait pas savoir ce que c'était.
En atteignant le bureau de Snape, Drago ressentait de l'appréhension et du malaise. Il frappa à la porte.
« Qu'est ce que c'est ? » La réponse était coupante.
A l'entendre il paraît normal. Les élancements de l'appréhension et du malaise montaient en lui. Sans parler, Drago poussa la porte et entra. Ses yeux se plissèrent quand il vit Snape assis derrière son bureau, un livre dans les mains. Partis la robe en lambeaux, la peau cendreuse, le corps décharné, et les yeux hantés. Snape ressemblait à ce qu'il avait toujours était : froid, sarcastique et en colère d'avoir été dérangé.
« Bon sang, que se passe-t-il ? » Ce n'était pas la manière dont Drago voulait le saluer mais ça lui avait échappé et il s'arrêta de lui-même. La surprise et la confusion prirent le pas sur la diplomatie qu'il avait eue l'intention d'employer avec son ancien directeur de maison.
Un sourcil noir se haussa de quelques millimètres et Snape lui envoya un regard noir du haut de son livre. « Voulez vous m'expliquer votre intrusion et votre manque de bienséance, monsieur Malfoy ? »
« Vous m'avez entendu. » La voix de Drago était froide. En descendant Drago s'était préparé à beaucoup de choses. En fait la seule chose à laquelle il ne s'était pas préparé était à un Severus Snape en parfaite santé, parfaitement normal. Maintenant qu'il apparaissait que Snape n'était pas sur le point de s'évanouir, Drago était en colère après l'homme qui l'avait inquiété alors qu'il n'en avait apparemment nul besoin. Jouez avec Potter autant que vous le désirez, mais je serai maudit si je vous permets de jouer avec moi.
« Je ne vois pas où vous voulez en venir avec cette démonstration peu civilisée, monsieur Malfoy. Expliquez-vous ou allez-vous-en, mais ne me faites pas perdre mon temps. »
« Ce n'était pas moi qui me baladait dans les couloirs ce matin l'air d'un vagabond sans abris et qui avait l'air de sortir d'une zone de combat. »Elabora Drago. Il sentait son contrôle sur son humeur se flétrir davantage.
« Plus vous parlez, moins c'est compréhensible. » Observa Snape sèchement. « Ca doit être dû au fait que vous passez trop de temps avec Potter. »
« Vous devriez le savoir alors, non ? »
Une étincelle de colère illumina les yeux de Snape. Ca ne mène nul part. Je sais ce que j'ai vu ce matin. Maudissez les tous, je connaîtrai le fin mot de cette histoire. Pour mon bien, si ce n'est pas pour une autre raison. Drago prit une profonde inspiration et laissa sa frustration et son énervement et essaya de penser plus clairement. Rien de ce qu'il pouvait faire ne parvenait à le défaire de cette sensation qu'il était à la limite de la folie et venait d'entrer dans un monde dans lequel les gens ne sont jamais les mêmes l'instant suivant.
« Pourquoi ces conversations commencent-elles toujours comme ça ? » Demanda Drago, plus pour lui que pour Snape. Il n'attendait pas de réponse. « La plupart des gens essayent de parler avant de crier et de grogner. Nous commençons comme ça. Il n'y a pas de raison à cette animosité. Plus maintenant. »
« Peut-être que nous n'y pouvons rien. » Répondit Snape avec quiétude.
« Quoi ? » Drago le regarda avec surprise, « Que voulez-vous dire ? »
Snape l'étudia quelques instants avant de secouer légèrement la tête. « De quoi êtes-vous venu me parler, monsieur Malfoy ? »
Par l'enfer, c'était quoi ça ? Le jeune homme le dévisagea avec incrédulité. Vous parler, c'est comme essayer de naviguer en eau vive. Peu importe l'endroit où l'on met les pieds, le sol se dérobe dessous. Comment Potter a-t-il pu supporter de vivre deux ans avec lui ? Drago prit à nouveau une profonde inspiration et essaya de déterminer par où il pourrait commencer. Il abandonna perdu et décida de plonger, « Est-ce que vous allez bien ? »
Snape le dévisagea.
Drago fit un geste de la main, « Vous savez, mentalement, physiquement, émotionnellement ? »
Les sourcils se haussèrent à nouveau, « Avez-vous besoin de voir Madame Pomfresh, Monsieur Malfoy ? »
Drago leva les yeux vers lui, « Répondez simplement à la question. »
« Même si je ne comprends pas en quoi mon bien-être vous concerne, je peux vous assurer que je vais bien. » Répondit Snape avec froideur. « Pourquoi ? »
« Ca concernerait tous ceux qui auraient vu ce que j'ai vu ce matin. » L'image des yeux vides de Snape lui traversa l'esprit.
« Et qu'était-ce donc, Monsieur Malfoy ? »
« Vous. »
« Ce n'est pas possible ; Monsieur Malfoy. » L'informa Snape froidement. « Je suis resté dans mon bureau depuis que j'ai quitté mes quartiers. Si vous avez été au petit déjeuner ce matin, vous avez dû remarquer que je n'y étais pas. De plus, je ne vous ai pas vus ce matin. »
« Peut-être ne m'avez-vous pas vu. » Concéda facilement Drago en se souvenant que les yeux de Snape n'avaient pas quitté Harry. « Mais vous avez certainement vu Potter. »
Les yeux de Snape se plissèrent pour étudier le visage de Drago. Il prit alors une grande inspiration et plaça avec précaution le livre sur le bureau et s'adossa à sa chaise. « Dites-moi ce que vous avez vu. » La commande était douce.
