Chapitre 14
Conscience
Il lui avait resserrée sa cravate. Remis ses cheveux en place. D'un geste sûr, il avait d'un coup de baguette nettoyé la tâche qui s'étendait sur son uniforme et dont il était à l'origine.
Puis il avait embrassé son front, sa joue, ses lèvres. Ses yeux insondables l'étaient devenus un peu moins, ils exprimaient alors une douceur presque coupable.
Il remit comme il put de l'ordre à sa propre tenue. Mais à vrai dire propre n'était plus vraiment le terme. Puis il se pencha et de sa cape gisant au sol, il retira la Carte du Maraudeur qu'il lui rendit.
Pas un mot pendant tout cela.
Puis comme un ami, un père, un amant, il lui prit la main et la conduisit à la porte. Un dernier baiser, rapide, bien trop rapide…Et elle disparut, à nouveau happée par cette réalité si douloureusement parallèle à la leur.
La porte se referma et Severus enfouit son visage dans ses mains.
Le soir-même au dîner, Hermione quitta ostensiblement la table des Gryffondors sous le regard perplexe de Ron et Harry, prenant bien soin que son départ soit remarqué par une personne qui, à la table des professeurs tentait d'afficher son expression habituellement sinistre.
Mais qui avait compris.
Il attendit quelques minutes puis sortit de la Grand Salle à son tour. Le hall était désert et il se décida à regagner ses appartements. Où qu'il aille, de toute façon elle le verrait. En d'autres circonstances il aurait été fou de rage à l'idée qu'on l'espionne, mais les seuls sentiments qui l'habitaient à l'instant était une excitation sans nom et une…Joie immense. Oui, il était heureux. Lui.
Curieusement, il connaissait avec vingt ans de retard les affres d'un amour d'adolescent. Il en avait tant vu, il les avait tant enviés, à dix-sept ans, ces couples de collégiens qui autour de lui se faisaient et se défaisaient sous ses yeux, en le laissant toujours à part. Toujours seul. Oui, ses années d'étude à Poudlard avaient réellement été un calvaire…Tenir malgré la solitude, malgré les moqueries incessantes, les insultes, les attaques. Mais il avait tenu. Tenu pour devenir au final un mangemort. Et puis toutes ces années perdues…
Au fond de lui il se demandait si le fait d'avoir été séduit par cette fille-là, une élève…N'était pas un pitoyable essai de rattraper le passé…
Oui, toutes ces années perdues…Et cette histoire si incertaine…Non, il ne voulait pas y penser. Tant pis.
Il entra dans ses appartements pour constater qu'elle l'y avait précédé.
Elle était essoufflée et une charmante rougeur embrasait ses pommettes. Il aurait voulu lui dire qu'elle était belle mais n'osa pas.
« - J'ai su vers où tu te dirigeais et je suis là avant toi ! », fit-elle en un souffle, sur un ton espiègle.
Il ne répondit pas.
Elle éclata de rire en renversant la tête en arrière, en une totale spontanéité. Fraîche. C'était l'adjectif qui lui convenait le mieux.
Son image de fille sérieuse au delà de tout n'était donc en fait qu'une façade…Mais c'était normal, elle était jeune, si jeune…Cet aspect si rébarbatif de sa personnalité ne pouvait bien sûr être le seul. Severus se demandait si elle était souvent ainsi avec ses amis de Gryffondor. Sans vraiment se l'avouer, il aurait voulu garder cette Hermione là pour lui seul.
Hermione fut un instant gênée de la façon dont il la détaillait. Mais ce qu'elle vit dans ses yeux n'était que de la tendresse. Alors elle le laissa faire de bonne grâce.
« - Il me semble que depuis quelque temps », fit-elle en s'avançant vers lui, « tu négliges énormément tes devoirs d'enseignant… »
Il tendit la main vers elle mais elle lui échappa en une pirouette.
« - J'aimerais…Que l'on reprenne le travail en magie noire, si tu le veux bien. »
Severus fit tomber sa cape et se dirigea vers une bouteille de Whiskey-Pur-Feu qui traînait sur son bureau. Il s'en servit un verre, comme pour se donner une contenance.
« - Bien sûr. Dès que possible. »
Elle ne sembla pas saisir l'ironie du propos. Il pensa qu'à côté de lui, elle était en quelque sorte au-delà de la pureté, nette comme la glace…
« - Tu ne m'en offres pas ? »
« - Tu en veux ? »
« - Non. C'est trop fort. »
Elle avait pris place à son bureau, alanguie sur sa chaise.
« - Je trouve que tu prends bien tes aises, ici. T'ais-je autorisée à t'asseoir ? »
« - Pas exactement. Legilimens. » Elle avait braqué sa baguette sur lui.
Il n'avait pas vu venir le coup. Mais ça n'était pas important. Il en profita et ouvrit en grand son esprit, lui laissant entrevoir une partie de ce qu'il lui réservait pour plus tard dans la soirée...Elle interrompit elle-même le contact.
« - Tu veux jouer… » Son ton était incertain, mais ses yeux brillaient. « A ton tour. »
Elle inspira et se laissa aller contre le dossier de sa chaise. Ses yeux se fermèrent et sa tête se renversa.
Il n'eut même pas besoin de sa baguette pour établir le contact. Il n'eut qu'à détendre son esprit et à se laisser aller. Et il vit des choses…Des images qui lui firent tourner la tête…
Mais au fur et à mesure de son exploration, son attention fut attiré par une pensée qu'il n'avait encore jamais rencontrée. Elle tenta de la lui dissimuler, mais sa volonté était plus forte que la sienne. Il ne jouait plus.
