Severus Rogue était satisfait d'être revenu à bon port, presque autant que d'avoir retrouvé un habillement respectable. Pour cela à vrai dire, il ne lui avait fallu qu'un petit coup de baguette car ce n'était pas la première fois qu'il procédait ainsi pour dire vrai.

Cependant, juste à côté de lui, Gilda Marty s'était effondrée et tentait désespérément de contrôler les battements chaotiques de son cœur, effet secondaire du transplannage qu'il lui avait proposé.

Non, qu'il lui avait imposé plutôt… Et on ne pouvait nier qu'elle l'avait très mal encaissé au vu de son visage décomposé et de son impossibilité à tenir debout après cela. Visiblement, elle faisait partie de cette catégorie de sorciers fragiles face au transplannage.

Severus vérifia d'un coup d'œil que personne d'autre n'avait rien. Mais, mis à part la jeune femme qui était assise toute pâle sur l'herbe, de toute évidence très proche de faire un malaise, tout le monde était indemne : les deux enfants avaient même parfaitement supporté la chose.

Aussi le maître des potions se redressa avec une once de fierté qu'il dissimula de son mieux, en effet rares étaient les sorciers capables d'emmener plus d'une personne à la fois en transplanage d'escorte...

Moon boudait toujours, en leur tournant le dos de manière ostentatoire, et Sebastian surveillait sa mère tout en jetant de temps à autre un regard affligé à sa capricieuse petite sœur.

Severus, lui, se sentait progressivement de plus en plus troublé. Il n'y connaissait peut-être rien à l'art de la parentalité, mais il savait que ce n'était pas vraiment normal pour un garçon de sept ans de jouer l'homme de la maison. Le professeur Marty n'aurait-elle pas eu le devoir de se reprendre pour ses enfants?

Toutefois c'était bien lui et non sa collègue qui avait insisté pour transplaner, afin d'éviter le bus tout en menant sa mission à bien. Et dire qu'il pensait ainsi gagner du temps...

Comme pour chasser la vague de culpabilité qui s'immisçait dans son esprit, il marmonna d'une voix audible:

- L'heure du repas approche Gilda, je crois qu'il serait préférable de rentrer nous préparer pour pouvoir rejoindre les élèves à l'heure dans la Grande Salle.

La jeune femme hocha la tête et se releva péniblement, le visage complètement livide. Elle se traîna jusqu'au portail pour s'y adosser et Severus trouva étonnant qu'elle n'ait pas encore vomi.

Comme il n'avait pas le moins du monde envie que cela arrive, il prit soudain une décision aussi radical qu'unilatérale et pointa sa baguette sur Gilda:

- Je vais arranger cela, dit-il.

Comme la jeune femme lui lançait un regard interrogateur et vaguement inquiet, Severus s'écria :

- Aguamenti!

Il projeta ainsi avec sa baguette un véritable geyser sur Gilda Marty, qui ne put l'éviter et se retrouva instantanément trempée de la tête aux pieds. Elle retomba par terre avec une exclamation et lui lança un regard complètement effaré.

Mais au moins elle reprenait quelques couleurs :

- Mais ça ne va pas ?! Souffla t-elle horrifiée en se voyant toute mouillée, ainsi que les affaires qu'elle venait d'acheter.

Par délicatesse, et conscient d'y être peut-être allé un peu fort, Severus s'empressa de prononcer une formule de séchage qui ébouriffa les cheveux de sa collègue mais remit au moins les chose à peu près en ordre, puis il contempla son œuvre d'un air satisfait...

Avant de pousser un cri de douleur en sentant une rangée de crocs plantés avec vigueur dans son mollet droit...

Sebastian s'était jeté sur lui au moment où il avait pointé une seconde fois sa baguette sur Gilda et il avait entrepris de lui mordre la jambe jusqu'au sang. Severus sursauta en poussant un cri, il voulut se débarrasser de l'enfant d'un coup de son autre pied mais reçut soudain un projectile dans l'oreille.

Non, pas un projectile, un bon coup de poing qui le laissa sonné.

- Espèce de...! s'écria Gilda Marty qui s'était relevée et le poussa ensuite pour le faire tomber par terre.

Comme il avait réussi à se débarrasser de Sebastian, elle lui asséna un second coup, cette fois-ci sur l'arcade sourcilière. Severus tomba dans l'herbe et se reçut comme il le put. Cependant, sa baguette était toujours dans sa main et il jeta à l'aveugle un sort de désarmement qui atteignit sa cible. Gilda Marty fut projetée dans les airs et vola quelques mètres plus loin tandis que sa propre-baguette tombait sur le sol.

