Chapitre 15
Ecouter
« - Je dois être dans le bureau de Dumbledore dans trois quarts d'heure pour y prendre un portoloin. »
« - C'est une durée non négligeable, trois quarts d'heure. »
Elle lui fit un sourire charmeur. Tellement plus féminin et mature, pensa-t-il, qu'au début de leur relation. Sans le savoir, elle était entrain de se transformer. Elle était devenue incroyablement, inimaginablement belle. Et bientôt, sans doute, elle l'abandonnerait, comme un fardeau trop lourd, comme un poids l'empêchant d'avancer dans la vie…Mais il préférait ne pas s'attarder sur de telles pensées.
Il effleura sa bouche chaude…
On frappa à la porte. Leurs regards paniqués se croisèrent un instant, juste avant que Severus ne la soulève littéralement du sol, comme à son habitude, pour la précipiter dans une pièce exiguë, cachée derrière un portrait qui se referma aussitôt sur elle.
Elle n'entendit rien de ce qui se dit ni ne sut qui était la personne qui avait frappé et resta figée et tremblante, dans la pénombre et le silence, avant de s'apercevoir de ce que contenait la pièce.
Ses doigts l'effleurèrent dans l'ombre, lisse et brillant, poli et noir comme la nuit, sombre et mystérieux comme son propriétaire : un piano.
Elle s'assit devant lui et releva le plus délicatement possible le couvercle du clavier.
Les touches d'un blanc ivoire brillaient dans l'obscurité et elle les effleura timidement, craignant de provoquer le moindre bruit. Cette pièce la confinait dans un silence hermétique qui devait sans doute jouer dans les deux sens, du moins l'espérait-elle. Elle n'entendait absolument rien de se qui pouvait se dire dans la pièce adjacente. Sans doute un sortilège d'isolation phonique.
Elle ne sut combien de temps exactement elle resta là, dans l'obscurité, guettant inutilement le moindre bruit, observant la noire brillance de l'instrument et la douce phosphorescence de ses touches, inquiète mais aussi curieuse du son que pouvait avoir un piano appartenant au monde magique.
Quelques partitions traînaient, posées sur le pupitre et au-dessus, mais il faisait trop sombre pour les déchiffrer et Hermione, prudente, ne voulut pas mettre en jeu sa fragile sécurité pour une simple curiosité. Elle se retint donc de jeter le moindre Lumos.
La porte s'ouvrit alors brusquement et elle sursauta, surprise et aveuglée par la lumière soudaine.
Il se tenait dans l'embrasure.
« - C'est fini, tu peux sortir. »
« - Qui était-ce ? »
« - MacGonagall. Elle avait des choses à me dire. »
« - Tu as encore martyrisé des Gryffondors ? »
Il eut un sourire cruel mais non dénué d'humour.
« - Peut-être bien…C'est la tradition, après tout. »
Elle avait vraiment l'impression de découvrir jour après jour qui il était.
« - Tu me désespères », fit-elle d'un ton languissant.
« - Tu es préfète, n'oublies pas qu'il est aussi de ton devoir de faire en sorte que les élèves de ta maison se conduisent bien. », répondit-il d'un ton calme et légèrement ironique.
« - Bien sûr… »
Elle sourit à demi, comme rêveuse.
« - Tu souhaites rester là toute la nuit ? », demanda-t-il.
Elle désigna le piano.
« - C'est toi qui en joues ? »
Il ne répondit pas. Hermione prit cela pour un acquiescement.
« - Tu me jouerais quelque chose ? »
Il la regarda un moment avec un air mi-amusé mi-indulgent avant de venir s'asseoir à ses côtés au piano.
Les torches fixées au mur s'enflammèrent automatiquement. Elle eut la sensation que le maître des lieux venait réellement de faire son entrée.
Bien sûr qu'il était là. Mais c'était comme si la pièce s'était soudain mise à vivre, emplie de sa présence.
Elle se rapprocha de lui, souhaitant encore plus de sa chaleur, et il passa son bras autour d'elle. Il devenait difficile de poser correctement ses mains sur le clavier de cette façon, et il la resserra d'autant plus contre lui.
Puis ses doigts enfoncèrent les touches et elle ne pensa plus à rien, la tête enfouie dans le tissu velouté de sa robe.
Il jouait une chose…A la fois triste et heureuse, un mélange indéfinissable de joie et de mélancolie, un morceau qu'Hermione avait l'impression d'avoir toujours connu, comme s'il avait depuis toujours dormi au plus profond d'elle.
Cet air lui semblait familier, comme tout ce qui se trouvait dans cette pièce…La lumière douce et vacillante des torches, les étoiles qui piquetaient le ciel au travers des fenêtres closes, la douceur des tapis, les courbes luisantes de l'instrument…
Et ces mains, si agiles, prometteuses, qui couraient sur le clavier. Cette chaleur enveloppante qui engourdissait peu à peu ses membres et la plongeait dans un état de flottement…
La pression variante de son bras alors que ses mains couraient sur les touches. La tension si précise de ses muscles alors qu'il dirigeait la mélodie…
Hermione ne désirait qu'une chose : que cette bulle enchantée dans laquelle ils évoluaient tous le deux n'éclate jamais. Son bonheur ne pourrait jamais être plus intense. Son cœur se serra.
Mais la mélodie finit par s'arrêter.
Elle émergea peu à peu et vit ses mains posées sur le clavier, ses doigts tenant encore enfoncées les touches des dernières notes qui avaient résonné dans la pièce.
Puis elle lut le nom sur la partition qui trônait sur le pupitre.
« - Chopin… »
Il l'embrassa sur la tempe.
« - Tu n'aimes pas Chopin ? »
« - Bien sûr que si, et surtout quand c'est toi qui le joues ! »
« - Tu n'es pas bien difficile...C'était assez médiocre, j'ai trop peu joué ces derniers temps. »
« - A cause de moi ? »
Il sourit sans répondre.
« - Je ne pensais pas que tu aimais les musiciens moldus », poursuivit-elle.
« - La nature du compositeur n'a pas d'importance, tu devrais savoir que la musique possède sa propre magie. »
« - C'est juste que je m'en étonne de toi. Pour ma part, j'ai toujours considéré que les sorciers n'étaient jamais arrivés à la cheville des moldus dans ce domaine. Peut-être parce qu'ils répugnent à se donner du mal dans une activité qui n'exige pas l'emploi de leurs pouvoirs magiques. »
« - Comme pour les potions… »
Il se regardèrent un instant, étonnés par cette compréhension mutuelle.
« - Comme pour les potions », répéta Hermione.
Et ils se sourirent.
