Aux prises avec ses émotions, Gilda s'était également mise un peu en retard pour le repas, même si ce n'était pas autant que son collègue. Il faut dire qu'après avoir transplanné, ce qu'elle supportait généralement assez mal, et après ce coup de sang, une torpeur de mauvais augure semblait s'être abattue sur elle et il lui avait fallu toute sa volonté pour se remettre debout et aller dîner.

« Mais pourquoi ai-je accepté ce poste alors que je n'en ai pas les épaules ? » se demandait-elle à présent avec accablement.

Elle était en plus totalement honteuse de s'être ainsi donnée en spectacle devant ses deux enfants. Comme s'ils n'étaient pas déjà assez perturbés…

Quant-à ses collègues, elle n'osait pas imaginer leur réaction s'ils apprenaient ce qui s'était passé.

Ce soir-là, pas vraiment remise des événements et encore chamboulée par les révélations de son collègue autant que par l'altercation qui les avait opposés l'un à l'autre, Gilda s'assit à la table des professeurs avec Sebastian et Moon après avoir constaté avec soulagement que Severus Rogue ne s'y trouvait pas, et qu'il ne restait qu'une place libre à l'autre bout.

Elle redoutait en effet de se retrouver à nouveau face à lui. Elle se sentait aussi particulièrement idiote de s'être emportée, très mal-à-l'aise après l'altercation qui les avait opposés aux portes de Poudlard, et elle en redoutait les retombées sur leurs relations déjà distantes.

Mine de rien, et malgré son caractère d'ours mal léché, Severus était un collègue qu'elle estimait et dont elle soupçonnait une très grande utilité pour l'Ordre du Phénix. Il n'y avait qu'à voir la confiance que lui portait Albus Dumbledore.

Le fait d'apprendre que c'était lui qu'il avait chargé de la pister lui portait également un sacré coup. Le directeur pensait-il vraiment qu'elle était physiquement en danger ? Où alors n'avait-il en elle qu'une confiance limitée ?

Rien qu'à cette idée, son cœur se pinçait d'angoisse et de tristesse. Si Dumbledore l'avait employée tout en ne lui faisant pas confiance, alors autant qu'elle reparte immédiatement.

Et pour ne rien arranger à ce tableau déjà peu reluisant, Gilda culpabilisait. Elle savait très bien que son geste avait été purement impulsif, résultant d'une série de réflexes acquis au cours du temps et également d'un orgueil un peu à fleur de peau…

Et puis, il fallait bien se l'avouer, même si elle avait eu peur pour Sebastian et que plus rien n'avait compté à ce moment-là, elle aurait pu éviter de s'emporter à ce point au prix de quelques efforts de contrôle sur elle-même.

Ce n'était pas la première fois qu'elle s'énervait ainsi contre un autre adulte et elle était bien forcée de le reconnaître. A chaque fois que cela s'était produit d'ailleurs (pas très souvent, mais tout de même…), elle avait fini par accuser le coup.

D'ailleurs, ce soir-là n'avait pas fait exception. Une fois rentrée dans leurs appartements, elle s'était accordé quelques minutes aux sanitaires pour pleurer sans être vue de Sebastian et Moon.

Yannick lui manquait terriblement en cet instant et elle savait que, lui vivant, jamais une telle scène n'aurait pu avoir lieu. C'était toujours lorsqu'elle se trouvait seule qu'elle s'emportait ainsi.

Perdue dans ses états d'âme, Gilda n'avait même plus l'énergie pour participer aux conversations qui animaient la table des professeurs.

A présent qu'elle s'efforçait de manger après avoir servi Moon et Sebastian, certains de ses collègues l'observaient à la dérobée avec un soupçon d'étonnement, en particulier Albus qui n'avait pas cessé de la fixer depuis qu'elle s'était installée. Observant tout, depuis ses yeux rouges jusqu'au léger tremblement qui agitait encore ses membres.

Et cela n'améliorait pas (mais alors pas du tout) son état. Elle avait essayé de minimiser l'affaire devant lui mais le directeur n'avait pas été dupe et elle n'ignorait pas qu'il mènerait sa propre enquête. Cependant, elle ne voulait pas y être mêlée d'autant que, si Severus avait dit vrai, il l'avait bel et bien faite surveiller.

Gilda tenta donc d'ignorer le directeur, servit de la salade à Sebastian et à Moon, en prit un peu elle-même mais ne put rien manger. Rien que l'idée de voir de la nourriture dans son assiette lui donnait la nausée.

- Et bien Gilda, demanda soudain Dolores Ombrage qui s'était aperçue de son trouble. Vous êtes malade?

La jeune femme se crispa imperceptiblement et répondit avec une froideur peu habituelle :

- Non pas du tout, qu'est-ce qui vous fait penser cela?

- Vous ne paraissez pas bien Gilda, rétorqua l'Inquisitrice d'une voix onctueuse. Et vous n'avez pas touché à votre assiette...

- Je n'avais pas vu qu'il y avait de la menthe dans cette salade et je déteste ça!

- Je vois...