« Potter et moi étions sur le chemin de la grande salle. Pour dire la vérité, Potter a presque fauché quelqu'un en tournant à un coin. Au début je ne vous ai pas reconnus. Vous étiez plus maigre, votre visage était plus pâle et votre robe était déchirée, complètement en lambeaux. Et vos yeux étaient morts. »Drago regarda avec attention les yeux ténébreux mais scintillants de Snape. « C'était comme si vous aviez vu quelque chose de terrible, de si douloureux, que vous avez abandonné. Vous trembliez et votre voix était cassée et rauque, comme si vous l'aviez utilisé trop longtemps ou que vous aviez crié jusqu'à ce que vous n'ayez plus assez de voix pour continuer. »
Cette fois, il y eut des émotions dans ses yeux sans fin. L'incrédulité était la plus apparente mais il y avait aussi de l'inquiétude comme de la compassion et une pointe de peur qui fut immédiatement avalée par les autres.
« Je ne vous mens pas. » Lui assura Drago. « Je sais de quoi mes paroles ont l'air. Alors que vous ne ressemblez à rien à ce que vous étiez il y a quelques heures. Mais je vous jure, vous auriez été aussi inquiet que moi si vous aviez vu une personne avec laquelle vous avez grandi, paraître aussi déchirée et brisée que vous ce matin. »
Regardez la vérité dans mes yeux, pensa Drago en faisant en sorte que les sentiments qu'il avait ressentis ce matin se reflètent dans ses yeux. Snape le scruta et le silence s'installa entre eux. Je ne comprends pas ce qui se passe. Je ne sais pas pourquoi vous étiez ainsi si vous allez parfaitement bien maintenant. Mais je ne l'ai pas imaginé.
Une fois de plus, ce fut Snape qui brisa le silence. « Qu'ai-je dit ? » Lui demanda-t-il avec méfiance, comme s'il avait peur de la réponse.
« Harry. »
Ce n'était pas la réponse à laquelle il s'était attendu. Drago ne savait pas à quoi il s'était attendu, mais ce n'était pas à cela. Ses yeux s'écarquillèrent momentanément, un geste qui, pour lui, crier la surprise. Drago voyait qu'il voulait dire quelque chose, mais ne parvenait pas trouver les mots.
« Vous n'avez jamais quitté les cachots ce matin ? » Lui demanda Drago doucement.
« Non. »
C'était l'adrénaline qui l'avait fait tenir toute la matinée, réalisa Drago alors qu'il se sentait tremblant et vide. Sans demander la permission, il s'effondra dans la chaise face à Snape et passa une main affligée de tremblements dans ses cheveux. « Je ne comprends pas. »
« Vous n'êtes pas le seul, Monsieur Malfoy. » Etait-ce l'imagination de Drago ou Snape avait-il l'air submergé par la lassitude. « Est-ce tout ce qui s'est passé ? »
Drago haussa les épaules, désemparé, « Vous avez juste prononcé le prénom de Potter et êtes parti. Nous étions tous les deux sous le choc ; nous ne savions pas quoi faire. Nous sommes donc allés dans la Grande Salle en pensant vous y voir. Nous avons aussi pensé que nous pourrions entendre quelque chose qui nous aurait éclairé sur ce qui s'est passé. Mais une fois là, nous avons constaté que vous n'étiez pas là et personne n'agissait comme s'il y avait un problème et Dumbledore n'a rien dit. »
« Pourquoi êtes-vous descendu ici ? » Ca ressemblait à une variation de la question originelle de Snape, celle qu'il avait posée à Drago quand celui-ci était entré dans son bureau. Mais Drago savait que ce n'était pas le cas.
« Parce que Potter me l'a demandé. Et je savais que si je refusais, il le ferait. »
« Depuis quand prenez-vous en compte ce que fait Potter ? » Il y avait du sarcasme dans sa voix, mais il y avait aussi autre chose. Quelque chose que Drago ne pouvait pas comprendre.
« Quand j'ai été impliqué. » Snape n'était pas en train de mourir, cela était évident. Et pendant qu'il était assis là à essayer d'aller au bout de ce mystère, il décida d'aller au bout d'un autre. « Je n'ai jamais rien voulu avoir à faire avec Potter, ses projets idiots ou les cafouillages qu'il y a dans sa vie. Ma vie est assez merdique sans rajouter Potter à l'équation. Mais apparemment, je n'avais pas le choix. » Les yeux de Drago se plissèrent et il regarda Snape de façon accusatrice. « Mais franchement, tout est de votre maudite faute. »
L'animosité flamboya dans les yeux de Snape et il ouvrit la bouche pour parler. Mais maintenant que Drago avait la parole, il n'allait pas s'arrêter. Pas tant qu'il n'aurait pas dit tout ce qu'il voulait dire. Et il n'allait pas partir avant d'avoir eu une réponse acceptable.
