- Toi aussi ?

Je me retournais vivement, le cœur battant à tout rompre, vers la personne qui m'avait parlé. C'était la fille rousse aux yeux verts qui avait été assise à ma droite.

- Moi aussi quoi ? réussissais-je à articuler.

- Tu as l'impression, toi aussi, de ne pas être où tu devrais être ? demanda la fille en baissant la voix et en s'approchant de moi.

Je la regardais perplexe. Je n'étais pas la seule… Et une pincée de soulagement tomba sur mon angoisse.

- Exactement, murmurais-je à la fille. Pour tout te dire, je m'appelle Jeanne, je suis née le 5 mars 1988 et j'habite à Dunkerque…

La rousse sembla frappée par un éclair, puis sourit et mis ses mains sur mes épaules.

- Jeanne ? C'est moi, Jordane ! s'exclama-t-elle.

- Jordane !?

Ma cousine préférée, je n'aurais pas pu mieux tomber ! J'éclatais presque de rire tellement j'étais soulagée.

- Oui ! juste avant de me retrouver ici, j'étais dans ma chambre en train de fantasmer sur Daniel Radcliffe…

- Comme toujours, ajoutais-je avec un petit sourire.

Nous regardâmes autour de nous.

- Jordane, tu crois que nous nous sommes retrouvées à…

- … à Poudlard… Il ne faut pas se voiler la face, ça se voit… ça n'a rien à voir avec le film…

- Il faut à tout prix qu'on en parle à quelqu'un ! m'exclamais-je, paniquée. On ne peut pas rester là comme ça à rien faire !

- Jeanne, à qui faut-il s'adresser quand on se retrouve dans un monde créé par l'imagination débordante d'une femme et qu'on est dans le corps d'un des personnages ? demanda Jordane.

- Dumbledore, répondis-je aussitôt. Ecoute, on va chercher la statue de son bureau dans l'école et on va attendre que le repas soit terminé. On lui dira toute la vérité.

Nous fouillâmes tout le premier étage sans découvrir aucune statue de griffon. Nous étions en train d'inspecter le deuxième étage quand Jordane demanda :

- A ton avis, nous sommes dans les corps de qui ?

Je réfléchis un petit moment.

- Tout ce que je peux te dire, c'est que nous sommes à l'époque où Sirius est encore à l'école. Je l'ai vu, expliquais-je, en rosissant légèrement. Toi, Jordane, vu la couleur de tes yeux et celle de tes cheveux, je ne pense pas me tromper en disant que tu es dans le corps de Lily Evans…

- OK, dit Jordane en souriant. Je vais donc devoir détester James…

Je souris.

C'était très étrange : en même temps, j'avais l'impression qu'à tout moment, j'allais m'évanouir de peur et d'angoisse, mais je me sentais aussi pleine de curiosité et d'excite ment. Je ne savais pas du tout ce qui m'arrivait, et ça me stressait et m'amusait en même temps. Très étrange sentiment à traduire sur papier…

- Et toi ? demanda Jordane pendant que nous montions un escalier vers le troisième étage.

Je remarquais alors pour la première fois que j'avais de longs cheveux fins, lisses et noirs.

- Tes cheveux sont noirs, tes yeux bleus… tu es à Gryffondor… mais je ne vois pas du tout qui tu peux être… dit Jordane.

- La fille à côté de moi m'a appelée Janet… et je n'ai jamais entendu parler de Janet dans les bouquins… Regarde ! m'exclamais-je soudain. C'est la statue du griffon !

Nous nous précipitâmes vers la statue.

- Oh non, il fautle mot de passe…

Toutes les deux, nous essayâmes pendant plus d'une heure de trouver le mot de passe. Au bout d'une heure et demi, je remarquais un badge sur la cape de Jordane et m'exclamais :

- Tu es préfète, tu dois connaître le mot de passe !

- Mais Jeanne, je ne suis jamais venue à Poudlard, moi !

Jordane, désespérée, enfonça ses mains dans ses poches et en sortit un petit livret : « Mots de passe et passages secrets de Poudlard ; édition destinée aux préfets ».

Excitée de la découverte, Jordane prononça d'une voix mal assurée le mot de passe, Crottes de bique en sucre. Aussitôt, un escalier de pierre en colimaçon se révéla à nos yeux, et, tremblantes, nous montâmes les marches.

Je frappais trois petits coups sur la porte en chêne, et une voix de vieil homme plein de gaieté nous invita à entrer. Peu sûres de nous, nous entrâmes dans le célèbre bureau du Professeur Dumbledore.

Rien à voir avec le film. C'était encore plus grand, plus riche et plus bizarre que tout ce que les films Harry Potter nous avaient fait voir et imaginer. Fumseck, perché sur un magnifique perchoir doré, était plus beau, plus brillant et plus confiant que ce que nous avions pu penser. Et derrière le bureau, debout, observant un grand parchemin, se trouvait Dumbledore.

