Chapitre 5 - "Vous vous sentez coupable."

En fait, c'était une femme. Une magithérapeute. Un tailleur plutôt qu'une robe de sorcière. De petites lunettes sévères. Un chignon. Ça la vieillissait, le chignon. Elle devait avoir quarante ans. En paraissait dix de plus.

"C'est votre oncle qui vous envoie ?

-Pas mon oncle, Teddy répondit par automatisme. Enfin, si. Par adoption. C'est compliqué. Mais, hum, il ajouta en se raclant la gorge, c'est lui qui m'envoie, oui.

-Je vois. Et monsieur Weasley vous a expliqué en quoi consiste mon travail ?

-J'crois. J'sais pas. J'ai des problèmes avec ma magie, il a dit que vous pourriez aider.

-Des problèmes avec votre magie ? la femme dit en fronçant les sourcils. Quels problèmes ?

-Elle déborde, des fois.

-Elle déborde ?"

Aucune trace de moquerie. En fait, elle avait l'air plutôt intéressée. Son visage était moins froid, maintenant. Sa voix, plus chaude. Un timbre un peu éraillé qui plaisait bien à Teddy. Elle ne riait pas. Ne disait pas que c'était impossible. Elle attendait.

"Des fois… Elle sort sans que j'ai rien demandé. J'ai cassé un verre au pub, la dernière fois, avec Percy. C'est pour ça qu'il a vu.

-Je vois, elle répondit en notant quelque chose. Et vous étiez dans un état particulier, lors de cet incident ?

-Comment ça ?

-Je ne sais pas, étiez-vous particulièrement triste, ou énervé, ou désinhibé…

-J'sais pas, Teddy répondit. Paniqué, c'est possible ?

-Paniqué ? Quel genre de panique, y avait-il un danger à proximité ?

-Non, aucun, il souffla. Mais j'avais peur. J'ai tout le temps peur, en ce moment."

La femme ne dit rien. Le silence tomba un instant sur la pièce. Par moment, le grattement d'une plume sur un parchemin. Teddy sentait le malaise monter. Plus le silence durait, plus la plume prenait des notes, plus il se sentait stupide. Pas à sa place. Indécent. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Al aurait dû être là. Maggie, aussi. Ils avaient des vrais problèmes, eux. Des vrais problèmes qu'il leur avait refilé lui. Il n'avait pas le droit d'être là.

"Êtes-vous en train de faire une crise de panique maintenant ? une voix demanda.

-Quoi ?"

D'un geste de la plume, la thérapeute désigna les mains de Teddy. Elles tremblaient. Le feu dans la cheminée derrière lui redoubla d'intensité. Il pouvait sentir la magie s'échapper de ses doigts, foncer dans l'âtre, agiter les flammes. Il allait provoquer un incendie ! Teddy serra les poings. Le feu rugit.

La femme éteignit le feu avec nonchalance du bout de sa baguette.

"J'suis désolé, Teddy marmonna. Ça arrive tout le temps, j'suis désolé.

-Essayiez-vous de mettre le feu à mon bureau ? elle demanda comme si c'était la question la plus naturelle qui soit.

-Bien sûr que non ! il s'exclama. J'voulais contrôler les flammes, au contraire !

-Je vois. Avez-vous le sentiment que plus vous tentez de contrôler ces débordements de magie, plus ils vous échappent ?

-Je… Oui, Teddy souffla. Oui, c'est exactement ça.

-Vous vous sentez coupable."

Pas une question, cette fois. Pourtant, elle chercha son regard. Il hocha la tête. A nouveau, elle griffonna quelque chose. Teddy laissa son regard courir sur les murs. Des dizaines de livres. Comme chez Percy. C'était pas pareil du tout et pourtant. Il y avait un air familier à cette pièce. Peut-être le fauteuil en velour bleu dans lequel il s'était assis.

"Avant l'apparition de ces crises et débordements magiques, avez-vous vécu un événement choquant ?

-Choquant ? il répéta sans comprendre.

-"Choquant" dans le sens inhabituel, qui sort de l'ordinaire. Quelque chose qui aurait fait dévier votre quotidien de son cours normal.

-Ah ! il rit jaune en baissant les yeux. Ouais, j'vois. J'ai ruiné la vie de deux gamins, si vous voulez tout savoir.

-Développez."

Teddy leva les yeux d'un coup. Une nouvelle fois, pas de moquerie. Même pas de surprise. Un simple mot. Le ton neutre. Elle le regardait même plus, penchée sur son parchemin. Elle attendait, la plume en l'air.

"Développer ? Teddy balbutia.

-Vos termes exacts sont "ruiné la vie de deux gamins", elle cita en relisant ses notes. C'est violent, comme jugement de valeur, surtout envers vous-même. Racontez-moi.

-J'suis désolé, il réfléchit soudain, on va faire que parler ?

