Chapitre 12

Je le savais

En rentrant vers son dortoir, Hermione éprouvait un sentiment partagé. La satisfaction de sa réussite, et la frustration que cette dernière lui imposait.

Elle aussi eut du mal à trouver le sommeil ce soir là.

Les jours passaient, tant bien que mal, et chacun tentait vainement d'occuper son esprit à d'autres pensées que celles qui se ramenaient au corps de l'autre et aux événements des nuits précédentes…

Le mardi suivant, Hermione se rendit dans les cachots et frappa fermement à la porte derrière laquelle se déroulait d'habitude ses cours clandestins de magie noire.

« - Entrez.»

Elle replia à la hâte la carte du Maraudeur tendit la main vers la poignée.

Elle entra et le vit, comme à son habitude, affairé à écrire quelque chose à son bureau.

C'était l'image la plus vivace qu'elle possédait de lui. Assis à sa table, penché sur ses copies, le regard baissé, les cheveux tombant sur ses épaules, concentré.

Lorsque son esprit s'égarait, c'était la vision qui lui revenait le plus souvent.

A bien y réfléchir, elle ne l'avait jamais rien vu faire autrement qu'avec une intense attention. Même… Mais ça, non. Enfin pas toujours.

Avant qu'elle ait pu faire ou dire quoi que ce soit, il trancha :

« - Dehors. »

Elle ferma la porte derrière elle et avança. Visiblement excédé par son entêtement, il poursuivit :

« - Je croyais t'avoir donné l'ordre de sortir d'ici. Apparemment tu as du mal à comprendre. Fiche le camp. »

« - Je vois que vous avez pris des résolutions, professeur… »

« - Si tu penses que je ne pourrais plus t'envoyer en retenue ou te retirer de points, tu te trompes. C'est mon dernier avertissement. »

Il avait enfin levé son regard vers elle et il était réellement furieux.

Severus était tout bonnement exaspéré. Elle le défiait, lui, son autorité, et le pire était que cette colère était causée d'un côté par son effronterie, mais également et en grande partie par les émotions qu'il commençait à sentir s'éveiller en lui. Malgré la situation. Malgré qu'elle se soit jouée de lui. Malgré qu'elle ait volontairement bafoué son amour-propre masculin. Et qu'il l'ait laissé faire, totalement soumis. Exposé à son bon vouloir.

A cette pensée, il sentait sa colère bouillonner de plus en plus dangereusement.

Il n'arrivait pas à oublier cela. Et le pire était qu'il savait pertinemment qu'il aurait accepté n'importe quoi, ce soir-là, lorsqu'elle avait commencé à le toucher. Il aurait continué à se laisser faire. Même si c'était pour qu'elle l'abandonne ensuite au pied du lit.

Garder la tête froide.

Elle continuait à le narguer de son regard faussement candide, dissimulant sournoisement sa diabolique intelligence. S'il avait pu imaginer un jour ce que cette fille deviendrait…

Elle avait si longtemps conservé la bonne figure des Gryffondors immaculés… Au fond de lui, Severus se demandait comment deux personnages si tortueux et imparfaits qu'eux deux arrivaient à faire naître quelque chose d'aussi beau que la nuit où ils avaient fait l'amour.

Et cette nuit-là où il lui avait laissé le contrôle des événement…

Il se demanda si la situation pourrait un jour se renverser…Et se traita de fou. Il devait avant tout songer à cesser cette relation avant qu'elle ne les consume tous les deux, avant qu'elle ne soit renvoyée et qu'il ne perde son poste…

Mais à quoi pensait-il ? Jamais il ne pourrait se passer de ce qu'ils vivaient, là, à l'instant…Même s'il sentait que cette confrontation allait être l'amorce d'une nouvelle torture.

Et pendant que ces pensées si confuses et contradictoires se bousculaient dans son esprit, elle s'était approchée de lui, près, tout près, et commençait à poser ses mains sur ses épaules. Puis il entendit une sorte de frottement, et le murmure d'une incantation.

« - Legilimens. »

Il sentit comme une brise tiède s'engouffrer dans sa tête, et lutta brièvement avant d'abandonner une fois de plus le contrôle total de se qui se passait.

Elle caressa ses souvenirs. Jongla en toute impunité avec ses sentiments.

Joua avec ses pensées.

Elle en choisissait une au hasard et la rejetait presque aussitôt, comme un enfant joue avec des galets sur la berge d'une rivière.

Elle vit bon nombre de ses souvenirs de mangemort, mais lorsqu'elle s'aventura par mégarde sur un souvenir de torture, une alerte se déclencha soudain en lui et il mit fin à la connexion.

Ses mains étaient toujours posées sur ses épaules, si légères qu'il les sentait à peine. Elle se courba derrière lui et enfouit sa tête dans son cou. Il sentit ses lèvres fraîches effleurer sa peau.