« Oh, je suis d'accord pour laisser de côté notre haine, nos mesquines prises de bec, surtout depuis que nous vivons à nouveau sous le même toit. » Continua Drago rapidement jusqu'à ce que Snape ferme la bouche et qu'il sache que l'autre homme était disposé à l'écouter. « Pourtant, je n'étais pas préparé à entendre l'histoire apparemment sans fin de la vie de Potter à l'université, jusqu'à votre entrée en scène. Et je n'étais absolument pas préparé aux exécrables détails de toute l'affaire. » Drago s'arrêta pour apprécier l'expression de soudaine alarme qui passa sur le visage de Snape.
« Oh oui. » Drago sourit d'une façon satisfaite et désagréable à son ancien professeur. Il est rare doit voir Snape essayer de ne pas montrer son malaise. « Je sais tout. J'aurais pu passer ma vie entière sans connaître ses merveilleux petits cancans. Sans avoir eu besoin de les connaître.
« J'admettrai que j'ai été surpris. » Continua-t-il sans relâche. « Après la débâcle avec Cho, je pensais que Potter s'éloignerait complètement des liaisons romantiques. Je dirais pourtant que bien que ce soit un développement inattendu, c'est compréhensible. De plus, j'ai l'habitude ce genre de chose. » Drago abandonna son ton méprisant et ses yeux vacillèrent pour rencontrer ceux de Snape. « Potter n'est pas la première personne que je n'aurais jamais soupçonnée d'être impliquée avec vous. »
La suspicion de Snape était confirmée. Cette reconnaissance fut visible sur son visage, marquée par une froide neutralité qui masquait ses sentiments.
« J'ai trouvé ça bizarre au début, que malgré toutes les personnes qu'il connaisse, Potter vienne me voir avec son histoire. Il n'en a pas parlé ni à Granger ni à Weasley parce qu'il savait qu'ils ne pourraient jamais comprendre. Mais même après tout ce qu'il s'est passé entre nous, il croyait que je le pouvais. Et ce qui m'a le plus choqué est que j'ai compris.
En d'autres circonstances, Drago n'aurait pas dévoilé ainsi ses pensées. Mais il y avait quelque chose d'étrange, et même s'il ne parvenait pas expliquer pourquoi, Drago sentait qu'il était de la plus haute importance qu'il découvre ce qu'il se passait. Ca n'avait aucun sens, mais Drago sentait que ce qui se passait entre Snape et Potter était lié avec ce qu'il avait vu ce matin. Pour découvrir un mystère, il fallait résoudre l'autre.
Essayer de parler à Snape était toujours difficile pour Drago mais avoir sa confiance pour l'inciter à parler de choses personnelles était proche de l'impossible. Drago savait pourtant une chose : après tout ce qu'il avait enduré, Snape respectait et appréciait l'honnêteté. Et cela, était le meilleur moyen de communiquer avec lui. Et si l'honnêteté était le prix à payer pour ces réponses, Drago était prêt à le payer.
« Parce que je comprenais, il est venu à moi quand il ne pouvait pas se tourner vers ses amis moldus qui n'auraient pas compris, quand il ne pouvait pas aller voir Granger ou Weasley parce qu'ils n'auraient pas compris, quand sa douleur et sa confusion l'isolaient de vous qui auriez pu comprendre. Il m'a dit beaucoup de choses que j'ai pu comprendre. Mais il y a une chose que je n'ai pas pu. » Les yeux de Drago transpercèrent ceux de Snape, prêts à arracher les réponses si l'autre homme ne les lui donnait pas volontairement.
« Je vous connais. Pas aussi bien que certains, pas aussi bien que vous vous connaissez vous-même. Mais je vous connais mieux que d'autres. » Dit Drago sans fierté, sans suffisance. « Mais ce que je sais m'empêche de comprendre ce que vous avez fait. »
« Qu'importe ce que vous faites, qu'importe les actions que vous faites dans le présent pour racheter celles du passé, vous serez toujours un mangemort pour la majorité des personnes vivant dans le monde sorcier. Au mieux, les gens vous verront comme un marginal, au pire, un traître. Pourtant quel que soit l'endroit où vous allez vous serez toujours regardé avec méfiance et suspicion. Et toutes les personnes qui vous seront associées courent le risque de partager ces stigmates et d'être qualifiées de potentiel mangemort pour être vu en présence d'une personne que tout le monde suspecte d'être un mangemort. »
Drago vit les effets que la vérité de ces paroles provoqua sur Snape. Il vit la contraction imperceptible de ses lèvres, le léger repliement de ses doigts effilés. Snape avait vécu avec les conséquences des choix faits dans ses jeunes années et il savait qu'il continuerait à vivre avec, jusqu'au jour de sa mort. Et Drago savait qu'il ne le remercierait pas de les lui avoir rappelés.