-Pourquoi, que voudriez-vous faire d'autre ?

-Vous allez pas me soigner ? Pour ma magie ?"

La femme lâcha sa plume. Leva les yeux pour rencontrer le regard de Teddy. Il déglutit. Gigota dans son fauteuil. Mal à l'aise.

"Votre oncle ne vous a pas expliqué en quoi consiste mon travail, elle constata d'un ton égal. Très bien. Si vous attendez de moi que je vous examine puis vous jette je ne sais quel sort pour vous rétablir alors non, je ne vais pas vous soigner. Je ne pense pas que sur le plan physique ou magique, vous souffriez d'un quelconque problème. En revanche, elle continua, je pense que quelque chose interfère avec votre magie, au niveau psychologique.

-Interfère ?

-Vous empêche de la contrôler correctement, si vous préférez. C'est ça, la base de mon travail : permettre à celles et ceux qui rencontrent des troubles magiques psychologiques de maîtriser à nouveau leurs pouvoirs. Et pour cela, nous devons discuter ensemble pour comprendre d'où provient ce blocage, ce qui le maintient en place et comment le faire sauter.

-J'suis pas sûr…

-Prenons les choses autrement, la thérapeute reprit avec patience. Je pense que vous avez vécu un événement traumatisant qui provoque vos crises de panique, et que ces dernières sont si violentes que votre magie vous échappe lorsqu'elles surviennent.

-Un événement trauma… C'est moi qui ait agressé ces gamins ! Teddy s'écria.

-Les traumatismes surviennent chez les agresseurs autant que chez les victimes, elle répondit sans réagir à la confession de Teddy. Surtout si les agresseurs ne sont pas pleinement conscients d'être dans une position de force, elle ajouta.

-Non, je…"

Mais il ne termina pas sa phrase. Agresseur, victime. Il avait lui-même dit "agresser". Lui, pas elle. Ses mains se mirent à trembler d'un coup. Agresseur, lui.

-Je vous propose quelque chose, Monsieur Lupin, la thérapeute reprit plus fort. Notre rendez-vous touche à sa fin, de toute façon. Je pense que vous pourriez bénéficier d'un travail avec moi, mais seulement si vous êtes prêt à le faire. Je vais vous laisser une semaine pour réfléchir à ce que nous venons de nous dire et voir si un rendez-vous régulier pourrait vous convenir. Si oui, je vous invite à revenir à la même heure la semaine prochaine. Vous avez le choix, vous n'êtes contraint à rien."

Teddy ne répondit pas. Il se sentait sonné. Il faisait trop chaud dans ce cabinet, en fin de compte. Agresseur. La violence du terme avait tout soufflé.

"Monsieur Lupin ? une voix appela.

-Non, je… Ok. On verra, Teddy décida. J'crois. La semaine prochaine, d'accord. On verra, il répéta."

La thérapeute ne répondit pas, mais la plume voleta sur le parchemin.

Hermione l'avait traîné par le col. Il avait refusé trois fois. Puis elle ne lui avait plus laissé le choix. Il avait l'air malade, elle avait dit. Il fallait qu'il mange.

Mais la présence d'Harry le rendait nerveux.

"J'ai bien cru qu'il ne nous laisserait jamais sortir déjeuner, Hermione soupira en engloutissant une énorme bouchée d'omelette. Merlin, je meurs de faim !

-Très sincèrement, Harry renchérit, si ça n'était toi qui m'avait donné rendez-vous, je serai déjà parti depuis longtemps.

-Tu sais comment est Percy : méticuleux, chirurgical, ambitieux et incroyablement guindé. Gringott aurait pu s'effondrer, il aurait terminé son point stratégique."

Chemin de Traverse. Treize heures trente passées. Plus beaucoup de gens sur la terrasse. Des gargouillis dans le ventre. C'est vrai que cette réunion traînait en longueur. À la fin, Teddy n'écoutait même plus. Ce resto servait tard, ils avaient eu de la chance.

"Alors, Harry reprit après un long silence troublé par leur mastication, comment s'annonce la fin de la campagne de Percy ? Les élections sont dans moins d'un mois.

-Le 5 mai prochain, Hermione confirma en hochant la tête. Et pour te répondre… Je n'en ai aucune idée, elle soupira. Les sondages fluctuent de jour en jour, et Malefoy, même affaibli, reste un adversaire de poids. D'autant que les sorciers ne sont pas connus pour leur progressisme, renifla-t-elle.

-Ça… Dans tous les sens du terme, ceci-dit, non ? Regarde le scandale qu'à provoqué la photo du gamin Malefoy avec une Née-Moldu. Je suis trop naïf, Harry dit avec un pauvre sourire, mais j'ai cru que la guerre nous permettrait de dépasser toutes ces histoires de pureté du sang, de Née-Moldus, de traditions… Pauvre môme.