« - Bien essayé… Tu as encore progressé en occlumencie. Mais ma réponse est toujours la même. Sors d'ici. »

Sa voix était bien moins assurée qu'il ne l'aurait voulu, et il se sentait comme prêt à exploser.

« - Tu es sûr… »

Il inspira précipitamment lorsqu'elle fit glisser sa main le long de son corps, se rapprochant inexorablement de l'endroit si sensible…Il s'efforçait de ne pas la toucher, pour ne pas aggraver sa situation…

Sa main se crispa sur le rebord du bureau.

« - Moi je dirais que non… »

C'en était de trop. Que croyait-elle ?

Il lui saisit le poignet et se leva brusquement de sa chaise pour lui fit face.

« - Mais tu espères quoi, à faire la garce… » Il y avait dans le ton de sa voix une nuance de désespoir qu'il ne s'autorisa pas à examiner.

Il avait fait mouche. Le regard qu'elle lui tendait était tout-à-coup voilé. Elle s'approcha à nouveau.

« - Reste où tu es. »

« - Non… »

Elle tendit les mains vers lui. Il ne recula pas.

Elle s'appliqua à bien défaire toutes les attaches de sa cape avant de la laisser glisser à terre. Et comme prévu, il se laissa faire. Bien sûr.

Il ferma les yeux, toujours immobile. Elle défit ensuite sa chemise.

« - Regarde-moi, pourquoi ferme-tu les yeux quand je te touche…Je suis si laide que ça… »

Avec un petit rire ironique, il s'exécuta. Un instant, la détermination d'Hermione vacilla…Puis elle reprit ses esprits en se concentrant sur les derniers boutons de cette chemise qui devenait vraiment trop inutile…

« - Tu n'as pas trop chaud avec ça ? »

Il mordillait ses lèvres, le regard perdu dans le vide, une lueur douce et rêveuse dans ses prunelles habituellement insondables. Il semblait réfléchir, mais Hermione le connaissait à présent assez pour savoir qu'en cet instant, il était entièrement à sa merci. Comme d'habitude, cette sensation lui tourna la tête un instant, et elle se prit à espérer être un jour à nouveau en position d'abandon…Mais ce n'était pas pour tout de suite. Il était entre ses mains totalement soumis. Il fallait en profiter.

Elle se hissa sur ses pieds et la pensée qu'il était en fait très grand vint à nouveau traverser son esprit. Hors de propos.

Avec une avidité presque obscène, elle se jeta sur sa bouche et presque aussitôt caressa sa langue avec la sienne.

Cela eut le don de le réveiller enfin et lorsqu'elle sentit qu'il réagissait elle se laissa faire à son tour.

Entre deux baisers elle susurra…

« - Tu t'amuses bien ? »

Pour toute réponse, il se courba davantage sur elle, et ils tombèrent à moitié sur le bureau encombré. Des papiers, des ustensiles et un chaudron s'écrasèrent ensemble sur le sol dans un vacarme épouvantable.

« - Sur ton bureau… Cela ne fait-il pas un peu cliché… », parvint-elle à articuler dans un souffle.

Sa seule réponse fut de l'attraper à bras le corps et de les précipiter tous deux à terre.

« - Tu préfères les souvenirs… », fit-il les lèvres dans ses cheveux.

« - Non ! »

Elle choisit l'évocation de cette première fois douloureuse pour se refroidir l'esprit et en une poussée se dégagea. Elle se releva en un éclair et le contempla de toute sa hauteur.

A demi affalé sur le sol, essoufflé, ses cheveux lui tombant sur le visage, elle vit peu à peu fleurir à travers les mèches noires une expression douloureuse et presque haineuse qui semblait vouloir dire « je-le-savais »…

Sans désirer en voir plus, elle prit ses jambes à son cou et s'engouffra hors de la pièce.

Elle regagna la salle commune, et constata que celle-ci était vide. A l'exception d'une silhouette assise, comme à son habitude, dans un des fauteuils près du feu. Harry. Lentement, et en sachant que de toute façon il l'avait vue arriver, elle se dirigea vers lui. Elle savait qu'il allait lui demander des comptes. Mais il était son ami. Elle l'aimait. Et il ne voulait que son bien, après tout.

« - Tu arrives bien tard. »

Il y eut un silence. Elle ne songea même pas à se justifier. Et elle n'en avait pas besoin, après tout.

Comment comprendrait-il que quelques secondes plus tôt, elle se roulait sur le sol des cachots dans les bras de leur professeur de potion…

« - Qu'est-ce qui ne va pas, en ce moment ? Et ne me dis pas que tu es obligée de travailler tard, car je sais bien qu'il y a autre chose. Tu…es bizarre. »

Il tourna son regard vers elle.

Elle vint s'asseoir près de lui.

Elle ne répondait toujours pas. Elle ne pouvait rien dire. Puis dans un élan incontrôlable, et en sachant qu'elle viendrait à le regretter, elle se décida à avouer.