« Je sais tout cela, Severus parce que nous partageons le même sort. Partout où je vais, je serai toujours rejeté. Quoi que je fasse, je serai toujours vilipendé. Je partage votre destin à cause de la naïveté et l'ignorance de la jeunesse et pour porter le nom haï des Malfoy. » Déclara froidement Drago. « Et dans tout cela, savez-vous ce que je ne comprends pas ? »
Drago se pencha en avant et regardant Snape avec attention, transperça ses yeux et répondit à sa propre question, « Je ne peux pas comprendre comment vous pouvez rejeter le cadeau qu'il vous a fait, le cadeau que je ne recevrai jamais et cela quoi que je fasse et à quel point je le désire. »
Les yeux de Snape s'écarquillèrent considérablement. Son visage qui était, depuis le début du monologue de Drago, recouvert par la colère, s'effaça et fut remplacée par la stupéfaction quand il entendit la déclaration du Serpentard.
« Personne ne s'ennuiera jamais à essayer de me comprendre. Personne ne fera jamais d'effort pour comprendre l'homme derrière le nom. Personne ne regardera jamais au-delà de mes crimes. Et personne n'essaiera jamais d'éloigner la solitude avec laquelle je vis, enfermé dans un monde où je serai toujours jugé, où je ne serai jamais accepté. Personne ne se soucie de moi, Severus. Et personne ne le fera jamais. » Drago rit ; d'un rire amer et moqueur.
« Et vous, qui avez plus d'actions abominables à votre capital que je n'en aurais jamais, on vous propose l'absolution, et vous la rejetez ! »
« Je- »
« Le sauveur du monde sorcier, l'antithèse de ce vous étiez, celui que tout le monde aime, vous regarde et voit une personne dont il se soucie. Malgré votre histoire personnelle, malgré la cruauté avec laquelle vous l'avez traité enfant, il a pris le temps et a essayé de vous connaître pour comprendre, pour vous regarder et juger ce que vous êtes et non ce que vous étiez.
« Si je m'attendais à ce que le fameux Harry Potter soit impliqué dans une relation, j'aurais parié sur Granger ou peut-être Ginny Weasley. Une personne avec laquelle nous étions à l'école. Potter ne sort pas assez pour rencontrer des gens d'un autre cercle. De toutes les personnes que je connaisse, vous étiez le dernier des candidats bénéficiaires de l'affection de Potter. Et je n'aurais jamais pensé que vous ressentiriez ne serait-ce qu'une fraction de cette affection pour lui. » Drago leva la main pour empêcher l'objection qu'il savait venir quand Snape ouvrit la bouche.
« J'ai entendu ce qu'il s'est passé, Severus. Il m'a raconté les histoires qui vous impliquaient tous les deux, du début à la fin. Feindre son amitié pour tolérer sa présence aussi longtemps, je pourrais l'accepter. Mais prétendre qu'il n'en reste rien…Peut-être n'est-il pas l'amour de votre vie… » Drago garda précautieusement son ton neutre et transparent, sans signification cachée. « Mais vous ne pouvez nier avoir des sentiments pour lui. »
Drago regarda les yeux froids de Snape avec sincérité, fit disparaître la violence de ses paroles et la remplaça par la patience. « Je veux juste comprendre. Je veux savoir pourquoi vous vous êtes détourné de lui alors qu'il est évident qu'il ne veut être nulle part ailleurs qu'avec vous. Je veux savoir ce qu'il s'est passé ce matin, pourquoi vous étiez si différent de ce que vous êtes maintenant. Les deux sont liés, je le sais et je veux savoir pourquoi. »
« Pourquoi pensez-vous cela ? » Demanda Snape avec curiosité.
Drago secoua la tête, désemparé, et haussa les épaules, « Je ne peux pas l'expliquer. » Il y avait quelque chose dans la manière dont vous avez prononcé son nom, dans la manière dont vous l'avez regardé, dans la manière dont vous avez avancé votre main. C'était comme si le voir vous faisait souffrir, comme si vous vouliez vous rassurer en vérifiant qu'il était bien là, mais étiez trop effrayé pour le toucher réellement, de peur qu'il ne soit pas vraiment là. »
Les yeux de Snape semblèrent le transpercer ou chercher quelque chose caché très profondément dans ses yeux.
« S'il vous plait, Severus. » Demanda Drago doucement, « Juste pour cette fois, faites-moi suffisamment confiance pour me dire ce qui se passe. »
Faites-moi confiance.
Les mots traversèrent son esprit et tournèrent dans sa tête, la voix changea, se modula et devint une autre voix, venu d'un autre endroit, d'un autre temps qui lui parut très loin. Merci, de me faire suffisamment confiance pour me le dire, murmura la voix, le temps se mélangea à nouveau et devint un instant sans fin. Je te fais confiance pour rester à mes côtés et protéger mes arrières. Sa propre voix lui posait la même question : Me fais-tu confiance ? La première voix lui répondit, oui.
Faites-moi confiance lui avait demandé Drago Malfoy. Drago qui avait envahi son espace pour lui raconter une histoire abracadabrante et qui l'assaillait qu'il le veuille ou non, qui maintenant avait pris la place qui était sienne en tant que confident et ami d'Harry et qui avait pris la place qu'il avait abandonnée. J'ai fait confiance à un Malfoy autrefois, à mon grand damne. Et maintenant son fils me demande de lui donner ce précieux don, au nom d'une personne en qui j'ai brisé cette confiance.
