Chapitre 3
Subconscient
Hermione repensait parfois à cet étrange incident de la Réserve, et se surprenait à traquer sur le visage de son professeur, lorsqu'elle croisait son regard, un signe de la même réminiscence.
Mais il gardait toujours cette expression froide et fermée qu'elle commençait à bien connaître.
La démonstration de ses dons en magie noire eurent le don de la fasciner quelque peu, non pas par leur degré de noirceur, mais plutôt par l'étendue de ces connaissances qui lui étaient inconnues et qui lui restaient interdites.
Elle savait qu'il avait enseigné l'occlumencie à Harry. Et même si ce dernier le tenait en grande partie responsable de la mort de Sirius, et en sachant que cet homme était loin d'être irréprochable dans sa conduite envers lui, elle ne pouvait s'empêcher de lui trouver des circonstances atténuantes.
C'est d'ailleurs pour cela qu'elle l'avait toujours défendu aux yeux de Harry et de Ron.
Tout ce qu'ils savaient, c'est justement qu'ils en savaient trop peu pour le juger si définitivement.
Elle savait qu'il cachait un secret, peut-être même plusieurs, mais ce n'était pas cela qu'elle comptait découvrir en se rendant d'un pas incertain vers les cachots, ce soir-là.
Soir glacé de janvier.
Non. Elle avait un autre but.
Elle voulait apprendre l'occlumencie.
Il allait sûrement la jeter dehors avec pertes et fracas, mais elle s'en serait voulu de ne pas au moins essayer.
Et qui sait, s'il acceptait, elle pourrait ensuite lui demander de l'instruire en magie noire…
Aucune connaissance n'était superflue, à ses yeux. Aucune.
De telles connaissances ne pourraient que lui être bénéfiques dans la guerre qui les opposait au Lord Noir.
Mais elle ne se faisait pas trop d'illusions.
Sa soif d'apprendre était telle, cependant, qu'elle était prête à essuyer le courroux du terrible Maître des Potions en cas de refus.
Elle espérait tant qu'il accepterait, l'occlumencie était un domaine si utile… Elle ne comprenait pas pourquoi Harry avait répugné à en suivre l'apprentissage.
Encore une chose qu'elle avait à apprendre.
Elle s'arrêta devant la porte de son bureau, ou peut-être eût-il mieux fallu dire, de son antre.
Elle rassembla tout son courage et frappa.
« - Entrez. »
Elle inspira profondément et ouvrit la lourde porte.
Que faisait-elle là ?
Il n'en savait rien pour l'instant mais il était prêt à parier que cela se terminerait par de l'exaspération pour lui, et des points en moins pour elle.
D'ailleurs, ne commençait-il pas à ressentir la palpitation de la petite veine placée sur sa tempe droite, qu'il se plaisait lui-même à surnommer la veine-colère ?
Sans aucun doute.
Il était également inquiet du fait que cette élève avait le don quasi-immédiat de le faire sortir de ses gonds, simplement en ouvrant la bouche, et de plus en plus, par sa simple présence.
Et il n'aimait pas se sentir perdre le contrôle.
Cela n'était pas bon.
Il leva le visage vers elle.
« - Qu'y a-t-il ? », dit-il d'un ton froid.
Hermione se sentait se liquéfier, et ses jambes menacèrent de ne plus la porter pendant quelques secondes.
« - Avez-vous un moment à me consacrer ? Je voudrais vous parler. Vous demander quelque chose. »
Il rassembla les papiers qu'il était entrain de lire et croisa les doigts au-dessus, le regard rivé au sien.
Elle avança et s'assit sur un des fauteuils qui lui faisaient face. Inutile de tourner autour du pot.
« - Je voudrais que vous m'enseigniez l'occlumencie. »
Un sourire moqueur et presque indulgent fleurit sur ses lèvres.
« - Et qu'est-ce qui vous fait penser que votre esprit est la cible de quelqu'un ? Avez-vous des ennemis en particulier ? », fit-il d'un ton badin.
Il se moquait visiblement d'elle. Elle aurait voulu répondre « Voldemort », mais elle ne se l'autorisa pas.
Essayant au maximum de conserver son calme et sa patience, elle répondit sobrement :
« - On n'est jamais trop prudent. »
Il l'observait toujours, une expression légèrement amusée dans le regard.
« - Vous feriez une bonne Serpentard… Une telle ruse et un instinct de conservation si développé… »
Elle accueillit la remarque comme une insulte, avant de comprendre qu'il s'agissait peut-être là de l'ouverture d'une trêve.
Elle avait pourtant très envie de lui dire que ses objectifs n'étaient pas aussi purement égoïstes.