Le ton était ouvertement dubitatif. Gilda espéra de tout son cœur qu'elle ne voyait rien du tout, elle n'avait pas besoin qu'Ombrage s'en mêle maintenant. Elle n'avait déjà pas du tout apprécié de s'apercevoir que celle-ci l'épiait dans l'après-midi.

- Comment se sont passées vos courses chez les moldus Gilda? poursuivit l'Inquisitrice, toujours l'air de rien.

La jeune femme faillit s'étouffer bien qu'elle n'ait rien dans la bouche, c'était bien la dernière chose dont elle avait envie de parler et le ton d'Ombrage s'était fait nettement provocateur.

- J'ai trouvé tout ce dont j'avais besoin pour Sebastian, merci Dolores.

Elle parvint à sourire tandis qu'elle ajoutait :

- Le quartier moldu de Pré-au-Lard est vraiment très bien desservi et il y a un charmant supermarché pas loin… J'y retournerai à l'occasion car il y a vraiment de tout et l'ambiance est particulièrement agréable… Je me demande s'il ne pourrait d'ailleurs pas faire l'objet d'une sortie pédagogique pour les élèves ayant pris l'option Étude des moldus...

Disant cela, elle adressa à Charity Burbage un regard complice. En effet, celle-ci s'était penchée depuis sa place pour l'écouter lorsqu'elle l'avait entendu répondre. Et Gilda eut aussitôt la certitude que l'idée la bottait.

Quelque-part, provoquer à son tour Dolores Ombrage l'apaisait, d'autant que celle-ci s'était bien gardée de répondre.

Gilda connaissait la haine profonde qui opposait l'Inquisitrice aux moldus, et même jusqu'à la source de celle-ci. Aussi c'est sans vergogne qu'elle avait répondu à sa propre provocation.

Après tout, n'avait-elle pas déjà eu l'occasion d'échanger avec Hélène Cracknell, la mère de Dolorès Ombrage ? Cette dernière était d'ailleurs peut-être au courant de leur rencontre, à moins qu'elle n'ait pas cherché à le savoir.

Cependant, le professeur Rogue s'assit à table au moment où elle pensait tout cela et l'estomac de Gilda se noua encore plus. Elle sortit discrètement sa baguette et jeta un rapide sort de nettoyage à son assiette avant de se servir d'un peu de pommes de terres avec du poisson, ainsi qu'à ses enfants qui mangeaient de leur côté avec appétit.

Même Moon, étrangement, ne faisait pas la difficile et termina l'assiette que sa mère lui servait.

Elle-même picora une tranche de patate qu'elle mâcha longtemps avant d'arriver à l'avaler, elle sentait le regard furieux d'Ombrage peser sur son dos comme une chape de plomb. Le fait qu'elle puisse un jour payer ces quelques phrases de provocation lui traversa l'esprit mais elle chassa de sa tête cette idée.

Ce n'était pas son problème si Dolores Ombrage n'avait jamais encaissé la séparation de ses parents, ni si elle en était suffisamment aigrie pour se montrer aussi impitoyable.

Le dîner sembla durer une éternité et, lorsqu'il s'acheva enfin, Gilda se dépêcha de sortir de table avec ses enfants qu'elle ramena dans leurs appartements. Sebastian s'assit sur son lit avec un livre d'enfant mais Moon boudait toujours depuis l'après-midi, contrairement à ce qu'elle avait espéré durant le repas, et elle reprit sa position de protestation : immobile à tourner le dos à sa mère.

La jeune femme soupira avec lassitude, sa fille devenait de plus en plus insupportable lorsqu'on lui refusait quelque-chose mais tant-pis pour elle, Gilda n'allait quand-même pas céder à tous ses caprices.

Elle s'assit à la table pour corriger ses copies en surveillant la fillette du coin de l'œil. Elle savait que Moon était capable de faire la tête assez longtemps, mais se remettre à bouder juste après un repas elle ne l'avait encore jamais fait.

D'un côté, cela faisait une semaine à peine qu'ils avaient totalement changé de cadre et Gilda s'en voulut soudain de ne pas avoir été plus souple cet après-midi là. L'incident aurait facilement pu être évité.

Alors que la culpabilité se remettait à la ronger, une idée germa dans son esprit et, après l'avoir considérée un instant comme parfaitement incongrue, elle finit par se dire que cela pourrait peut-être marcher. Après tout sa fille avait toujours aimé les animaux...

Gilda tira sa baguette de sa poche, chose qu'elle n'avait plus vraiment l'habitude de faire, et la pointa sur une feuille de papier brouillon qui se trouvait sur son bureau :

- Avis, murmura-t-elle tout en fournissant un prodigieux effort de concentration.

Elle ne possédait pas la puissance magique nécessaire pour faire apparaître un oiseau à partir de rien, mais en fabriquer un en papier était dans ses cordes puisqu'elle s'était très souvent entraînée à cela étant jeune. C'était une des activités favorites des filles de Poufsouffle à l'époque où elle était élève, donc un jeu qu'elle avait pratiqué durant des soirées entières dans leur salle commune.

Et même si elle avait perdu beaucoup de son aisance après des années sans pratiquer, elle ne doutait pas d'être capable d'y arriver.