Severus regarda Drago en silence. Les paroles qu'ils avaient échangées jouaient dans sa tête et il les examinait. Je ne m'attendais pas à cela de vous, Drago. Et peut-être que j'ai eu tort sur vos intentions et votre présence ici. Peut-être qu'il avait vraiment raison après tout. Il délibéra et prit finalement une décision.
« A travers vos propres paroles, vous avez répondu à vos questions. »
Drago arbora une expression confuse. « Je ne- »
« Je sais ce que je suis. » L'interrompit Severus. Sa voix était froide et calme, sans émotion, « Les conséquences de mes choix passés me poursuivront toute ma vie. Je ne veux pas qu'elles poursuivent quelqu'un d'autre. »
Drago haussa les sourcils de surprise, « Alors c'est pour ça ? »
Severus inclina simplement la tête. « Quel autre choix avais-je ? Il est et sera toujours Celui Qui a Survécu. Il ne peut pas vivre comme un moldu et ne peut pas être un simple sorcier. Les gens se rassemblent autour de lui pour la même raison qu'ils sont intimidés devant vous et moi : son passé. La seule différence entre sa situation et la nôtre est que les gens l'aiment et qu'ils nous détestent. Il est déjà un marginal. Mais je préfère qu'il soit le bien aimé que le détesté. Je préfère que sa douleur soit celle de gens qui l'aiment pour de mauvaises raisons, plutôt qu'elle ne vienne de ceux qui le détestent à cause des gens qui l'accompagnent. »
« Que faites-vous de son bonheur ? » Interrogea Drago, « Quel bien cela fait-il d'être aimé si vous ne pouvez pas être heureux ? »
« Pensez-vous vraiment qu'il aurait été heureux avec moi ? » Demanda Severus. Il était très intéressé par l'opinion de Drago. « Pensez-vous qu'il aurait été heureux de savoir que personne n'approuve son choix ? Pensez-vous qu'il aurait été heureux de savoir que la majorité des gens peuvent partager leurs activités avec leurs amis et partenaire mais que lui ne le pourrait pas parce que ses amis ne pourront jamais accepter ma présence à ses côtés ? Aurait-il été heureux de voir l'amour que le monde sorcier lui porte se transformer en déception et finalement en rejet ? »
« Pensez-vous vraiment qu'il se soucie de ce que le monde pense de lui ? » Contra Drago, en regardant Severus avec acuité, « pensez-vous sincèrement qu'il s'intéresse plus à ce que des étrangers pensent de lui plutôt que ce que pensent ceux qui l'aiment ? »
« Sa vie est suffisamment difficile, il n'a pas besoin que je la lui complique davantage. »
« Mais comment savez-vous que ça empirera les choses ? » Persista Drago en se penchant en avant. « Vous l'avez dit vous-même, sa vie est difficile et solitaire. Et si vous la rendiez meilleur ? Il saurait que malgré tout ce qui peut se passer, ce qu'on peut penser de lui, qu'on s'intéresse à lui ou non, une personne dont il se soucie serait à ses côtés et rendrait sa vie meilleure. Je sais que ce serait le cas pour moi. » Il ajouta doucement, « Je sais que ce serait le cas pour vous. »
« Drago, » Severus savait que la conversation était allée trop loin pour reprendre de la distance et un ton formel.
« Il mérite le droit de choisir, Severus. » Continua Drago, sans faire attention au fait que le sorcier essayait de parler, « Il mérite le droit de connaître la vérité, et de faire ses propres choix, basés sur la vérité. » Drago écarquilla les yeux et quand il reprit sa voix était douce, empathique, « Est-ce cela ? Etiez-vous effrayé qu'il choisisse de partir ? »
La vision de Severus fut remplie par des yeux gris et froids, plein de dédains et de dégoûts. Une voix moqueuse et dure attaqua ses oreilles. D'une secousse de la tête, il bannit le souvenir. « C'est plus que ça. » Répondit Drago doucement. Une part de lui était surprise par la sincérité avec laquelle il parlait à l'autre sorcier, une autre était surprise qu'il lui ait fallut si longtemps. Nous sommes plus semblables que je n'aime le voir, pensa-t-il. Peut-être que cela aurait pu nous rapprocher et peut-être aurions-nous pu forger une solide amitié, au lieu de cette animosité. Peut-être aurais-je pu contrer l'influence de votre père. S'il n'y avait pas eu ce jeu auquel j'étais obligé de jouer, peut-être que les choses auraient tourné différemment pour vous.