- Sombre idiote, et petit crétin vicelard... Marmonna le Maître des potions en se relevant. Ne comptez plus sur moi pour vous aider à partir de maintenant!

- Personne ne vous l'a jamais demandé, répliqua Gilda Marty tout aussi furieuse. Et d'ailleurs je me demande bien ce qui vous a pris !

Elle s'était relevée et avait couru vers son fils pour s'assurer qu'il allait bien. Mais à son visage soudain hésitant et contrit lorsque leurs regards se croisèrent à nouveau, il devina qu'elle regrettait un peu son geste.

Moon, à la surprise générale, lui ramena sa baguette qu'elle avait ramassée sans que personne ne s'en aperçoive. Gilda Marty la saisit d'une main tremblante et s'empressa de la ranger.

- Pourquoi Dumbledore vous a t-il chargé de m'espionner ? Demanda t-elle sèchement à Severus.

- Il s'inquiète pour vous, répondit le Maître des potions. Et à raison je pense, avez-vous seulement réalisé à quel point vous étiez vulnérable, toute seule dans cet endroit ?

- Vulnérable ? répliqua t-elle estomaquée. Mais est-ce que vous savez combien de moldus font leurs courses chaque jour ?

Severus soupira d'exaspération face à une telle bêtise. Pareille inconscience était-elle seulement possible ?

- Vous n'êtes pas une moldue anonyme, Gilda, répliqua t-il froidement car il contrôlait de plus en plus difficilement son agacement. Vous êtes une sorcière de sang-pur, qui plus est une enseignante de Poudlard, et une cible potentielle pour un bon nombre de personnes. Pourquoi croyez-vous que vos enfants sont sous la protection de l'Ordre ?

- Je n'ai pas de… Que dîtes-vous ?

Severus vit ses yeux s'écarquiller sous l'effet de ses paroles. Il réalisa alors qu'elle ignorait le présence de Black et Lupin dans l'école de ses enfants jusqu'alors. Dumbledore avait-il bien négligé de la tenir au courant ? Mais pourquoi diable ?

Par Merlin, il enchaînait les gaffes aujourd'hui !

- Vous m'avez entendu je pense, répondit-il d'un ton mesuré à la jeune femme, surtout soucieux d'éviter qu'elle le questionne sur lui-même à présent. Mais je pense que vous devriez avoir une petite conversation avec le Professeur Dumbledore. Et, à y être, dîtes-lui que Dolores Ombrage vous suivait cet après-midi… Je pense honnêtement qu'il faut qu'il le sache.

Pâle et troublée, elle hocha la tête et tourna les talons avec ses deux enfants. Severus savait que ses révélations l'avaient ébranlée mais il n'arrivait pas à le regretter, d'autant qu'il était encore furieux qu'elle ait osé le frapper à deux reprises sans la moindre hésitation.

L'idée qu'elle ait pu s'en prendre à lui simplement pour protéger Sebastian et Moon traversa son esprit mais il la chassa immédiatement. Son orgueil ne pouvait de toute manière tolérer une telle chose. Comme le disait son défunt père : « il était un homme, merde ! ».

Il attendit que Gilda Marty et ses deux enfants ne soient plus qu'une tache tout près des portes du château pour se remettre en route lentement en se massant le visage.

Nom d'un Hippogriffe! Cette femme-là avait une bonne force de frappe!

S'il n'avait pas encore de coquard, nul doute que cela ne tarderait pas, alors il ne valait mieux pas traîner pour regagner ses appartements. Là-bas il pourrait se soigner efficacement.

Severus franchit le portail et se dirigea d'un pas vif vers ses appartements pour s'y changer, vérifier que son visage n'avait pas pris de coup et y remédier si nécessaire, puis se verser un bon whisky avant le repas.

Fort heureusement, les couloirs étaient déserts ce qui signifiait que les élèves étaient soit encore en cours, soit dans leur salle commune et le Maître des potions ne croisa personne jusqu'aux cachots dans lesquels il s'enferma à double tour.

La glace de sa salle de bain confirma ses craintes : Elle l'avait complètement défiguré et deux gros hématomes commençaient à marquer son visage. On aurait dit un catcheur, ou plutôt un de ces ivrognes amis de son père lorsqu'ils s'échauffaient et que le ton montait entre eux dans l'Impasse du Tisseur. Et Severus savait très bien ce qu'il disait puisqu'il avait assisté à nombre de bagarres lorsqu'il était enfant ou adolescent.