Aussi, au second essai, sa feuille se plia comme un origami et, en quelques secondes, un oiseau de papier plutôt respectable s'envolait en direction de Moon qui leva la tête intriguée, et puis sourit en le voyant tourner autour d'elle.

Satisfaite, elle attrapa un autre brouillon et renouvela l'opération, un peu différemment cette fois-ci :

- Canis, dit-elle avec fermeté.

Il lui fallut quatre essais mais, après cela, un petit chien de papier courrait sur son bureau sous les applaudissements de Moon qui avait fini par cesser de lui tourner le dos et par la rejoindre avec l'oiseau de papier.

Elles s'amusèrent quelques instants ensemble avec les deux animaux animés et Gilda transforma encore quelques minuscules chutes de papier qui traînaient par terre en une volée d'abeilles de papier, bourdonnantes mais totalement inoffensives :

- L'enchantement ne durera pas très longtemps, dit Gilda à sa fille. Mais je t'en referai d'autres demain.

Attiré par les rires de Moon, Sebastian rentra alors à son tour dans le salon et il eut une exclamation de surprise à la vue des bestioles de papier. Sa petite sœur ne boudait plus mais s'amusait à essayer de les attraper.

Gilda lui sourit mais, intérieurement, elle sentait la peur lui tordre un peu les entrailles à présent qu'elle avait pris sa décision :

- Sebastian, dit-elle à son fils après avoir fait apparaître des papillons en papier à son intention. Tu restes ici dix minutes avec ta sœur? Il faut que j'aille voir le professeur Rogue.

Le petit garçon leva le nez vers elle et secoua la tête avant de la rejoindre d'un air décidé.

- Non Sebastian, lui dit-elle doucement. Tu ne dois pas m'accompagner. Nous devons nous expliquer entre adultes. Je n'en ai pas pour longtemps.

Il paraissait mécontent et elle s'en voulait de le laisser seul même pour un court moment, Moon encore plus, mais elle n'en sortit pas moins de l'appartement. Il fallait qu'elle aille voir Severus Rogue et qu'elle s'excuse, c'était à ses yeux le seul moyen de repartir sur des bases saines. Elle ne pouvait pas de toute manière laisser les choses dans l'état où elles étaient restées en fin d'après-midi.

D'un pas rapide et décidé, elle emprunta les couloirs qui s'étaient à présent totalement vidés…

… Tandis que dans l'appartement, Sebastian venait de s'asseoir près de sa sœur, déterminé lui aussi mais pour une toute autre raison, et également très inquiet à présent :

- Il faut que j'y aille aussi Moon, murmura t-il en fixant la porte d'un air absent.

Parler lui faisait vraiment un drôle d'effet après ces dizaines de mois durant lesquels il était resté silencieux. La petite fille se tourna aussitôt vers lui, les yeux grands ouverts et pas plus rassurés que les siens :

- avè ma ! S'écria t-elle.

Sebastian hocha la tête à l'affirmative et lui tendit la main tout en se levant. Moon avait beau avoir le caractère qu'elle avait, en plus d'être bien plus petite que lui, il se sentait soulagé qu'elle soit avec lui en ce moment.

Lorsque cette nuit-là, après que sa mère se soit enfin endormie, il s'était rendu compte qu'il arrivait de nouveau à parler, c'est vers sa petite sœur qu'il était aussitôt allé. Elle le savait donc avant tout le monde.

C'est à elle qu'il avait parlé en premier et ce soir il se sentait enfin de le faire face à d'autres personnes. Simplement, il n'avait pas envie d'être seul pour cette première fois depuis longtemps.

Il y avait également une autre raison pour laquelle il souhaitait suivre sa mère : lui aussi regrettait profondément d'avoir fait du mal à Severus Rogue. Il avait envie de lui dire que ce n'était pas parce qu'il ne l'aimait pas, au contraire il trouvait ce professeur de l'école plutôt intrigant et avait bien envie de le découvrir un peu et d'apprendre à mieux le connaître.

C'était juste que lorsqu'il avait pointé sa baguette magique sur sa mère, lui avait eu très peur. Il voyait bien à présent que cela n'était pas dangereux, mais sur le moment c'était comme s'il assistait à un crime.

Sebastian avait bien conscience que Severus Rogue n'avait pas que des qualités, loin de là, mais il le trouvait très calme et toujours bien organisé. À ses yeux d'enfant très réfléchi, cela suffisait à le rendre à la fois fascinant et rassurant.

Cet après-midi là d'ailleurs, avant l'incident, il avait même était heureux de le voir.

La main de sa sœur dans la sienne, Sebastian franchit la porte de l'appartement qu'il referma derrière lui. En vérité, ce n'était pas la première fois qu'il s'aventurait hors de leurs appartements en cachette et il l'avait même fait de nombreuses fois la nuit, sans faire plus de bruit qu'une souris et en évitant même d'être vu par Peeves.

Ses explorations nocturnes lui avaient en tout cas permis de repérer l'essentiel du château en quelques jours de présent, et ce soir cela allait bien lui servir.