« Je ne veux pas qu'il devienne comme moi. Je ne veux pas qu'il devienne aigri et froid, rempli de colère et de déception. Quand j'ai vu qu'il commençait à devenir ainsi, j'ai su que je devais faire quelque chose pour renverser le processus. » Expliqua Severus. « Le repousser était la seule chose que je pouvais faire qui aurait un effet. Il n'est pas renommé pour entendre raison. »
Drago sembla perplexe. « Qu'est-ce qui vous a donné l'impression qu'il était en train de changer ? »
« J'ai entendu une conversation. » Confessa Severus en haussant les épaules. « Alors que j'étais dans un couloir. »
Des yeux gris se plissèrent, « Quelle conversation ? »
« Entre lui et ses amis. »
« Granger et Weasley ? » Demanda Drago avec incrédulité, « Est-ce cela que vous voulez dire ? Que s'est-il passé ? Qu'ont-ils dit ? »
« Qu'il était en train de devenir comme moi. » Répondit Severus sans émotion, « Qu'il aurait besoin de passer plus de temps avec des jeunes de son âge. Qu'il aurait besoin de sortir et de rencontrer des gens pour qu'il puisse se construire une vie et être heureux. »
« Il a déjà 'rencontré' des gens. » Marmonna Drago avec colère, « Qui a dit ça ? Qu'a-t-il répondu ? »
« Weasley l'a dit et je suis parti avant d'entendre sa réponse. »
« Oh pour l'… » Bredouilla Drago. Il changea de position et fit un geste de la main, « C'est à cause de tout cela ? C'est Ron Weasley ? Le petit bâtard vous déteste. A quoi vous attendiez-vous de sa part quand il a découvert que vous et Potter ne vous détestiez plus ? Granger a-t-elle dit quelque chose ? Je déteste l'admettre mais elle est la seule qui ait un peu de raison dans ce groupe. De la part de Weasley ce petit baratin n'est qu'un amassis de conneries. Ca aurait été autre chose si ça avait été Granger, mais ce n'était pas elle… »
« C'était Weasley. Je n'ai rien entendu de la part de Granger. » Severus remarqua que Drago le regardait sévèrement, « Quoi ? »
« Peut-être n'est-ce jamais arrivé devant vous, mais j'ai entendu la réaction de Potter à chaque fois qu'on faisait une remarque désobligeante à votre sujet. » Drago eut la grâce de paraître un peu penaud. « Je sais, j'en ai reçu les frais une fois ou deux avant qu'il ne me raconte toute l'histoire. »
« Je ne vois pas où cela mène. »
Drago le regarda fixement, les yeux écarquillés de surprise, « Que doit-il faire, Severus ? Courir dans les couloirs au beau milieu de la nuit et crier à plein poumon ? Voler sur son balai avec une bannière lors du prochain match de Quidditch ? »
Severus plissa les yeux d'agacement. Il ressentait un picotement dans sa nuque. Sans savoir pourquoi, il commençait à se sentir mal à l'aise.
« Par le nom de tous les dieux, vous ne savez pas, c'est ça ? » Demanda soudainement Drago.
« Comment avez-vous pu passer autant de temps avec lui et ne pas le savoir ? » Demanda Drago en regardant Severus comme s'il attendait une réponse.
Je ne mordrai pas à l'hameçon, pensa Severus avec colère en refusant de répondre. Dites ce que vous voulez dire ou taisez-vous. Il ne parvenait pas à expliquer sa réaction face à la question de Drago, ce n'était pas une question malicieuse ou intentionnellement provocatrice. Mais il y a quelque chose derrière, un résidu d'anxiété, comme si la mettre en lumière risquait de le faire souffrir et que le seul avertissement était les poils qui se hérissaient sur son bras. Son estomac tournait et il était à nouveau mal à l'aise. C'était une question innocente mais Severus savait d'instinct qu'elle n'était pas aussi innocente qu'elle le paraissait.
« Il vous aime. »
Il pensait qu'il était hautement improbable que son estomac ait pu se retourner de lui-même, mais il commençait à en douter s'il considérait ce qu'il ressentait. L'espace d'un instant, il crut qu'il allait se mettre à rire. Ou à vomir.
Severus eut un sourire acerbe, « Ce que Potter, ressent vraiment, je peux vous l'assurer, n'est pas…ce que vous supposez. » Il n'était pas capable de prononcer les mots. Ils restèrent coincés dans sa gorge, non dits.
« Comment l'appelleriez-vous alors ? » Le défia Drago, ses yeux un peu trop vifs pour que Severus se sente vraiment confortable.
« Beaucoup de choses. » Répondit Severus immédiatement. La réponse était boiteuse et il devait trouver autre chose, « De l'affection mal placée envers une personne qui symbolisait un monde dont il a été absent ? Solitude dans une situation dans laquelle il avait besoin de prétendre être autre chose que ce qu'il était ? Peur de mourir ? Abjecte stupidité ? Je peux difficilement prétendre savoir. »
« Vous pouvez certainement prétendre ne pas le savoir, hein ? » Répliqua Drago, « Tout le monde n'est pas mon père. Oui, je sais ce qu'il s'est passé entre vous. Mais je sais aussi que tout le monde ne ment pas comme lui. »
S'il avait été une autre personne, il aurait tressailli. Mais Severus était capable de conserver ses pensées tumultueuses afin qu'elles ne se reflètent pas sur son visage, et ce malgré l'annonce qu'Harry l'aimait et l'exhumation de souvenirs douloureux.
Son masque stoïque, fermement en place, Severus leva les yeux au ciel. « Pas une fois, une déclaration d'affection n'est passée entre nous. »
« Ce n'est pas nécessaire. » Soudain, Severus se trouva au bout d'un regard perçant qui semblait voir dans les recoins les plus noires de son âme. Et bien qu'il aimait utiliser un tel regard sur ses élèves, il détestait en être la cible.
