Chapitre 8

Nocturne

Une allumeuse. Voilà ce qu'elle était.

Elle se sentit minable.

Comment une fille comme elle avait bien pu tomber aussi bas ?

Se mettre dans une situation pareille.

Elle si studieuse, si sérieuse, si avide de donner des conseils à tous, elle s'était irrémédiablement compromise.

Et pas avec n'importe qui.

Rien ne serait plus jamais pareil. Elle avait conscience d'avoir brisé quelque chose, la nuit précédente.

Sa vie ? Son innocence ? Son enfance ?

Et lui… Il était censé être son professeur, un adulte responsable, protecteur, une référence, un repère solide…

Et il s'était conduit et continuait à se conduire comme un drogué qui réclame sa dose.

Qu'était-il advenu de l'homme froid et distant qu'elle avait toujours connu ?

Remarque, elle non plus n'était pas irréprochable.

Elle était allongée sur son lit, dans le dortoir encore désert. Les autres étaient tous au dîner.

Et elle sentait en son ventre un bouillant remue-ménage qui s'insinuait dans ses veines et dans tout son corps. Qui lui tournait la tête et qui réclamait quelque chose, une délivrance. Cela faisait presque mal.

Elle posa une main légère sur son ventre brûlant.

Il fallait qu'elle sorte d'ici, qu'elle s'active. Elle décida finalement d'aller dîner.

En traversant les couloirs, elle continuait à penser à tout cela. Il lui semblait avoir tout perdu.

Son bon sens, ses convictions, son sens des réalités.

Elle avait bien entendu également abandonné l'idée que les cours particuliers reprennent comme avant. C'était tellement dommage.

Et puis elle avait perdu sa virginité.

Hermione n'y attachait pas une importance démesurée. Elle s'était toujours dit qu'il fallait avant tout la perdre de son plein gré et dans les meilleures conditions possibles. Avec quelqu'un que l'on aime.

Et aucune de ces conditions ne semblaient être réunies lorsque c'était arrivé.

Elle se considéra néanmoins sauvée par le fait heureux qu'elle prenne la pilule depuis ses quatorze ans. A vrai dire, c'était le moyen le plus pratique et le plus sûr, bien plus utile et efficace que les subterfuges sorciers.

Il faut croire que la société sorcière n'était pas supérieure à celle des moldus en cette matière.

Elle repensa à l'idée absurde d'avoir un jour un bébé avec son professeur de potions et pouffa de rire comme une gamine.

Après tout, la situation était loin d'être grave, et pourrait même se révéler amusante, si elle savait se monter rusée.

Simplement, il ne fallait plus qu'elle se laisse trop guider par sa conscience de bonne élève et son sens des responsabilités. Ce qui était fait était fait. Autant profiter de la situation.

Et à bien y regarder, c'est lui qui était dans la situation la plus inconfortable. Il était son professeur, il était responsable et plus âgé, il était un sorcier expérimenté…S'il y avait eu quelque chose à faire pour éviter ce qui était arrivé, c'eût été à lui de le faire.

Et elle essaya de ne pas trop penser que c'était elle qui lui avait presque extorqué ces cours de magie noire.

Le cœur moins lourd, elle entra dans la Grand Salle, presque réjouie à l'idée des possibilités qui s'offraient à elle.

« Professeur Rogue, je n'en ai pas encore fini avec vous… », songea-t-elle.

Il la vit arriver dans la salle bien après les autres.

Elle alla s'asseoir à sa table. Elle avait l'air lasse mais déterminée.

Il sentait déjà, rien qu'en la voyant, renaître l'envie.

Il n'arrivait pas à se sortir de la tête qu'elle était vierge et que… Merlin. Il aurait voulu que tout cela ne soit qu'un rêve, mais son ventre délicieusement douloureux luttait contre cette idée.

Il pourrait faire n'importe quoi pour l'avoir à nouveau dans son lit. Même si c'était une élève. Même si elle était si jeune… Il pourrait tout faire. D'ailleurs à cet instant, elle n'était plus tout cela, dans son esprit.

Elle était un corps chaud et gémissant, un souffle sur sa joue. Elle était un épiderme incendiaire contre sa peau. Elle était un regard alangui. Et tant d'autres choses encore.

Et à nouveau, en plein dîner, alors que la Grand Salle était comble, il sentit la manifestation de ce désir se produire. Et une fois de plus, il bénit celui qui avait conçu la robe de sorcier.

Comment pouvait-il en être arrivé là avec une élève… Merlin, une élève.

Il n'y avait pas d'amour, pas de tendresse. Son désir pour cette fille était si monstrueux qu'il songea à s'éloigner d'elle, à s'enfuir…

Mais il était déjà conquis. Trop tard, il était perdu.