Elle hésita un instant avant de lui avouer, d'un ton pensif :
« - C'est étrange que vous me disiez cela car c'était la première décision du Choixpeau Magique, à vrai dire. M'envoyer à Serpentard. Moi je ne voulais pas y aller. Il a ensuite voulu m'envoyer à Serdaigle, mais j'étais bien déterminée à aller à Gryffondor, finalement. »
« - Chassez le naturel et il revient au galop… »
« - Ce n'est pas du tout ça ! », répliqua-t-elle un peu trop violemment. Je…Je n'y aurais pas eu ma place, je crois. »
Elle était entrain de s'enliser.
« - Possible », répondit-il tranquillement.
Mais elle lut une vérité différente dans son regard.
Ils se dévisagèrent un moment. Un moment qui parut à Hermione aussi pénible que s'il fouillait dans ses pensées. Le travail d'occlumencie avait peut-être déjà commencé…
Il détourna enfin son regard, reprit la plume et les feuilles qu'il avait abandonnées lorsqu'elle était entrée, et lâcha, d'une voix presque inaudible, sans même lever les yeux sur elle:
« - Je vous attends mardi soir à huit heures. Soyez à l'heure, ajouta-t-il d'un ton d'avertissement. »
Elle se leva de son fauteuil et quitta la pièce en marmonnant un vague :
« - Merci, Bonsoir professeur… » ... Auquel il ne répondit pas, bien sûr.
Elle avait gagné.
Elle n'en revenait pas.
Et elle avait hâte de commencer le travail, même si cet homme lui donnait la chair de poule.
Enthousiaste, comme elle l'était toujours à l'approche d'un nouvel apprentissage, elle se demandait comment allait se passer leur première séance, refoulant l'appréhension qui s'insinua progressivement dans ses pensées au fil des jours suivants.
Qu'est-ce qui lui avait pris d'accepter une telle proposition ?
Il se le demandait encore…
Une élève exaspérante au possible, Gryffondor de surcroît, prétentieuse et sûre d'elle…
Mais incroyablement douée.
« - Entrez », fit une voix à la fois basse et distincte.
Elle s'exécuta.
En entrant, elle remarqua, une fois n'est pas coutume, qu'un feu ronflant crépitait dans l'âtre.
« - Vous êtes en avance », fit-il remarquer.
Elle le savait, mais elle ne voulait pour rien au monde risquer d'arriver en retard à ce cours si spécial.
Elle avait presque un quart d'heure d'avance.
« - Asseyez vous. »
Fébrile, impatiente, elle s'exécuta.
« - Nous allons donc commencer. Je vous épargne l'explication des bases et autres préambules, car vous avez déjà tout lu là-dessus, j'imagine… Des questions ?
« - Non, pas pour l'instant.
« - Très bien. Levez-vous. Je vais faire une incursion dans votre esprit, et vous devrez vous défendre. Je vous laisse trouver vous-même un moyen de le faire. »
Elle était tendue.
« - Allons-y. »
Des dizaines d'images, de souvenirs, tantôt agréables, tantôt désagréables, traversèrent son esprit.
Prise dans la contemplation de ses propres souvenirs, qui surgissaient comme s'ils étaient doués d'une volonté propre hors de son subconscient, elle ne songeait plus à se défendre, captivée par le phénomène.
Elle se ressaisit cependant assez vite, et rassemblant ses esprits afin de percevoir à nouveau la réalité, lança au professeur un expelliarmus calme et efficace.
Sa baguette vola à l'autre bout de la pièce.
Il l'observa, figé, les yeux étincelants, et elle comprit que c'était sa manière à lui d'exprimer son ébahissement.
Il se ressaisit enfin et se rassit à son bureau.
« - Asseyez-vous. »
Elle s'exécuta.
« - Vous avez sans doute déjà pratiqué l'occlumencie, je me trompe ?
« - Pas vraiment, en-dehors des exercices de gestion des pensées et de vide de l'esprit que j'ai pratiqué régulièrement avant de venir. Il y a aussi la méditation, que je pratique de temps en temps. Je crois que c'est tout. »
Il se leva et vint se placer devant l'âtre crépitant.
Intriguée, Hermione l'observait en silence.
Elle ne savait que dire. Elle n'osait rien dire, en fait.
Il se passa un temps indéfini avant qu'il ne parle à nouveau.
« - Votre maîtrise est quasiment sans défaut. J'aurais du mal à vous en apprendre plus », fit-il, semblant peser soigneusement ses mots.
Interdite, elle n'osait pas vraiment croire ce qu'elle entendait, et crût un instant qu'il s'agissait d'une plaisanterie sournoise, voire d'une ruse pour se débarrasser d'elle.
