Harry

Je me demande parfois si je n'ai pas été trop dur avec lui, quand il était enfant. L'homme qu'il est devenu me paraît torturé, mélancolique et solitaire. James, a contrario, est peut-être arrogant, mais il est léger, ambitieux et drôle. Albus n'est pas vraiment encore un homme, mais je le vois s'affirmer de jour en jour et son caractère doux et fidèle se confirme.

Teddy est si isolé, presque étranger à lui-même en comparaison. Je sais qu'il a un bon fond, je sais qu'il ne veut jamais de mal, mais je vois en lui des choses qui par moments m'effraient. Des noirceurs qui l'emportent, des vagues sombres qui l'engloutissent et ternissent sa joie de vivre. Il a les yeux perpétuellement rieurs de sa mère, les yeux des Black et de Sirius et pourtant, derrière, je vois souvent des remous d'angoisse et des tumultes terribles qui l'agitent sans qu'il ne puisse trouver le repos. Je me demande à quel point j'en suis la cause. Ai-je eu tort de le confier à Arthur et Molly lorsqu'il était encore un bébé ?

"Mon amour ?"

Ginny me lance des regards interrogateurs. Pas inquiets, non, parce que Ginny ne s'inquiète que lorsqu'elle est totalement impuissante, et elle sait qu'elle peut calmer toutes mes peurs. Elle est confiante, elle sait. Je n'ai jamais eu cette tranquillité d'esprit, cette certitude tenace, et je l'admire pour ça.

"Tu penses à Teddy, affirme-t-elle.

-À quoi d'autre ? Tu aurais vu comme il a répondu à Hermione… Je savais qu'il allait mal, mais…

-Non, pardon, je reformule : tu te sens coupable pour Teddy."

Si elle n'était pas déjà ma femme, je l'épouserai. Juste parce qu'elle sait lire un visage mieux que n'importe qui, qu'elle comprend tout d'un lever de sourcil, qu'elle déduit sans un mot des univers à partir d'un simple haussement d'épaule.

"Tu crois que Teddy aurait tourné différemment si nous l'avions élevé nous-même plutôt que de le confier à tes parents ?

-Probablement."

Non, c'est pour cette raison que je l'épouserai à nouveau : son honnêteté. Elle ne dissimule jamais rien, elle ose tout dire, toujours. Même lorsqu'elle pourrait froisser les autres, elle ose. Elle n'est pas insensible, non, mais elle respecte trop les autres pour leur mentir et enrober la vérité sous des kilos de formules sucrées et creuses.

"Ce qui ne veut pas dire qu'il aurait "mieux" tourné, reprend-t-elle après un temps de réflexion. Je ne pense pas qu'il ait "mal" tourné, d'ailleurs, si c'est ta question.

-Ginny… Je n'en ai peut-être pas l'air, mais je suis toujours en colère pour Al, et maintenant cette histoire de photo…

-Harry, il est tellement bouleversé par ce qu'il a fait que sa magie le lâche, souviens-toi ce qu'a dit Percy. Je ne peux pas croire que quelqu'un de foncièrement mauvais s'en voudrait à ce point.

-Il a mal agi.

-Sur ce point, nous sommes d'accord. Mais ça, ça arrive à tout le monde - et je ne dis pas qu'il est tout excusé, et je ne dis pas non plus qu'il n'y aura pas de conséquences. Ça ne sert à rien de s'en vouloir pour des choses qui datent d'il y a vingt-six ans, c'est tout, ajoute-t-elle en haussant les épaules.

-Mais tu ne penses pas que si j'avais été plus présent…

-Harry Potter, me coupe-t-elle d'un coup, ce garçon te ressemble plus à toi qu'à n'importe qui d'autre dans cette famille. Je ne crois pas que tu n'ais pas été assez présent.

-Il ne me ressemble pas, dis-je en fronçant les sourcils.

-Non, bien sûr, répond Ginny en riant. Évidemment. Il ne cherche jamais à résoudre ses problèmes tout seul sans en discuter avec ceux qui pourraient l'aider, comme tu le faisais plus jeune. Il ne décide jamais de se sacrifier pour les autres sans aucune raison, comme toi. Il ne s'isole pas quand il va mal, comme toi à quinze ans. Il ne garde pas tout pour lui pour éviter de faire porter le fardeau de ses soucis aux autres. Il ne cherche pas désespérément à faire partie d'une famille. Et il n'a certainement pas ces grands accès de colère et de tristesse que tu avais en grandissant, conclut-elle avec un sourire entendu. C'est vrai, vous êtes très différents."

Combien de fois devrais-je me rappeler que Ginny a probablement raison lorsqu'elle affirme quelque chose ? Une de plus, à l'évidence.

"Tu sais qu'il est presque comme un fils pour moi aussi, dit-elle à mi-voix après un instant de silence. Le voir dans cet état me tue. Harry, il faut que tu trouves une solution pour lui pardonner ce qu'il a fait, d'une part, et il faut qu'on l'aide. Je ne supporte pas de l'imaginer se retrouver seul face à tout ça.

-Seul ? Mais qui parle de le laisser seul ?!

-Teddy, je pense. Le connaissant, il est convaincu qu'il n'a même plus le droit de mettre les pieds au Terrier ou de nous adresser la parole. Je refuse, ajoute-t-elle d'un ton grave, qu'il s'éclipse comme il l'a fait la dernière fois en partant aux États-Unis. Il a fait n'importe quoi avec Victoire, mais nous aussi. On n'aurait jamais dû le laisser partir. Il est hors de question que ça se reproduise, tu m'entends ?"

Dix sur dix, ma chérie. Je n'ai aucune idée de quoi faire, je ne suis même pas convaincu d'avoir vraiment compris tout ce que le sérieux de sa mine sous-entend, mais comme d'habitude, je suis d'accord avec Ginny. Teddy a besoin d'aide.