Et c'était une sensation délicieuse.

Hermione retourna dans la salle commune avec Ron et Harry, qui essayaient vainement d'engager la conversation avec elle. Elle ne voulut pas leur dire ce qui la rendait si peu sociable ce soir-là, et coupa court à toute question gênante supplémentaire en s'élançant dans les escaliers qui menaient à son dortoir.

Une fois allongée sur son lit, elle ne put totalement se détendre, horripilée par la conversation futile et hystérique entre Lavande et Parvati.

Elle sortit sans même un regard pour elles. Elle en avait assez. Elle n'était bien nulle part.

Elle voulait juste être au calme. Un moment.

Elle déambulait dans les couloirs, consciente qu'elle ne savait pas vraiment où elle allait.

Ses pas la conduisirent instinctivement vers la bibliothèque, où bon nombre d'étudiants étaient encore au travail pour toute la soirée.

Elle saisit un volume au hasard, et alla s'asseoir dans le coin le plus reculé et le plus discret de la bibliothèque.

Elle était presque dans l'ombre, mais cela n'avait pas d'importance, car elle ne lisait pas.

Elle continuait à penser aux évènements de la veille.

Une voix grave, chaude et envoûtante murmura, presque à son oreille…

« - On essaie de se distraire, miss ? »

« - On fait comme on peut », fit-elle sans se retourner.

Il avait posé sa main sur le dossier de sa chaise et elle était troublée, rien que par la variation de cette pression contre son dos.

C'était presque comme s'il la touchait.

Là où ils se trouvaient, ils étaient relativement à l'abri des regards, mais la situation restait cependant périlleuse et dangereusement compromettante, si quelqu'un venait à s'apercevoir de leur aparté.

« - Je rattrape le retard pris lors de la séance de mardi dernier. D'ailleurs j'imagine que je peux faire une croix dessus, vu les circonstances… »

« - Il devient techniquement impossible de rester à nos places quand nous sommes dans la même pièce, soyons réalistes. »

Il se tut un instant.

Un élève venait de passer près d'eux, mais il ne leur prêta aucune attention, et en réalité, il ne sembla même pas les avoir vus.

« - Mais disons que la connaissance est une marchandise qui peut se monnayer… »

Sur ce, il s'éloigna dans un bruissement velouté.

Toujours troublée par son emprise, Hermione mit un moment à réaliser ce qu'il venait de sous-entendre, et une fureur noire l'envahit. Comment osait-il…

Elle se précipita hors de la bibliothèque en espérant le rattraper, peu importe qu'il y ait des témoins cette fois, elle allait lui dire sa façon de penser.

Mais les couloirs étaient déserts. Il avait pu prendre n'importe quel chemin pour s'en aller.

Furieuse, humiliée, elle décida d'aller se coucher, en espérant que le sommeil serait un refuge réconfortant. Elle se lancerait un sortilège de sommeil et ne penserait plus à rien jusqu'au lendemain. Du moins elle l'espérait.

La nuit était tombée et elle pressa le pas, faisant passer toute sa nervosité dans cette marche rapide.

Lavande et Parvati dormaient, et elle était enfin au calme.

Elle aurait dû penser à jeter ce sort de sommeil, mais elle était toujours en colère après les sous-entendus dégradants qu'il lui avait fait tout-à-l'heure.

Elle le haïssait.

Il lui semblait, avec le recul, qu'il avait toujours fait tout son possible pour la rabaisser et l'humilier, depuis son arrivée à l'école.

Là, un cran de plus avait été atteint. Se venger. Oui. C'était une solution des plus plaisantes. Mais aussi de plus dangereuses.

Il serait difficile de jouer avec le feu sans risquer de se brûler à son tour.

Lui aussi était très fort.

Après tout, il lui avait appris bon nombre des choses qu'elle savait aujourd'hui.

Mais ce pouvoir… Elle était la seule à le posséder sur lui.

C'était décidé. Elle allait essayer. Et si elle succombait à nouveau, tant pis, elle aurait à nouveau l'occasion d'apprendre… Des choses.

A condition qu'il prenne le temps de les lui apprendre, cette fois. Qu'il sache se conduire autrement que comme un animal.

Elle s'endormit toute habillée et se réveilla le lendemain matin, chargée de rêves plus ou moins avouables, le corps en alerte, les joues en feu.

La journée sembla durer un éternité, Hermione se sentait étrangement fiévreuse, absente, ses vêtements lui semblaient horriblement inconfortables, elle avait chaud, puis elle avait froid…

Elle avait hâte de mettre son plan à exécution.