« - Vous voulez dire que… Les leçons vont s'arrêter là ? »
« - Pas immédiatement, non, je compte opérer des intrusions de plus en plus fortes, mais j'ai senti l'aisance de votre capacité de réaction. »
Rêvait-elle ? Le professeur Rogue venait-il de lui exprimer de la… Considération ?
Etait-elle vraiment aussi douée…
Ils s'exercèrent un moment à utiliser des sortilèges de plus en plus puissants.
Hermione résistait, de plus en plus vite et de mieux en mieux.
Elle posa alors la question qui la taraudait depuis un moment.
« - Pourrais-je…A mon tour tenter une incursion dans… Me laisseriez-vous essayer… »
« - Non. C'est hors de question, je refuse de vous entraîner à cela. Je n'en prendrai pas la responsabilité. »
« - Que craignez-vous que je découvre dans votre esprit… »
« - Ne jouez pas à la maligne avec moi. C'est non. »
« - Très bien. Continuons. »
Un moment plus tard, alors que Rogue déclarait la fin de la séance, elle se risqua à lui demander si…
« - Je reviens mardi prochain à la même heure ?
« - Si vous en sentez la nécessité, mais je vous l'ai dit, votre maîtrise est tout à fait acceptable.
« - J'aimerais pourtant pouvoir m'exercer de façon offensive. »
Il lui lança un regard noir.
Elle n'insista pas.
« - Je pensais que… Si l'occlumencie devenait une affaire classée, vous pourriez… Et bien… M'instruire dans le domaine de…la magie noire.
Il se figea.
« - Ce dont je veux parler, ajouta-t-elle précipitamment, ce serait de simples cours d'instruction sur les sortilèges noirs les plus utilisés, leurs moyens de parade… Tout ce qu'il faut pour… Savoir s'en défendre. On ne peut bien se défendre que contre ce qu'on connaît… »
« - C'est hors de question. Je vous conseille de vous sortir cela de la tête immédiatement. Je vous rappelle également que ces cours d'occlumencie sont déjà à la limite de ce qui est permis par le règlement. Contentez-vous de ce que vous avez pour l'instant. La séance est terminée. »
Il se dirigea vers la porte et la tint ouverte en une invitation à partir.
Hermione traversa la pièce en jubilant. Si elle ne se trompait pas, elle avait bien compris un « pour l'instant » dans sa réponse, et non un refus catégorique et définitif…
Mais toutes ses pensées furent englouties en un éclair lorsque, en passant le pas de la porte, elle frôla malencontreusement le corps de son professeur.
Ce fut comme si des milliers de feux aveuglants éclataient en elle, autour d'elle, devant ses paupières... Et une sensation de feu dans son estomac. Comme si son cœur s'ouvrait et qu'un cri inversé s'engouffrait dans sa gorge. Le choc fut si fort qu'elle dût appuyer sa main au bois de la porte pour ne pas se laisser tomber.
La sensation s'évanouit aussi vite qu'elle était venue. Hermione se sentait aussi hébétée qu'après une chute dans les escaliers.
Elle se redressa tant bien que mal et s'engouffra dans le couloir humide sans un regard en arrière, en courrant aussi vite que si le diable en personne la poursuivait.
Severus resta longtemps la main crispée sur la porte, à se demander quelle foudre divine s'était à l'instant abattue sur lui et sans aucun doute à ce sujet, sur son élève également.
Malgré son propre état de choc, il l'avait vue se retenir faiblement à la porte et avait perçu son égarement à elle aussi.
Il se pouvait en quelque sorte que l'énergie qu'ils avaient dégagée ce soir- là pendant leurs exercices se soit concentrée pour mieux s'évacuer en une impulsion violente et soudaine.
Mais honnêtement, il trouvait cette explication tirée par les cheveux.
Qu'avait-il bien pu se passer…
Le mardi suivant, Hermione se sentait incertaine quant aux sentiments qui se bousculaient en elle, au doute, à l'incompréhension, à la crainte de voir se reproduire l'illumination fulgurante de la dernière fois.
Elle avait fait quelques recherches à la bibliothèque au sujet des champs d'énergie créés par la magie, mais aucun livre ne l'avait réellement éclairée.
Et elle n'aimait pas ne pas savoir.
De son côté, Severus Rogue espérait de tout cœur qu'elle aurait renoncé à ces leçons.
Lui –même ayant donné son accord, il ne pouvait à présent se rétracter sans raison valable.
Mais elle vint, ce soir-là.
Il sut que c'était elle avant même qu'elle ne frappe.
Il sentit son être arriver comme un grondement lointain.
Et quand elle entra, ce fut pire.