-Et encore, la magistrate ajouta, Drago est loin d'être aussi terrible que son père. Tu te souviens de Lucius ? Ce type était atroce.

-Je suis presque sûr qu'il le battait, son parrain réfléchit à voix-haute. Je ne connais pas Scorpius et je ne fréquente pas Malefoy, mais ça m'étonnerait qu'il porte la main sur son gamin. Le petit a quand même dû prendre un sacré savon pour cette photo."

Encore cette photo… Elle le hantait. Parfois il se réveillait la nuit. Rêvait que le môme se faisait déshériter. Rêvait que Percy perdait à cause de cette photo. Rêvait qu'Albus se faisait du mal. Que Maggie pleurait. Tout était toujours sa faute. Chaque cauchemar, sa faute. L'angoisse enserrait sa poitrine du matin au soir et souvent la nuit. De grands cernes bleus s'épanouissaient sous ses yeux. Parfois, des tics. Et puis la magie qui sortait n'importe comment.

"Je te dirai comment il se comporte avec son fils quand il viendra pour sa rencontre avec les élèves le 24, Hermione dit à Harry. Nous y serons le 19, mais McGonagall a autorisé les membres de équipes adverses à venir aux rencontres des autres partis, et tu me connais, je n'aurai pas loupé une occasion de voir comment Malefoy s'en sort devant une bande d'ados, elle conclut avec un sourire.

-On va… À Poudlard ? Teddy demanda d'une voix blanche."

Sa voix rapait. Il se taisait depuis des heures. Bien avant le déjeuner, à la réunion déjà. Pas un mot. Teddy se taisait beaucoup, ces derniers temps. Son parrain se tourna vers lui. Dans les verres de ses lunettes, Teddy aperçut son reflet. Ses cheveux, presque noirs. Ses yeux fatigués. Les cernes violet maintenant. Les paupières rouges. Les sourcils froncés, tout le temps. Merlin, il faisait dix ans de plus ! Il avait maigri ? Peut-être. Il baissa les yeux. Son assiette de frites lui parut très pleine, d'un coup.

Le regard d'Harry, aussi. La pitié. L'inquiétude. De la peur, presque. Merlin !

"Tu ne te souviens pas ? Hermione dit d'une voix douce. Les rencontres des candidats avec les élèves, qu'on avait demandées à McGonagall il y a plusieurs mois. Elles auront lieu les 19 et 24 avril prochains.

-J'avais zappé, il lâcha. Poudlard, hein ?

-Percy m'a dit que tu ne donnais plus cours, Harry lança l'air de rien.

-C'est vrai, Hermione renchérit. Et puis, tu es un peu pâle en ce moment, et on ne t'entends plus vraiment, en réunion. Ted, tout va bien ?

-Pas vraiment… il soupira. C'compliqué.

-Compliqué ? Quoi, ce cours ?

-Nan, le cours, ça allait. Mais les élèves, et puis… J'sais pas, il se tourna vers Harry, t'es pas content que j'y aille plus ?

-Content ? Ted, je… Comment t'expliquer ça ? son parrain marmonna. Tu as fait une erreur, Ted. Et malgré sa gravité, je serai une bien mauvaise personne si je te souhaitais de ne pas t'en sortir, non ? Je n'aime pas te voir dans cet état, il soupira. Tu restes mon filleul, tu sais ?"

Ça faisait bizarre. En fait, tout était bizarre. Après le fiasco de Godric's Hollow, Teddy avait évité tout le monde. S'était réfugié seul. Harry, surtout. Percy un peu, quelques semaines. Mais Harry, encore plus. Pourtant il n'avait pas l'air de le haïr, en quittant la maison des Potter. La peur, les rêves, la solitude, tout s'était mélangé. Harry le détestait, il en était sûr.

"Quelle erreur ? Hermione demanda en plissant les yeux. Je croyais qu'il était malade !

-J'ai dit que j'étais malade pour éviter les réunions pendant les vacances, Teddy grommela à l'adresse de son parrain. C'était plus simple.

-Plus simple que quoi ? la magistrate insista.

-Teddy… Harry commença.

-Que rien. Y a rien, il aboya presque sur Hermione."

Trop brutal. Il s'en voulu tout de suite. La culpabilité, comme une boule dans la gorge. Ses couverts se mirent à trembler. Non ! Pas maintenant, pas là ! Disparaître. Il fallait qu'il parte.

"Ça n'a pas l'air d'être rien, Hermione souffla. Ted, tu es sûr que tu es en état d'aller à Poudlard ?

-Ouais, ouais, il lâcha en tentant de calmer la panique dans sa voix. Ça va. J'suis pas un enfant, je me débrouille. Je s'rai là, il ajouta en se levant.

-Teddy…

-Merci pour le déjeuner, il lança par-dessus son épaule avant de transplaner."