Le soir elle attendit d'être seule avec Harry dans la salle commune, confortablement installés près du feu, pour lui demander du le ton le plus neutre qu'elle put :

« - Harry, je peux te demander un service ? »

« - Qu'est-ce qu'il y a ? », demanda-t-il, intrigué.

« - Est-ce que tu pourrais me prêter la carte du Maraudeur, j'aimerais pouvoir m'en servir. J'ai quelque chose à faire. Et…Je ne peux pas te dire quoi, désolée… », ajouta-t-elle précipitamment avec un ton d'excuse.

« - Bien sûr, je te la prête… Tu as un rendez-vous, ou un truc comme ça ? », fit-il avec une lueur malicieuse dans le regard.

« - C'est un peu plus compliqué que ça… Oh Harry, tu ne m'en veux pas, n'est-ce pas ? Je ne peux pas t'en dire plus… »

« - Mais bien sûr, je respecte tes secrets. Et… Si j'ai bien compris, Ron ne doit pas être au courant, c'est ça? »

« - Je n'ai pas de secrets inavouables à lui cacher », mentit-elle magnifiquement, « c'est juste que…Tu sais comment il est. Enfin…»

« - Oui, je sais ! », fit-il en riant. « Je ne lui dirai rien, rassure-toi, tu as ma parole. Rien que pour la paix qu'il risque de ne plus me laisser après ça ! »

« - Merci. »

« - Tu n'as pas à me remercier, tu sais… »

« - Quand même. »

« - Bon, je suppose que tu la veux maintenant ? »

« - Oui, si cela ne t'ennuie pas… »

« - J'y vais. »

Il monta à son dortoir et revint quelques minutes plus tard avec la précieuse carte sous son pull.

« - La voilà. Fais-en bon usage. Et sois prudente.»

Il se regardèrent un instant et explosèrent de rire, à l'idée que la carte du Maraudeur puisse un jour servir à quelque chose de prudent et raisonnable…

Ils laissèrent leur fou rire s'éteindre peu à peu, et alors que Ron arrivait vers eux, Harry lui murmura à la hâte :

« - Quand même. Fais attention à toi. »

Elle attendit que la salle commune soit vide et que tous dorment pour mettre son plan à exécution.

Il était presque une heure du mâtin lorsqu'elle quitta enfin la tour de gryffondor.

Sur la carte du maraudeur, Rusard traînait dans les cachots, le professeur Dumbledore était dans son bureau, le professeur McGonagall s'affairait dans ses appartements, et Severus Rogue, lui, faisait toujours les cent pas dans les siens.

Elle avait vérifié ce qu'il faisait avant de partir.

Ses appartements se trouvaient dans la tour Nord-Est.

Les couloirs du château étaient toujours aussi lugubres la nuit.

Elle se retrouva assez rapidement devant sa porte.

Ignorant ce qui allait se passer, elle remis ses idées en ordre du mieux qu'elle le put.

Tout ce qui importait, même si elle perdait le contrôle, chose qui allait sûrement arriver, était de ne pas perdre de vue ses objectifs à long terme : se servir de son état de dépendance pour le mettre sous son pouvoir, et ensuite faire ce qu'elle voulait de lui.

Et tant pis pour les risques qu'elle courait. Ca en valait la peine.

Elle avait assez de confiance en elle, de goût de l'aventure et de courage pour agir ainsi.

Il regretterait d'avoir insinué un jour qu'elle ferait une bonne Serpentard… Car il avait, une fois de plus, raison. Pour son propre malheur.

Elle sourit un peu à cette pensée.

Puis elle frappa.

La porte s'ouvrit et elle se retrouva face à lui.

Severus se laissa gagner un instant par la surprise, puis se reconstitua rapidement une expression froide.

« - Que me vaut l'honneur de votre visite ? D'ailleurs, savez-vous que vous n'avez rien à faire ici ? Vous feriez mieux de retourner dans votre dortoir avant que j'enlève cinquante points à votre maison. »

Il n'avait pas voulu dire cela. Et il avait déjà envie d'elle.

« - Oui… Vous avez raison, je m'en vais. »

Elle se retourna et commença à s'éloigner mais il la rattrapa par le bras et l'attira brutalement dans la pièce.

Et il ferma la porte.

N'oublies pas pourquoi tu es là, n'oublies pas…

Elle aurait voulu lui lancer un regard ironique. Elle aurait voulu lui faire une remarque acerbe. Elle aurait voulu être tranchante. Elle aurait voulu lui faire mal.

Elle ne put que baisser les yeux et s'abandonner quand, dans une attitude prédatrice et majestueuse, le regard sombre, il défit d'une main les premiers boutons de sa longue robe noire en s'avançant vers elle.