Avec un soupirs las, il passa dans sa chambre, sortit une robe propre de son armoire et commença à enlever sa cape.

Trois coups secs résonnèrent soudain à la porte:

- Quoi encore ? Demanda Severus avec une vive irritation.

La voix d'Albus Dumbledore s'éleva derrière le battant:

- Severus, vous voulez bien m'ouvrir? J'ai besoin de vous parler rapidement.

Severus sentit la fureur l'envahir et le sang quitter son visage en même tant qu'il... Gilda Marty n'avait quand même pas eu le culot d'aller se plaindre!

- C'est elle qui a commencé... Et qui a fini. Se contenta t-il de répondre d'une manière assez laconique.

Il espérait que cette explication simple suffirait à faire quitter les lieux au directeur, cependant il en fut pour ses frais :

- Severus, reprit Albus Dumbledore de l'autre côté du battant. Je serais vraiment désolé de devoir abîmer la porte de vos appartements...

- C'est bon, j'ouvre, répondit-il sur un ton agacé.

Le Maître de potions poussa brusquement le battant en espérant bousculer Albus au passage. Malheureusement pour lui, le directeur était habitué à ces écarts d'humeur et il avait pris soin de s'écarter de deux ou trois pas.

- Qu'est-ce qu'il y a? Demanda Severus avec mauvaise humeur.

- J'en déduis que oui, répondit d'une voix douce le directeur de Poudlard. Il s'est effectivement passé quelque chose avec Gilda Marty. Severus je viens de la croiser dans le couloir, elle était en larmes.

- Et en plus elle pleurniche… Répliqua t-il sur un ton méprisant.

Le Maître des potions était hors soudain de lui, cette femme n'avait même pas eu le courage d'assumer ses propres actes!

- Oui Severus, répondit doucement Dumbledore. Et comme elle a refusé de m'expliquer pourquoi, je pensais que vous pourriez éventuellement... Qu'est-ce que vous avez au visage?!

- Les souvenirs de deux pêches en pleine poire, Monsieur le directeur.

- Vous êtes complètement défiguré, constata celui-ci.

- Sans rire.

Severus sentit une partie de sa fureur retomber face à l'explication de Dumbledore qui eut la délicatesse de ne pas rire en effet, même si cela semblait être difficile pour lui. Il se contenta de lui demander sur un ton inquiet :

- Que s'est-il donc passé?

- Le Professeur Marty n'a pas apprécié le transplanage, répliqua Severus de mauvaise foi. Et comme je voulais lui éviter de vomir, j'ai pensé qu'un peu d'eau fraîche sur le visage lui ferait de bien. Sauf que son fils est devenu d'un coup complètement fou et m'a mordu la jambe… Là dessus elle me frappe à deux reprises, m'insulte et s'en va complètement furieuse.

- Un peu d'eau fraîche sur le visage? S'étonna Dumbledore sur un ton circonspect. Pouvez-vous détailler un peu ?

Severus comprit avec exaspération qu'il lui faudrait plaider autrement :

- Bon d'accord, dit-il avec un soupir furieux . Je lui ai envoyé un Aguamenti à la figure, ce n'était peut-être pas très fin mais je voulais juste pour la faire réagir parce que je n'avais pas envie de la ramener inconsciente au milieu du repas!

- Vous l'avez donc trempée de la tête aux pieds ?

- Et je l'ai tout de suite séchée! Répliqua Severus piqué au vif. Ce n'est pas ma faute si le petit muet a cru que j'agressais sa mère et qu'il a eu l'idée de me mordre par surprise! Et puis d'ailleurs il n'y a que moi de blessé dans l'affaire que je sache!

Dumbledore poussa à son tour un soupir las :

- Votre Aguamenti Severus, dit-il en articulant de manière presque exagéré, comme s'il s'était trouvé face à un enfant récalcitrant. Était-il aussi puissant que celui que vous avez utilisé pour nettoyer le grand miroir de la tour d'astronomie?

- A peine plus…

Severus, en retour, regarda le vieil homme avec un air faussement contrit qui sentait bien son ironie.

- Je vois, marmonna le directeur à présent franchement atterré. Et après cela vous vous offusquez d'avoir pris des claques ? Severus vous êtes vraiment l'homme le plus rustre qu'il m'ait été donné de côtoyer.