Ce dernier leva les yeux vers nous.

- Miss Potter, qu'est-ce qui vous amène dans mon bureau, en compagnie de Miss Evans ? Je vous ai dit qu'à la prochaine bêtise de votre frère, je n'étais pas sûr de pouvoir le sauver de l'exclusion…

Voyant qu'il était difficile pour Jordane d'ouvrir la bouche (elle était devenue toute blanche), je pris courageusement la parole.

- Pro… professeur Dumbledore, nous… cela va vous sembler étrange, mais nous ne sommes pas celles que vous pensez que nous sommes…

Dumbledore, perplexe, roula le parchemin, s'installa dans son fauteuil, puis me demanda de continuer. Mais comme je commençais à bégayer, Jordane se ressaisit et prit la parole.

- Nous… nous nous sommes retrouvées dans le corps de… personnes que nous pensions fictives. Je m'appelle en réalité Jordane Denis, et voici ma cousine, Jeanne Beauchamp.

- Jeanne Beauchamp, vous dîtes ? s'étonna Dumbledore.

- Ou… oui…

Dumbledore n'eut pas l'air étonné pour deux sous. Il lâcha la plume avec laquelle il était en train d'écrire, s'appuya sur le dossier de son fauteuil et plongea ses yeux bleus dans les nôtres.

- Désolé de vous l'apprendre de cette façon, mais… mais dans 'notre' monde, vous deux faîtes partie d'un roman à succès écrit par un sorcier, Adalbert Lucindius. Vous en êtes les personnages principaux, surtout vous, Jeanne…

J'écarquillais les yeux, et Jordane demanda :

- Vous… vous nous croyez ?

- Bien sûr, répondit Dumbledore en souriant. Il faut que vous sachiez que dans ce monde-ci, j'ai déjà eu affaire à des… 'transpositions inter-dimensionnelles'… Moi-même, je me suis déjà retrouvé une semaine dans le corps de Robinson Crusoé… D'ailleurs, je suppose que dans votre univers, je fais partie d'un quelconque best-seller, non ?

- Oui, répondis-je. Une série de livres écrits par ce que vous appelleriez une Moldue, Joanne Rowling. Le héros en est Harry Potter et…

- Harry Potter... ? coupa Dumbledore. Jamais entendu parler...

- C'est parce qu'il ne naîtra qu'en 1980, expliqua Jordane. Il sera le fils de…

- Ne me dîtes rien, Mademoiselle… demanda Dumbledore en souriant. Je ne veux pas savoir ce qui se passera dans je ne sais combien d'années… Par exemple, moi-même, ayant lu une douzaine de fois les œuvres d'Adalbert Lucindius, je sais comment se déroulerons pour vous les vingt années à venir, et pourtant je me refuse de vous dire quoi que ce soit…

Il se leva et chercha un livre dans ses étagères. Moi et Jordane nous regardâmes.

- Est-ce que cela voudrait dire que chaque monde dans lequel nous vivons, est issu de l'imagination de quelqu'un ? demandais-je au bout d'un moment.

- Oui et non. Certains grands sorciers, penseurs, ont essayé de trouver des solutions à ce problème, mais c'est basé sur tant d'hypothèses, sur tant d'incertitudes, qu'aucune n'est réellement plausible. Quoi qu'il en soit, il est impossible de déterminer le temps pendant lequel vous serez coincées ici, et combien de temps Lily et Janet seront coincées dans un monde peuplé de Moldus qui ne croient pas à la Magie…

Il prit un gros grimoire dans ses mains, se réinstalla à son bureau et feuilleta les pages, tout en expliquant :

- Il va sans dire que mes élèves se sont retrouvées dans votre monde, sans Magie… pour l'instant. Mais connaissant le déroulement des livres, elles devront se débrouiller. Elles vont réussir. Quant à vous, vous serez obligées de vous conduire avec vos amis de quelques instants comme vos… 'personnages'… je vous donnerais dans quelques instants les dossiers que j'ai sur eux… Peut-être ne resterez-vous que deux heures, ou peut-être deux ans… Je… Ah voilà !

Il s'interrompit et pointa le titre d'une page du grimoire.

- Transposition inter-dimensionnelle et faits. Je vais vous lire ce qui vous attend:

« Une transposition inter-dimensionnelle est… blablabla… Généralement, les transpositions sont dues à un fait très rare où le même nombre de personnes pensent en même temps au même univers. Une fois fait, ils se retrouvent dans le corps du même nombre de personnes qui pensaient justement à l'univers des premiers en même temps… C'est un fait tellement difficile à obtenir que seules un nombre réduits de personnes y ont pensé.