« C'est dans la manière dont il prononce votre nom. » Poursuivit Drago, « C'est dans le ton de sa voix, quand il me raconte une longue histoire puis une autre, du temps où vous étiez à New York. C'est dans ses yeux quand il essaie tant de ne pas craquer et de descendre ici pour être sûr que vous allez bien, maintenant que vous lui avez dit à quel point vous le méprisez. Il n'a pas besoin d'utiliser les mots pour dire qu'il vous aime, Severus. Chaque action, chaque mot trahit ce secret qu'il essaie désespérément de cacher à tous les autres et à lui-même maintenant que penser à vous lui cause tant de douleur. »
Un rare moment dans sa vie, Severus se trouva à cours de paroles. La matinée était devenue trop surréaliste. Il s'était réveillé et s'était attendu à ce que ce matin soit comme tous les autres. Il n'avait pas pensé que Drago ferait irruption dans son bureau pour avoir un bilan de son état de santé, puis serait indiscret sur la nature de ses relations avec Harry Potter et annoncerait finalement qu'Harry était en quelque sorte amoureux de lui. De la part de Hermione Granger, c'était possible, mais pas de Drago Malfoy. Et il n'aurait certainement pas pensé avoir une conversation cœur à cœur, avec le fils du partisan le plus loyal de Voldemort.
Le monde avait eu un sens. Severus se demanda ce qui lui était arrivé.
« Severus- »
« Que voulez-vous que je fasse, Drago Malfoy ? »
Drago fut surpris et le regarda avec méfiance, « Ce n'est pas une sorte de piège, hein ? »
« Non. Après tout ce qui a été dit, je vous demande, ce qu'à votre avis je dois faire. »
Ils se regardaient, Severus se demanda si Drago allait dire ce qu'il avait dans la tête.
« Je lui parlerais. » Répondit finalement Drago en regardant Severus droit dans les yeux. « Si vous ne souhaitez vraiment pas être avec lui, alors je lui dirais la vérité. Vous le lui devez. Si vous ressentez un peu de ce qu'il ressent et si vous voulez être avec lui, malgré vos inquiétudes, je lui en parlerais aussi. Je lui parlerais de toutes vos peurs. Et après je le laisserais choisir, en sachant tout. Vous vous devez cela à vous aussi. »
Drago avait dit tant de choses que Severus savait qu'il devrait les analyser plus tard, quand il serait à nouveau seul et qu'il aurait tout le temps dont il avait besoin. Pour l'instant il était curieux et voulait savoir. « Pourquoi vous en souciez-vous ? »
« Parce que je ne suis pas ce que mon père essayait de faire de moi. » Répondit Drago doucement. « Et parce que je sais ce que c'est de rêver. » Il s'arrêta, ses yeux gris recherchaient du sable brillant, « Si vous regardez dans l'obscurité et souhaitez de tout cœur que quelqu'un vienne et la chasse, regarde au-delà de tout ce que vous avez fait, vous pardonne et vous aime à cause de cela et non en dépit, vous voit ; vous aime ; alors vous comprendrez pourquoi.
« L'absolution vous tend la main. L'accepterez-vous ? Ou vous laisserez-vous de couler ? »
Pour la première fois, Severus vit ce qu'était réellement Drago. Et il le vit comme un fantôme venu dire son adieu final, ce que Lucius aurait pu être si les choses avaient été différentes, si d'autres choix avaient été faits. Serais-tu fier de lui si tu le voyais maintenant ? J'aimerais croire que tu le serais. Il trouvera peut-être un moyen de rendre son honneur au nom des Malfoy et de purifier le sang que tu as souillé. Drago ne broncha pas sous le regard intense de Severus et permit au maître des potions de voir à travers les murs qu'il s'était construit autour de lui, ses yeux clairs et confiants. L'ombre d'un sourire étira les lèvres fines de Snape.
« Vous m'avez impressionné, Monsieur Malfoy. » Cette fois il n'y avait pas de sarcasme, ni de dénigrement dans la prononciation de son nom. A la place, il y avait une légère nuance de respect. Severus vit la surprise dans les yeux de Drago. « Je lui parlerai. »
Drago sourit, le soulagement se vit sur son visage. « Merci, seigneur, finies ces maudites histoires. »
Severus suspectait que le soudain humour de Drago avait pour but de cacher ce qu'il ressentait vraiment et Severus sourit satisfait et joua, « Je déteste détruire vos illusions, Monsieur Malfoy, mais vous devriez savoir que d'une manière ou d'une autre, il y aura plus d'histoires. »
« Je ne sais pas ce qui est pire : plus de gémissements et de pleurs ou de détails dont je n'ai nul besoin de me représenter. » Marmonna Drago, légèrement horrifié. « En y repensant, oubliez tout ce que j'ai dit. »
Severus sourit, un vrai sourire, amusé par l'image de Drago face à Harry qui évidemment lui racontait une autre longue et indésirable histoire très détaillée. Il provoqua l'étonnement de Drago qui le regarda avec des yeux écarquillés. « Oh pour…je suis humain. Combien de fois dois-je le dire aux gens ? »
« Severus ? »
« Quoi ? »
« Pensez-vous… » Drago se tut, incertain, incapable de continuer. Les mots n'étaient pas vraiment nécessaires. Severus comprit la question en regardant dans ses yeux. Cela pourrait-il vraiment me faire du mal ? J'ai survécu à un odieux Gryffondor. Une personne de ma propre maison…Sa rêverie fut interrompue par une autre pensée qui attira son attention. Est-ce ma chance d'avoir ta rédemption ? Je n'ai pas pu te sauver. Ai-je maintenant l'occasion de sauver ton fils ? Severus trouva soudain que la réponse à la question de Drago ne lui coûtait pas autant qu'il l'avait pensé au premier abord.