- Épargnez-moi vos sarcasmes Albus, répliqua le Maître des potions. Je vous signale quand-même que, de mon côté, je n'ai pas appris à mes enfants à mordre les inconnus.

- Vous n'avez pas eu d'enfants Severus.

La réplique d'Albus était nette, tranchante et presque froide. Le directeur de Serpentard ne put s'empêcher de ressentir un poids dans sa cage thoracique lorsqu'il prononça ces paroles. Il ne les avait pas vues venir et, pourtant, il devait bien s'avouer que cette réponse aurait été évidente pour n'importe qui.

Mais le directeur osait-il vraiment se permettre de lui rappeler une incompétence en la matière, alors qu'il gérait toute l'année les marmots des autres ?

Aussi injustifié que cela puisse paraître, Severus était à nouveau furieux contre Albus Dumbledore. Celui-ci croyait peut-être que c'était par choix qu'il n'en avait pas eu lui-même ? Qu'il n'en avait pas souvent rêvé ado ? Qu'il n'avait pas imaginé leur descendance dès le moment où il l'avait rencontrée ?

Elle, la seule personne à avoir jamais fait battre son cœur…

Severus savait que sa colère était parfaitement irrationnelle et que les propos d'Albus n'auraient pas du le mettre dans un tel état. Mais lui, qui devait côtoyer tous les jours le fils que son pire ennemi avait fait à la femme qu'il aimait depuis sa plus tendre enfant, avait une corde sensible sur laquelle le directeur venait de tirer. Quant-à savoir si c'était fait exprès...

Il ne se demanda même pas s'il l'avait fait exprès d'ailleurs. D'autant qu'en ce moment, ses contacts avec Potter étaient de plus en plus chaotiques.

Tout à ses états d'âmes, il mit plusieurs secondes à s'apercevoir qu'il avait eu une absence. Albus Dumbledore le regardait à présent avec une franche inquiétude.

- Tant de délicatesse et de tact sont tout à votre honneur Albus, répondit Severus avec une once de froideur.

Le directeur parut quelque peu gêné mais il répondit calmement:

- Je suis navré Severus, je ne voulais pas vous offenser mais seulement vous ramener à une certaine indulgence.

- Dans ce domaine, répliqua t-il. C'est vous et non moi qui êtes le spécialiste. Nous le savons depuis des années à présent…

- Ces choses-là peuvent s'acquérir Severus, ne serait-ce que pour ne pas vous mettre dans l'état où vous êtes.

- Je suis désolé Albus, répliqua t-il d'une voix polaire. Mais l'indulgence n'est pas une discipline dans laquelle je souhaite me perfectionner. Je n'ai ni les codes, ni la patience, ni même la souplesse d'esprit nécessaire à cela.

- Votre esprit vaut bien largement celui de n'importe quel autre Severus.

- Mon esprit est ce qu'il est, répliqua t-il. Avec ses dispositions, ses manières de fonctionner… Et pour les missions que vous me confiez, je pense qu'il fait largement l'affaire. Je vous rappelle que je ne suis pas à votre service pour coudre de la dentelle.

Et sur ces mots, Severus s'enferma dans son appartement et, si possible, dans ses pensées. Il n'avait pas envie d'entendre le directeur le sermonner plus longtemps… Non, en fait c'était même intolérable à ses yeux et il se sentait terriblement vexé. Dumbledore allait beaucoup trop loin avec ses paroles moralisatrices.

- Oups... Marmonna le directeur de Poudlard de l'autre côté du battant, visiblement après plusieurs secondes de réflexion. Moi qui voulais lui parler de cette histoire avec Dolores Ombrage…

Severus l'entendait depuis l'intérieur de ses appartements et il savait que Dumbledore le savait parfaitement. Un instant, il eut envie de ressortir, ne serait-ce que pour déverser une dose supplémentaire de sa colère et exiger des explications sur l'ignorance dans laquelle le directeur avait maintenu Gilda Marty au sujet de sa propre protection.

- Commencez par parler de tout cela avec la principale intéressée, se contenta t-il toutefois de grommeler à travers le battant.

Non, il ne se sentait pas prêt à revenir vers Albus Dumbledore, pas maintenant en tout cas. Mais pour le reste, il fallait qu'il fasse vite, le repas devait en effet avoir déjà commencé s'il en jugeait par l'heure affichée à sa pendule.

La mort dans l'âme, il saisit sa baguette et se dirigea vers le miroir de sa salle de bain, le whisky attendrait.