Les personnalités doivent avoir une idée la plus précise possible des gens à qui ils ont emprunté le corps. Moins le nombre de personnes au courant de la transposition est nombreux, mieux c'est. Il faut également les instruire de ce qu'il faut et ne faut pas faire dans ce monde qu'ils ne connaissent peut-être pas du tout, et les interroger sur ce qu'ils savent de l'endroit où ils ont atterris. Il faut les prévenir également que, quoiqu'il fasse, le déroulement de l'histoire est le même que si les vrais personnages n'avaient pas quitté leurs corps. Bref, rien ne change à l'histoire. Les transposés sont dans le corps de leur personnage parce qu'ils ont la même personnalité et la même façon de réagir…

Le temps de la transposition est indéfinissable. Un cas a été recensé comme quoi deux hommes transposés chacun dans le monde de l'autre sont restés quatre-vingt cinq ans, trois mois et deux semaines dans le monde auquel ils n'appartenaient pas. Cela tient tellement du hasard qu'il est impossible de savoir quand les occupants d'origine des corps reviendront dans leur monde. En effet, il ne suffit pas qu'une autre 'double pensée collective' aie lieu. Cela tient à tellement de paramètres différents, inconnus, qu'il faut prendre son mal en patience et attendre. On sait par contre qu'une fois de retour, la mémoire de ce qui s'est passé durant leur absence leur est donnée. En tout cas, il est certain que les transposés ne puisse mourir ou créer la mort de quelqu'un dans une autre dimension… » Le reste ne parle que de faits recensés dans notre monde.

- On ne peut pas provoquer la mort de quelqu'un ? demanda Jordane.

- Non. Ou bien, vous pouvez essayer de convaincre quelqu'un d'autre qu'un transposé à tuer la personne voulue. En tout cas, vous pouvez horriblement souffrir, vous blesser, perdre la vue et d'autres horreurs du genre… Vous projetiez de tuer quelqu'un, Mademoiselle ?

Jordane défia Dumbledore du regard et répondit :

- Oui. Les choses auraient été beaucoup plus simple dans le futur.

- Et puis-je savoir qui aurait eu droit à un tel sort ?

Jordane hésita, eut une grimace de dégoût, puis répondit :

- Peter Pettigrow. Sans lui, le héros de nos livres ne serait plus un…

- … héros puisqu'il n'y aurait plus lieu de faire un roman, n'est-ce pas ? Est-ce que je me trompe ? coupa Dumbledore en regardant sérieusement Jordane au-dessus de ses lunettes en demi-lune. Vous ne pouvez pas influencer sur l'histoire. Si vous aviez essayé de le tuer, ça n'aurait pas marché. Mais je me souviendrais qu'il faudra me méfier de Mr Pettigrow. Bien, maintenant, suivez-moi, nous allons aller chercher les dossiers de vos hôtes.

Il se leva, et nous le suivîmes dans un labyrinthe de couloirs derrière une des portes de son bureau. Dumbledore nous expliqua que ce 'labyrinthe' était les appartements du Directeur et que tous les dossiers secrets, le grimoire où la plume magique écrivait les nouveaux sorciers nés, l'histoire entière de Poudlard, des témoignages du passé et les objets les plus précieux et dangereux de l'école étaient entreposés.

Au bout d'une dizaine de minutes de marche, nous arrivâmes devant une grande double-porte en chêne. Dumbledore l'ouvrit et nous nous retrouvâmes dans un immense espace sombre, s'étendant à perte de vue.

- Année 1971, s'il-vous plaît ! déclara Dumbledore en regardant droit devant lui.

Aussitôt, la pièce s'éclaira et des grandes étagères de bibliothèque apparurent sous leurs yeux. L'une d'elle avait, gravé dans le bois en lettres dorées, l'année 1971 indiquée. Dumbledore se dirigea vers l'étagère. Elle était divisée en 4 rayonnages : un vert, un rouge, un jaune et un bleu, chacun représentant une Maison, et les dossiers étaient rangés en ordre alphabétique. Un dossier dans les E et un autre dans les P se retrouvèrent dans les mains de Dumbledore.

Nous retournâmes au bureau du professeur et celui-ci distribua les dossiers.

- Lisez-les attentivement et ne les montrez sans aucun prétexte aux autres élèves. Ils ne sont pas censés être au courant de l'existence de ces dossiers. La salle commune se trouve au bout du couloir de droite, prenez l'escalier, deux étages plus au-dessus et au fond du corridor du gauche. Le mot de passe est va dans le métro, satanas. Je vous souhaite bonne chance et bienvenues à Poudlard…

Moi et Jordane sortîmes du bureau, ne sachant pas si nous devions être heureuses que quelqu'un nous croit ou terrifiées à l'idée du temps possible où nous resterions coincées, loin de nos familles, de nos amis et de nos vraies vies.

De plus, pendant un temps indéterminé, nous devions conduire les vies d'autres personnes que nous mêmes… et d'autres personnes prendraient le contrôle des nôtres.