Enfin, avouer était un bien grand mot. Elle lui lança un regard qui ne laissait aucun doute sur la nature de ce qui la tourmentait.

« - Tu…Vois quelqu'un ? » fit-il, l'air visiblement gêné.

« - Oui », répondit-elle avec un calme dont elle ne se serait pas crue capable.

Elle tourna son regard vers le feu, incapable de soutenir celui de Harry plus longtemps, certaine qu'il finirait par y lire le secret qu'elle voulait garder à tout prix.

Mais il n'osa pas en demander plus.

« - Tu ne me demandes pas qui c'est ? »

Il rougit et baissa les yeux. Non. Il ne le lui demanderait pas.

« - Tu veux peut-être récupérer la Carte… »

Elle tendit la main vers sa poche intérieure.

« - Non, garde la. Si j'en ai besoin, je te le dirai… »

Il s'installa un silence complice. Hermione pensa qu'elle aimait tant son ami…

« - Non, en fait, j'aimerais beaucoup le savoir. Mais seulement si tu veux me le dire. »

« - Si je ne l'ai encore dit à personne, c'est parce que… Et aussi à toi, surtout…C'est parce que… »

« - Ne le dis pas… »

« - Si. Enfin, tout ce que je peux te dire pour l'instant c'est que…Ce serait assez mal accepté, voilà, ce serait une chose mal vécue. Par beaucoup de monde. »

Et le mot n'était pas trop faible, pensa-t-elle…

« - Harry… Je crois que je te ferais du mal, si je te le disais… Oui je sais, tu as du mal à comprendre cela… Et n'essaie surtout pas de savoir qui c'est. S'il te plait. »

Il la regardait, inquiet.

« - Ne te fais pas de souci pour moi », tenta-t-elle de le rassurer. Et elle lui sourit.

« - Je ne chercherai pas à savoir, tu as ma parole. »

Il y eut à nouveau un silence.

« - Je voudrais te demander quelque chose. Une chose injuste, mais je me sentirai mieux si je le fais. Je voudrais… Simplement te demander, si un jour tu apprends… quoi que ce soit, de continuer à être mon ami, comme tu l'es aujourd'hui. C'est tout. »

Il promit.

Le lendemain mâtin, Hermione traversait l'aile ouest afin de se rendre, comme à l'accoutumée, à la bibliothèque. Il faisait un temps radieux, malgré la saison, et elle se dit avec un frisson de joie que le printemps arrivait bel et bien.

Et au détour d'un couloir désert, elle tomba face à face avec…Celui qu'elle souhait le plus rencontrer, et à la fois le plus fuir.

Il tenait la carte du Maraudeur et, avec un sourire diabolique, la replia quand il la vit.

« - C'est un objet fort utile, ma foi. Tu l'as oublié hier soir, quand tu es venue. »

Elle tentait vainement de garder son sang froid mais elle sentait qu'elle était bel et bien prise au piège. Il avait évidement choisi l'endroit de la rencontre pour sa tranquillité. Personne à l'horizon.

Il allait lui faire payer cher ce qu'elle lui avait fait subir la veille…et les autres fois.

Son regard était rivé dans le sien et elle fit un pas maladroit en arrière.

« - Tu fuis. C'est un habitude on dirait. » Sa voix était insupportablement ironique.

« - Non. »

« - Non ? »

Il fit un pas vers elle, comblant ainsi le vide qui les séparait.

Elle recula encore.

« - Tu as peur ? Où est donc passé le légendaire courage des Gryffondors ? Ah mais j'oubliais…Ton imposture…C'est bien sûr à Serpentard que tu devrais être… »

« - Jamais ! C'est une maison indigne ! »

Les yeux de Severus s'agrandirent. La colère qu'ils exprimaient était au-delà des mots.

Elle avait malencontreusement oublié qu'elle avait en face d'elle celui qui en était directeur…Et elle l'avait ouvertement insulté. Hermione sentit sa propre colère se muer en terreur.

Malgré tout, il pouvait encore lui faire peur. Même plus qu'avant…

Il l'empoigna à bras le corps, ouvrit au hasard un porte qui donnait sur un classe vide, et sur le sol de laquelle il la reposa, avant de refermer la porte derrière eux.

« - Et maintenant ? », lui cria-t-elle avant qu'il n'ait rien fait. « Maintenant, qu'est-ce que tu vas faire ? Tu vas me flanquer par terre ? Te défouler, mais vas-y bon sang, un peu de courage ! Ah mais j'oubliais…Toi tu n'aurais vraiment pas ta place à Gryffondor… »

Elle crut qu'il allait la gifler.

Au lieu de cela, il se pencha sur elle et alors qu'elle tremblait de crainte, il déposa un baiser léger au coin de sa bouche, frémissante encore des paroles qu'elle venait tout juste de prononcer.

Puis il murmura près de son oreille…

« - Tu es belle, quand tu t'énerves. »