Quelque chose qu'elle lui cachait...
« - Arrête ! »
Elle avait presque crié.
A contrecoeur, il s'exécuta. Mais il la fixa intensément, les sourcils froncés en une expression presque accusatrice.
« - Tu n'as pas besoin de tout voir… » Son ton était presque suppliant.
« - Bien sûr. »
Mais il ne pouvait s'empêcher de revoir cette silhouette… C'est tout ce qu'il avait pu voir… Des cheveux noirs, un corps mince, une silhouette qui ne lui était pas inconnue…Mais tout le reste était flou, brouillé par son esprit habile.
Hermione voyait dans ses yeux comme un reproche…Non, en fait elle y voyait, au delà, une blessure. Qu'avait-il cru ? Il avait vu Viktor…Mais qu'avait-il imaginé ?
Sans doute plein de choses, c'était inévitable. Elle aurait voulu le rassurer, c'était si bête tout cela, si bête…Mais elle ne pouvait lui dire la vérité, elle était trop personnelle. Et puis elle avait promis. Il faudrait qu'il lui fasse confiance…
Mais elle le sentait si méfiant, si suspicieux, à l'instant…Et toujours si blessé.
Il avait baissé les yeux et contemplait le vide, pensif.
« - N'imagine rien, s'il te plait. »
« - Je n'imagine rien. »
Mais c'était un mensonge. Et elle n'avait pas besoin de l'occlumencie pour le deviner. Elle se leva et s'approcha de lui. Des mots pleins de tendresse lui venaient aux lèvres mais n'arrivaient pas à les franchir tant ils lui paraissaient insuffisants face à ce qu'elle ressentait.
Debout près d'elle, mais tout-à-coup étrangement lointain, il ne tourna pas les yeux vers elle. Figé.
Elle embrassa son épaule, la plus haute partie de son corps qu'elle pouvait atteindre.
« - Je n'aime pas quand tu es comme ça », dit-elle.
Sans pouvoir attendre plus, elle enfouit sa tête dans le tissu de sa cape, respirant son odeur, sa chaleur.
Il posa sa main sur son cou, puis sous ses cheveux.
« - Toi aussi, il y a des choses que tu me caches…Mais je ne chercherai pas à les connaître tant que tu ne m'en parleras pas », souffla Hermione.
Ses bras se resserrèrent autour d'elle et elle sut qu'encore une fois, elle avait réussi à trouver comme un passage en lui.
« - Je ne peux pas rester. J'ai une réunion de l'Ordre dans une heure. »
« - Tu ne pars pas fâché, n'est-ce pas ? »
Il ne répondit pas.
« - Je t'attends ici ? »
« - Tu n'imaginais pas filer ailleurs, j'espère… »
« - Et bien… » Elle laissa volontairement traîner la réponse.
« - Attention à ce que tu vas dire. »
Elle sourit.
« - Cette carte », fit-il soudain, « Tu l'as empruntée, n'est-ce pas ? »
« - Oui. »
« - Que va-t-il se passer quand tu vas la rendre à son propriétaire ? »
« - Et bien, « son propriétaire » m'a promis de ne pas essayer de savoir ce qui ne le regardait pas. Mais de toute façon je ne compte pas la rendre pour l'instant, ne t'inquiète pas. Et je ne le ferai pas sans te le dire avant.»
Il alla s'asseoir à son bureau, posa ses coudes sur la table et son visage sur ses mains, et d'un air pensif lui répondit doucement :
« - Je ne crois pas vraiment que tu mesures l'étendue de ce que nous risquons. Même si Dumbledore nous désapprouverait, je sais qu'il représenterait tout de même un soutien, quel qu'il soit. Mais les autres…Ce serait terrible. Enfin, beaucoup moins pour toi que pour moi. »
Il hocha la tête.
Hermione répondit, brûlante de lui faire comprendre son point de vue :
« - Mais comme toi, j'y perdrais ma réputation. Et si pour un garçon on dit qu'il est un séducteur, on dit pour une fille qu'elle est une traînée. Je n'ose même pas imaginer ce qui pourrait se dire… »
« - Tu parles de réputation…Mais un tel acte est un crime aux yeux des gens, et ça l'est d'autant plus lorsqu'il est commis par un… Par quelqu'un comme moi. »
Il y eut un silence.
« - On ne pourra pas dire que tu as fait cela pour améliorer tes notes, en tout cas. » Il eut un rire triste.
« - Non, c'est vrai. Mais peut-être celles d'autres personnes. Va savoir ce que l'on pourrait imaginer... »
« - Pour ma part, la réputation est une chose à laquelle j'ai dû renoncer il y a longtemps. Mais… »
Il n'acheva pas sa phrase. Il semblait tout-à-coup totalement perdu dans ses pensées.
« - Parle-moi. »
Il resta muet.
Elle n'insista pas.
Il finit par reprendre la parole.
« - Qui était-ce, dans ta tête, tout-à-l'heure ? »
« - Je ne peux pas te répondre. Pardonne-moi. »
« - Tu sais, si j'ai vraiment envie de le savoir, je le saurai, même si ma conscience veut m'en empêcher. »
« - Ta conscience ? Tu l'as vendue au diable il y a longtemps ! »
Il sourit, enfin. Doucement.
« - C'est vrai. Je ne m'en servais pas. »