« Merveilleux. » Grogna Severus en feignant l'ennui, « Plus d'amis. Voilà justement ce dont je n'avais pas besoin. »
« Je n'aurais plus peur de vous maintenant, vous savez cela ? » Lui signala Drago avec un sourire satisfait. « Je descendrai dans votre bureau, je vous harcèlerai à propos de mon boulot, je me cacherai de Potter quand il me parlera jusqu'à ce que je ne l'entende plus et je ferai de votre vie un véritable enfer. »
« Ne tombe pas amoureux de moi. » Reprit Severus pince sans rire. « Un Potter est suffisant. »
« Mais Severus. » Drago pâlit et devint sérieux. « N'as-tu pas deviné pourquoi j'étais si inquiet quand je t'ai vu ce matin ? »
Severus eut l'étrange impression de sentir les muscles de son visage se ramollir et sa mâchoire s'ouvrir d'une façon inélégante. La gravité de l'expression de Drago se dissolu et il se mit à rire. « Oh, c'était inestimable. Si tu avais pu voir ton visage ! »
Il referma la bouche et ses yeux se plissèrent dangereusement. « Je regrette déjà ma décision de vous tolérer, Monsieur Malfoy. Dehors. »
Drago se reprit, avec ce que Severus constata, beaucoup de difficulté, « En parlant de cela… » Il redevint sérieux et son hilarité s'estompa. « A ton avis, qu'est-ce que c'était ? »
Severus secoua la tête, soudain mal à l'aise et cela se logea au niveau de son estomac qui ne s'était pas encore rétabli, « Tout ce que je sais c'est que ce n'était pas moi. Je ne suis pas sorti des cachots ce matin. »
« Je te crois. Mais je ne sais pas ce que c'était si ce n'était pas toi. »
« Un épouvantard ? » Suggéra Snape. « Ce ne serait pas la première fois qu'un épouvantard prendrait ma forme pour effrayer quelqu'un. » Le souvenir de cette débâcle lui restait encore en travers de la gorge.
Drago secoua la tête. « Ca ne pouvait pas être un épouvantard. Potter n'était pas effrayé par toi, juste pour toi. Et il aurait changé d'apparence pour me faire peur à moi aussi puisque j'étais juste à côté de lui. Mais non. De plus, il n'y avait rien près de nous qui aurait pu contenir un épouvantard. »
Cette idée discréditée, Severus en proposa d'autres, « Je ne pense pas que ce soit quelqu'un ayant pris du polynectar. Personne n'est entré illégalement dans mes quartiers, personne ne m'a tiré les cheveux ou ne m'a fait saigner. Et l'image aurait été la mienne maintenant et non celle que tu m'as décrite. » Il réfléchit quelques instants, « Une illusion, peut-être. »
« Non, »Drago rejeta la théorie. « C'était trop réel pour avoir été une illusion. Et quel but cela aurait-il servi ? Personne ne sait ce que ressent Potter, donc on ne peut pas avoir voulu lui faire une blague. Non, je sais que ce n'était pas une illusion. C'était trop réel. Je ne sais pas comment le décrire autrement. Ca paraissait réel. »
Severus n'avait plus d'idée. « J'admets que je suis à court d'explication. »
« Et Dumbledore ? »
Severus grimaça et plissa les yeux. « Je ne fais plus autant confiance en Albus qu'autrefois. »
« Pourquoi ? »
« Il joue avec moi et je ne suis pas sûr qu'il le fasse pour une bonne raison. Peut-être qu'avec toi il sera plus ouvert, je ne sais pas. »
« Est-ce que je dois lui parler ? »
« C'est toi qui vois. » Severus haussa les épaules. « Peut-être auras-tu plus de succès à discuter avec lui que moi. ».
« Et bien, c'est un début en tout cas. Il est ici depuis plus longtemps que nous. Peut-être a-t-il vu ou entendu quelque chose qui nous aura échappé. »
« Puisses-tu avoir plus de succès avec lui que je n'en ai eu. » Dit Severus sombrement
« Je te raconterai ce que je découvre. » Lui promit Drago en se levant.
Severus acquiesça. « Prends ton temps. »
Drago était à mi-chemin de la porte quand il se retourna et regarda Severus dans les yeux, « Merci. » Pour avoir écouté. Pour m'avoir parlé. Pour ton honnêteté. Pour avoir accepté de lui parler. Il n'en dit pas plus, mais Severus les lu dans ses yeux, aussi bien que s'il leur avait donné voix.
Il inclina la tête, « Vous êtes le bienvenu, Monsieur Malfoy. »
La porte se ferma derrière son ancien élève, Severus sentit les sentiments et les pensées qu'il avait comprimées pendant leur conversation peser sur son esprit et demander attention. Il se donna quelques heures pour réfléchir. Severus eut un dernier écho à ses pensées : par les neufs enfers, où le monde va-t-il ?
